Riccardo
– Ce sont des antipsychotiques très puissants, monsieur. Je suis au regret de vous dire que je ne peux pas vous les donner sans une recommandation spéciale d'un médecin.
Je regarde la pharmacienne avec ses cheveux noirs qui tranchent sur sa peau blanche et ses yeux bleus. Elle remue quelque chose de sombre en moi. Il y a surtout un détail, un minuscule petit détail qui fait toute la différence : elle porte un rouge à lèvres clair. Et elle lui ressemble beaucoup trop.
J'ai dans ma tête des voix qui se déchaînent, j'ai extrêmement mal, la migraine est intense, comme si des millions d'aiguilles s'enfonçaient en même temps dans mon cerveau.
– Monsieur, vous m'écoutez ?
– J'ai l'impression que c'est vous qui ne m'entendez pas. Je. Veux. Mes. Putains. De. Médicaments. Et je les aurai. Je vous donne le choix : vous me les apportez, ou je devrai enjamber votre corps pour aller les chercher.
La fille, à peine âgée de 30 ans, pâlit. Ses yeux se dirigent vers le téléphone. Elle veut appeler la police ? J'ébauche un sourire. Ma main se referme sur mon arme. Je suis sur le point de dégainer quand Luca se matérialise juste à côté de moi. Il retient mon poignet dans un étau de fer ; la pharmacienne ne voit rien parce qu'il y a un comptoir entre nous.
Luca pose une feuille sur le comptoir. C'est l'une de mes anciennes ordonnances. La pharmacienne s'en saisit, la parcourt des yeux, avant de pincer ses lèvres rouges.
– Je suis désolée, mais cette ordonnance date d'il y a deux mois.
– Écoutez, cette ordonnance prouve au moins que c'est son traitement. Je vous donne le triple du prix.
– Ce n'est pas une question d'argent. C'est un traitement qu'il ne faut pas prendre à la légère.
Je repousse Luca et lui colle une balle dans le cou. Elle s'effondre au moment où je passe par-dessus le comptoir pour aller chercher mes médicaments.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même, c'est incroyable !
Je tombe nez à nez avec un vieillard. Il a déjà son téléphone en main et compose le 112. Je penche la tête sur le côté avant de sourire.
– Boo !
Le vieillard sursaute.
– Je vous donnerai ce que vous voulez, je vous en prie, ne me faites pas de mal.
Son visage se déforme sous mes yeux, et sa voix a quelque chose d'étrange, presque mécanique. Je le repousse, je fais le plein de médicaments, puis je liquide le vieillard. Je me dirige vers la porte en ramenant ma capuche sur ma tête.
– Bon sang, mec, il faut que tu te calmes !
Je fais craquer ma nuque, je jette ma cargaison sur la banquette arrière de la voiture de Luca et je me dirige vers le volant.
– Il n'est pas question que tu conduises. Il s'est passé quoi sur cette route, bon sang ? Qu'as-tu fait de Gayle ?
– Si j'entends encore son nom, je fais flamber cette ville. Contente-toi de conduire et en silence !
Dans la voiture qui nous conduit au QG, je vide la moitié de la première boîte et descends le tout avec de l'alcool. Ma tête va exploser, putain, je veux me déchaîner sur quelque chose autant que possible. J'en ai besoin, c'est vital, comme le sang qui coule dans mes veines. Tuer le pharmacien et sa fille ne m'a pas suffi, j'ai besoin de quelque chose pour canaliser la rage qui bouillonne en moi. Je lance la bouteille sur l'autoroute juste pour le plaisir de la voir se briser en mille morceaux à quelques mètres de là.
En voyant les débris, je ne peux m'empêcher d'y reconnaître ma propre vie. Comme si les morceaux éparpillés représentaient la fragmentation d'une rupture intérieure. Des aspects de ma vie qui ne tiennent plus comme je le souhaiterais, ils me ramènent enfin à la réalité.
Le responsable de la fusillade de ce soir subira un sort pire que cette bouteille. La voiture de Luca s'avance vers le parking du QG, je descends avant même qu'il ne l'arrête. Quand je suis dans cet état, je suis incapable de rester en place. J'emprunte déjà la petite ruelle où se trouve l'entrée du club. Je frappe une fois, j'attends 5 secondes avant de frapper une deuxième fois.
Heureusement, ce n'est pas Bud derrière la porte ; je n'aurais pas supporté ses blagues stupides. Sans un regard pour le gamin qui m'a ouvert, je traverse le club et me dirige déjà vers l'ascenseur, Luca à côté de moi.
– Je peux au moins savoir si elle va bien ?
– Oui, elle va bien. Mais son père a reçu une balle.
– Comment est-ce possible ? Tu penses que c'est Tommaso ?
Je fais craquer mes doigts. Si c'était Tommaso, elle serait morte. Il n'a jamais raté sa cible.
– Non. Mais on va le découvrir.
La salle de réunion est bondée. J'ai donné l'ordre à ce que tout le monde soit là, du plus petit collecteur de rue à la future pieuvre en personne. Mon père ne pouvait pas venir, il a relégué ses responsabilités à son bras droit, Bran. Ce dernier pose sa grande main sur mon épaule.
– Tout va bien, ton père est inquiet.
– Les états d'âme de la pieuvre sont très loin dans la liste de mes soucis.
Je me dirige vers le centre de la table. Certains soldats, les plus hauts gradés de l'organisation, sont assis, d'autres debout ici et là. La pièce est noire de monde. Giacomo est installé à ma gauche, à côté de Bran, et Luca est debout à ma droite. Il est le seul, avec Bud et Camille, qui sait pourquoi j'ai organisé cette réunion d'urgence.
– Bien, merci à tous d'être venus. Je ne vais pas tourner autour du pot. Camille !
Toutes les têtes se tournent vers elle, mais elle n'y fait pas attention, occupée à pianoter sur son ordinateur. Elle projette le portrait-robot de Dominguez sur le mur. Je suis pris d'une bouffée de haine. Je l'aurai, même si c'est la dernière chose que je ferai de ma foutue existence.
– Nous l'avons tous connu avec un visage différent. Pour ceux qui ont suivi leur entraînement à l'époque où il était soldat, vous avez forcément appris avec lui. D'une intelligence hors du commun, adroit au tir, maître dans l'art du combat. Non, je ne parle pas de moi, mais de Tommaso Dominguez.
Il y a quelques murmures, certains, ceux qui l'ont connu, regardent la photo avec insistance, cherchant ses traits véritables dans ceux de cet imposteur aux yeux légèrement bridés et au nez bulbeux.
– Tommaso ? s'écrie Bran, les yeux écarquillés.
Je hoche la tête.
– Comme vous le savez, Tommaso fait partie de la liste de ceux qui ont déserté l'organisation. Il a subi plusieurs chirurgies, mais nous avons réussi à obtenir le portrait-robot de son identité la plus récente. Je sais de source sûre qu'il est sur l'île sous le patronyme de Billy Saint. Camille fournira à chacun de vous une copie de cette image. Quelle que soit votre mission actuelle, reléguez-la au second plan. Trouver Tommaso devient notre priorité absolue. Faites attention, il peut être n'importe où, n'importe qui : le boucher, le prêtre, un professeur, un danseur, même un foutu clown dans un cirque. C'est un caméléon qui prend plaisir à se fondre dans la masse.
– Dernière chose, commence Luca. Je suis au regret de vous annoncer que parmi nous, il y a des traîtres qui communiquent avec Tommaso. Nous savons aussi qu'il y a des membres de la Sacra Corona Unita qui sont infiltrés au sein de cette organisation, et qu'ils sont dans cette pièce, même. Je le sais depuis longtemps, mais c'est amusant de vous voir ramer pour trouver des informations sur nous. Pendant que vous aviez un œil sur nous, on en avait deux sur vous.
Je prends mon arme et me tourne brusquement vers Bud. Tout le monde se met à murmurer quand je braque mon colt sur l'un de mes compagnons les plus proches. Bud se décale légèrement vers la gauche et j'appuie sur la gâchette. La balle se plante dans l'un des membres de la Nguarta, l'une des organisations de l'île spécialisée dans la prostitution de rue. Il était infiltré depuis plus d'un an.
Quand il s'effondre au sol, Camille saisit son arme et explose la cervelle du soldat qui était assis juste à côté d'elle. C'est une vraie boucherie. Luca, Bud et moi nous débarrassons de quatre autres personnes, parmi eux trois filles.
D'ailleurs, l'une des danseuses de Maddy essaie de s'enfuir. Je ne sais pas pourquoi elle court, car personne ne la soupçonne, mais aucun traître potentiel ne doit sortir d'ici comme s'il avait lu dans mes pensées. Dante réussit à la rattraper et lui brise le cou d'un geste net.
– Vous saviez qu'ils étaient parmi nous et vous n'avez rien dit à personne. La question vient de l'un de mes cousins, l'un des rejetons de ma tante, celle que j'ai liquidée dans l'orphelinat de Belluci.
– On n'avait aucune raison de nous inquiéter, mais maintenant que le portrait de Dominguez a été relevé, on ne veut plus prendre de risques.
– Pourquoi ? Vous pensez que Tommaso a demandé asile parmi les autres organisations ? Laquelle est assez stupide pour croire qu'elle peut nous combattre ?
– Aucune ; mais Tommaso est assez déterminé pour essayer. Suite à ma réponse, mon cousin se met à rire en secouant la tête.
– Tu es en train de me demander de combattre un tueur, baiseur de cadavre. Je connais Tommaso et je n'ai aucune envie de me frotter à un baiseur de cadavre. Si j'ai bonne mémoire, ceux qui se trouvent sur la liste sont sous ta responsabilité, occupe-t'en, à moins que tu n'aies perdu la main à force de baiser cette métisse.
Bordel, j'essaie d'arrêter de penser à elle. Et cet idiot la ramène sur la table.
J'arque un sourcil et me penche jusqu'à ce que nos visages ne soient plus qu'à quelques mètres l'un de l'autre.
– Je rêve ou tu as peur ? Il se lève brusquement de son siège, Geremy ferait un parfait politicien, il adore se faire remarquer en public.
– Évidemment que j'ai peur. Tu te la coules douce avec ta nouvelle copine et on doit faire le sale boulot à ta place. Je le répète, Tommaso c'est ta merde personnelle et aucun de nous ne s'en occupera à moins que mon oncle n'en donne l'ordre.
– Tu ne devrais pas t'inquiéter de Tommaso parce que je baisserai moi-même ton cadavre.
– Riccardo non ! L'intervention de Giacomo arrive trop tard, je viens d'abattre mon cousin de deux balles dans la tempe. Putain, la pieuvre va me tuer. Je me tourne vers l'assemblée, ignorant les yeux remplis de rage de mon frère. Il déteste que je bafoue son autorité en public, mais jusqu'à preuve du contraire, je ne prends mes ordres que de père. Et cet imbécile a osé défier mon autorité. Ce genre de choses fonctionne peut-être avec Giacomo, mais pas avec moi. J'ai travaillé trop dur pour imposer le respectr.
– Bien, quelqu'un d'autre a peur ? Je tiens juste à préciser un truc : les poltrons n'ont pas leur place ici. Je plonge mes doigts dans le sang de mon cousin qui s'écoule sur la table avant de les porter à mon nez. Je lèche mon doigt avec un sourire moqueur.
– C'est tout ? Qu'il ait osé me défier... Je pensais que son sang était doré comme de l'or et sucré comme du miel. Mais ce n'est que du sang avec un bon vieux goût métallique. Je répète ma question : quelqu'un d'autre a des objections ? Montrez-moi votre courage. Dante, Luca et Bud ont déjà dégainé, prêts à tirer sur quiconque fera preuve de courage !
Après une minute de silence interminable et angoissant, je donne congé à tout le monde. Il ne reste plus que Luca et Dante, Bud, Bran, et Giacomo, plus en colère que jamais. Camille est devant l'escalier distribuant le portrait-robot.
– Tu étais obligé de le tuer, attaque mon frère. À cause des médicaments, je me sens calme, trop calme, presque euphorique. Je déteste être comme ça.
– Tu as peut-être l'habitude de laisser les autres te manquer de respect, mais pas moi. Je suis un Gaviera et personne ne doit l'oublier.
– Tu peux te permettre de te comporter comme un imbécile, aucune responsabilité ne repose sur tes épaules.
– Venant de celui qui ne sait même pas comment recharger une arme, j'ai presque envie de rire, je dis bien presque. Giacomo, c'est la Cosa Nostra, pas l'ONU. Le seul langage que les mafieux comprennent, c'est le bruit des détonations. Tu ferais mieux de le comprendre.
– Il a raison d'avoir peur... Je frappe du poing sur la table en hurlant.
– Il a peut-être le droit d'avoir peur, mais il n'a aucun droit de montrer sa peur. C'était un Gaviera, les autres le suivent parce qu'il fait partie de la classe dirigeante. Tu n'ignores pas comment nous prêtons serment à la pieuvre. Bran ici pose deux verres sur une table, l'un contient du lait et l'autre du lait dilué avec du poison, les verres se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Je suis le fils de la pieuvre, mais je n'ai pas échappé à cette cérémonie d'initiation. Père m'a regardé boire un verre rempli de poison en sachant que l'antidote n'avait que 30 % de chances d'être efficace. Toi, tu n'as jamais eu à passer par là, alors tu peux te permettre de ne pas connaître le putain de sens du courage dont certains membres ont dû faire preuve. Bois ou tu meurs, ne bois pas et meurs, montre ta peur et meurs. Une fois dans le bureau de père, on en sort made man ou mort !
Je me dirige vers la sortie, j'en ai assez de cette soirée. Si je ne pars pas d'ici, je vais flinguer tout le monde.
– Bran, garde un œil sur père. Tommaso a des espions infiltrés parmi nous.
– Quoi, tu en es sûr ? Je serre les dents, je sens que Giousé Gaviera va péter un câble, lui qui aime tout contrôler ne sait même pas sur qui compter.
– Oui, dis-lui que je m'en occupe.
Mais pour l'instant, il faut que je trouve les tireurs. Putain, elle a raison, ce n'est pas une vie, ça.
– Où est-ce que tu vas ? questionne mon frère. Je réponds sans me retourner.
– Remettre les points sur les "i" et les barres sur les "t". J'ai l'impression que certaines personnes commencent à oublier qui est Riccardo Gaviera et ce qu'il en coûte de s'en prendre à lui.
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