Riccardo
Malgré tous ses grands discours, Gayle a dormi sur son lit et s'est même permis de ronfler. Chose qu'elle nie avec véhémence.
La veille, quand je suis revenu, il n'y avait que Nathan qui jurait sur tous les diables que quelqu'un l'avait attaqué. Je me suis contenté de le regarder avec dédain avant de monter à l'étage, de changer les draps, puis de sauter sous la douche.
- Je ne ronfle pas ! maintient-elle en m'envoyant son coude dans le ventre. Nous sommes dans la cuisine, mais il n'y a rien à manger parce qu'Emma a vidé les placards pour éviter toute tentation dans son régime ou un truc de cet acabit.
- Quand elle était petite, commence Monsieur Attal, Gayle avait un ami imaginaire qu'elle appelait Lithium, elle lui parlait dans son sommeil. Gayle se décompose en portant les mains à son visage pour se couvrir.
- Papa ! l'apostrophe-t-elle.
- Quoi ? C'est vrai. Je me rappelle que tu voulais te marier avec lui.
- Je vais trouver ce Lithium et le tuer, je murmure en jouant des sourcils.
- Tu sais que tu ne peux pas tuer tous les hommes qui ont gravité autour de moi.
- Tu veux parier ?
Je suis capable d'abattre tous les hommes qui ont respiré le même air qu'elle.
Elle se mordille la lèvre, et je regrette que la présence de son père m'empêche de l'embrasser. Pourquoi est-il revenu de ses vacances déjà ? Je ne veux pas partager Gayle, et maintenant que le vieux est là, je ne la verrai plus aussi souvent. À moins que je lui paye de nouvelles vacances. Un sourire étire mes lèvres, c'est une excellente idée !
L'envoyer le plus loin possible et faire en sorte qu'il y reste longtemps. Quand je relève les paupières, je croise le regard suspicieux de sa fille.
- Tu as toujours cette expression quand tu as une mauvaise idée derrière la tête.
- Je ne sais pas de quoi tu parles. Je replique avec innocence.
- J'ai faim !
- Un jus de concombre vous fera du bien, surtout à toi, Gayle. Tes cuisses sont trop grosses, Kim K à fait de son mieux pour valoriser cette horreur, mais c'est moche, désolé.
Gayle, qui est toujours de mauvaise humeur avant son café, regarde sa sœur d'un œil absent. Leur père cherche dans le placard dans l'espoir de dénicher quelque chose, et à côté de moi, Jack, qui a passé la nuit sur le canapé, n'arrête pas de bailler. Je lui envoie un coup de pied sous la table parce qu'il m'agace et surtout parce que j'ai envie de fumer, mais j'ai menti au père de Gayle en prétextant avoir arrêté.
- Il n'y a plus rien, comment est-ce possible ? se lamente Monsieur Attal, ce qui arrive très rarement. Plus je passe du temps avec lui, plus il me fascine. Je prends conscience de l'immense frontière qui sépare le père des filles Attal du mien.
- C'est Emma, crache Gayle. Tu aurais au moins pu laisser le café, c'est typique de toi, tu es tellement égoïste.
Emma prend une gorgée de sa boisson en balayant les paroles de sa sœur d'un revers de la main.
- Le café n'est pas bon pour le cœur. Oh, j'ai quitté Nathan hier. Ça a été tellement difficile.
- Tu n'as pas l'air accablée, note Gayle en tapotant la table vide à intervalles réguliers. Emma a une expression scandalisée, puis elle décrète d'une voix remplie d'orgueil :
- Pour qui tu me prends ? Difficile pour lui, évidemment. J'ai fait vite, j'ai juste tiré la cire. Ça doit faire mal de se faire larguer, heureusement que je suis trop belle.
- Quel rapport avec ta beauté ?
- Sexuel, dit Emma de sorte que son père n'entende pas, puis elle parle plus fort : les jolies filles ne se font pas larguer, mais ça, tu ne peux pas le savoir.
- Ça, c'est ce que tu crois.
- Non, c'est une réalité. Prenons un exemple simple : Nathan t'a larguée pour se mettre avec moi parce que tu n'es pas assez jolie.
- Intéressant, se contente de répondre Gayle, qui décide d'ignorer les provocations.
- En fait, j'ai offert à papa ton livre. J'ai hâte qu'il découvre ce que sa fille parfaite écrit.
Gayle sursaute comme si on l'avait frappée, puis l'horreur se peint sur son visage.
- Tu as quoi ? De quel droit ? Je ne lui ai même pas encore annoncé.
- Tu aurais dû accepter de larguer Nathan à ma place. La prochaine fois que je te demande quelque chose, obéis.
- Sinon quoi ? Elle se penche assez pour que sa sœur soit la seule à entendre, leur père est à quelques mètres, en train de faire Dieu sait quoi.
- Sinon, je lui dirai ce que tu fais de ta vie, ce que tu fais vraiment. Elle me regarde brièvement avant de continuer sur un ton provocateur.
- Tu penses que je suis naïve comme papa, moi ? Je vois très clair dans ton jeu, dans votre jeu à tous.
- Je ne sais pas de quoi tu parles.
- Oh, je t'en prie, Gayle. Emma glisse la carte de crédit que j'ai laissée à Gayle avant d'aller en prison sur la table. J'ai vérifié le compte que j'avais ouvert à son nom, elle ne l'a pas utilisé et ça ne m'étonne même pas.
- Une black card. Sur cette île, seules certaines type personnes en possèdent une. Si tu ne veux pas que papa le sache, alors tu sais ce qu'il te reste à faire.
- Tu ne lui diras rien.
- Si tu fais ce que je te demande, je te l'ai deja dis : Argent comptant vaut tout les touments. Et il se trouve que j'en ai besoin et tu en as beaucoup.
Je tapote la table. Les choses vont dégénérer dans 1, 2, 3... Gayle se lève si brusquement que son siège tombe, elle grimpe sur la table comme une furie et saisit sa sœur par les cheveux. La première gifle fait valser la tête d'Emma sur le côté, la seconde la fait basculer en arrière.
- Prends ça, salope !
Hurle Gayle avant de revenir à la charge, ne laissant pas le temps à sa sœur de se défendre. Elle tire fermement ses cheveux et lui envoie un coup de poing sur le nez.
- Gayle, enfin, qu'est-ce qui te prend ? Le père trottine jusqu'à ses filles et ce con de Jack s'est mis dans le coin, effrayé par un tel déchaînement de rage.
Voilà l'exemple typique des personnes qu'il ne faut jamais avoir avec soi en situation de crise.
Je croise mes doigts sur la table, avec une expression amusé. Emma a réussi à saisir les poignets de Gayle, mais cette dernière a enroulé les jambes autour de sa taille pour la pousser au sol, une nouvelle salve de gifle pleuvent sur son visage.
- Lâche-moi, mais tu es complètement malade, papa, Riccardo, mais putain, faites quelque chose ! halète Emma, en grimaçant de douleur.
Bon, je crois qu'il est grand temps d'intervenir. Dommage, j'adore voir les gens agaçants se faire défoncer. J'enroule les bras autour de sa taille et la soulève avant de la jeter sur mon épaule.
- Nous allons faire les courses, j'annonce calmement avec mon fardeau qui balance les jambes pour descendre.
- Lâche-moi, Riccardo, je vais la tuer.
- Tu n'es qu'une lâche qui se cache derrière son petit ami friqué. Reviens te battre, salope !
Je suis tenté de laisser Gayle descendre, rien que pour qu'elle la remette à sa place pour l'insulte.
Je la traîne vers la sortie. Gayle retire l'une de ses chaussures et la lance en direction d'Emma, et la deuxième suit la même trajectoire. Je n'ai pas le temps de voir si elle a atteint sa cible parce que je me précipite vers la sortie.
- Putain, pose-moi, je vais la tuer. Je me retiens avec beaucoup de peine de sourire. Je la pose devant le porche.
Vêtue d'un débardeur et d'un short en coton, les cheveux emmêlés et le visage empourpré par sa petite lutte, ses yeux sont agrandis par l'adrenaline et sa poitrine monte et descend au rythme de sa respiration rapide.
Même sans être apprêtée, elle est magnifique. Il se dégage dans chacun de ses mouvements une sensualité qui m'a mis à genoux la première fois que je l'ai vue. À chaque instant, elle me fait remarquer à quel point elle est différente de tout ce que j'ai connu. Imprevisible comme une tornade.
- Mince, ça fait du bien, j'ai l'impression de respirer pour la première fois.
La voix du Docteur Lincoln, mon ancien psychiatre, se fraye brusquement un chemin dans mon cerveau.
- Qu'est-ce que tu aimes, Riccardo ?
- Je n'aime rien, enfin, c'est ce que je croyais avant de découvrir la douleur.
- La douleur que vous vous infligez ?
- Non, celle que j'inflige aux autres. Vous savez, docteur, je déteste les gens agaçants. Les gens comme vous qui cherchent constamment à me mettre hors de moi.
- Quand tu me vois, de quoi as-tu besoin ?
- J'ai besoin de voir la vie s'extirper de votre corps. Je veux vous voir souffrir parce que je sais que si je vous inflige de la douleur, j'aurai l'impression de respirer pour la première fois.
- Vous pensez que ce bonheur sera permanent ?
- Rien n'est permanent. Mais je recommencerai autant qu'il le faut pour que la sensation euphorique ne parte pas.
- Mais, prenons un cas de figure. Si cette personne agaçante est quelqu'un que vous aimez, que feriez-vous ? Si c'est votre femme ou votre copine ?
- Je la tuerais et m'en trouverais une autre. Les filles, ça va, ça vient.
- Ce n'est pas moi qui vous énerve. Ce qui vous énerve c'est que j'arrive à lire en vous. Je vous fais comprendre qu'il y a une faille dans votre carapace. Et vous avez peur que quelqu'un d'autre aie un jour ce pouvoir sur vous, que cette personne vous fasse perdre le pouvoir sur ce contrôle qui vous ai si cher.
Je sors de mes pensées, et mes yeux descendent dans la direction de son cou. L'image de la fille de la veille me revient, la corde fermement enroulée autour de son cou délicat. Son image s'efface, tout s'efface autour de moi, et je me retrouve dans une pièce sombre, face à Tommaso Dominguez. Il se tient fermement campé sur ses jambes, une cigarette coincée entre les lèvres. À ses pieds, une femme est couchée.
En regardant de plus près, je me rends compte que c'est Gayle.
Elle n'a pas de visage !
Non, elle en a un, mais il a disparu sous une couche épaisse de sang. Ses beaux cheveux aussi ont disparu. Elle est nue, mais je reconnais deux choses en elle : le grain de beauté qu'elle a près du pubis et le bracelet de cheville. C'est elle sans aucun doute.
Dominguez se met à rire et dit quelque chose, mais je ne l'entends pas. Mes oreilles sifflent et mon cœur bat trop vite, trop fort : BOOM, BOOM, BOOM, BOOM, BOOM, BOOM.
Je n'entends que ça à intervalles réguliers, c'est insupportable.
Quelqu'un appelle mon nom, enfin, je pense. Je n'en suis pas certain. Mon regard se brouille sous l'effet de la colère et du désespoir. Je tire mon couteau de ma poche et me précipite dans sa direction, cette fois je jure de lui faire la peau.
J'entends mon nom, plus fort cette fois, et je reçois un coup au visage. Il n'est pas assez fort pour me faire mal, mais il me fait sursauter et Dominguez disparaît comme un tas de feuilles d'automne balayé par le vent.
Gayle me regarde avec hésitation, elle se tient à bonne distance. Je me rends compte avec horreur que je tiens mon couteau. Je laisse tomber l'objet comme s'il m'avait brûlé. Elle déglutit avec peine.
Recule, va-t'en Gayle. Tu ne peux pas mener mes combats à ma place et tu ne dois pas les mener avec moi pour ton bonheur.
Mais elle se jette dans mes bras, me serrant fort contre elle. J'apprécie le contact de son visage contre mon cou et ses mains qui parcourent mon dos.
- Ça va. Ce n'était pas une question, elle le dit comme si elle voulait me rassurer.
- Je suis là.
Je me sens encore plus minable, j'ai eu une hallucination, ces derniers temps, c'est de moins en moins fréquent, mais je n'en suis pas moins un danger. Je m'écarte d'elle.
- Qu'est-ce que j'ai fait ? Elle hausse une épaule et écarte mes cheveux de mon front.
- Rien, tu t'es juste figé puis tu as dégainé ton couteau, frappant dans le vide. Ce n'est rien.
Cette fois, j'ai frappé dans le vide, mais la prochaine fois ?
Riccardo Gaviera est paranoïaque envers les femmes...
Merde, j'ai besoin de mes foutus médicaments, surtout il faut que je sois seul.
- Il faut que j'y aille. J'ai des choses à faire. Une lueur de panique passe dans les yeux de Gayle. Un étau enserre ma poitrine : comment peut-elle paniquer quand je décide de partir mais pas quand je l'attaque ?
- Non, non, répète-t-elle avec plus de force. Tu as pris tes médicaments ? Je secoue la tête, j'ai une putain d'envie de me saouler tout d'un coup.
- Ils sont dans la voiture.
- Très bien, attends-moi ici, d'accord ? Je vais chercher une bouteille d'eau. Ne t'en va pas.
- J'ai des choses à faire, c'est important.
- Ne me fais pas le coup de celui qui disparaît quand tout va mal. Pas encore.
Elle disparaît dans la maison et j'en profite pour sortir. On dirait presque un scénario d'un livre de Stephen King. Sauf que je ne suis pas Danny Torrance, mes visions à moi ne sont que le prélude des massacres que je fais subir aux autres.
- Tes yeux, les yeux du diable, ceux de ton monstre de père.
- Maman, je veux venir avec toi, je t'en prie. S'il te plaît. Je ne veux pas être séparé de Gia. Ne me laisse pas seul avec père...
- Tu brûleras, et je ne pisserai pas dessus.
Je m'allume une clope, des voix n'arrêtent pas de se déchaîner dans mon cerveau. Cet après-midi-là, j'ai défiguré ma génitrice. J'ai lacéré un côté de son visage, je lui ai privé d'un œil, confirmant ce qu'elle a toujours pensé que j'étais : un monstre. Et je ne m'en souviens même pas.
Être un monstre ne me dérange pas, dans le monde dans lequel j'évolue, être terrifiant est un plus. Mais terrifier Gayle ne m'amuse pas du tout, mais ça finira inévitablement par arriver. Je n'ai aucune empathie envers ma mère, mais j'aurais préféré ne pas lui faire ça. Le pire, c'est que je ne m'en souviens même pas, j'ai détruit sa vie et mon cerveau a occulté tous les souvenirs en un claquement de doigts.
Une conversation entre mon père et Gia me revient brusquement en mémoire.
- ...Il s'en veut ? avait dit Gia.
- ... Laissez-le penser que ce qui s'est passé est sa faute, il ne sera performant en tant que pieuvre de l'ombre que s'il s'affranchit de toute faiblesse.
- Ce n'est qu'un enfant, vous lui demandez beaucoup trop.
- Vous êtes les héritiers de la Cosa Nostra. Vous ne serez jamais des enfants. Comprends-le une bonne fois pour toutes.
D'où viennent ces souvenirs ? Quand ai-je entendu ça ? Je ne suis même pas sûr de l'avoir entendu, mon esprit délirant peut inventer n'importe quoi. Mais pourtant, j'ai l'impression que cette conversation a vraiment existé.
J'en suis vraiment là ? Je n'arrive même pas à discerner la réalité de ce qui ne l'est pas.
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