Riccardo


– Je suis un peu fatiguée, et si on allait dîner dehors ? Tu vas me raconter tes vacances et moi aussi, j’ai beaucoup de choses à te dire.

Leurs voix étouffées me parviennent de la chambre ou je suis en compagnie du corps en decomposition laissé par Dominguez.

– Tu viens, Jack ?

– Oh non, je vais rester ici et attendre Ric…J'ai un tic, bordel, mais quel boulet celui-là !

– Tu viens ! La voix de Gayle a claqué comme un fouet, n’admettant aucune réplique. J’ai presque envie de rire alors que cette situation est tout sauf drôle.

– Tu es sûr que ça va ? Tu transpires, tu as de la fièvre ?

Questionne à nouveau monsieur Attal qui n’a pas du tout cru à la théorie de l’araignée. Pas étonnant, quand elle a hurlé, mon sang n’a fait qu’un tour. J'ai imaginé le pire.
Mais je suis impressionné par la façon dont elle a géré la situation. Elle aurait pu quitter la chambre, mais elle a préféré s’y enfermer pour épargner à son père un tel spectacle. Gayle est une putain de reine.

– Non… Enfin, oui, allons manger. Je meurs de faim.

La porte s’est refermée derrière eux, plongeant l’appartement dans un silence angoissant, j’appelle James pour lui demander de ne pas les quitter des yeux. Je fais craquer ma nuque, mais rien ne chasse la tension qui s’est accumulée entre mes muscles. J’ai beaucoup trop négligé le cas de Dominguez, j’aurais dû m’en occuper dès ma sortie de prison. Ce corps est un rappel percutant de ma négligence. 
La partie est ouverte, Dominguez.

Je vérifie si Luca a reçu le message que j’ai envoyé quand Gayle a quitté la chambre au pas de course.

Luca
Je ne suis pas loin de là, j’arrive.

Riccardo

Surtout prend ton temps je n'ai que toute la nuit.

Luca

À moins que tu crée une voiture qui sache voler tu va devoir attendre, connard.

Je fourre mon téléphone dans ma poche et m’allume une autre clope, en espérant que l’odeur qui s’en dégage masquera celle qui semble s’être imprégnée dans les murs. 
Je regarde la fille pendue au-dessus du lit de ma femme, la rage bouillonne en moi. Le message est clair : autant mettre une cible sur le front de Gayle. 

Elle est plus mince, mais la ressemblance est frappante, même dans son état avancé de décomposition. Je sors mon couteau de ma poche avant de grimper sur le lit pour commencer à couper les cordes, solidement attachées au ventilateur accroché au plafond. 
Je fronce le nez, mais ça ne sert à rien face à cette odeur. J’ai tué un nombre incalculable de gens pour le compte de l’organisation. Je suis né dans le sang, j’y ai grandi, et je vais sûrement y mourir. Mais jamais je ne m’habituerai à l’odeur que dégage un corps en décomposition.

Je pense à la citation du Moineau dans Game of Thrones: Le pauvre nous dégoûte parce que c’est nous, dépouillés de tous nos artifices.

Je n’ai pas peur de la mort, mais putain, j’ai peur de sentir aussi mauvais un jour. 
Tommaso est un beau salaud, il ne s’en prend jamais directement à moi. Il sait qu’il ne pourra jamais m’effrayer, quoi qu’il me fasse. En tant que gangster, mourir ne me fait pas peur. Alors, il s’en prend à la femme dont je suis complètement dingue. Je vais l’écorcher et l’arroser avec de l’acide, j’en fais le serment !

Mais pour l’instant, c’est lui qui se paie ma tête. 
Je suis derrière le macchabée en train de couper les cordes, quand je remarque le mot épinglé dans son dos avec un petit couteau. Je tire sur la lame et récupère le papier.

"Les choses ne se déroulent pas toujours comme on le voudrait. Plus on vieillit, plus on prend conscience que, quoi qu’on t’ait raconté, la vie sur cette terre est souvent synonyme de douleur, de souffrance, et de vacuité, et ça, tu ne peux rien y faire. Tu es persuadé d’agir pour la bonne cause, mais sache que toute lumière comporte une part d’ombre ; il n’y a pas d’exception à la règle. Tant qu’il existera des vainqueurs, il existera des vaincus. Ce désir égoïste de préserver la paix est à l’origine de bien des guerres, et c’est donc au nom de l’amour qu’on engendre la haine. Ces concepts semblent opposés, mais ils sont si intrinsèquement liés qu’on ne peut les séparer.

Je arque les sourcils, ça ne veut absolument rien dire. Enfin, le discours a une certaine logique, mais je ne trouve pas le rapport entre ce qu’il écrit et la situation actuelle. Mais une chose est sûre : je reconnais l’écriture de mon ancien mentor. S’il veut jouer, on va jouer, et je lui garantie que le putain de vaincue ça sera lui.

Je commence à en avoir marre de ses attaques de lâche. Mais je le connais, c’est un homme extrêmement intelligent. Il est sûrement tapi dans l’ombre, en train de préparer une vengeance que je ne serai pas prêt à oublier. 

Tant que Tommaso sera dans la nature, Gayle ne sera jamais en sécurité. J’étais tellement occupé avec Lionel et les Leblanc que je l’ai mis au second plan, sauf que Dominguez n’est pas le genre d’homme qui apprécie d’être mis de côté. 
Ma main se referme instinctivement sur mon arme quand j’entends la porte claquer. J’abandonne ma tâche en sortant de la chambre, je veille à ne pas faire de bruit en sautant la dernière marche de l’escalier qui grince. 
C’est Nathan qui se trouve dans la cuisine. Putain, mais qu’est-ce qu’il fiche ici ? Il a la tête plongée dans le réfrigérateur, et râle parce que… 

– Cette salope d’Emma a transformé ce putain de réfrigérateur en putain de jardin botanique. Je penche la tête sur le côté, il titube légèrement et sa voix est pâteuse. Il est saoul. 

Je m’avance d’un pas félin et, d’un coup précis à l’arrière du crâne, je l’assomme. 

Sa tête heurte la porte du réfrigérateur et il tombe lourdement sur le sol de la cuisine.

Je souris. Si ça ne tenait qu’à moi, je lui logerais une balle entre les deux yeux. Je n’aime pas la façon dont il regarde Gayle. Je sais reconnaître le désir quand j’en vois, et cet imbécile la veut.

Mais, il ne mérite même pas de respirer le même air qu’elle. Il lui a fait beaucoup trop de mal. Je me rappelle du jour où j’ai enfoncé le couteau dans sa main. C’était juste après l’explosion de la bombe ; j’étais resté avec Gayle à l’hôpital jusqu'à ce qu’elle se reveille avant de partir en urgence à Rome pour régler des affaires.

Le jour où je suis rentré, je suis directement venu la voir, pour découvrir que cet imbécile essayait de l’embrasser. Ma colère a vite été mise au second plan quand elle a plongé ses yeux dans les miens et m’a souri.

Mais, j’ai vite compris que son ex la harcelait, une situation qui m’a mis dans une colère sombre. Un seul homme a le droit de la mettre en colère, et c’est moi. Mais je ne voulais pas faire de scandale devant monsieur Attal. Le vieil homme pense que je suis un ange tout droit tombé du ciel, et je veux qu’il continue de croire cela. Mais quand père et fille ont disparu dans la cuisine et que je suis resté seul avec cet imbécile, je n’ai pas pu résister à l’envie de lui donner une bonne leçon.

Luca m’envoie un message pour me prévenir qu’il est là. Je lui ouvre la porte.

– Salut ma poule. Je lui envoie mon poing dans la figure en guise de salutation, mais il se penche en arrière pour l’éviter,  avant de me donner un coup de pied sur le ventre.

Luca est aussi grand que moi, avec la peau d’ébène et une musculature imposante, developper grace au seance d'entraînement et les cambats dans la cage.

– J’aurais jamais cru que tu serais le genre d’homme à habiter chez ton beau père, tu es la honte de la cosa nostra. Je fais la moue. 

– Tu peux parler en silence ? Il faut se dépêcher, il y a une très jolie fille qui nous attend dans la chambre, déclarai-je en le précédant à l’étage. 

– Les plans à trois, ce n’est plus mon truc. Il marmonne son eternele sourire en coin placardé sur le visage.
Luca se fige devant la porte de la chambre, observant le corps, puis moi. 

– Putain, de loin on dirait presque Gayle. C’est bien la marque de Dominguez.

On coupe la corde et le cadavre tombe lourdement sur le lit, le reste des cordes toujours fermement enroulées autour de son cou. 
Pendant une fraction de seconde, j’ai peur que le corps gonflé n’explose, libérant l’air toxique et tous les vers du tombeau qui doivent être en train de le ronger de l’intérieur. 

– Regarde ses yeux, c’est étrange, constate Luca en s’allumant une clope, sûrement pour atténuer la mauvaise odeur.

En me penchant de plus près, je remarque que ce tordu lui a cousu les paupières pour que ses yeux restent parfaitement ouverts. Il lui à egalement maquillé le visage.

Ça ne m’étonne pas venant de Dominguez. Ce tordu n’a aucune limite. 
Je regarde la bague et le bracelet de cheville en or. Pourquoi avoir laissé ses bijoux sur la fille ? Le bracelet a une signification qui ne m’a pas échappé, mais la bague…

Luca et moi soulevons le cadavre  avant de le mettre dans une housse mortuaire. On a fait ça tellement souvent qu’on n’a même pas un fremissement. C’est notre quotidien, mais contrairement à d’habitude, je suis fou de rage : mes mains tremblent, mon cœur bat trop vite, j’ai des envies de meurtre. Ça aurait été une vraie catastrophe si monsieur Attal était tombé sur le corps. Ni Gayle ni moi n’aurions été capables de le convaincre que ce cadavre n’a rien à voir avec nous, et aucun père ne voudrait d’un homme avec mon style de vie pour sa fille.
Le vieux ne m’apprécie que parce qu’il ne sait pas qui je suis vraiment. Même moi, je ne sais pas qui je suis, ça n’a jamais été clair dans ma tête, mais depuis que Gayle est là, j’ai l’impression de me découvrir à chaque fois que je la découvre elle. J’adore être l’homme qu’elle aime, mais j’ai l’impression que je me concentre tellement sur elle que j’en oublie mon plus grand problème, qui court toujours dans la nature. 

Il va me le payer, putain !

Nathan gît toujours inconscient dans la cuisine. Luca arque un sourcil en le remarquant. Je me contente de sourire, fière de moi. Tenant le corps de la fille, nous sortons de la maison jusqu’à sa voiture, où nous la plaçons dans le coffre.

– Quel foutoir, bordel, déclarai-je en allumant une clope. J’ai envie de m' envoyer un paquet entier, Gayle me cache quelque chose et, puis, il y a ça… Je me tourne brusquement dans la direction de Luca. Ses yeux bruns sont profondément enfoncés dans les miens ; il s’adosse contre la voiture, juste à côté de moi.

– Tu sais quelque chose !

– Oui, mais tu devrais en parler avec elle. C’est mieux.

Je plisse les yeux. J’en étais sûr, pourquoi James ne m’a rien dit ? Il est payé pour tout me raconter, putain. 

– Gayle est en danger, tu penses vraiment que c’est le moment de faire le mystérieux ?  S’il lui arrive quoi que ce soit je vais te foutre sur un putain de barbecue.

– Tout doux, mec. C’est à elle de te le dire. Pour être honnête avec toi, je ne connais pas toute l’histoire, mais il y a eu un incident quand tu étais en prison. Peut-être que c’est juste un truc de fille. 
Je serre les dents. Si c’était aussi anodin, elle me l’aurait dit. Elle me cache la vérité parce qu’elle a peur, et il faut vraiment que ça soit un truc enorme pour que la fille qui s’est enfermmé avec un cadavre fremisse.
Mais qu’est-ce qui l’effraie autant,moi ou de quelque chose d’autre ? Ça, il faut que je le découvre. Et vite !

J’expulse une bouffée de nicotine, décidant de ne pas insister. Je connais assez Luca pour savoir qu’il ne dira rien. Je grimpe dans la bagnole à côté de lui et on commence à rouler en direction du cimetière le plus proche. 
Si Giacomo est mon frère de sang, Luca est le frère que le destin m’a donné. Il a attiré l’attention de la Pieuvre, qui l’a adoptée et donné son nom.

Mon paternel s’était rendu dans un quartier défavorisé de Rome pour d’obscures raisons, et Luca a essayé de voler les roues de sa bagnole. Mais j’étais là, j’ai attendu qu’il termine avant de lui tomber dessus.

Étrangement, au lieu de le punir, la Pieuvre lui a posé une question. 
– Es-tu prêt à mourir, petit ? Le gamin de 13 ans, à l’époque, s’est contenté de répondre d’un air dédaigneux : 

– Non, monsieur. Mort, je ne vous serais d’aucune utilité. 

Cette réplique avait fait rire la Pieuvre, qui avait décidé de lui donner une chance de faire ses preuves.

On avait 13 ans à l’époque, et nous étions les deux membres les plus jeunes de l’organisation. On ne s’entendait pas du tout, mais Luca et moi nous sommes retrouvés si souvent dans la même merde que ça a fini par nous rapprocher. 

À peine sortis de l’adolescence, j’étais un alcoolique impulsif, et lui, un drogué qui passait de fille en fille. On faisait n’importe quoi, comme conduire complètement défoncé ou s’en prendre aux flics en pensant que notre titre de made men nous donnait tous les droits. Père en a eu marre et nous a arrêtés. Luca et moi avons passé une semaine dans une grange, suspendus aux poutres par les pieds, à supporter les coups et toutes sortes de tortures. 
On a retenu la leçon. Enfin, juste le temps d’être capables de marcher avant de prendre notre revanche sur les deux hommes que la Pieuvre avait chargés de nous donner une leçon. Mais après ça, j’ai arrêté de boire et Luca a arrêté de se droguer. Enfin de maniere excessive.

On se gare devant le cimetière quelques minutes plus tard. Le portail en fer forgé est fermé à clé pour la nuit, mais je fais sauter le verrou. 
Munis de nos pelles, on creuse en silence. Une fois que le trou me convient, Luca et moi allons chercher le macchabée. Je parie que c’est une prostituée qu’il a zigouillée pour l’un de ses rituels stupides. Dominguez a toujours été un illuminé, mais ça ne m’a jamais inquiété jusqu’à ce que son obsession se tourne vers Gayle. Je regrette rarement mes actes, mais putain, j’aurais dû le tuer quand j’ai découvert les détournements de fonds.
Il y a une seule lampe là où nous sommes stationnés ; elle éclaire à peine les environs. Je présume que c’est une bonne chose : si des curieux parviennent à nous voir, ils vont sûrement appeler la police, si je ne les déglingue pas avant.

– Putain, Arya a raison, il faut que j’arrête de fumer. Luca se redresse après qu’on ai précautionneusement foutu la fille dans le trou, il est à bout de souffle. Je n’aime pas Arya. Elle est exactement comme moi, trop toxique surtout pour quelqu’un comme Luca. Mon pote est beaucoup trop gentil.
Mais ce ne sont pas mes affaires ; j’espère juste qu’il sait ce qu’il fait. 

Je pense soudain à Rebecca. Il faut que je la voie pour savoir si Dominguez est entré en contact avec elle. 

Nous recouvrons la housse mortuaire de sable avant de partir. Luca me dépose chez les Attal.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top