Le dernier dimanche

On nous secoua, Antoine et moi, pour nous réveiller. Je râlai et cachai mes yeux derrière le bras d'Antoine, qui revenait devant mon visage.

- Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda mon père.

- On dort, répondis-je mollement.

Mon père déposa un baiser sur mon front et partit, après avoir ajouté qu'on devait se dépêcher de se réveiller pour les aider à tout ranger. En une seule phrase, mon père réussit à faire rater un battement à mon cœur : on allait partir. Je ne verrais plus Antoine.

Je me tortillai pour faire face à ce dernier. On était resté pas loin de deux heures sur la terrasse - on avait beaucoup parlé, fait d'autres choses aussi, mais surtout parlé - mais le vent qui s'était levé nous avait forcés à devoir rentrer dans la maison. On s'était donc installé sur le canapé, et comme ce canapé était le canapé le plus moelleux de la Terre après avoir passé deux heures sur une terrasse en pierre, on s'était endormi en moins de dix minutes.

Je déposai un baiser sur les lèvres d'Antoine. Quelques secondes passèrent, et il ouvrit les yeux.

- Et la princesse réveilla le prince par un tendre baiser, c'est ça dans les contes de fées ? dit-il en souriant, la voix encore endormi.

Je lui souris et caressai sa joue.

- On va devoir se lever pour les aider à ranger.

- Je te propose de fuguer pour ne jamais quitter cet endroit et faire durer l'été pour l'éternité. Tu me suis ?

- Antoine, on n'est pas dans un livre. Ces choses-là ne marchent pas dans la réalité.

Il soupira, et après quelques secondes, nous décidâmes de nous lever. Puis tout le reste passa trop vite : le petit-déjeuner, aider ma mère à préparer les sandwichs, laver la maison, prendre une douche. Monsieur Lambert était arrivé entre temps et nous avait aidé, il alluma le robot aspirateur dans la piscine.

Tout allait trop vite. Beaucoup trop vite.

Je frappai à la porte de la salle de bain. Antoine lança que je pouvais entrer, et je le retrouvais simplement habillé d'un boxer en train de se brosser les dents. Je m'assis simplement sur la lunette des toilettes et attendis sagement qu'il termine.

- Ça va ? me demanda-t-il après m'avoir observée quelques secondes.

- Tu sais à quel point c'est dur de quitter cet endroit, dis-je en m'efforçant à sourire.

Antoine soupira, enfila un short et un t-shirt et s'assit en tailleur sur le sol, en face de moi.

- Tu sais qu'à chaque fois qu'on venait ici, ma mère me racontait le premier été qu'on avait passé ici et comment nos deux familles se sont rencontrées ?

Je secouai la tête et l'invitai, en un regard, à me le raconter.

- On avait loué la maison pour une semaine. On était arrivé un samedi, il faisait chaud et la route avait été très longue pour mon père. On était en train de défaire nos bagages quand votre voiture est arrivée. On s'est demandé ce que vous faisiez, et vous vous pensiez qu'on était les locataires qui partaient. Monsieur Lambert s'était trompé dans son calendrier, et notre semaine de location chevauchait la vôtre. Les adultes étaient en train de s'expliquer entre eux, et c'est ta mère qui s'est aperçu qu'on avait disparu. Ils ont fouillé tout le jardin, puis toute la maison, un bon nombre de fois, puis ils nous ont retrouvé dans une chambre. On était en train de jouer tous les deux, ma mère n'avaient pas bien compris à quoi ; mais en nous voyant, Monsieur Lambert a rappelé à nos parents qu'il y avait trois chambres, et que nous pouvions cohabiter pendant une semaine en faisant nos activités chacun de notre côté. Ma mère nous rappelait tout le temps qu'il avait fait baissé le prix de la location et que ça avait été un ange de le faire, parce que le prix avait baissé, mais les vacances qu'on avait passé ici nous avaient fait gagner des amis.

Je souriais. Cela remontait à trop longtemps, à douze ans ; je devais avoir cinq ou six ans, Antoine sept. Comment aurais-je pu me souvenir de cette histoire ? Marie, elle, avait une très bonne mémoire et apportait une grande importance aux souvenirs. Elle aimait raconter les histoires et on avait toujours aimé l'écouter.

- Tu veux dire que c'est grâce à nous qu'on vient ici chaque année ?

- Eh oui, Princesse. Les premiers jours, nos parents avaient eu du mal à se parler, mais rapidement, en nous voyant nous entendre, ils ont fait connaissance et se sont très bien entendus. On avait même repoussé au maximum notre date de départ pour pouvoir profiter de la maison avec vous ; mais ma mère disait qu'elle se souviendrait toujours de nos adieux, à nous deux. On était sur la terrasse, tout le monde se disait au revoir. La veille, on avait fait des dessins et on s'en était échangé, pour se souvenir de l'autre. Puis quand on est parti dans notre voiture, tu pleurais dans les bras de ta mère et moi, j'étais très triste. Alors mes parents m'ont dit de repartir te dire au revoir, et j'ai couru jusqu'à toi. Puis je suis revenu tout sourire.

- Ta mère ne savait pas ce que tu m'avais dit ?

Il secoua la tête. Ma mère entra alors dans la salle de bain, le sourire aux lèvres. Inutile de lui demander qu'elle avait écouté notre discussion. Mais au lieu de lui hurler dessus en lui disant que c'était une conversation privée, on l'interrogea par un simple regard. Elle devait savoir.

- Toi, tu es arrivé jusqu'à nous, continua-t-elle en regardant Antoine d'un air tendre. Et du haut de tes sept ans, tu as demandé à ma fille si elle voulait bien être ton amoureuse. Inutile de préciser que Flo a accepté. Tu as même embrassé ma fille avant de partir, et tout le reste du séjour elle nous a rappelé qu'Antoine l'avait embrassée. A six ans, ça ne va pas de sexualiser ma fille à cet âge-là, jeune homme ?

Antoine et moi nous tournâmes la tête en même temps l'un vers l'autre, surpris mais souriants.

- C'est sérieux ?

Ma mère acquiesça et reprit, pensive :

- Ça a duré, quoi, trois ans ? Flo nous harcelait dans la voiture sur le chemin, en chantant qu'elle allait revoir son prince.

- Son prince ? répéta Antoine.

- Oui, ta mère vous avait appelés ainsi : les prince et princesse de la maison de Ribes. Antoine ne cessait pas de t'appeler Princesse, il me semble, c'en était devenu automatique.

Il me décocha un regard complice. Alors c'était de là que venait mon surnom. Ça remontait à si loin.

- Et pourquoi ça n'a duré que trois ans, cette histoire ?

Ma mère roula des yeux et me répondit, avant de partir de la salle de bain :

- Antoine t'avait trouvé un nouveau surnom, mais en soit, vous ne vous êtes jamais « quittés ». C'est juste devenu naturel pour vous, de vous aimer.

- Alors comme ça, j'ai une amoureuse depuis douze ans et je ne le savais pas ?

J'éclatai de rire, et il se leva en prenant mes mains. Je me levai à mon tour, pour lui faire face.

- Qu'en dis-tu, ma princesse ? Nous avons une très belle histoire d'amour.

- Je suis d'accord, mon prince. Une magnifique histoire d'amour.

Il se pencha vers moi et m'embrassa. Je passai mes bras autour de son cou et me hissai sur la pointe des pieds. Alors, Antoine et moi avions déjà été, si on pouvait appelait ça comme ça, en couple. Du moins, nous étions déjà amoureux. C'était dingue, en y pensant.

L'heure du départ sonna. Je mis mon sac sur la banquette arrière de la voiture et me redressai pour voir ma mère prendre dans ses bras Pierre. Ils étaient en train de se promettre de se revoir avant les prochaines vacances d'été. J'avançai vers eux au moment où ma mère embrassait Antoine, et ça me fit penser à Marie. J'espérais que, de là où elle était, elle nous regardait de son air bienveillant et voyait à quel point elle nous manquait, et comment nous lui rendions hommage, à nos façons. Je savais qu'elle aurait été contente pour Antoine et moi, c'était tellement évident.

Pierre me serra fort dans ses bras, en me répétant un million de fois que j'étais la bienvenue chez eux. Il me souhaita une bonne rentrée à la fac, qui avait lieu dans une semaine, et me promit de passer nous voir à Lille.

Je me tournai vers Antoine, qui terminait d'embrasser mon père. Il me vit arriver vers lui, fouilla dans sa poche et en sortit un bracelet en cuir bordeaux.

- Tiens, je l'ai acheté hier pour toi.

Je lui souris et le laissais m'accrocher le bracelet autour de mon poignet.

- Comme ça tu penseras à moi même quand je ne serai pas là.

- J'ai pensé à toi pendant trois ans, je n'ai pas besoin de ça, tu sais. Mais je le garde quand même, ajoutai-je alors qu'il me lançait un regard déçu.

Il sourit et leva son poignet au niveau de mes yeux. Il avait le même.

- Disons que c'est une sorte de bague de fiançailles, mais ce n'est pas une bague, et ce n'est pas pour se fiancer.

- Chéri, commençai-je ironiquement, on n'est ensemble que depuis hier. Je ne me pas-fiance comme ça sur un coup de tête.

- Faux : nous sommes ensemble depuis une durée établie entre un jour et douze ans. Dans le bénéfice du doute, tu te dois d'accepter ce cadeau.

Nos parents rirent à côté de nous. Mon père me toucha l'épaule pour me dire qu'il était temps de partir. Je soupirai, et baissai le regard vers mon bracelet. Je souris en remarquant qu'il y était inscrit le nom d'Antoine.

- Tu viendras quand même un ou deux weekend avant les vacances de la Toussaint ? demandai-je à Antoine.

Je devais descendre à Paris durant ces vacances, mais elles n'avaient lieu que dans deux mois, ou moins, et c'était long.

C'était long. Que je ne voyais pas Antoine pendant un an, trois ans, ou deux mois, cela me semblait long. C'était sûrement ça, l'amour : l'autre nous manquait tout le temps, on s'habituait à son absence, et quand on le revoyait, c'était d'abord surréaliste, puis tout redevenait comme avant avant une nouvelle séparation.

- Je te préviendrais, ne t'en fais pas.

Je levai la tête vers lui, lui montrant les larmes qui s'amassaient doucement au bord de mes yeux. Il coinça une mèche de cheveux blonds derrière mes oreilles et me prit dans ses bras. Je le serrai le plus fort que je le pouvais contre moi. Plus qu'une séparation avec mon copain, c'était une séparation avec mon meilleur ami, et à chaque fois, ça se passait comme ça.

- Tu me manqueras, quand même, lui murmurai-je en riant.

- Toi aussi Princesse.

Il m'embrassa le front et m'éloigna de lui pour me regarder en souriant. Je séchai mes larmes et il déposa un baiser sur mes lèvres.

- Au revoir, Flo.

Je lui embrassai la joue et m'éloignai de lui.

- Au revoir, Antoine.

Il me fit un signe de la main, et je me dépêchai de rentrer dans ma voiture pour ne pas me retourner et courir à nouveau vers Antoine. Je poussai un long soupir, passais mes mains sur mes joues et souris à mes parents. Ma mère démarra la voiture et j'entendis la voiture de Pierre faire de même. On fit signe à Monsieur Lambert, et on emprunta le petit chemin de cailloux pour sortir de la maison.

Le jardin sauvage, la grande porte bleue, les murs jaunis, les fleurs ; tout disparut en un clin d'œil. Mais quelque chose restait, quelque chose qui me faisait sourire et qui me soufflait à l'oreille que le souvenir de cette maison resterait à tout jamais gravé dans mon cœur, encore plus qu'auparavant.

F I N

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