Gayle
– Cass, je crois que Gayle a faim.
Cassandre me lance un regard torve par-dessus son épaule, une main posée sur sa hanche, elle parle au téléphone près de la baie vitrée de ma chambre d'hôpital. Enfin, chambre d'hôpital, c'est peu dire. Pour moi, une chambre d'hôpital, c'est un placard à balais.
Là, c'est la chambre de la reine à Buckingham Palace.
– C'est Ji-a, continue à l'appeler Gayle et je te renvoie dans les limbes. Puis elle reporte son attention sur son interlocuteur.
Je soupire. Quand elle ira à Chicago, elle va me manquer, mais me faire martyriser non !
Gayle, enfin Ji-a, frotte sa tête dodue contre ma poitrine. Mais qu'est-ce qu'elle cherche ?
Oh bon sang, maintenant je sais. Le bébé gobe mon téton à travers ma blouse blanche à pois. Je l'éloigne doucement avec un petit rire, aussitôt elle fourre son poing dans sa bouche.
– Tu sais que tu es jolie toi.
En tenant Ji-a contre moi, je comprends une chose : les bébés n'en ont rien à faire des compliments, elle veut manger, et rien d'autre. Heureusement, mon père revient avec son repas.
– Donne-la moi, il faut que tu te reposes, exige-t-il en tendant les bras dans ma direction pour que je lui passe le bébé.
– Non, je ne peux pas venir. Je suis en congé maternité !
Cass sort de la chambre, je sais que c'est pour que papa n'entende pas sa conversation pas très... légale.
– Comment tu te sens ?
Dés que je me suis réveillée, le docteur Hermendez a immédiatement prévenu papa et, depuis qu'il est là, il n'arrête pas de me poser cette question. Je pense qu'il a peur que je perde à nouveau connaissance, mais mon état actuel n'est pas différent de celui d'il y a à peine 30 secondes, temps écoulé depuis la dernière question.
– Bien papa, j'ai juste un peu sommeil. Je me laisse glisser sur le lit, la tête sur l'oreiller, en regardant le plafond. Tout se brouille dans ma tête à un point que je n'arrive pas à y faire le tri, et tout ce qu'on m'a injecté ne m'aide pas non plus. J'ai l'impression d'avoir été abrutie par un trop-plein de substances chimiques.
Quand je me suis réveillée, deux personnes se sont imposées dans mon esprit : Riccardo et Camille. Le premier n'est pas là et, d'après ce que Cass m'a raconté, la seconde ne viendra plus jamais me voir.
J'ai toujours du mal à y croire, je m'attends constamment à ce qu'elle pousse la porte, toute de noir vêtue et maquillée comme si elle voulait participer à un film sur les vampires. Mais non, c'est brutalement terminé.
Je roule sur le côté en ramenant les draps sur mon visage, les lumières de la chambre me brûlent la rétine.
***
Je suis réveillée par une voix que je reconnais comme celle d'Arya. J'écarte les couvertures et m'adosse au fond du lit.
– Salut ! dit-elle avec un petit sourire qui n'atteint pas ses yeux. Les miens s'écarquillent, elle porte un tailleur sombre, une couleur que je n'aurais jamais cru voir sur elle.
– Regarde qui est venu te voir ? Arya incline la tête en direction d'un sac posé sur le fauteuil avant de l'ouvrir. Un sphinx sort le bout de sa petite tête mince avant de sauter sur le lit et d'atterrir sur mes jambes. J'ai un léger mouvement de sursaut dû à la surprise avant de me reprendre.
– C'est ?
– Oui, c'est Apoil, je suis allée le chercher après la...
Elle ne termine pas sa phrase, sa lèvre se met à trembler. Arya titube jusqu'à moi et me prend dans ses bras. Je ferme les yeux pour tenter d'étouffer la brûlure dans ma poitrine.
Mes souvenirs, aussi acides qu'une lame empoisonnée, défilent dans ma tête.
– J'ai eu tellement peur de te perdre toi aussi, marmonne Arya contre mon épaule. J'ai du mal à croire que Camille n'est plus là. Gayle, qu'est-ce qui s'est passé ? Luca ne veut rien me dire.
– C'est Dominguez qui nous a tiré dessus, Camille a tenté de me protéger jusqu'au bout. Je mens sans hésitation en la pressant contre moi. Arya n'a pas besoin de connaître la douloureuse vérité, Camille n'était pas une mauvaise personne, elle a fait un choix dicté par le désespoir. D'ailleurs, je ne mens qu'à moitié, c'est vraiment Dominguez le responsable de toute cette pagaille. J'espère qu'il brûle en enfer !
Arya s'écarte avant de se laisser aller contre la tête du lit, retirant ses chaussures et glissant ses jambes sous les couvertures.
– Le fameux Tommaso Dominguez ? demande-t-elle en accrochant son regard au mien.
– Oui. Arya à un rire sans joie et mon cœur se brise face à son désarroi.
– J'en peux plus. J'arrive à saturation.
Apoil miaule et se plaque contre mon torse pour réclamer une caresse, ses pattes avant sur ma poitrine, sa petite tête intriguée devant mon visage. Je ravale ma bile. Le bien le plus précieux de Camille est là, contre moi. Je m'en veux tellement de ne pas avoir trouvé les mots adéquats cette nuit-là pour la convaincre de me faire confiance. On aurait sûrement pu éviter beaucoup de choses, mais il est trop tard désormais.
– Ce sont des choses qui arrivent.
Camille et moi avons toujours su où nous mettions les pieds. La mort ne me fait pas peur, mais perdre un être important de façon aussi brutal est extrêmement douloureux.
– Non, Gayle, c'est arrivé parce que vous avez pris la décision de suivre Riccardo et Luca malgré tout. Ce monde, cette violence, toutes ces pertes... jusqu'à quand ça va durer ? Tu t'en es sortie, mais la prochaine fois, tu crois que tu auras la même chance ? Tu devrais tout abandonner avant que les choses ne finissent mal.
– Je ne peux pas.
Elle a un rire triste avant de secouer la tête, la tristesse d'Arya me fend le cœur. Mais, une fois dans ce monde, comme elle l'appelle, il n'y a plus de retour en arrière possible.
– Camille disait toujours la même chose. Tu peux, tu ne veux pas.
– Camille a quitté la mafia de la seule façon dont il est possible d'en sortir. Morte.
– Eh bien moi, je ne suis pas membre de l'organisation. Je refuse de revivre encore une perte. Je vais partir.
– Et Luca ?
– Luca ? Son ton est amer. Luca choisira toujours sa maudite Cosa Nostra, et Riccardo aussi. Ce mec ne te mérite pas. Il est la raison de tous tes malheurs.
Je grimace, me retenant de justesse de le défendre. Que pourrais-je bien dire ? Riccardo ferait perdre un procès au meilleur avocat de l'univers, tout est constamment contre lui, et il se débrouille comme un chef pour amplifier cette impression. Mais ni Arya ni personne d'autre ne le connaît comme moi, je le connais. Je connais des facettes de lui qu'il ne montrera jamais au monde, et si je reste avec lui, c'est justement à cause de cette fragilité qu'il cache derrière l'image d'un monstre bouffi d'orgueil.
Mais de qui je me moque ? Il n'y a pas une facette de lui que je n'aime pas.
Je sais qu'avec lui, rien ne sera jamais facile, mais ça me va.
– Je ne peux pas.
– Je savais que tu dirais ça. Ce mec t'a endoctrinée, il t'a fait un lavage de cerveau, ce n'est pas possible autrement. Comment peux-tu croire que votre relation a de l'avenir ? Riccardo est toxique, et regarde dans quel environnement vous évoluez !
C'est drôle, mais Arya est exactement comme Riccardo. À chaque fois que les choses échappent à son contrôle, elle cherche à s'enfuir, et Luca, c'est celui qui lui court constamment après. Le plus drôle, c'est qu'elle ne se rend même pas compte de la souffrance de ce dernier.
– Il ne m'a pas endoctrinée, Arya. Je l'aime, tout simplement.
– Génial, et où est-il là ? Il n'est même pas foutu d'être là à ton réveil.
Je me mords la lèvre pour ne pas sourire en me rappelant la tête du docteur Hermendez quand Riccardo s'est enfui. Ça m'aurait surprise de le trouver là à mon réveil. Riccardo ne sera jamais doué pour me montrer ses émotions, mais je sais qu'il a été là pendant tout le temps que j'étais inconsciente. Et ça me suffit, mais je vais le plier en deux si je le retrouve, je m'en fais le serment.
J'oriente la discussion vers un autre sujet que Riccardo. De toute façon, ça ne mène jamais nulle part.
– Tu prévois vraiment de quitter Luca ? Il a besoin de toi, Camille comptait beaucoup pour lui. Même s'il ne le montre pas, il doit être dévasté.
– Je ne suis pas toi, je n'ai pas ta force de caractère. Je ne peux pas supporter tout ça. Si Luca veut de moi dans sa vie, il sait ce qu'il a à faire.
– Tu veux qu'il fasse un sacrifice pour toi, mais tu n'es pas prête à en faire de même ? Les desertions dans la mafia sont condamnables de mort, il ne peut pas partir. Même s'il le voulait.
– J'ai assez donné. Je suis vraiment désolée, Gayle, mais c'est la dernière fois qu'on se voit. J'ai besoin d'être loin de tout ça pour faire mon deuil.
Elle se lève, et j'étouffe mon ressentiment. J'ai l'impression qu'elle m'abandonne. Comme si la seule personne qui reliait notre amitié était Camille. Je me rends compte que c'est le cas. Arya vient de prendre la décision de ne plus être mon amie, l'a-t-elle un jour été ? Je ne crois pas en la sincérité de ceux qui ne sont là que quand tout va bien. Ceux qui tiennent vraiment à toi ne te quittent pas quand tu es au plus bas.
– Où est-ce que tu iras ? je me force à demander, malgré la douleur qui n'arrête pas de grandir dans ma poitrine. J'ai l'impression qu'elle m'en veut pour la mort de Camille.
– Je n'en sais rien. Le plus loin possible de l'Italie et de la mafia.
– Tu ne vas rien dire à Luca, pas vrai ? Tu vas juste partir comme une voleuse.
Une lueur de colère brille dans ses yeux. On réagit tous différemment à un deuil. Quand maman est morte, je m'en voulais tellement que j'avais honte de pleurer, je me forçais à ne pas penser à elle. Parce que c'était ma faute. Je voulais me venger, faire du mal à ceux qui ont brisé ma famille. Cette haine pour Leblanc était la seule chose, en plus de Riccardo, qui m'a permis de ne pas défaillir. Arya, elle, est en colère et en partant, elle essaie de nous punir de ne pas avoir protégé Camille.
– Ne fais pas ça. Luca sera dévasté, et je sais qu'on ne se connaît pas depuis longtemps, mais moi aussi, je suis ton amie. Camille était mon amie aussi.
– Ton amie ? Pourquoi tu ne l'as pas protégée alors ? Vous l'avez tous laissée mourir. Et vous savez ce qui me hérisse ? Il n'y a aucune émotion sur vos visages, pas une seule larme, Gayle. C'est comme si c'était normal pour vous de perdre des êtres chers aussi brutalement. Ça ne l'est pas ! Je ne peux pas rester avec vous. J'ai peur de perdre mon humanité, comme vous avez perdu la vôtre.
Le choc et l'incrédulité passés, je hoche la tête, comme une automate.
– J'espère que tu trouveras ce que tu cherches ailleurs.
– J'espère que tu prendras conscience que Riccardo n'est pas un homme pour toi, avant qu'il ne soit trop tard.
Elle enfile ses chaussures. Mon visage est toujours impassible, le sien est désormais hésitant. Je connais cette expression, elle veut me demander quelque chose.
– Tu veux bien garder le chat ? Je ne pense pas que l'avoir avec moi m'aidera à faire mon deuil. Ça devrait être facile pour toi !
Je sais ce qu'elle essaie de faire. Elle est frustrée par mon manque de réaction, alors elle essaie de me blesser pour me faire sortir de mes gonds. Mais elle perd son temps. Il n'est pas question que je pleure devant elle. S'il faut des larmes pour que des gens comprennent que tu souffres, alors ça n'en vaut pas la peine.
Arya sort une enveloppe de sa veste et la pose sur le lit.
– Donne ça à Luca, s'il te plaît.
– Tu vas rompre avec lui, avec une lettre ?
– C'est tout ce que j'ai trouvé. Adieu, Gayle.
Arya sort de la chambre au pas de course, le dos voûté comme si elle portait tout le poids du monde sur ses épaules. Dès que la porte se referme, la digue se rompt, et toutes les larmes que j'avais retenues dévalent sur mes joues.
Je serre le corps chaud et lisse d'Apoil contre moi.
– Tant pis, j'espère qu'elle trouvera son bonheur où elle ira. Je vais prendre soin de toi, boule sans poil. Par contre, je ne sais pas si Persée et Médusa vont vouloir de toi.
***
– Ton petit ami m'évite. Il ne viendra pas tant que je suis là. Je regarde mon père sans comprendre, j'ai constamment envie de dormir, une envie partagée avec celle de me raser pour me débarrasser de tous ces poils. Quatre mois, c'est vraiment long, mais selon le docteur Hermendez, j'ai beaucoup de chance. Ça aurait pu être pire.
– Pourquoi ? Papa, me raconte tout ce qui s'est passé depuis que j'étais admis à l'hôpital. Je me mords la lèvre, contrarié.
– Quoi ? dit mon père sur la défensive, comme s'il n'aimait pas la tête que je fais.
– Rien. Riccardo n'a rien à voir avec la fusillade.
– Je n'ai jamais dit le contraire. Mais reconnais que, depuis que tu le connais, tu es constamment en danger.
– Mais non, comment dire... Tu te rappelles que, quand j'ai quitté la maison, c'était pour un rendez-vous avec Gil ? Eh bien, Riccardo est venu me rejoindre, le restaurant où nous étions a été pris en otage et les choses ont vite dégénéré. Il m'a protégé en prenant deux balles, mais il n'était pas de taille face à des braqueurs armés jusqu'aux dents.
Papa est livide, je me sens légèrement mal quand je vois sa mine défaite. Comment puis-je mentir avec autant de zèle à mon propre père ?
– Alors ce garçon est un héros. Je me sens coupable maintenant.
– Oui, un héros, on peut dire ça. Mais tu ne pouvais pas savoir et ta colère est tout à fait legitime.
– Tu devrais l'appeler. Maintenant que je connais la vérité, il n'a aucune raison de se tenir à l'écart. J'ai juste cru qu'il était mêlé à des choses illégales, tu sais...
Papa regarde à gauche puis à droite, puis il se penche pour murmurer, afin de n'être entendu que de moi et d'Apoil, évidemment.
– J'ai entendu dire qu'il y avait la mafia sur l'île.
J'écarquille les yeux en portant la main sur ma poitrine, la mine, choquée.
– La mafia ? Mais c'est horrible. Je croyais que la mafia avait été éradiquée durant les années cinquante.
– Moi aussi, je le croyais, mais il y a sur cette île des réalités très sombres. Voilà pourquoi je suis constamment inquiet quand ta sœur et toi sortez.
– Alors là, papa, je suis tellement choquée que je n'arrive pas à parler. Je crois que j'ai besoin d'un moment pour réfléchir... la mafia ?
– Oui, mais je suis rassuré de savoir que Riccardo n'est dans rien d'illégal. J'aurais dû m'en douter, ce garçon a le cœur sur la main.
– Le cœur sur la main, en effet. Papa ne remarque pas mon ton sarcastique.
– Maintenant qu'il est à nouveau dans tes petits papiers, il faut que je te dise quelque chose.
– Quoi donc ?
– On s'est mariés à Vegas, dis-je d'un trait, comme si je retirais une bande de cire orientale.
– Pardon !
***
– Devine qui se cache derrière ce bouquet. Un indice : grand, black, un sourire magnifique, beau comme personne avant lui et extrêmement riche.
– The Rock ? Non, il n'a pas de cheveux. Je sais, Idris Elba.
Luca écarte l'énorme bouquet de fleurs qui cachait son visage. Il me regarde avec une lueur amusée, un sourcil haussé.
– Très drôle. C'est quoi ce truc ?
Je prends les fleurs, les porte à mon nez avant de les poser sur la table de chevet.
– C'est Apoil.
– Le chat de Camille ? Il tend la main vers le sphinx qui est désormais sur mon ventre. Le sphinx crache dans sa direction avant de continuer tranquillement sa toilette.
– Quel mauvais caractère. Je parie que c'est une femelle. Fais-moi de la place !
Luca grimpe sur le lit en poussant un soupir. Il s'allonge et croise les bras derrière la tête.
– Je comprends pourquoi ce connard passait toutes ses nuits ici, un lit de plumes, rien que ça. Il me lance un regard en coin, comme pour juger ma réaction.
– Tu ne sembles pas surprise. Cass te l'a dit ?
Je secoue la tête. Personne n'a eu besoin de me le dire. Je sais qu'il restera avec moi. Il est ce qu'il est, mais il ne m'a jamais abandonnée quand je n'allais pas bien, depuis qu'on se connaît. Le problème, c'est sa façon de réagir quand les choses ne sont plus sous son contrôle. En plus...
– J'entendais tout.
– Vraiment ? C'est possible d'entendre des choses même dans le coma ? Alors là... Tu sais que tu es bizarre comme fille.
– On me le dit souvent. Luca, comment Camille est-elle morte ?
Il fronce les sourcils avant d'attirer son anneau labial entre ses dents.
– Elle s'est suicidée. Quand Riccardo et moi sommes arrivés, elle n'était plus elle-même. Elle n'arrêtait pas de répéter des phrases incompréhensibles. On a compris trop tard qu'elle était assez désespérée pour en finir.
– Je suis désolée.
– Ne t'excuse pas. Ce n'est pas ta faute. Ce qui s'est passé avec Cam, personne n'aurait pu le prévoir. Et Riccardo s'en veut de t'avoir mise en danger. Ce n'est pas sa faute. Essaie de le convaincre. Peut-être qu'il t'écoutera. Il se sent mal après la perte de...
Luca s'interrompt en secouant la tête. J'attends qu'il reprenne, mais il n'en fait rien. Alors je le questionne.
– Tu sais où il est ?
– Non. Une chose est sûre, il n'est pas chez lui.
– Les parents de Camille ? Sa famille ?
– Morts.
– La fille de James ?
– Morte.
– Qu'avez-vous dit aux autres pour Camille ?
– Riccardo et moi avons dit que c'est Dominguez qui a fait le coup pour vous deux.
Apoil, ayant terminé sa toilette, décide de migrer de mon ventre et s'installe sur le torse de Luca.
– C'est mieux ainsi. J'ai quelque chose pour toi.
Je prends la lettre que j'avais cachée une heure plus tôt sous l'oreiller et la tends à Luca. Il tourne l'enveloppe dans tous les sens avant de la porter à son nez.
– Arya ?
– Oui.
J'écarquille les yeux quand Luca déchire la lettre en deux puis en quatre avant de poser les morceaux sur la table de chevet, à côté des fleurs qu'il a apportées.
– Je préfère ne pas savoir ce qu'il y avait d'écrit.
– Je comprends.
Arya a ses raisons. La pression est vraiment forte dans ce milieu, mais je me sens trahie par son départ. Alors je n'ose imaginer dans quel état doit se trouver Luca.
La porte s'ouvre sur Bud et Dante. Ils sont suivis par Maddy et Cass, toujours au téléphone. Elle pousse la poussette de Ji-a, écarte Apoil d'un geste impatient et pose son gosse sur le torse de Luca avant de se diriger vers la salle de bain pour y poser les affaires que je lui avais demandées. Le chat regarde Ji-a comme si c'était une nouvelle bizarrerie, avant de tendre la patte en direction de son œil.
– C'est quoi, ce truc ? demande Bud en pointant Apoil du doigt. Il pose un panier de fruits sur la table de chevet.
– Un chat. Il soulève le sphinx avant de le reposer avec une grimace.
– Ce n'est pas un chat, ce truc est moche, on dirait des testicules.
Je repose la pomme que j'étais sur le point de manger. C'est officiel, il m'a coupé l'appétit à vie.
– Je suis tellement contente de vous voir... Je m'interromps en remarquant la tête de Bud et, malgré moi, j'éclate de rire. Je ris tellement que des larmes perlent au bord de mes paupières et une légère douleur se réveille dans mon ventre. Bud fait la moue.
– Donne-moi ça.
Il récupère les fruits qu'il m'avait apportés avec impatience.
– Mais c'est quoi, cette tête ?
Je réussis à demander, mon rire est si communicatif que Dante et Luca se mettent aussi à se moquer de lui. Il n'y a que Maddy qui se pince les lèvres pour ne pas se joindre à nous.
– Je suis désolée, Bud, mais je ne m'y attendais vraiment pas.
– Gayle, pitié, laisse-le tranquille. J'ai eu beaucoup de mal à le convaincre de sortir sans son bonnet en laine.
– Un gangster avec un bonnet en laine ? je demande avant d'éclater de rire à nouveau.
– Ris bien. C'est ton mari qui m'a fait ça ?
Je me tamponne les yeux avec la manche de ma blouse.
– C'est lui qui t'a rasé la tête ? Elle est tellement lisse que je peux voir les lumières de l'hôpital s'y refléter. Attends une minute, tu as dit "mon mari" ?
– Oui, on sait, déclare Dante. Et je suis vexé !
Merde.
– Comment dire... On était bourrés quand on s'est mariés !
– Non, ils n'étaient pas bourrés ! lance Luca.
Je lui envoie un coup de pied, il ne m'aide pas du tout. Tous me regardent, la mine sombre, attendant des explication. J'essaie de me retenir, mais j'éclate de rire en croisant le regard de Bud. J'ai beau essayer, je n'arrive pas à le prendre au sérieux avec cette tête.
C'est quand le soleil décline que j'ai enfin un moment à moi. Les autres sont partis, à l'exception de Jack qui joue à un jeu sur le fauteuil. J'en profite pour aller prendre une douche. Je me sens faible, je n'ai pas beaucoup mangé de la journée. Mais J'ai qu'une seule envie : sortir d'ici et faire exploser la cervelle de Riccardo Gaviera, et je vais le faire.
Je fouille dans le sac que Cassandre m'a apporté et y déniche ce dont j'ai besoin : une crème épilatoire.
Quoi ? À chacun ses priorités !
Je sors de la salle de bain une heure plus tard. Jack s'est endormi avec, dans ses bras, le sphinx qui ronronne. Je sèche rapidement mes cheveux avant de sortir de la chambre sur la pointe des pieds.
Je n'ai pas attendu Riccardo de la journée parce que je sais qu'il ne viendra jamais tant que les autres sont là. Il doit être quelque part en train de brouiller du noir. Pas chez lui, le Point ayant brûlé, merci Stella, donc j'élimine le club de ma liste. Pas chez Luca et définitivement pas chez Giacomo. Il ne reste qu'un seul endroit : là où personne n'aurait jamais idée d'aller le chercher, parce qu'il faut être fou pour penser qu'il retournerait là-bas.
Après tout, qui va se cacher dans la gueule du loup ?
Pied nu, je traverse les couloirs déserts. Une porte s'ouvre et le docteur Hermendez pointe le bout de son nez. Dire que chacun de nous est surpris de voir l'autre est un euphémisme.
– Gayle, où est-ce que vous allez comme ça ? Vous avez besoin de quelque chose ?
Je dépasse le médecin en courant en direction de l'ascenseur.
– Je vais chercher mon mari.
– Non, attendez ! Vous ne pouvez pas sortir, vous êtes encore en observation.
Je me dépêche d'ordonner la fermeture des portes métalliques.
– Je vous promets de revenir, déclare-je juste au moment où les portes se rejoignent.
Quand j'arrive dans le parking, je me rends compte que je n'ai pas de voiture et que je n'ai pas un sou pour prendre un taxi.
– Vous êtes perdue, mademoiselle ?
Je sursaute avant de poser la main sur ma poitrine pour me calmer. Ce n'est que Pedro qui sort de l'ascenseur.
– Tu m'as fait peur ! Qu'est-ce que tu fais là ?
– Je suis de garde, et avant que tu me le demandes, non, je ne sais pas où il est.
– Moi, je sais où il est. Peux-tu me conduire, s'il te plaît ?
Pedro semble hésiter. J'affiche une détermination farouche sur mon visage. Avec ou sans lui, j'irai. Mais je n'irai pas bien loin sans voiture.
Je parcours Pedro des yeux. Si je réussis à le déstabiliser assez pour prendre ses clés... Oublie, jeune fille, Pedro n'aura fait qu'une bouchée de toi quand tu étais en forme. Alors, faible comme tu es, c'est du suicide.
– Très bien, mais tu reviens tout de suite après. Hermendez ne t'a pas donné l'autorisation de sortir.
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