Gayle
19 Heure 00
– Papa, je suis rentré !
Du plus long week-end de mon existence !
Je ferme la porte de la maison derrière moi. Mon père n'est pas, comme à son habitude, installé sur le canapé. La maison est bien rangée, mais une horrible odeur embaume l'air.
J'entends du bruit provenant de la cuisine, puis une voix me répond.
– Il est sorti. Ah, merde !
Je fronce les sourcils, pose mon sac sur le canapé et comble la distance pour rejoindre Emma. Je manque de pousser un hurlement.
– Qu'est-ce que tu fabriques ! je m'écrie, ma voix montant dans les aigus. Autour de moi, c'est un vrai champ de bataille : il y a de la farine partout, le plan de travail est jonché de coquilles d'œuf, de légumes, de fruits ; de l'eau dégouline de partout, et il y a même une substance gélatineuse qui tache la plaque de cuisson libre. Sur une autre, une espèce de bouillie mijote.
– Je cuisine, ça ne se voit pas ?
– Ça n'explique pas pourquoi la cuisine ressemble à un champ de bataille ! Comment peux-tu cuisiner avec autant de crasse autour de toi ? En plus, ça sent vraiment mauvais ton truc.
Ma sœur repose sa louche sur le plan de travail alors même qu'il y a une place spécifique pour l'accrocher. Elle passe une main dans ses cheveux, et on grimace tous les deux quand elle y laisse sa substance gélatineuse. Je ne veux même pas savoir ce que c'est.
– Oh arrête, on dirait maman ! J'essaie de faire des plats 5 étoiles.
– Ah, je croyais que tu mitonnais une potion. D'ailleurs, en quel honneur ? Et ton régime ?
Elle souffle en se laissant aller contre le plan de travail.
– Il ne tient plus. Gabriel dit que je suis beaucoup trop maigre et que ce n'est pas bon pour ma santé.
Je suis bien d'accord avec lui. Emma a perdu tellement de poids que je peux voir ses os se dessiner à la perfection sous sa peau.
– Il dit qu'il aime les femmes bien en chair et qu'il ne ressent rien quand il couche avec moi.
Alors là, par contre, je ne suis pas d'accord. Inutile d'aller aussi loin !
– Donc tu as décidé de te mettre aux fourneaux ?
– Oui, mais pas que. Il vient dîner ici, je voulais lui présenter papa.
Elle me prend soudain les mains et son regard passe de désespéré à implorant.
– Aide-moi, tu sais cuisiner toi. Je te le revaudrai, promis.
Elle écarquille soudain les yeux puis soulève ma main droite.
– Dis-moi Gayle, d'où sort cette bague ? Je rêve ou c'est un diamant ?
Je tire doucement sur ma main.
– Qu'est-ce que tu racontes ? C'est une pacotille que j'ai achetée dans une boutique d'antiquités à Vegas.
– Tu es allée à Vegas sans moi ?
– Oui, je ne savais pas que j'étais obligée de t'emmener partout. Mais je t'ai apporté des cadeaux. L'antiquaire avait des bagues trop mignonnes.
– D'accord, tu es pardonnée. Et pour le dîner ?
– Je vais t'aider. Donne-moi juste le temps d'aller me changer et s'il te plaît, range cette cuisine, c'est un vrai bordel.
Emma éclate de rire.
– C'est incroyable, mais tu ressembles vraiment à maman. Tu te rappelles à quel point elle se mettait en colère quand j'oubliais de rincer ma tasse de café ou mon bol de céréales ?
Un sourire naît sur mon visage.
– Oui, elle était intolérante à la crasse, tout devait être parfaitement à sa place.
– Elle me manque. J'ai l'impression que rien ne peut combler le vide qu'elle a laissé.
C'est évident, rien ne pourra jamais combler le vide qu'elle a laissé. J'entends souvent des gens dire qu'ils se sont vengés de ceux qui leur ont fait du mal, mais ils ne ressentent aucune satisfaction. Si c'est ça, alors je suis une exception. J'ai adoré chaque putain de chose que j'ai faite à Leblanc pour lui faire payer la mort de ma mère.
Elle n'aurait pas approuvé, mais si je suis maniaque comme elle, notre ressemblance s'arrête là : je ne pardonnerai jamais à ceux qui nous ont opprimés.
– Moi aussi, elle me manque, spécialement en cet instant.
Je lance un œil critique autour de moi, lui faisant comprendre de se dépêcher de ranger son bordel avant de monter dans ma chambre. Depuis que Tommaso a laissé le corps de cette inconnue au-dessus de mon lit, j'ai toujours cette peur irrationnelle de trouver des surprises. J'ouvre la porte et pénètre prudemment dans la pièce. Je cherche la lampe à tâtons avant de pousser un grand soupir. Pas de corps accroché au-dessus du lit. Je vérifie rapidement sous le lit, non...
Je continue mon inspection en ouvrant l'armoire, rien là non plus. Puis j'ouvre la porte de la salle de bain d'un coup de pied, le battant frappe durement contre le mur me tirant une grimace. Rien dans la baignoire non plus. Parfait !
Elle me manque, l'époque où ma seule crainte était de trouver des insectes étrangers dans mon lit. Comparé à ce qu'on me laisse comme cadeau désormais, un rat serait une véritable aubaine. J'ouvre la fenêtre pour aérer la pièce avant de commencer à me dévêtir. Je suis vraiment fatigué. J'avais prévu de dormir pour récupérer de mon week-end, mais il est hors de question que je laisse Emma seule, elle risque de faire flamber la maison.
Je prends une douche rapide et j'enfile des mes sous-vêtements par-dessus lequel je mets un tee-shirt à manches longues et un jogging. Quand je la rejoins, j'ai la satisfaction de trouver que tout est parfaitement rangé. Propre, comme doit l'être une cuisine.
– Bien, on va concocter un truc facile et rapide ! je déclare en attachant mes cheveux humides. Je me penche sur le plan de travail et commence à griffonner sur une feuille. Emma claque la langue pour marquer sa désapprobation.
– Non, je veux un truc dingue, digne d'un restaurant 5 étoiles. Une entrée, un plat principal et un dessert, elle déclare en énumérant sur ses doigts.
Je sens que les choses vont bientôt mal tourner.
– Des pâtes ? Comme plat principal ?
Elle fait une grimace.
– Trop simple.
– Je te ferai remarquer que c'est ce que tu avais l'intention de faire quand je suis rentré.
– Oui, mais maintenant tu es là. Tu cuisines tellement mieux que moi, c'est un don.
Oui, c'est ça !
– Bon, du steak accompagné d'une purée et de légumes verts.
Je grimace en me rappelant que c'est exactement ce que Riccardo avait concocté le soir de notre dîner en tête-à-tête sur le bateau.
– Mauvaise idée ! je déclare en secouant la tête avec force.
– Pourquoi ? Je trouve que ça peut être bien.
J'écris plusieurs propositions sur la feuille avant de sélectionner les meilleures.
– Pour l'entrée, des rouleaux de printemps au crabe, et pour le plat, j'opte pour des pétoncles grillés et une salsa. Et pour le dessert...
– Une glace aux entrailles de poisson pendant que tu y es !
Je pose mon stylo à bout de patience.
– Tu sais quoi ? Fais-le toi-même, je me casse !
Paniquée, elle laisse tomber son téléphone sur la table et se lève d'un bond.
– Je rigole, je rigole. Tu disais pour le dessert ?
Je soupire, je la connais depuis toujours, mais son attitude me tape toujours autant sur le système.
– Une mousse à la mangue ?
Elle fait la moue.
– C'est beaucoup trop simple. Gabriel est un homme très raffiné !
– Raffiné, et il sort avec toi ? C'est ça ou tu te débrouilles seule !
– Très bien, mais rends-moi un service. Si au cours du dîner tu m'entends lui dire que c'est moi qui ai cuisiné, contente-toi de sourire.
– Où je pourrais lui vanter à quel point tu es une cuisinière hors du commun. J'ai l'impression que c'est du sérieux.
– Oh oui, c'est vraiment un homme incroyable. Avec lui je suis moi-même.
– Tu veux dire fourbe et insupportable ?
– Oui, il trouve ça exotique. Je fais mine de vomir, mais je suis sincèrement heureuse pour elle.
On continue de parler de tout et de rien en cuisinant, enfin je cuisine et elle parle. Je change constamment de sujet quand elle essaie de l'orienter vers ma vie amoureuse. Je ne veux pas penser à ça pour l'instant.
Papa vient nous rejoindre une heure plus tard et il me donne un coup de main avec le dessert. Après plusieurs protestations de la part d'Emma, on a finalement opté pour un entremets framboise. Je suis pliée en deux quand j'entends papa marmonner.
– Tout ça pour un homme qu'elle va quitter au bout de deux mois. Mais il se met quand même à la tâche.
Il est 21 heures quand on termine de cuisiner et à Emma revient la tâche de ranger la cuisine et de dresser la table.
– Gayle, habille-toi classe, mais pas trop. Il faut que je sois la plus jolie ce soir.
Je lève les yeux au ciel et chacune de nous disparaît dans sa chambre. Je me laisse tomber sur le lit avec un soupir de bien-être.
Juste 3 minutes et je vais me changer. Je suis réveillée en panique par Emma qui pousse la porte avec tellement de force qu'elle claque contre le mur.
– Mais tu es folle !
– Tu te fous de ma gueule, il arrive dans 20 minutes, prépare-toi. Mais n'oublie pas, tu ne dois pas être plus jolie que moi.
J'étouffe un bâillement avant de regarder la robe qu'elle porte. Je cligne des yeux en détaillant toute sa tenue, de la robe aux chaussures en passant par les bijoux.
– Tout ce que tu portes est à moi.
– Plus maintenant, dépêche-toi ! Je marmonne en m'extirpant à contrecœur du lit, je consulte mon téléphone. J'ai plusieurs messages, mais je n'ai pas envie d'y répondre, je le jette sur l'oreiller. Après ma douche, je me maquille légèrement. Je choisis un pantalon de tailleur et une chemise.
Même si je portais une soutane, Emma serait capable de me faire une scène. Ce qu'elle ignore, c'est que je n'ai aucune envie d'assister à ce dîner, je veux juste me terrer dans ma chambre en regardant du catch. Mais cette soirée n'est pas dédiée au repos, la mort rôde sur l'île. Il ne reste plus qu'à espérer qu'elle fasse moins de victimes dans notre camp.
Je sors de la chambre en étouffant plusieurs bâillements, bordel, pourquoi suis-je constamment fatiguée.
Je m'arrête net au milieu du couloir, deux secondes. Je ne serai pas enceinte par hasard ? À quand remontent mes dernières règles ?
Non, je suis paranoïaque. Mon manque d'enthousiasme pour toute chose est tout à fait normal avec tout ce que je vis. Emma aurait tout de même pu attendre un autre jour pour l'inviter.
– Pas trop tôt. Boutonne ta chemise, c'est beaucoup trop décolleté. Papa et moi levons les yeux au ciel alors qu'Emma réarrange pour la millième fois la composition florale au centre de la table. En les regardant, une idée me traverse l'esprit. Jawad est toujours vivant, et si j'enfonçais des roses dans ses yeux ? Pourquoi pas, il l'a bien fait lui, sauf que moi je le ferais alors qu'il est toujours vivant, je veux qu'il soufre.
Je sursaute légèrement quand on frappe à la porte. Emma bondit hors du canapé.
– Oh, mon Dieu, je fais quoi, papa, je fais quoi ? Oui je vais aller ouvrir.
Mon Dieu, cet homme doit être un sacré coup pour réussir à mettre Emma dans cet état.
– Papa, je t'interdis de lui poser des questions gênantes. Elle lisse sa robe brune avant de passer la main dans ses cheveux, elle vérifie ensuite si elle n'a pas de rouge à lèvres sur les dents grâce à la caméra de mon téléphone puis ouvre enfin la porte.
Papa et moi sommes debout comme des soldats parfaitement formés, près du canapé. Emma s'écarte pour laisser entrer le fameux Gabriel. Il l'embrasse sur la joue et lui donne un énorme bouquet de fleurs. C'est un homme d'une trentaine d'années de taille moyenne avec des cheveux blonds bouclés et des yeux bleus perçants. Il échange une poignée de main virile avec papa avant de donner à ce dernier la magnifique bouteille de vin qu'il a apportée.
Un point pour lui, il n'est pas venu les mains vides. Il s'arrête ensuite devant moi et me détaille brièvement avant de me donner un bouquet de fleurs, j'ai un léger mouvement de recul parce que c'est une composition avec toutes mes fleurs préférées, dont des dahlias que je n'aime plus autant. Je me force au calme et saisis le bouquet en souriant à Gabriel.
– Vous devez être Gayle. Nos regards se croisent et je hoche maladroitement la tête, je ne sais pas comment agir avec Emma derrière lui qui fait mine de me tuer. C'est moi qui devrais me sentir menacée par elle, pas l'inverse après tout c'est elle qui s'est envoyé mon mec, elle commence à m'agacer.
– Enchanté, Emma m'a beaucoup parlé de vous. Le sourire de Gabriel se fait conspirateur.
– En bien j'espère ?
– Oui, je n'ai entendu que des éloges.
– J'espère que les fleurs et le vin vous plaisent, je confesse Emma m'a un peu aidé.
– Les fleurs sont parfaites.
Gabriel s'installe sur le canapé avec papa qui le regarde comme s'il voulait décrypter la moindre de ses expressions. C'est étrange mais avec Riccardo il n'a jamais été méfiant alors que le démon est un vrai psychopathe. Une chose est sûre, mon père n'est pas un excellent juge en matière de comportement humain.
Ah ce n'est pas le moment de penser à lui !
– Gayle tu peux venir s'il te plaît ? Et c'est reparti pour un tour, je retrouve Emma en cuisine qui me fusille du regard.
– Qu'est-ce que tu fabriques ?
– Quoi ?
– Cette façon dont tu lui parles, tes sourires aguicheurs.
– Tu fais une projection là, de nous deux c'est toi qui t'intéresse toujours à ce qui est à moi, si tu manques autant de confiance en moi c'est pas ma faute c'est parce que tu as peur que je sois exactement comme toi. Mais rassure-toi ton mec ne m'intéresse pas, il lui manque quelques centimètres, lâche-moi maintenant !
Quand on passe à table 10 minutes plus tard, la trêve qui s'était instaurée entre Emma et moi n'est plus qu'un vieux souvenir. Elle ne m'adresse la parole que quand c'est nécessaire et honnêtement ça me va très bien comme ça.
– Dites-moi Gabriel, vous faites quoi dans la vie.
Seigneur papa !
– Je suis avocat spécialisé dans le divorce.
Je me retiens de justesse de faire une blague débile qui risque de m'attirer les remontrances de mon paternel et de ma folle dingue de sœur.
– Gabriel est le meilleur dans le domaine, commente ma sœur en lui caressant le bras. Il baisse modestement les yeux. Je retiens de justesse un gémissement en mettant un morceau de pétoncle dans ma bouche.
Oh mince, c'est trop bon. Je suis doué, il faut que Riccardo goûte ça... Mais merde, arrête de penser à lui. Pourtant c'est tellement difficile. Je regarde mon téléphone posé à côté de moi avec un petit soupir.
– ...Gabriel t'a posé une question. Je regarde papa sans comprendre avant de me tourner vers notre invité.
– Désolé, mon esprit s'est brièvement évadé.
– Gabriel t'a demandé si tu es auteur ! déclare ma sœur en détachant chaque syllabe comme si j'étais débile. Putain, je la hais !
– J'ai écrit un seul livre, ce n'est pas grand-chose. Je baisse les yeux sur son assiette, mes lèvres frémissent. Il mange avec appétit, c'est parfait.
– Gayle est modeste, son histoire est excellente. La fourchette m'échappe des mains, et je manque de m'étouffer avec une pétoncle. Gabriel me tend son verre d'eau, mais je fais comme si je ne l'avais pas vu pour prendre celui de papa. Je ne vais jamais me remettre du fait qu'il ait lu certains passages de mon livre. Ils font comment, les acteurs porno, quand leurs parents tombent sur leurs films ?
Son haussement de sourcils me donne envie de disparaître sous la table. Je suis mortifiée, et lui, il trouve ça amusant.
– J'ai hâte de lire le deuxième tome. Gayle a toujours été une grande rêveuse.
Je me racle la gorge et oriente la conversation vers des sujets moins périlleux.
– Comment vous êtes-vous rencontrés ? questionne encore mon père cinq minutes plus tard.
– C'était un hasard. Je cherchais un détergent au supermarché et votre fille m'a aidé. Comme je ne suis pas homme à laisser passer ma chance, je lui ai proposé de venir boire un verre avec moi.
Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'ils ont fait l'amour dans les toilettes à peine 30 minutes plus tard. Emma me fait le sourire du chat dans Alice au pays des merveilles. Comme si elle avait lu dans mes pensées. Je lève les yeux au ciel.
Mon téléphone se met à vibrer sur la table, un numéro masqué. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
ça commence !
– Excusez-moi, il faut que je prenne cet appel. Je me lève sous le regard courroucé de ma sœur, qui semble avoir avalé un citron. Je me poste dans un coin près de la porte de la cuisine.
– Oui ?
– Écoute attentivement.
Un frisson désagréable court le long de mon échine quand je reconnais la voix à l'autre bout du fil. Elle hante mes nuits et mes jours. Même quand je suis heureuse, elle est comme un nuage sombre qui me rappelle que l'orage plane, qu'il ne va pas tarder à s'abattre en emportant tout avec lui.
– Si tu es avec des gens, éloigne-toi et écoute-moi attentivement. Je ne vais pas me répéter sinon ce sera un vrai bain de sang, compris ?
Je hoche la tête comme s'il pouvait me voir. Papa me demande si tout va bien, je lui fais un sourire rassurant avant de m'éloigner de quelques mètres.
– En cet instant, l'un de mes hommes est dans votre maison.
Mon regard se dirige automatiquement vers le copain d'Emma. Il me regarde, les yeux agrandis, un petit sourire aux lèvres. Il tire légèrement sur les pans de sa veste pour que je voie son arme qui dépasse de la ceinture de son pantalon. Il réajuste sa veste, et continue de manger et de converser avec un flegme qui me hérisse.
– Qu'est-ce que tu veux ? je déclare doucement.
– Premièrement, dès que j'aurai raccroché, tu vas poser ton téléphone sur la table. Ne fais rien de stupide sinon je donne l'ordre de liquider ton père et ta sœur. Tu vas sortir, dehors t'attend une voiture noire, grimpe à l'intérieur. Fais ce que je te demande sans tarder.
– Et si je refuse ? Tout en posant la question, je dirige mon regard vers le copain d'Emma, slash, homme de Tommaso.
– Tu sais très bien ce qui va se passer si tu refuses.
La communication est brusquement interrompue. J'avale difficilement ma salive. Sans tarder, je pose mon téléphone sur la table sous la garde attentive de Gabriel, si c'est vraiment son nom.
– Ça va, ma chérie ? Tu es toute pâle ? Emma souffle.
– Et c'est reparti pour un tour. Que va-t-elle encore inventer ?
– Je te demande pardon ?
Bon sang, ressaisis-toi, Gayle. Il y a plus important que les états d'âme d'Emma.
– Je dois sortir, j'avais complètement oublié, mais j'ai un rendez-vous avec mon éditrice. C'est vraiment important.
– À cette heure ? On a un invité !
– Je reviens bientôt, mais il faut vraiment que j'y aille. Désolée, Emma.
– Tu n'es pas croyable, pour une fois que j'invite quelqu'un à la maison, tu es incapable de rester avec nous. Qu'est-ce qui est plus important que ce dîner ?
Tout ce qui va se passer cette nuit est plus important que ce maudit dîner que j'ai passé des heures à préparer, mais dont je n'ai pas pu profiter !
– Emma, elle va bientôt revenir. Si elle doit partir à cette heure, c'est que c'est urgent.
– C'est typique, papa, tu la défends toujours. Même quand elle est en tort.
Mes yeux ne quittent pas l'homme de Tommaso alors qu'Emma hurle presque sur notre père, qui tente de la calmer. Il me fait un sourire narquois en tapotant la table. L'avertissement est un peu plus clair, mais je ne bouge pas. Dès que je quitterai la maison, cet homme tiendra ma famille en otage et s'en servira comme moyen de pression. Mais si je reste, ça ne changera rien ; il les tuera et me conduira à Tommaso. Je regarde les pétoncles qu'il est en train de manger, et si ça ne marchait pas ?
– Il faut que j'y aille. Pardon papa.
Je me dirige déjà vers la porte, ignorant le regard rempli de colère de ma sœur et la mine affligée de papa qui va devoir gérer ses crises de nerfs.
Ce n'est qu'une fois dehors que je me rappelle d'un truc : nous sommes le 31 octobre, le soir d'Halloween. Il a bien choisi son jour pour me pourrir la vie.
Le vent glacial hurle à travers les arbres dénudés du jardin de mon père, sifflant entre les branches comme un cri lointain et désespéré. À chaque rafale, une nuée de poussière est projetée sur moi, comme si le sol lui-même protestait face à la force des éléments. Je reste au milieu de la cour, c'est comme si mes jambes avaient pris racine.
Je suis terrifiée, et en même temps, je sens cette excitation, l'adrénaline qui se déverse dans mes veines. C'est beaucoup trop fort, et j'adore ça. Ce mélange d'émotions qui oscille comme les aiguilles d'une montre, un cocktail de toutes les drogues prêtes à exploser dans mon sang. L'atmosphère dans la cour est palpable. Je regarde la maison avec la certitude que c'est la dernière fois que je la verrai. Ce soir, je vais mourir, je le sais, et c'est effrayant, mais j'ai accepté mon sort. Mais, que vont-ils devenir à l'intérieur ?
Et lui ? Que va-t-il devenir ? Je ne veux pas mourir sans lui dire au revoir. Je ne veux pas lui dire au revoir...
Je me mets à avancer, doucement d'abord, puis je presse le pas avant de perdre mon courage. Ça ne sert à rien de m'attarder, ça ne changera rien, peu importe à quel point je repousse l'inévitable. Il faut en finir.
J'ouvre le portail, l'air glacial traverse mes vêtements légers, pénétrant jusqu'à mes os. Chaque rafale me tire un frisson.
Je parcours la rue. Le brouillard, qui accompagne souvent ce genre de nuit, s'est levé. Ajoutez à cela le hurlement du vent et les ombres provenant des arbres au branches squelettiques, j'ai l'impression d'être dans l'une de ces nuits dont seuls les films d'horreur ont le secret. Sauf que dans mon cas, le monstre, c'est la berline qui est garée à quelques pas.
Je trace une sorte de ligne droite dans ma tête, qui m'indique que je dois marcher jusqu'à la berline et ne rien faire de stupide comme courir pour aller le retrouver, comme me l'ordonne mon cerveau. Je serre les poings, regardant devant moi pour ne pas perdre le cap. J'ai l'impression de marcher trop vite mais pas assez en même temps.
Je m'arrête devant la portière côté passager de la voiture. S'il y a quelqu'un derrière le volant, les vitres teintées m'empêchent de le voir. J'entends un bruit derrière moi, un craquement, mais une voix masculine m'empêche de me retourner.
– Pose les mains à plat sur la carrosserie de la voiture et ne fais rien de stupide sinon je donne l'ordre à mon complice de liquider ta famille.
Merde !
Je pose les mains sur la voiture comme il l'a demandé. J'essaye de regarder en arrière juste pour voir à quoi il ressemble, mais il pose son arme sur ma nuque pour m'empêcher de bouger. Je frissonne de dégoût quand sa main se pose sur ma hanche. Il tate avant de glisser dans ma poche et d'extirper le couteau à cran d'arrêt. Je porte toujours des armes avec moi depuis que j'ai rencontré Riccardo, même bien avant ça, c'est devenu comme une seconde nature, elles font partie de moi. Et l'homme qui me fouille le sait ; il jette le couteau sur le sol et ouvre le bouton de mon pantalon de toile avant de baisser la fermeture qui se trouve sur le côté. Il descend mon pantalon d'autorité et récupère le poignard plaqué contre ma cuisse grâce à la jarretière. Il tapote ensuite au niveau de ma poitrine pour voir si je n'ai rien caché dans mon soutien-gorge sûrement, avant de se baisser pour extirper le couteau dans mes bottes. Merde, je me sens nue maintenant.
Reste calme Gayle, il te reste ton cerveau et c'est une arme qu'il ne pourra jamais te prendre.
– Bien. Il remonte mon pantalon et le referme. Place tes mains sur le dos, fais vite.
J'obéis. Il y a un cliquetis de métal, puis il me passe les menottes.
Génial, il ne manquait plus que ça. Il me tire brusquement par le poignet pour m'éloigner de la portière avant d'ouvrir cette dernière et de me pousser sur la banquette.
La voiture démarre dès que la portière claque. Je me redresse pour voir le chauffeur, mais une vitre opaque sépare les banquettes de l'avant.
Quelle importance ? Peu importe qui est l'inconnu qui conduit la voiture, nous avons une seule destination. Celle choisie par Tommaso Dominguez.
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