Tony Rivera


La minuscule porte de ma cellule s’ouvre, laissant entrer la blanche lumière des couloirs et Derek qui tient un plateau. Il plisse les yeux pour s’adapter à la pénombre.

– Il est dans la cellule A18, il faut agir dans une semaine, avant minuit, la plupart des gardes seront absents. Je vais m’occuper des caméras de ce côté-ci.

Il parle très bas comme s'il avait peur de se faire choper. Dur dur de naviguer entre le bien et le mal.

– Pourquoi minuit ?

– Le camion qui apporte des provisions à la prison part à minuit. Tu vas quitter la prison à bord du camion.

Je hoche la tête, ce vieux renard qui me sert de père a vraiment pensé à tout. À moi de ne pas foirer ma part du contrat.

Derek pose une clé à côté de moi avant de commencer à s’éloigner.

– Hey Derek.

Dans la pénombre, je réussis à distinguer les traits de son visage.

On ne m'encule pas.

Il se contente de hocher la tête avant de sortir. Je n’ai aucune confiance en ce gardien de prison, slash dealer, mais si mon père l’a mis dans le coup, je suis obligé de l’accepter. D'autant que, malgré mes capacités, je suis incapable d'y arriver toute seule. J’ai essayé et ça fait quatre mois que je rame.
À une époque, être enfermé ne m'aurait pas dérangé. Je suis un chasseur patient et, pour moi, plus le combat est dur, plus la victoire est jouissive. Mais même si le Riccardo Gaviera de l’époque est toujours tapi en moi, j’ai quelque chose qu'il n'avait pas : une métisse au tempérament aussi volcanique que l’Etna qui m'attend à mon retour. C’est un sentiment étrange de savoir que quelqu’un m’attend. Plus étrange encore quand je sais que je ne le mérite pas.

La cellule dans laquelle j’ai été mise en isolement est aussi grande qu’une boîte à chaussures. Il y a juste assez d’espace pour un lit trop petit pour un homme de ma taille. Sur la même ligne, il y a un lavabo et des toilettes. Derek m'avait mise dans une chambre plus grande, mais son supérieur a jugé que c’était bien plus que ce que je méritais, pour le peu que j’en ai à foutre.

Je pose le plateau repas apporté par Derek dans un coin.

Je me retourne sur le dos en expulsant la fumée de ma cigarette. Je dois avouer à contre-cœur que Jack me manque. Au moins, ses bavardages incessants m'empêchaient de penser à ma petite serveuse, cette emmerdeuse aux yeux bruns. Elle me manque tellement que j’ai envie de tout plaquer pour rentrer sur l’île. En même temps, elle est plus en sécurité loin de moi et de mes problèmes, mais je suis trop égoïste pour rester loin d'elle.

Tony Rivera, Romano Lombardo, Alberto Ferrari, Riccardo Gaviera, peu importe le nom que je choisis pour me fondre dans la masse, je suis un monstre avec le visage d’un ange. Je suis un tueur sans scrupules, un manipulateur, et surtout un menteur. Je n’ai jamais eu de scrupules à utiliser le mensonge si ça sert mes intérêts, et je ne l’ai jamais regretté jusqu’au jour où j’ai dû mentir à Gayle pour ne pas la perdre.

La première fois que j’ai vu Gayle, ce n’était pas ce soir-là au restaurant. Non, je suis allé dans ce restaurant parce que je l'avais repérée bien avant ça et que je commençais à développer une obsession malsaine pour elle. Ce que je n'avais pas prévu, par contre, c'était qu'Adrian Junior allait lui aussi s'intéresser à Gayle et tenter de l'enlever. En quelque sorte, c’est moi qui ai apporté le danger à sa porte. Elle a été enfermée et violée par ma faute, et sa mère est morte parce que j’ai été incapable de garder mes distances.

Détruire. Je ne fais que ça depuis que je suis dans sa vie.

Quelques mois plutôt
Nimes sud de la france

– Riccardo, tu m'écoutes ? Je lance un regard en direction de mon frère.

– J’essaye de t’ignorer, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué.

Giacomo et moi sommes installés dans un restaurant en plein air en face des Arènes. Je n’ai rien contre la France, je trouve d’ailleurs que c’est un très beau pays, mais je n’ai aucune envie d’être ici. Encore une fois, je dois mettre en pause la recherche de Rebecca à cause de Giacomo et son idée à la con de s’allier aux Français pour fournir la drogue dans le sud.

– On a rendez-vous demain avec Adrian Jr. J’aimerais que tu essaies de ne pas tout faire capoter.

Je me contente de sourire. Ce que Gia ignore, c’est que je ne suis pas ici seulement pour lui tenir compagnie. Père m’a confié la tâche de zigouiller Adrian Jr parce qu’il pose trop de problèmes. Et si mon frère n’est pas au courant, c’est parce qu’il a trop de scrupules. Gia est le genre de personne qui essaie de s’accrocher à sa part d’humanité malgré le monde sanglant dans lequel on évolue.

Pour faire simple, comme d’habitude, je suis là pour tout faire capoter.

Je parcours les informations que j’ai obtenues sur Adrian Jr au cours des deux semaines que j’ai passées à le surveiller. Mon frère pense que je suis venu le rejoindre après avoir quitté Rome, mais je suis dans le sud de la France depuis plus de deux semaines. C’est le temps qu’il m’a fallu pour collecter des informations sur nos futurs associés et surtout sur ma future victime.

Adrian Junior, 27 ans, fils d’un magnat des affaires qui, dans l’ombre, gère un large réseau criminel. Il a été marié deux fois et ses épouses sont mortes de façon mystérieuse. Officiellement, la première s’est suicidée et la deuxième est morte paisiblement dans son lit. La première a été tuée par Adrian et la seconde a été empoisonnée par sa maîtresse de longue date, une certaine Claude. Ces morts mystérieuses et plusieurs autres infractions lui ont valu des démêlés avec la justice, mais il a toujours réussi à s’en sortir. Cependant, la pieuvre ne veut prendre aucun risque. Giouse Gaviera ne fait jamais affaire avec un homme qui a des démêlés avec la justice, il les élimine.

Je fais défiler le dossier. Il possède plusieurs maisons closes dans le sud. Si la plupart des prostituées y travaillent de leur plein gré, certaines ont été kidnappées.
Rien que je n’ai déjà vu. Ce métier commence à devenir ennuyeux. Pourquoi les méchants ne sont-ils plus inventifs ?

Je regarde ma montre, un petit bijou entièrement en diamant et en acier qui m’a coûté la peau des fesses.

Midi. Elle traverse la rue avant de s’installer, comme à son habitude, sur une dalle recouverte de marbre brun qui fait face aux Arènes.

Deux semaines que j’ai remarqué cette fille. Si, au début, elle m’avait laissé complètement indifférente, son habitude de toujours venir au même endroit à la même heure m’intrigue. Que voit-elle quand elle regarde les Arènes ? Moi, je vois juste une monstruosité en pierre qui agit comme un véritable piège à touristes. Mais je doute qu’elle ait cette vision. Il lui arrive même de sourire avec une certaine nostalgie, comme si elle se rappelait un souvenir d’une vie passée. Comme à son habitude, elle extirpe son ordinateur de son sac, un Dell qui semble aussi vieux que Giacomo, suivi d’un paquet de chips nature et d’une canette de Red Bull. Elle décapsule cette dernière et y enfonce une paille.

Elle met ses écouteurs à ses oreilles et commence à taper sur son clavier d’une main.

Elle habite au 21 rue Porte d’Alès, elle étudie à l’université de Nîmes en lettres mais elle passe son temps à sécher les cours. Elle travaille comme caissière dans un Carrefour et fait la plonge le soir dans un restaurant.

Je ne connais pas son nom, mais j’ai appris pas mal de choses sur elle à force de la surveiller. Les rares fois où elle est allée à l’école, je me suis introduit dans son studio. Je sais, ça fait taré, mais je ne me suis jamais vanté d’être sain d’esprit, loin de là.

Elle glisse une chips entre ses lèvres avant de lécher le sel sur ses doigts. Cette fille, absorbée dans une bulle, ne se rend même pas compte à quel point elle attire les regards autour d’elle. Elle est belle, le genre de beauté qui vous percute de plein fouet comme un bolide lâché à pleine vitesse. Je suis du genre à ne jamais accorder de l’importance aux autres, mais je n’ai pas pu me détourner d’elle la première fois que je l’ai vue. Je crois que ce sont ses yeux, ils sont trop grands pour son visage en forme de cœur et trop innocents pour ce monde.

Giacomo et moi payons l’addition avant de nous lever. Je fais craquer ma nuque. Si tout se passe bien, j’en finirai avec Adrian ce soir et je pourrai retourner à ma mission. Une vieille dame lance du pain à des pigeons qui se mettent à voleter partout. Le manège attire son attention, elle lève la tête puis regarde la vieille avant de retourner à sa tâche.

Pendant une fraction de seconde, je me suis mis à espérer qu’elle regarde dans ma direction, ce qui est complètement con, mais honnêtement, rien de ce que je fais depuis que je l’ai vue derrière le comptoir de ce Carrefour marker  n’est censé. Si elle avait la moindre idée des pensées qui me traversent l’esprit, elle prendrait sûrement peur. A-t-elle remarqué que je lui ai piqué un livre quand je suis entré chez elle par effraction ? Bon, on ne peut pas appeler ça une effraction si j’ai trouvé la clé sous le paillasson.

– Je connais un bon restaurant pour ce soir, je déclare.

Je lance un dernier regard à la fille avant de suivre Giacomo en direction de la voiture où nous attends Pedro.

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