Gayle


23 heures 05

Je me sers de ma tête pour frapper contre la vitre de séparation, mais rien, le chauffeur ne réagit toujours pas. Bientôt, une heure qu'on roule et je ne sais pas où nous allons. Nous avons traversé les quartiers favorisés de l'île, avant de traverser des zones plus industrielles, puis les quartiers populaires. À chaque fois, j'avais espoir qu'il s'arrête, mais il a continué à rouler dans un silence angoissant. Je donnerais mon rein gauche pour savoir qui est derrière le volant.

Désormais, il traverse une route étroite tracée dans une sorte de montagne, j'ai l'impression qu'on s'éloigne de plus en plus de toutes les habitations et c'est loin de me rassurer. Je frappe une nouvelle fois avant de laisser échapper un soupir de frustration. C'est une blague ? Il pourrait descendre cette maudite vitre. À moins qu'il n'ait de bonnes raisons de ne pas se montrer. Mais oui, si ça se trouve, le chauffeur, c'est le traître qui travaille avec Dominguez !

Je me laisse aller contre la banquette. Je remarque un panneau, mais avant que j'aie le temps de détecter ce qu'il y a d'écrit, le chauffeur négocie un virage en épingle à cheveux et passe la seconde. Mince, je n'ai aucun moyen de savoir où je me trouve, mais à quoi bon, ça ne me servira à rien de toute façon, je n'aurai aucun moyen d'appeler à l'aide.

Tu n'as pas besoin d'aide, jeune fille, tu te débrouilles toute seule ou tu crèves.

La voiture s'arrête brusquement dans un crissement de pneus, la respiration que j'avais réussi à calmer s'accélère et, bien malgré moi, j'ai des tremblements et je transpire. Je prends plusieurs profondes inspirations pour me préparer à ce qui m'attend. La portière côté passager s'ouvre, sur un homme mince vêtu d'une sorte de soutane grise.

Ok ? Il me pousse à descendre, mes chaussures s'enfoncent dans le gravier et l'air glacé soulève les quelques mèches échappées de mon chignon négligé, ramenant avec elle l'odeur de l'iode. La mer n'est pas loin, mais ça ne veut rien dire, nous sommes sur une île, la mer n'est jamais loin !

Le mec à la soutane me saisit le bras de force et me tire à sa suite alors que la voiture noire s'éloigne sans que j'aie pu savoir qui m'a conduit ici.

- Qui êtes-vous, qui était dans la voiture ? Aucune réponse, il continue d'avancer en traînant les pieds ce qui produit un son désagréable sur le gravier, il doit avoir 18 ans, il a la peau olivâtre et des cheveux bouclés et il me dépasse d'une bonne tête.

Je regarde autour de moi, un terrain vague baigné d'obscurité, quelques arbres ici et là et juste devant il y a ce qui semble être une grotte, c'est juste là que monsieur soutane me conduit.

Je ne comprends rien. Qui est ce type et qui était celui dans la voiture et celui qui m'a mis les menottes ? Des membres de la Sacra Corona Unita ? C'est une hypothèse qui se tient vu que Dominguez, en me faisant porter le chapeau de la mort de Franco, s'est allié avec eux.

On traverse l'entrée de la grotte qui est en forme d'arc de cercle et... J'ai tout de suite l'impression d'avoir traversé une porte magique du monde des ténèbres pour un monde plus lumineux. C'est quoi ce bordel ?

L'intérieur de la pierre est aménagé comme un palace, si les palaces ressemblent à des lieux de culte. Bien plus grand que je l'aurais imaginé étant donné que pour entrer j'ai dû me baisser pour ne pas me cogner la tête.

Dans un coin à gauche, il y a une statue humanoïde, elle est en bronze et sculptée, juste autour il y a plusieurs bougies de couleur sombre et je jurerais qu'il dégage une odeur de soufre. En face, il y a un lit rond posé sur une plateforme, le lit a des draps blancs et des oreillers, mais le détail le plus troublant ce sont les sangles en cuir rejetées négligemment au sol. Ce n'est pas un lit ordinaire, il sert à attacher la personne qui s'y couchera pour l'immobiliser. Je continue mon inspection, au centre contre le mur en pierre, il y a un énorme baril en acier inoxydable de taille humaine, je ne sais pas ce qu'il y a à l'intérieur, mais il s'en échappe de la vapeur blanche. Tommaso a installé au sommet des poutres en bois qui sont fixées au mur à travers lesquelles pendent des cordes.

- Bienvenue. S'exclame Tommaso avec entrain. Il s'adresse à moi comme si j'avais eu le choix de venir ici. Me retrouver en face de lui me met mal à l'aise. Il est vêtu d'une soutane sombre, les manches le collent et le bas de sa tenue sont brodés de fil d'or brillant.

- Toi espèce de fou, dis à tes hommes de quitter la maison de mon père.

Il se lève du fauteuil en cuir noir sur lequel il est installé avec une lenteur affolante. Sa soutane qui met en valeur son corps mince et musclé est si longue, qu'elle traîne sur le sol. Ses cheveux sont coupés courts, des mèches sombres, striées de mèches argentées. Il lève les mains paumes vers le bas en marmonnant.

- Chut, ne fais pas autant de bruit. Tu vas les déranger.

- Déranger qui ? Je me sens idiote de demander parce qu'il va me sortir une réponse à dormir debout sortie de son esprit délirant.

- Les morts. Ce soir la mort danse sur l'île, les âmes par centaines vont faire leur voyage ultime, c'est pour cette raison que je t'ai fait venir ici. Pour te protéger, Eloise, pour que ton âme quand elle partira ne se mélange pas aux impurs.

Que la mort danse sur l'île ce n'est un secret pour personne. Ce soir, la fête d'Halloween prend son sens en retournant à la source. Mais pourquoi il m'a appelé Eloise, qui est cette Eloise avec qui il semble si désireux de me confondre ?

- Qu'est-ce que tu me veux ? Si tu m'as fait venir pour raconter n'importe quoi...

- Chut, moins fort, tu vas les réveiller et ce n'est pas le moment.

Je commence à perdre patience ce qui me donne envie de sautiller sur place en pleurant. C'est quoi son putain de problème ?

- Qui, merde ? Il éclate de rire, Seigneur, maintenant j'ai peur parce que j'ai l'impression que Tommaso a atteint le point de non-retour avec ses délires. Je déglutis paisiblement, le garçon est toujours derrière moi comme s'il attendait quelque chose en particulier.

- Les esprits, ceux que j'ai invoqués pour notre voyage.

Il n'a pas dit "mon voyage" mais "notre voyage" ? Tommaso est un tueur de masse, en général c'est le genre de personne qui s'octroie une sorte de mission et quand elle est terminée, plus rien ne les retient sur terre. Si je comprends bien, ce taré compte mourir ce soir et moi avec lui. Je regarde la statue humanoïde, les bougies sombres, le lit à quelques mètres, le blanc des draps et les sangles.

Un rituel. Il veut faire un sacrifice !

- Qu'y a-t-il dans ce baril ? Je questionne en levant le menton en direction du baril fumant.

- De l'acide, chauffé à 100 degrés, mais la température augmentera au fur et à mesure. Un jour, j'ai vu Gieusé Gaviera plonger quelqu'un encore vivant dans une baignoire remplie d'acide, sa peau s'est déchirée sous mes yeux, elle a fondu comme de la neige au soleil et l'acide était froid. Imagine ce qu'une cuve d'acide chauffée à blanc fera à la personne qui plongera dedans.

- C'est pour moi que tu as mis ça là ? Il secoue lentement la tête, tout dans ses actes est d'une lenteur calculée et ça me tue à petit feu. On dirait la personnification du calme utopique avant une tempête destructrice.

- Non, Eloise. Ta peau doit rester parfaite. Parce que tu es une offrande. Cette cuve est pour Riccardo.

- Tu m'as fait venir ici en espérant appâter Riccardo ? Il ne viendra pas, la nuit durant laquelle tu m'as tatouée, il savait que j'étais en danger, mais il n'a pas levé le petit doigt. Cette fois-ci ce sera pareil. Et tu le sais.

Tommaso s'avance. Il est désormais si près que le bout de nos chaussures se touche. Ses yeux se mettent à briller d'une étrange lueur comme de la tristesse puis ils se remplissent brusquement de larmes. J'ai un mouvement de recul quand il lève le bras, la panique envahit son visage. Il saisit le mien en coupe, pressant ses grandes mains sur mes joues. Il pose son front sur le mien et nous restons là à échanger nos respirations, la mienne devenant de plus en plus saccadée, la sienne est calme. Je regrette d'avoir les mains liées dans le dos parce que j'ai une folle envie de repousser ce type, tout en lui me dérange, de la chaleur qui se dégage de sa peau au parfum musqué de ses vêtements cérémonieux.

- Non mon petit bébé, ne me fuis pas. N'aie pas peur de moi. Je sais que tu es confuse, que tu n'as plus confiance aux hommes, mais moi je suis là pour te sauver.

- Mais me sauver de quoi ? C'est toi qui as toujours mis ma vie en danger. Tommaso se raidit, brusquement, il s'éloigne en hurlant un "non" qui me fait sursauter, il me frappe si fort au visage que ma tête bascule sur le côté, le jeune garçon me retient pour que je ne tombe pas ou pour permettre à Tommaso de revenir à la charge ?

Mais ce dernier se tourne brusquement vers lui.

- Ne la touche pas, ne pose plus jamais tes mains sur elle. Son corps est un temple, un temple tu m'entends ?

Il a hurlé si fort que les veines de son cou se sont tendues, sa peau devenant rouge. Si seulement ces vaisseaux sanguins pouvaient exploser.

Le type recule effrayé, et il a bien raison. Tommaso passe par tous ses états à une vitesse fulgurante, je n'avais pas vu venir la gifle et ma joue me brûle.

D'ailleurs, il revient à la charge cette fois en me caressant le visage comme pour occulter la douleur.

- Je suis désolé mon bébé. Je ne voulais pas te faire du mal, tu le sais, pas vrai ? Tu le sais ! Je hoche la tête, et ça semble le satisfaire de ma reddition, un doux sourire ourle ses lèvres et ses yeux se plissent.

- Oui tu le sais. Il me prend brusquement dans ses bras. Évidemment que tu le sais, tu te rappelles de l'époque où tout allait bien ? Je revenais du travail et je te trouvais couchée sur le canapé, tes longs cheveux bouclés étalés sur l'oreiller, dans ton pyjama bleu. Dès que tu sentais ma présence, tu te levais et tu te jetais dans mes bras. Dylan, j'ai été sage, tu disais, je mérite une histoire. À l'époque je travaillais dans une usine de fabrication de pièces détachées, j'étais constamment épuisé, mais je ne pouvais rien te refuser. Je t'aimais si fort et tu m'aimais encore plus, tu n'aimais que moi. Et il a fallu que tu grandisses, cet amour qui n'était qu'à moi. Tu l'as donné à quelqu'un d'autre, je n'étais plus ton univers, tu étais jolie, tu plaisais aux garçons donc... Je savais que ça arriverait. Comment aurais-je pu avoir la prétention de croire que tu n'aimerais que moi ? Mais tu vois, moi, je suis le seul qui va te sauver. Tu le sais, pas vrai ? Tous ces garçons, où sont-ils ? Ils ont refait leur vie, mais ton Dylan est toujours là.

Je hoche la tête. Avec les mains attachées derrière le dos, je vais éviter de faire des vagues et ramer au rythme de ses délires. Mais je suis chamboulée malgré ma confusion, dans la voix de Tommaso il y a trop de souffrance pour que ça soit une invention, un délire. Dans le village de pêcheurs où j'ai été retenue dans sa cave, il passait des heures à me parler de ses anciennes amantes, mais jamais il n'a eu cette détresse dans sa voix, ce besoin que je le comprenne. C'est un homme brisé qui me tient contre lui.

Bordel, Gayle. Réveille-toi, la pire chose qui puisse t'arriver c'est d'avoir de la compassion pour ton ennemi. Concentre-toi ou tu vas finir dans la cuve d'acide chauffée à blanc.

- Oui je le sais To... Dylan, je l'ai toujours su. Il prend une profonde inspiration comme pour contrôler son flot d'émotions mais peine perdue, il pleure tellement que mon propre visage est baigné de ses larmes. Je frissonne quand il me serre plus fort contre lui, mon corps n'ignorant absolument aucune des parties du sien, mais je me force à ne pas le repousser.

Je dois jouer la partie comme lui le souhaite ne serait-ce que pour gagner du temps.

- Dylan, j'ai mal au bras, mon sang n'arrive plus à circuler, détache-moi. S'il te plaît, Dylan.

J'étais persuadée qu'il allait refuser. Mais il s'éloigne et fait signe au type mince à la tunique grise de me détacher.

Je le sens s'approcher derrière moi puis il saisit mes poignets. Parfait, dès que j'entends le clic qui m'annonce que je suis libre de toute entrave, je tire sur l'élastique qui retient mes cheveux et je récupère le couteau à cran d'arrêt que j'y avais planqué. Je me tourne vers son complice en dépliant la petite lame et lui fais une entaille à la gorge. L'arme n'est pas assez grande pour le tuer sur le coup, mais je ne perds pas de temps. Alors qu'il titube en hurlant, je me jette sur lui avec agilité en m'acharnant sur toutes les parties à ma disposition. Je poignarde tellement son cou que ce n'est plus qu'un espace rouge de sang et de morceaux de chair.

- Non, non, non, tu gâches tout, tu gâches tout ! éructe Tommaso en se jetant sur moi bien trop tard, comme s'il sortait de sa stupeur. Mon dos rencontre le sol dur de la grotte, ce qui me coupe le souffle mais certainement pas plus que Tommaso qui se jette sur moi, en enfonçant son genou dans mon ventre. La douleur me pousse à cambrer le dos, j'expulse un filet de salive et je mets quelques secondes à me rendre compte que le cri d'agonie qui a envahi l'espace vient de moi.

- Tu gâches tout en te comportant comme une pécheresse. Je halète, j'ai la sensation qu'il m'a écrasé des organes...

- Tu vas te tenir tranquille. Je t'interdis de tout gâcher, les choses doivent se passer comme moi, je l'ai décidé. Si je t'ai sortie de terre, c'est qu'il y a une bonne raison. Comporte-toi comme je l'ai toujours voulu. Mon couteau à cran d'arrêt toujours en main, je me redresse en le dépliant et j'enfonce la petite lame dans son œil si profondément qu'il ne reste plus que la manche à l'extérieur. Du liquide gluant provenant de son œil mélangé à du sang s'écoule sur mon visage, je crache quand ça s'introduit dans ma bouche.

Tommaso hurle, il se lève en tournant sur lui-même, la tête rejetée en arrière, la main sur la manche en cuir. Je me redresse et me traîne le plus loin possible de lui. Il tire brusquement sur la lame avec un cri qui me fait penser à celui d'un animal agonisant comme j'avais l'habitude d'en entendre dans les documentaires de Nat Geo Wild. Sauf que cet animal-là est plus blessé dans son ego que dans autre chose, et il va me le faire payer.

Tommaso jette rageusement le couteau à cran d'arrêt sur le sol. C'était ma dernière arme, maintenant que j'en suis dépouillée, je me sens vulnérable.

- Tu veux que je sois méchant, Eloise ? Alors je serai putain de méchant.

Merde, j'aurais dû viser la gorge, pas l'œil. Je me lève dans le but de fuir la grotte, ce que j'aurais dû faire quand il était occupé à chialer sous son œil foutu, mais Tommaso est remonté à blanc, il me prend de vitesse et me donne un coup de poing au visage. Avant de revenir à la charge avec un autre. Je perds mon équilibre et tombe à nouveau, il me retourne sur le dos et enfonce sa botte Timberland dans mon ventre. Il ne fait plus que ça, s'acharne sur cette partie de mon corps, comme s'il avait une dent contre cette zone en particulier. Je me tords de douleur, les dents serrées pour ne pas hurler, mais bientôt les coups sont si précis que des hurlements s'échappent de ma gorge, suivis de supplications.

- Prends ça, et ça ! Il hurle inlassablement en me maltraitant.

- C'est cet enfant le fautif, c'est lui et Billy Saint. Tu allais les aimer plus que moi, pécheresse, femme maudite, engeance du démon. Prends ça !

- Dylan, arrête, je t'en prie. Je réussis à dire en toussant, il s'arrête brusquement, la jambe fléchie, le pied à quelques mètres de mon ventre. Un filet de sang s'écoule de son œil, le lent de son visage suintant sur mon chemisier blanc. Son œil valide s'écarquille et il se met à pleurer.

- Tu m'as appelé Dylan, il declare d'un ton emut. Tu veux que j'arrête ? Je hoche la tête, incapable de parler, j'ai beaucoup trop mal au ventre. Ce n'est pas normal, depuis le temps, j'ai appris à encaisser la douleur mais là, j'ai l'impression qu'il se passe quelque chose de différent dans mon corps.

- Tu veux que j'arrête, mon bébé ?

- Oui...

- Salope ! Il abat son pied sur mon visage cette fois.

- Tu as demandé à Billy Saint d'arrêter ? De ne pas mettre cette abomination dans ton ventre ? J'avais tout prévu pour toi. Tu avais les mains faites pour le luxe et tu as préféré les plonger dans la crasse. Tu avais l'âme destinée au paradis et maintenant ?

Cette fois je prévois son coup et je saisis son pied à deux mains, j'étire ma propre jambe et je lui envoie un coup de pied entre les jambes, écrasant ses parties intimes. Je le lâche en roulant sur le côté, la main sur le ventre, j'ai trop mal, c'est pire que les douleurs de règles, tous mes muscles sont crispés et ça me rend plus faible, m'empêchant de réfléchir.

Je grimace en portant la main à l'endroit qui me fait souffrir. Bien malgré moi, des larmes de terreur dévalent mes joues. À quand remontent mes dernières règles ? Je suis tellement prise par tous ces événements que je n'ai pas réfléchi à ça. Ça va faire plus d'un mois que Riccardo et moi avons couché ensemble, je prends la pilule mais est-ce fiable à 100 % ? Je ne peux pas être enceinte, c'est ridicule, pourtant...

Je sens quelque chose de chaud s'écouler entre mes jambes et c'est beaucoup trop dense pour être mes menstruations. Mon cycle est réglé comme une horloge, ce ne sont pas mes règles ! Il faut que je me calme, Tommaso m'a frappée assez fort pour provoquer des saignements, ce n'est peut-être pas ce que j'imagine.

- Tu veux que je sois méchant ? Je serai méchant, mais retiens une chose, tout ça c'est de ta faute. C'est toi qui as brisé nos rêves. Je t'aurais tout donné à une seule condition : que tu sois parfaite, mais tu as tout gâché. J'aurais dû te tuer quand tu étais bébé, tu ne sais pas à quel point j'ai rêvé de le faire, mais je t'ai acceptée et toi ? Tu as tout gâché.

Je veux surtout qu'il aille se faire foutre. Mais j'ai longtemps compris qu'aucun des souhaits que je formulais ne marchait. Si je veux que Tommaso meure, il n'y aura pas de miracle, je dois le tuer moi-même.

Pourtant, je ne résiste pas quand il tire ma jambe et me débarrasse de ma botte et en fait de même avec l'autre. Je suis paralysée par le sang qui macule mon entrejambe, ça ne s'arrête pas, ni ça ni la douleur qui crispe les muscles de mon bassin et qui produit de minuscules contractions.

- Je voulais que tout se passe bien proprement mais encore une fois tu fais de moi le méchant de l'histoire. Je ne voulais pas te faire ça, mais il y avait cette voix dans ma tête, elle était constamment là, je n'en pouvais plus, et quand tu m'as dit, frérot, je suis enceinte, la voix s'est déchaînée, elle s'est mise à se moquer de moi. Elle m'a dit : « Tu vois, pauvre fou, elle est comme les autres, c'est une déception. Je te l'avais dit, elle n'en valait pas la peine. »

- Qui est Eloise ? Je questionne pour gagner du temps, mais il n'est pas dupe, il est sur ses gardes à présent. Il saisit l'une des cordes suspendues au poutre et l'enroule autour de mes chevilles en faisant des nœuds si serrés qu'ils me coupent la circulation sanguine.

- Eloise était mon bébé !

- Ta fille ?

- Non ! Il réplique avec rudesse, il s'éloigne et saisit une autre corde, il tire dessus, bandant ses muscles, je pousse un cri quand mon corps glisse brusquement sur le sol. Plus il tire, plus je lévite, je me retrouve la tête en bas. Tommaso continue à tirer à chaque mouvement, il doit inspirer profondément.

Merde, cette fois je suis vraiment dans la merde. J'ai réussi à l'énerver et il va me faire payer ce que j'ai fait mais aussi ce que cette Eloise a fait. Je comprends que je ne suis pas au bout de mon calvaire quand je me retrouve au-dessus de la barine d'acide. Je suis à quelques mètres au-dessus mais la chaleur est si intense que j'ai l'impression que la vapeur toxique me brûle le visage.

Tommaso tire encore sur la corde, m'éloignant de cette bouche de l'enfer. Mais combien de temps pourrais-je rester dans cette position avant de m'évanouir ?

- Eloise était ma sœur. Elle était belle et intelligente, juste comme toi. La tristesse dans sa voix m'interpelle. Encore une fois, peu importe le monstre qui est en face de moi, il aimait cette Eloise, et je dois utiliser cette carte.

Le bluff est autorisé au poker, mon cœur.

- Que lui est-il arrivé ?

Tommaso, de là où il est, me regarde les yeux levés au ciel. Je vois bien que maintenir la corde immobile lui demande beaucoup d'efforts. C'est lourd, et s'il lâche, je finis la tête la première dans une cuve d'acide brûlant.

- Elle est morte. Il répond dans un éclat de rire. Elle avait tout pour réussir, elle m'avait moi, j'étais tout pour elle, mais elle a choisi d'écarter les jambes pour le premier venu et est tombée enceinte. Elle est morte.

Écarter les jambes ? C'est un terme dont seuls les hommes ont le secret, pour rabaisser les femmes, ramenant l'acte d'amour à un acte sale et indigne. Paradoxalement, un homme qui soumet une femme de force ne subit pas la même humiliation, comme si le viol n'était pas sale et humiliant.

Il relâche brusquement la corde. Je pousse un hurlement quand mon corps est attiré vers le bas. Quelques mèches de mes cheveux fondent quand elles entrent en contact avec le liquide verdâtre, comme pour me donner un aperçu de ce qui m'attend. Tommaso éclate d'un rire joyeux en agrippant la corde et tire dessus avec énergie pour me faire remonter.

- C'était une blague, calme-toi. Eloise a hurlé exactement comme toi quand je l'ai conduite dans cette forêt. J'ai tué Billy Saint, je n'oublierai jamais la douleur sur son visage. Elle m'a regardé avec haine parce que j'avais tué l'homme qu'elle aimait. C'était moi, oui, moi l'homme qu'elle aimait. C'est moi qu'elle devait aimer !

J'ai travaillé dur pour elle, j'ai fait tout pour devenir un homme meilleur, tout ça pourquoi ? Pour qu'elle me préfère à un imbécile qui ne la respectait tellement pas qu'il la baisait à l'arrière d'une Coccinelle cahoteuse.

Il l'a tuée. Mais je n'ose pas le dire. Je suis persuadée que si je franchis cette limite, il lâchera la corde. Il faut que je cherche mes mots pour sortir de cette situation.

- C'est pour ça que tu cherches à me sauver ?

- Oui. Tu es la réincarnation d'Eloise, et aucun homme ne te mérite. La preuve, Franco disait t'aimer mais il n'a pas hésité à te droguer. On ne viole pas la femme qu'on aime. Je l'ai tuée pour toi et Riccardo. J'avais bon espoir qu'il t'aimait, qu'il te respecterait, mais il t'a conduite au cimetière. Il te considère exactement comme les autres. Nathan t'a trompée avec ta sœur, Adrian Jr a conduit le malheur à ta porte. Ils ont tous détruit ta vie d'une manière ou d'une autre. Mais moi, moi Gayle, je n'ai jamais arrêté de te protéger, je n'ai jamais arrêté de te protéger.

- C'est toi qui as tué le danseur ?

- Oui, de sa main libre, il se gratte le nez. Il t'a touchée, il méritait ce qui lui arrive.

Bon sang, Riccardo m'avait juré qu'il n'avait rien fait, mais une part de moi ne voulait pas le croire.

- Qu'est-ce que tu attends de moi ? J'ai du mal à croire que tu as fait tout ça pour rien.

Tommaso prend une inspiration, il tire sur le col de sa soutane.

- Tu es le dernier sacrifice. Un soir, je priais pour l'âme de ma sœur, et une voix m'est apparue. Elle m'a dit que si je voulais sauver ma sœur des flammes de l'enfer, je devais sacrifier cinq filles qui lui ressemblent.

Je ne sais pas s'il l'a remarqué, mais sa voix est essoufflée. Il prend toujours une inspiration entre ses mots. Il a du mal à respirer.

Une lueur d'espoire renaît en moi.

- La voix t'a demandé de me plonger dans l'acide ?

- Non... Ton corps doit être en parfait état pour que ça marche. Mon Dieu, qu'est-ce que j'ai fait ? Ton corps doit être en parfait état pour que ça marche. Il faut que je suive les règles, ceux qui brisent les règles sont des pécheurs destinés à la damnation.

Il tire la corde vers lui. Je ferme les yeux de soulagement quand mon visage s'éloigne de la cuve d'acide. Tommaso relâche ensuite et je plonge vers le bas. Par chance, il me rattrape en marmonnant.

- Je te tiens, je te tiens !

Il me laisse doucement tomber sur le sol. Il caresse mes cheveux avec un sourire rassurant puis il détache mes chevilles avant de me soulever à nouveau et de se lever pour me poser sur le lit.

Je devrais être soulagée que le Tommaso gentil soit revenu, mais ce n'est qu'une question de temps avant les épisodes de folie.

- Déshabille-toi, je vais te nettoyer. Il éclate de rire quand j'ouvre de grands yeux.

- Ne fais pas cette tête, mon bébé, c'est toujours moi qui te donne ton bain.

Je me rappelle qu'il me considère comme sa sœur. Tommaso a construit toute sa vie autour de cette dernière et je crois bien que c'est la mort tragique d'Eloise qui l'a rendu comme ça.

Joue le jeu, Gayle.

- Mais tu sembles oublier que je ne suis plus une petite fille.

- Tu seras toujours une petite fille à mes yeux. Dépêche-toi, intime-t-il avec une lueur malicieuse.

Au point où j'en suis, je me débarrasse de mon chemisier et de mon pantalon maculés de sang. Tommaso grimace en les remarquant, et moi, ma peur revient avec la force d'un boomerang.

- Je ne voulais pas te blesser.

- Tu n'as rien fait. Je suis une grande fille, c'est normal. Il hoche gravement la tête, il s'éloigne et revient avec un seau et des serviettes. Il avait vraiment tout prévu. Depuis quand prépare-t-il ça ?

Je retire mes sous-vêtements et il entreprend de faire ma toilette. Le lit est tâché de sang, mais ça ne semble pas le déranger. Je frissonne quand il passe la serviette humide sur mon visage, mon cou, ma poitrine. Il la plonge dans l'eau et recommence, cette fois sur mes bras, mon ventre, puis mes jambes, avant de nettoyer mes cheveux avec acharnement. Durant toute l'opération, il récite des cantiques d'une voix grave.

Il jette la serviette dans l'eau et s'éloigne pour revenir avec une tunique blanche soigneusement pliée et une bouteille contenant de l'huile. Sans s'arrêter de fredonner, Tommaso m'en badigeonne le corps. Une délicate odeur de vanille s'élève dans l'air, se mélangeant à l'odeur de l'acide et celle du soufre. Cet endroit est pire qu'un fumoir.

- Lève les bras, Eloise. J'obéis, trop heureuse d'être enfin couverte. Il passe les manches de la tunique à travers mes bras et l'abaisse.

- Tu es parfaite, maintenant. Tu es prête.

- Que dois-je faire à présent ?

- Tu vas te coucher sur le lit et je vais t'attacher avec la sangle. Mais ne t'inquiète pas, c'est nécessaire, mais je ne te ferai pas mal. Tu as peur ?

- Oui.

- Non, tu ne dois pas. Tu ne seras pas seule, je compte faire ce voyage avec toi.

Il compte se suicider, j'en suis sûr, il est arrivé au bout de sa mission. À chaque fois que j'étais confronté à lui et que je m'en sortais indemne, je me demandais pourquoi. Mais maintenant, je sais, Tommaso suivait une chronologie à suivre.

- D'accord. Il sourit rassuré en secouant la tête, les paupières closes. Il souffre.

- Tu vas rester couché... et... je vais prier... Je te donnerai en sacrifice à cette divinité...

- Qu'est-ce qui se passe, frangin ? Tu as du mal à respirer, ta vision se brouille, ta langue est lourde, ce qui fait que tu as du mal à parler. Tu as du mal à respirer, pas vrai ?

Il hoche la tête, en reculant légèrement pour aller vers la statue humanoïde.

- Oui, mais ça va. Tu sais, le travail que je fais à l'usine est affligeant.

Il parle au passé, Dylan, l'usine, Eloïse. À la fin de sa vie, il cherche à se raccrocher aux seules périodes de son excistence durant lesquelles il a connu du bonheur ?

- Tu es sûr, je raille. Tu as des fourmis dans les pieds et dans les mains.

- Oui, mais attends une minute, comment tu le sais ?

- Je sais beaucoup de choses, comme par exemple que dans quelques minutes, tu seras incapable de bouger, tu vas voir, sentir, mais tu seras incapable de lever le petit doigt. Et je sais aussi que c'est quelqu'un en qui tu as une confiance aveugle qui t'a mis dans cet état.

Il porte la main à son cœur, en inspirant pour remplir ses poumons d'air.

- Je ne sens plus mes pieds, ni mes mains, j'ai mal, qu'est-ce qui m'arrive ? Qu'est-ce que tu m'as fait ?

- Je ne t'ai absolument rien fait, mais fais travailler ta mémoire, Tommaso, et tu comprendras. Le chasseur est en train de devenir la proie et vicieuse est la proie qui à soif de vengeance.

- Je ne serai jamais la proie de personne.

- Tu te trompes, il y a longtemps que tu n'es plus le maître de ce jeu, mais tu étais trop aveuglé par ton orgueil démesuré pour te rendre compte que la donne a changé. Et tu t'es trompé en mettant Riccardo dans le même panier que Franco et Leblanc.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Je roule sur le lit en souriant de tout mes dents.

- Cher frère, tu t'ai fait enculé !
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Coucou les amies !!!
Bon après avoir eu une conversation très philosophe avec balloooouns sur la mafia, j'ai décidé de modifier le chapitre précédent celui sur Stella. Pour retirer la partie poison. J'ai modifié le chapitre, en reecrivant certains passages.

Je sais pas si vous l'avez remarqué mais je met l'heure à chaque partie de ce chapitre parce que les événements se déroule durant une seule nuit et elles sont complémentaires.

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