Riccardo


Quelques années plus tôt

Les mains enfoncées dans les poches de mon pantalon, je traverse un parc infesté de mômes qui courent partout. C'est insupportable, ils ne devraient pas être à l'école à cette heure-ci ? Je retiens de justesse une petite fille qui courait près de moi et qui a trébuché. Elle me regarde, hésitante, en observant mon tatouage tribal.

– Merci, monsieur, déclare-t-elle d'une voix énergique après que je l'ai aidée à se remettre sur pied. Je me contente d'un hochement de tête.

– C'est quoi ? questionne-t-elle en pointant mon bras du doigt.

– Un tatouage.

– Ça fait mal ?

– Seulement si tu n'es pas bourré.

– C'est quoi, bourré ?

– C'est l'effet que produit l'alcool.

– C'est quoi, l'alcool ?

– Merde, on vous apprend quoi à l'école de nos jours ?

– Vous avez dit un gros mot, maman dit que c'est très vilain.

– Ta maman a tort, maintenant va. Va jouer.

– Ma maman a toujours raison.

Eh bien, elle n'a pas eu raison de l'habiller avec cette horrible couleur orange. Avec le soleil au zénith, j'en ai mal aux yeux.

– Tu serais surprise du nombre de conneries que disent les mamans.

La gamine sursaute comme si je l'avais frappée.

– Vous n'êtes qu'un méchant monsieur tout moche, je vais le dire à maman.

Elle s'enfuit rapide comme une fusée vers une femme qui lit un magazine à l'ombre d'un arbre. Je viens vraiment de me disputer avec une gamine ? C'est officiel, cette fois, je suis plus bas que terre. J'extirpe un paquet de clopes de ma poche et me laisse tomber sur le banc où est déjà assis un vieil homme. La gamine en jaune a atteint sa mère et lui raconte Dieu sait quoi en me pointant du doigt.

Le vieux à côté de moi renifle, ce qui attire mon attention. Génial, il ne manquait plus que ça. De ses doigts boudinés, il tient un médaillon en argent dans lequel est encastrée la photo en noir et blanc d'une femme et celle d'un homme. Comme il a remarqué mon regard posé sur lui, il déclare d'un ton traînant :

– C'est ma sœur. Nous avons vécu ensemble toute notre vie, et maintenant elle est morte.

Je comptais l'ignorer parce que la gamine m'a vidé. Mais je ne peux m'empêcher de questionner :

– Vous avez vécu tous les deux toute votre vie ?

Il sourit en hochant la tête.

– On a bien eu des relations, mais elle était l'amour de ma vie, et moi le sien.

Tout de même, je trouve ça assez malsain. Pour quelqu'un comme moi qui évolue là où l'humain n'est capable que du pire, il m'est impossible de comprendre la simplicité de certaines relations.

Je grimace, me rendant compte que si Luca et moi continuons à traiter les femmes comme des sacs poubelles, on va finir seuls avec Medusa pour seule femelle. Pas question que je finisse comme ça.

– Il lui est arrivé quoi ?

– Elle est morte paisiblement sur son lit.

– Ah, navré.

Je ne comprends pas ceux qui pleurent quand une personne meurt. C'est normal, et les larmes ne les ramenera pas. Mon père, un vrai paradoxe, a logé une balle dans la tête de mon grand-père, et il a pleuré toutes les larmes de son corps. C'était la seule fois que je l'ai vu dans cet état, et j'espère que ce sera la dernière.

Pour toute explication, il m'a sorti un truc à dormir debout du style :

« J'ai tué le gangster défectueux, mais je pleure le père aimant. »

Le vieux me sort de mes pensées en déclarant :

– La douleur de la perte d'un être cher est profonde et souvent indescriptible. C'est un sentiment de vide, comme si une partie de soi-même avait été arrachée. Elle envahit tout, devient omniprésente, s'immisce dans chaque pensée, chaque geste, et laisse une trace dans chaque moment de la vie quotidienne. La personne qu'on aimait, avec qui on partageait des souvenirs, des joies, des peines, n'est plus là, et cette absence crée une douleur lancinante.

Présent

J'écrase l'accélérateur, doublant plusieurs files de voitures, les mains tellement crispées sur le volant que mes jointures blanchissent, mais rien ne calme cette douleur qui augmente au rythme des battements précipités de mon cœur.

En l'espace d'une seule heure, elle a pris plusieurs formes. Parfois, elle est brute, violente, comme un coup porté au plus profond de mon âme ; et d'autres fois, elle est sourde, persistante, comme un murmure constant. J'essaye de ne pas me laisser submerger par la tristesse, de retenir mes larmes pour me montrer fort pour elle, de me battre contre mes émotions pour nous tant qu'il y aura la moindre étincelle de vie dans ce corps que j'aime tant.

Mais la douleur, cette garce, se transforme en nostalgie douce-amère, me faisant perdre pied face aux souvenirs qui sont à la fois réconfortants et déchirants.

Gayle, que j'ai tenue dans mes bras en début de soirée, cette même femme à qui j'ai passionnément fait l'amour à l'abri des buissons, va-t-elle devenir un souvenir ? Une éntité qui, un jour, a béni mon existence merdique de sa présence ?

Je ressens une immense colère face à moi-même. Jamais je n'aurais dû la laisser seule dans cette grotte. C'est tellement injuste que quelqu'un d'aussi merveilleux que Gayle subisse ça et que moi, je m'en sorte. C'est de ma faute. Dès l'instant où j'ai pénétré dans sa vie, j'ai amené le malheur à sa porte. Chaque bleu, chaque larme, chaque événement tragique de sa vie a un lien direct ou indirect avec moi.

Je suis le pourvoyeur de ses cauchemars.

Dans les rues, il y a partout des décorations en rapport avec la fête d'Halloween. Il est extrêmement tard, mais on a l'impression que c'est la journée. C'est la fête et les résidents de l'île en profitent. Le monde continue de tourner, mais je suis figé, en décalage avec la réalité. La douleur isole, et même entouré de gens, j'ai cette impression d'être seul face à mon chagrin, car personne ne peut vraiment comprendre l'ampleur de ce vide qui prend place en moi. Je suis sur le point de perdre la meilleure part de moi-même.

Comment osent-ils être heureux alors que mon monde est sur le point de s'arrêter ? Il a fallu que je voie Gayle dans cet état pour que je comprenne enfin le discours du vieux au parc.

Une voiture devant moi s'arrête à un feu, je klaxonne en envoyant une volée de jurons avant de la doubler.

Luca dit quelque chose, mais je ne l'entends même pas. Je conduis comme un malade parce que chaque putain de seconde compte.

Je refuse de vivre avec la souffrance de l'avoir perdue. Je refuse qu'elle devienne ces moments de lumière et de gratitude dans lesquels je me réfugie en me disant : "au moins j'ai connu ce bonheur, au moins je l'ai connue, partagé des souvenirs avec elle". Je refuse que ça se termine comme ça.

C'est vrai que la douleur devient le reflet de l'amour qu'on portait à l'être perdu, un amour qui, même après la disparition, continue de vibrer. Du moins c'est ce qu'avait dit avec conviction le vieux du parc, sept ans plus tôt.

Foutaise. Vrai ou faux, je ne veux pas prendre le risque d'expérimenter la réponse à cette question.

Je me gare en double file dans le parking arrière d'un des meilleurs hôpitaux de l'île.

Dans la mafia, nous n'avons pas le droit d'aller à l'hôpital. Il serait assez difficile d'expliquer nos blessures, raison pour laquelle, depuis des générations, nous avons nos propres médecins. Mais cet hôpital, dans lequel Gayle est déjà venue deux fois — la première, quand Monsieur Attal a été interné, et la deuxième, quand la voiture de Luca a explosé — appartient à un ami de mon père, qui fait partie de nos associés. On vient très rarement ici et, même quand on vient en cas extrême, le personnel ne pose jamais de questions.

Le docteur Hermendez est Américain, d'une quarantaine d'années, ancien médecin dans l'armée. Il nous attend sur le parking, avec deux infirmiers, un brancard et le nécessaire pour les premiers soins.

Je descends de la voiture et saisis Gayle, qui est couchée sur la banquette. Je la serre contre moi, de peur de la laisser tomber, tant je me sens vidé. Elle a l'air légère et son corps est froid. J'étais persuadé qu'elle était morte quand je l'ai trouvée dans la grotte. Camille lui a tiré deux balles, elle a perdu beaucoup trop de sang. Mais Luca, qui contrairement à moi n'a pas cédé à la panique, m'a affirmé qu'il sentait son pouls, même s'il est extrêmement faible. Il n'en a pas fallu plus pour que l'espoir renaisse en moi et que je me rue ici.

– Riccardo, je vous attendais, dit le médecin avec une urgence dans la voix. J'hésite à la poser sur le brancard, malgré les coups d'œil insistants que me lancent les deux types en blouse verte. Je ne veux pas la lâcher, réflexion complètement stupide parce que, si je ne la lâche pas, elle va vraiment partir.

Je prends une profonde inspiration avant de la poser délicatement, et aussitôt les médecins — enfin, j'espère pour eux que ce sont des médecins — s'éloignent avec elle tout en lui posant un masque à oxygène sur le visage. Je m'apprête à les suivre, mais Hermendez pose sa grande main sur mon épaule, me forçant à lui prêter attention.

– On va prendre soin d'elle. Tu dois rester en salle d'attente et laisser les professionnels faire leur travail.

Je vois flou. Je me dégage de sa prise en le saisissant par le col de sa blouse. Le vieux médecin écarquille les yeux quand ses pieds décollent du sol.

– Je reste avec elle, et celui qui m'en empêchera a intérêt à avoir un pacte de résurrection. Je grimace en le laissant tomber. Ce salaud est lourd, et le soulever a rouvert ma blessure. Maudit Giovanni, même pas fichu de faire des points de suture.

– Tout va bien ? questionne le toubib, qui ne se formalise pas de mes excès de rage.

– C'est sans importance. Luca s'avance. Il est tellement discret que j'en arrive à oublier sa présence.

– En fait, si. Il a reçu deux balles et a sûrement une commotion cérébrale.

– Il fallait le dire plus tôt, mais qu'est-ce que vous avez foutu ? Dante et Bud ont été conduits ici il y a deux heures, suivis de Cassandre, qui a eu ses contractions, et maintenant toi. Je vais...

Je l'arrête à nouveau. Je me soucie de mes blessures autant que je me soucie de la paix dans le monde. Seule compte Gayle, je refuse de la perdre.

– Hermendez, la femme qui vient de partir est absolument tout pour moi. S'il lui arrive quoi que ce soit, je vous...

Je voulais le menacer comme je le fais d'habitude, mais ma voix se brise. Cette douleur, qui m'est tombée dessus avec la force d'un boomerang, s'enroule autour de mon cœur comme les tentacules d'une pieuvre. J'ai l'impression qu'à chaque battement, une lame chauffée à blanc s'enfonce dans ma poitrine.

– S'il lui arrive... Ma voix se brise à nouveau, je suis incapable d'être intimidant, mordant. Sans même réfléchir, je me mets à genoux devant le vieux médecin.

– Je vous en prie, ne la laissez pas mourir. Si vous avez besoin d'organes, prenez les miens. Si vous avez besoin de sang, prenez le mien. Sa vie est la seule chose qui donne du sens à la mienne. Ne la laissez pas mourir, je vous en prie.

– Relève-toi. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. Hermendez s'éloigne sur cette promesse solennelle, et aussitôt je le suis. Mais il refuse de me laisser entrer au bloc, ce qui décuple ma rage.

– Ric, ça suffit, tu compliques les choses, s'insurge Luca quand je frappe un infirmier en perdant patience parce que ce connard refuse de me laisser passer la porte du bloc.

– Elle a besoin de moi.

– Elle a besoin du personnel soignant, et surtout elle a besoin que tu les laisses faire leur travail. Elle a aussi besoin que tu te soignes, tu tiens à peine debout.

– Va te faire foutre.

Je titube jusqu'au banc le plus proche de la salle d'attente et m'y laisse tomber. Les coudes sur les genoux, je prends ma tête dans mes mains.

– Qu'as-tu fait du corps de Camille ? Luca se fige, debout devant moi. Il glisse les mains dans ses poches, la tête légèrement inclinée vers le bas.

– Elle est dans le coffre. J'ai mis un nombre incalculable de corps dans des coffres. Jamais je n'aurais cru le faire avec celle que j'ai toujours considérée comme ma sœur. Je ne comprends pas ce qui s'est passé dans cette grotte, ni ce qui l'a poussée à se tirer une balle. Je suis complètement paumé.

Je n'ai jamais vu Luca aussi abattu, son désespoir doit être le reflet du mien. Il a besoin de réponses à ses questions, mais la seule personne qui peut nous en fournir est entre la vie et la mort. J'aurais dû mettre des caméras dans cette grotte.

– Moi aussi. On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais Camille était loyale. Il fallait vraiment qu'elle soit désespérée pour en arriver là. À cause d'elle, je vais sûrement perdre Gayle, mais je n'arrive pas à lui en vouloir.

Je m'en veux de ne pas avoir compris, en la voyant assise devant cette grotte, qu'elle était désespérée et prête à en finir.

J'aurais dû la protéger, mais j'ai failli. Luca s'assoit à côté de moi, il doit s'en vouloir aussi. Dès qu'elle a rejoint l'organisation, Camille nous a adoptés comme ses grands frères, un choix qui s'est vite retourné contre elle, car aucun garçon ne voulait sortir avec elle de peur d'attirer ma colère, à moi et à Luca.

– Comment vais-je dire ça à Arya. L'une de ses meilleures amie est morte et l'autre est en soin intensif.

– Tout est de ma faute. Si je ne l'avais pas laissée dans cette grotte, rien de tout ça ne serait arrivé.

– Ne sois pas aussi dur avec toi-même, personne n'aurait pu prévoir ce que Camille a fait.

On reste silencieux. Ce qui ne m'aide pas. Ma tête va exploser et toutes mes blessures se sont rouvertes, mais je refuse de me faire soigner si cela signifie que je dois m'éloigner de la salle où Gayle se fait opérer.

– Dis-moi, Luca, comment retourner en enfer quand on a traversé le paradis ?

– Je ne sais pas.

– C'est pratiquement impossible. La femme qui est enfermée dans ce bloc opératoire m'a tout donné. Elle m'a aimé malgré que je sois aussi toxique qu'un nid de vipères. Elle a pardonné tous mes mensonges. Je l'ai utilisée un nombre incalculable de fois, mais elle ne m'a jamais abandonné, elle s'est accrochée à moi comme à une bouffée d'oxygène, pourtant je ne lui ai jamais dit que je l'aimais. Elle m'a donné bien plus que sa vie, mais je n'ai jamais été foutu de lui dire que je l'aime parce que j'avais peur qu'elle réagisse comme ma mère. J'ai comparé Gayle à une femme qui n'aurait même pas été foutue de me pisser dessus si j'étais en flammes.

– Son pronostic vital n'est pas engagé... Elle va s'en sortir.

– Non, je sais qu'elle va mourir. Gayle est trop bien pour moi et rien de bien ne vient jamais dans la vie d'une personne comme moi.

Malgré tous mes efforts, mon corps commence à lâcher prise. Ma tête bascule en arrière et ma vision s'obscurcit.

***

Tout est blanc autour de moi. Si je suis mort, alors je ne suis pas au bon endroit. L'enfer n'est-il pas censé être tout sombre, entouré de flammes avec une odeur de soufre qui vous explose les narines ?

Non, l'enfer, c'est vivre sans la petite serveuse, sans ses baisers, son sourire et ses énormes yeux capables de transmettre la moindre émotion. L'enfer, c'est de ne plus avoir la chance d'être l'homme qu'elle aime...

Bordel, Gayle !

Je me rappelle soudain les événements qui m'ont conduit sur ce lit d'hôpital. Je saute à terre, arrachant l'aiguille à perfusion implantée dans mon bras.

– Riccardo, calme-toi. C'est là que je remarque la personne installée sur le siège près de mon lit.

– Qu'est-ce que vous foutez ici ?

La Pieuvre plie soigneusement son journal qu'il pose sur la table de chevet, où est déjà installé un panier de fruits et une carafe d'eau.

– Drôle de question à poser à un père. Je viens voir mon fils.

– Vous vous êtes trompé de chambre. Vous devriez aller voir Giacomo.

Mon ton est amer, jamais je n'arriverai à digérer le mensonge qu'il a implanté dans ma tête. Je me sens comme un con de m'être fait manipuler toutes ces années. Je sors de la chambre comme si j'avais le diable aux trousses, ce qui n'est pas loin d'être le cas, la Pieuvre est derrière moi. Ça fait bizarre de le voir sans Bran qui est mort aucourt de cette interminable nuit.

– Ralentis, tu es encore faible. Mais où est-ce que tu vas ?

– Chercher Hermendez, je veux voir Gayle.

– Elle est dans la chambre 208, je me suis inquiété de son état auprès du médecin.

Je m'arrête si brusquement que ma tête tourne. Je maudis cet état d'extrême fatigue en me retenant au mur. Quand la Pieuvre essaie de me porter assistance, je le repousse. Il me répugne.

– Qu'est-ce qu'ils ont dit ?

– Hermendez a extrait les balles. Mais elle avait perdu beaucoup de sang.

– Je sais tout ça !

Père a une expression qui ne me dit rien qui vaille.

– Parle, qu'est-ce qui se passe ?

– Elle n'a pas encore repris connaissance, son état est toujours critique et...

– Et quoi ? Mais parle, bon sang !

– Elle était enceinte.

Je vacille, les yeux écarquillés, et je me laisse aller contre le mur.

– Ce n'est pas possible, je marmonne d'une voix blanche.

– Si, je n'ai pas tout compris, mais ils lui ont fait un bilan complet et ils ont détecté dans son sang la présence de l'hormone HCG.

– Elle a perdu l'enfant ? Je questionne comme dans un état second.

Père hoche la tête. Cette fois, quand il pose une main hésitante sur moi, je ne le repousse pas, je n'en ai ni la force ni l'envie.

– Mais elle est toujours vivante.

Jusqu'à quand ? Gayle savait-elle qu'elle était enceinte ? Je n'ose même pas imaginer comment elle a perdu l'enfant. Je tourne brusquement les talons pour aller à la recherche de cette foutue chambre 208.

– Tu peux partir, je n'ai pas besoin d'un garde du corps, je balance à Père sans m'arrêter. Je suis pieds nus et je porte une espèce de blouse blanche qui m'arrive aux genoux. Si j'attrape celui qui m'a fagoté comme ça, je me servirai de sa tête comme serpillière.

Je contourne un chariot contenant de la nourriture poussé par une infirmière d'un certain âge avant de me ruer vers la chambre 208. La première chose qui capte mon attention, c'est l'homme en tenue blanche debout devant le lit. Il tient une seringue blanche qu'il s'apprête à introduire dans la poche à perfusion. Je me jette sur lui. La main sur son cou, je le plaque contre le mur.

– Putain, qui êtes-vous ?

– C'est plutôt à moi de te poser cette question. Je contre en resserrant la prise sur son misérable cou pour l'empêcher de respirer.

– Qu'est-ce que tu comptais faire avec cette seringue ?

– Mon travail, j'essaye de la maintenir en vie.

– Riccardo, lâche-le ! Père a ordonné en prenant sa voix de parrain. Comme un robot, j'ai été programmé pour obéir à cette intonation. Je repousse l'infirmier, non sans un regard d'avertissement. Le visage blême, il tire sur sa blouse et reprend la tâche que j'ai interrompue. Il y a deux poches, l'une de liquide et l'autre de sang, déjà entamée.

Gayle est couchée sur le lit, avec un masque à oxygène sur le visage, deux aiguilles implantées dans le bras. Je m'avance, bercé par le bruit du moniteur cardiaque.

– On va te laisser, marmonne la Pieuvre. L'infirmier me lance un regard hésitant. Je l'interpelle.

– Vous ?

– Moi ? Il questionne en se touchant le torse.

– Oui, trouvez-lui une autre chambre, la plus spacieuse que vous avez.

– Notre chambre la plus spacieuse coûte...

– Vous ai-je demandé combien elle coûte ? Juste trouvez-lui une chambre plus spacieuse.

– Je m'en occupe tout de suite.

Enfin seul avec elle, je lui saisis délicatement la main. J'ai peur qu'elle se brise si j'y vais trop fort. Elle ne m'a jamais semblé aussi fragile.

– Hey, petite serveuse. Tu veux que je te dise quelque chose ? Je suis vraiment très en colère contre toi. Je sais que je n'en ai pas le droit. Mais comment as-tu pu penser à me quitter ? Le médecin dit que ton état est toujours critique, qu'ils te gardent en observation. Je ne veux même pas savoir ce que ça veut dire. Je t'interdis de mourir, tu n'as pas le droit d'entrer dans ma vie comme une tornade, tout chambouler et partir tout aussi brutalement. Si tu pars, qui va me remettre à ma place ? J'ai besoin de toi, j'aurai toujours besoin de toi. Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, parce qu'on m'a toujours appris à me débrouiller seul, mais ça, c'était avant toi. Maintenant, je ne veux même pas savoir comment c'est de respirer quand tu n'es pas à mes côtés. J'ai besoin d'une coéquipière pour semer le chaos, et tu es parfaite pour ça. Alors accroche-toi.

Je regarde son corps inerte à la recherche d'un miracle, comme dans les films, quand la personne se réveille après le discours désespéré de l'acteur qui la supplie de revenir à la vie.

Que des vendeurs de rêve. La réalité est beaucoup plus brutale. Dans la réalité, ma princesse n'a aucune réaction. Mais elle va se battre, je le sais. C'est une gueriere.

– Ça a été une vraie claque d'apprendre que tu étais enceinte. Je ne sais même pas comment réagir. Je suis tellement désolé que tu aies dû affronter cette angoisse seule.

La porte s'ouvre brusquement sur Monsieur Attal, suivi de plusieurs infirmiers qui tentaient sûrement de le retenir.

– Gayle, ma fille, que lui est-il arrivé ?

Je me fige quand ses yeux accusateurs se plantent dans les miens. J'ai tellement honte que je détourne le regard. J'ai épousé sa fille, je lui ai promis d'être une barrière entre elle et tous les dangers, pourtant elle est reliée à toutes ces machines à cause de ma négligence.

– Monsieur, elle ne peut pas recevoir trop de visites, elle a besoin de se reposer.

Je me lève à contrecœur en lâchant la main de Gayle.

– Je vais sortir.

– Non, pas avant que tu ne m'aies expliqué ce qui est arrivé à ma fille. Je n'ai jamais vu Monsieur Attal dans une telle rage, et ça me déstabilise. Je viens seulement de me rendre compte qu'il a les mêmes yeux bruns que Gayle.

Je ne verrai sûrement plus jamais la lueur qui brillait dans ses iris quand elle me dévorait des yeux.

– On s'est fait tirer dessus.

– Je ne comprends pas. Elle a quitté la maison pour aller rejoindre son éditrice, et je la retrouve dans cet état. Et c'est la deuxième fois que ma fille finit à l'hôpital depuis qu'elle te connaît.

Je grimace.

– Je suis désolé. Que pourrais-je dire d'autre ? Il ne fait que confirmer ce que je pense déjà, je suis un danger pour elle. Elle aurait été tellement plus tranquille si je n'étais pas un égoïste qui n'a pas pu s'empêcher de pousser la porte de ce restaurant.

– Désolé ? Tes excuses ne vont pas améliorer la condition de ma fille. Je ne veux plus jamais que tu t'approchiez d'elle, sortez. Les infirmier grimace avant d'obtemperer.

Je me penche pour embrasser Gayle sur le front avant de sortir. Je n'ai que ce que je mérite, je trouve même qu'il a été sympa de ne pas me casser la gueule.

– Mec, je crois que ton beau-père te hait.

Je grimace un sourire à l'intention de Luca, qui m'attendait à la sortie de la chambre.

– Moi aussi je me déteste. Comment vont les autres ?

– Dante a une jambe et un bras dans le plâtre. Et Bud...

Il soupire, on traverse le couloir en direction de l'ascenseur.

– Quoi, Bud ?

– L'accident lui a causé un choc à la tête et plusieurs lésions. Les médecins ont dû lui raser le crâne pour pratiquer certains examens. Autant dire que pour lui, c'est presque une condamnation à mort.

Putain, je suis dans la merde. C'est moi qui ai causé l'accident. Bud va me le faire payer, il préférerait mourir d'une balle dans la tête que de perdre ses cheveux.

– Donne-moi une bonne nouvelle, une seule.

– Cassandre a eu une petite fille.

Il appele ça une bonne nouvelle ?

– Elle choisit bien son moment, elle. Allons les voir.

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