Tony Rivera

Le Tartare, à l'origine, est une prison construite pour éradiquer les membres de gang. Dotée des technologies les plus avancées, elle a une capacité de 50 000 détenus. Cependant, aujourd'hui, plus de 100 000 personnes y sont entassées sous la surveillance de seulement 10 000 gardiens. La plupart du temps, les détenus restent dans leurs cellules, ne sortant que deux fois par semaine pour se rendre dans la cour où se trouve un terrain de basket.

Il y a quatre gangs principaux. Pour éviter les massacres, les membres sont séparés dans des bâtiments différents et ne sortent jamais dans la cour au même moment, ni pour les repas. Certains détenus choisissent le suicide après un mois passé ici, mais cela est devenu encore plus difficile depuis que le gouvernement italien a installé des grilles pour empêcher les détenus de sauter.

Il n'y a absolument aucune sécurité ici. Il arrive que des prisonniers scient leurs barreaux et les recollent avec du savon pour tromper les gardiens. Cette mascarade leur permet de sortir et d'aller s'en prendre aux membres des gangs ennemis.

Il y a un cinquième bâtiment contenant 100 cellules d'isolement. C'est dans ce bâtiment que je cherche à me rendre, mais il faut faire quelque chose de grave pour y être envoyé. Visiblement, avoir tué trois personnes n'est pas assez grave pour les dirigeants de la prison. Je suis patient ; il m'est arrivé de traquer mes victimes durant des mois, j'aime apprendre à connaître leurs moindres habitudes avant de m'en prendre à eux. Sauf que maintenant, je suis à cran. Je dois sortir d'ici pour aller retrouver ma petite serveuse, mais c'est impossible tant que je ne mène pas cette foutue mission à bien.

Après une douche froide qui a duré à peine trois minutes, on se rend à la cafétéria. La plupart des prisonniers m'évitent car je suis connu comme le taré de la cellule 66 à cause de mes crises de psychose. Mais d'autres, comme Pitt, cherchent constamment à me provoquer. Comme en cet instant, il me bouscule et s'éloigne avec un sourire. Je mords ma lèvre jusqu'à sentir le goût apaisant du sang. Je vais me le faire, ce Pitt, mais pas maintenant.

– Tony Rivera, tu as de la visite.
Rachel, la gardienne, vient se camper devant moi avec une certaine hésitation.
Je termine de manger avant de me lever. Jack me lance un regard effrayé ; je lui fais un sourire narquois. À la seconde où je m'éloignerai, Pitt et sa bande vont s'en prendre à lui. Il arrive que des prisonniers se fassent violer dans la cafétéria devant tout le monde ; ils appellent ça l'initiation. Mais dans le cas de Jack, ils vont se contenter de le tabasser et l'envoyer à l'infirmerie pour qu'il vole des pilules.

– Hey Tony, tu me diras ce que ça fait de baiser une gardienne. Suite à son commentaire, Pitt éclate de rire, suivit des autres.
Rachel serre les dents mais ne fait aucun commentaire. La tête haute, elle m'escorte vers la sortie.

Je quitte la cafétéria en direction de la salle des visites, une petite pièce aux murs gris contenant deux sièges séparés par une table en acier. Le rôle de mon avocat aujourd'hui est joué par nul autre que mon paternel.
La pieuvre me fait un sourire narquois quand je retourne mon siège et m'assois en face de lui. Le gardien, l'un de ceux qui connaît mon identité, fait une courbette à mon père comme s'il était un roi avant de nous laisser seuls. Il va rejoindre Rachel qui attend devant la porte pour m'escorter à nouveau, cette fois vers ma cellule.

– Le gris te va bien, fils. Je l'observe impassible, attendant qu'il parle ou qu'il pose sur la table ce que je lui ai demandé.

Mon père est certainement la personne que je respecte le plus au monde. C'est un homme froid et calculateur, un joueur qui sait exactement quand placer ses pions. J'ai grandi à ses côtés, partagé entre la haine qu'il m'inspire et l'admiration encore plus grande qu'il fait naître en moi.
Giousé Gaviera pose un sac en plastique blanc sur la table. Il contient des antipsychotiques.

– Merci.
– Tu devrais regarder à l'intérieur.

Je fronce les sourcils avant de vider le sac sur la table. En plus de six tubes de médicaments, il y a un paquet transparent contenant des doigts en état avancé de décomposition. La protection en plastique ne m'empêche pas d'être assailli par des relents de chair pourrie.

– C'est un nouveau traitement contre la psychose dont j'ignore l'existence ? Mon père tapote ses doigts aux ongles peints en noir ; il a une bague à chaque doigt. À sa mort, deux de ses bagues me reviendront et les trois autres seront pour Giacomo.

– Non, ce sont les doigts de cette fille insupportable, celle qui travaillait avec Jawad.

Claude. Je me souviens d'elle lors de notre première réunion avec l'organisation du sud, celle dont Adrian Leblanc était le parrain. Elle a essayé de me branler sous la table. Je n'ai rien contre les femmes entreprenantes, mais le timbre aigu de sa voix me tapait sur le système. Elle était en couple avec Adrian junior mais se tapait Jawad en secret. C'était amusant de les regarder jouer à la famille parfaitement soudée alors que je connaissais absolument tous leurs secrets.

– Tu l'as tuée ?
– Non, c'est l'œuvre de ta petite protégée. J'écarquille les yeux.
– Gayle.
– Elle lui a coupé les doigts avant de la tuer. J'ai rarement vu autant de sang-froid ; on aurait dit qu'elle a fait ça toute sa vie.

Je me passe une main sur le visage. J'aimerais dire que je suis surpris, mais pas vraiment. Gayle hait l'organisation du sud. J'ai eu l'occasion de l'analyser les rares fois où on abordait le sujet Leblanc, et automatiquement, ses yeux devenaient un gouffre profond, rempli de haine.

– Comment avez-vous réussi à les attraper ?

Un membre de l'organisation du sud était venu sur l'île pour négocier l'achat de deux kilos de cocaïne. C'est à cette occasion qu'il a vu Gayle au Point, le club qui fait office de QG pour les membres de la Cosa Nostra. Il l'a directement reconnue et, quand ce sale con est rentré en France, il a tout balancé à son patron. En homme avisé, Adrian Leblanc a fait un lien entre mon absence à la petite soirée qu'il avait organisée ce soir-là et la disparition de Gayle.

J'ai beau être puissant, je sais que mon père n'aura aucun scrupule à me zigouiller si je deviens une menace pour ses affaires. Mort, j'aurais été incapable de protéger ma fauteuse de trouble. J'ai alors joué la carte de la manipulation. J'ai proposé à mon père que je ferai absolument tout ce qu'il veut. Je savais que ça allait marcher. Il y a un homme dont il a toujours voulu se débarrasser, mais je refusais de l'aider. Il a sauté sur l'occasion, mais le plus grand coup de pouce est venu de Adrian Leblanc lui-même. Ce con de barbu a réussi à payer un de mes co-détenus pour qu'il me zigouille.
C'est cette heureuse circonstance qui a fait pencher la balance de mon côté et qui m'a permis d'avoir l'aide de la pieuvre. Parce qu'il a beau être un père horrible, personne ne touche aux enfants de Giousé Gaviera excepté Giousé Gaviera lui-même.

– Nous avons utilisé Gayle comme appât.

Je bondis si vite que le siège tombe, père n'a même pas eu le temps de cligner des yeux. Je le saisis par le col de sa chemise et le plaque contre le mur.
– Tu te moques de moi, vieux sénile ? Notre accord stipulait que tu devais la protéger, pas l'utiliser. S'il lui est arrivé quoi que ce soit...

– Contrôle tes émotions ! Il assène avec le calme qui le caractérise. Je serre les dents avant de le relâcher. Père se réinstalle sur son siège avant de reprendre.

– Je n'avais pas le choix. Adrian était introuvable. Utiliser cette fille était le seul moyen d'arriver jusqu'à lui. Mais il ne lui est rien arrivé.

– Ils sont morts ?

– Tu lui demanderas quand tu sortiras. C'est elle qui s'est occupée d'eux. Changeant brusquement de sujet, il questionne :

– Tu as réussi à le trouver ? Je secoue la tête, détestant la sensation de le décevoir. Je suis ici depuis 5 mois et je n'ai absolument rien.

– Non, cette prison est une vraie jungle. Il y a quatre bâtiments qui servent à séparer les différents gangs. Je pense que notre homme est détenu dans l'un des trois bâtiments ou en isolement, mais c'est quasiment impossible d'y aller.

– Il y a un étage dans le bâtiment où tu es : le bloc 4.

– Oui, c'est là que se trouvent les cellules d'isolement. Mais ces cellules sont pour les prisonniers les plus dangereux, et l'image que j'ai de Lionel n'est pas vraiment celle d'un homme terrifiant.

– Il n'est pas en isolement parce qu'il représente un danger, il l'est parce qu'il est en danger. Selon mes sources, la police va proposer un accord à Lionel : il aura une réduction de peine s'il dit tout ce qu'il sait sur les différentes familles mafieuses. Son avocat cherche à tourner cette proposition à leur avantage. Lionel dira tout ce qu'il sait si le gouvernement lui garantit la liberté et la sécurité. Ils sont en ce moment même en pleine négociation. Combien de temps penses-tu que la police va tergiverser ? Un seul homme contre la chute de quatre grandes familles siciliennes ? Si cet homme commence à parler, beaucoup de têtes vont tomber, alors dépêche-toi, fiston.

Il retire sa bague et la pose sur la table à côté des flacons de médicaments. Il se lève en souriant, c'est exactement le même sourire que le mien. Froid et calculateur, dont le seul but est de déstabiliser.

– Je compte sur toi, mon fils.

– Ça sera fait.

– À propos, je pense que tu devrais dire la vérité à ton cousin, cette rancœur  infondée  n'a que trop duré.

– Dante ? Pourquoi ?

– Il n'a pas hésité à accepter quand je lui ai proposé de m'aider à piéger Gayle. Je voulais voir à quel point il t'en voulait et il a accepté. Si Luca n'avait pas mis un traceur sur sa boucle d'oreille, les choses auraient pu très mal tourner.

Je me passe la main sur le visage. Bon sang, quel merdier. Mais la pieuvre a raison, Dante doit connaître la vérité  sur Julie sinon je n'aurai jamais la paix. Je savais qu'il essayait de se venger, mais j'avais betement cru qu'il tenait assez à son amitier avec elle pour ne rien tenter.

Bordel il faut que je sorte d'ici, j'ai semé de la merde un peu partout et  maintenant tout le monde va essayer de s'emprendre à elle.

– Du propre comme toujours, lance père avant de disparaître.

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