Gayle
Il y a quelque chose qui bat à intervalle régulier dans mon crâne. Le bruit varie entre le boom boom et le bang bang. C'est horrible, j'ai terriblement mal. J'ouvre les yeux pour les refermer aussitôt ; avec la lumière, c'est encore pire.
Je me redresse en grimaçant. Pourquoi ma bouche est-elle aussi pâteuse ? J'ouvre lentement les yeux. Il faut que je fasse pipi et que je me brosse les dents, mais qu'est-ce que j'ai fait pour avoir autant mal au crâne ?
Mes pieds s'enfoncent dans une douce moquette à mesure que je me dirige vers la salle de bain. J'étouffe un bâillement et me gratte la cuisse avant de me figer.
Minute ! Où suis-je ? Je regarde la chambre une seconde fois, plus attentivement. C'est une pièce toute simple avec des murs peints en brun, un lit à baldaquin aux draps blancs, de la moquette, une armoire, une table de chevet sur laquelle est posée une lampe et une bouteille d'eau. Il y a près de la porte un vase posé sur un support en marbre ; les fleurs à l'intérieur du vase me glacent le sang. Ce sont des dahlias. À une époque, c'étaient mes fleurs préférées avec les orchidées violettes, mais depuis que ce monstre de Jawad a tué ma mère pour remplacer ses yeux par des dahlias, je ne les supporte plus en peinture.
Je me gratte la cuisse sans quitter les fleurs des yeux. Où suis-je ? La veille, j'ai eu une altercation avec Riccardo. Bordel, non, je n'ai pas eu une altercation avec Riccardo ; il m'a trompée en me faisant croire qu'il croyait à ma version des faits avant de me droguer et de me mettre dans un cercueil. Je me souviens très clairement qu'il a refermé la boîte et a commencé à la recouvrir de sable, après c'est le trou noir. Comment suis-je arrivée ici ? C'est lui qui m'a sortie de la boîte ? Dans ce cas, où est-il ? Pourquoi je ne reconnais pas cet endroit ?
Dans la salle de bain, juste à côté du lavabo, des vêtements sont roulés en boule. Ceux que j'ai enfilés quand nous devions sortir. J'aurais dû voir qu'ils étaient bizarres ; je suis vraiment une idiote d'avoir confiance en lui à ce point. Des larmes commencent à me piquer les yeux, mais je refuse de pleurer pour ce que cet imbécile a fait. Un malheur de plus ou de moins, l'essentiel c'est que je sois vivante.
Je me gratte à nouveau la cuisse et m'asperge le visage d'eau. Je trouve une brosse à dents neuve dans les placards du lavabo. Il y a même des serviettes, avec le nom de l'hôtel brodé en fil argenté.
Je suis assez rassurée de savoir que je suis dans un hôtel, mais comment ai-je atterri ici ?
Je me fige soudain en remarquant quelque chose. Je baisse les yeux sur ma cuisse avant de pousser un cri. Bordel, pourquoi ai-je un tatouage à l'intérieur de la cuisse ? Je laisse courir mes doigts sur le dessin ; il y a comme une matière blanchâtre qui a séché sur ma peau. Merde, qu'est-ce que c'est ?
J'asperge ma cuisse d'eau pour nettoyer la matière blanchâtre qui a séché. Ça me dégoûte. C'est un produit pour éviter que les tatouages s'infectent ? Mais putain, pourquoi je ne me souviens de rien ?
Qui m'a fait ça ? C'est Riccardo ? Mais ça n'a aucun sens ; il m'aurait enterrée vivante, déterrée puis tatouée. ça n'a ni queue ni tête, merde.
Une image se fraye un chemin dans ma tête : un homme qui me soulève pour me sortir d'une voiture ; il a des cheveux blonds, non, ils sont blancs. Je suis sûre.
Une croix, un illuminé qui passe son temps à parler de religion, à prêcher le bien.
Je tressaille et la serviette m'échappe des mains. Mes pieds se mettent en mouvement et je sors de la salle de bain, je regarde autour de moi sans comprendre.
Oh putain, cette matière visqueuse sur ma cuisse, ce n'était pas un produit contre l'infection. Mon estomac se retourne brusquement ; je retourne dans la salle de bain et je vide le contenu de mon estomac dans les toilettes. La nausée est trop forte quand je me rends compte que c'est sûrement le sperme de Tommaso que je viens de nettoyer. Je reste penchée au-dessus de la cuvette jusqu'à ce que mes contractions n'apportent plus rien. Je me brosse les dents.
Il faut que je sorte d'ici. Et si la porte est fermée à clé ? Je me précipite vers celle-ci ; un énorme sourire franchit mes lèvres. Je me mets à courir, avec un sentiment de panique comme s'il y avait quelqu'un à ma poursuite.
Je pénètre dans l'ascenseur, qui est déjà occupé par une femme ronde portant un uniforme bleu. Elle me demande si ça va, je me contente de hocher la tête. Ce n'est qu'une fois dans le hall que je remarque que je n'ai pas de chaussures. Je résiste plusieurs fois à la tentation de me gratter l'intérieur de la cuisse ; ça brûle, c'est horrible !
– Bonjour, j'ai passé la nuit ici, je...
Le jeune réceptionniste me coupe avec un sourire professionnel.
– J'espère que vous avez passé une bonne nuit. Avez-vous besoin de quelque chose ?
– Oui, je ne me souviens de rien. Pouvez-vous me dire si je suis venue ici avec quelqu'un ? J'étais dans la chambre 301.
Son sourire disparaît instantanément.
– Oui, vous étiez ici avec un homme. Il a réglé la note et il est parti. Il nous a demandé de bien prendre soin de vous et de vous livrer le petit-déjeuner dès que vous vous réveilleriez.
– Comment s'appelle cet homme ? À quoi il ressemble ? Mieux, j'aimerais voir les images de la vidéosurveillance. Non, de la caméra de surveillance. Je merde, je ne me souviens de rien.
– Écoutez, madame, je ne peux pas vous donner d'informations personnelles sur un client.
– Quoi ? Vous ne comprenez pas ! Je ne me souviens de rien !
Il regarde autour de lui. Je me rends alors compte que j'ai hurlé, attirant l'attention sur nous. Le jeune réceptionniste me lance un regard lamentable, comme s'il se disait : « Il fallait que ça arrive pendant mon service. »
– Calmez-vous, je vais appeler le manager, il pourra vous aider. Je hoche la tête en me rangeant l'ongle du pouce. Confidentialité, mon œil ! J'ai le droit de connaître son nom. Je suis persuadée que c'est Dominguez, mais si c'est vraiment lui, pourquoi suis-je encore ici ?
Merde, quel casse-tête ! Ce type, qu'est-ce qu'il me veut à la fin ? Je serre mes cuisses l'une contre l'autre ; je ne sens aucun inconfort. S'il m'avait violée, je l'aurais senti ! Non, il n'a rien fait ! Mais alors pourquoi ai-je son sperme séché sur moi ?
C'est exactement ce qu'il veut : semer le doute en moi, me rendre complètement folle. Eh bien, il a réussi. Je suis tellement perdue que le coup de Riccardo n'est plus que le cadet de mes soucis.
L'ascenseur s'ouvre dans un clic métallique et un petit homme mince s'en extirpe. Il porte un costume gris et c'est d'un pas conquérant qu'il se dirige vers le comptoir en verre de la réception. Ses yeux parcourent ma tenue : la chemise qui dévoile mes jambes, mes seins dont les tétons pointent parce que je n'ai pas de soutien-gorge. Je vois le jugement dans son regard, le dédain aussi. Il doit sûrement me prendre pour une prostituée qui cherche des problèmes. Manager ou pas, ce n'est pas avec ce type que j'obtiendrai de l'aide.
– Bonjour, je suis Stevens Lelouch, le directeur de l'hôtel. Je lui serre la main à contrecœur.
– Gayle.
– Venez, nous allons parler dans mon bureau. Inutile de faire un scandale et de déranger les autres clients.
Je n'apprécie pas du tout le ton que prend ce type !
Dans son bureau, il me propose un verre que je décline. Je veux de l'aspirine et du café, mais surtout, je veux des réponses. Dès qu'il s'installe en face de moi, je lui répète ce que j'ai dit à son employé.
– J'entends ce que vous me dites, mais la politique de l'hôtel doit être respectée. Je ne peux pas vous montrer les enregistrements des caméras de surveillance. Je ne demande même pas à obtenir son nom ; Dominguez n'est pas assez bête pour s'enregistrer ici sous sa vraie identité.
– J'ai été kidnappée, je ne suis pas venue ici de mon plein gré. Je ne me souviens absolument de rien, vous ne comprenez pas ?
– Dans ce cas, portez plainte. Si la police ouvre une enquête, c'est avec plaisir que nous allons coopérer.
La police ? Ah merde, c'est absolument hors de question. Si je mêle la police à ma vie, je serai en prison moi et tout le membre de la Cosa Nostra. Quelle vie ! La police me fait plus peur que les tueurs sanguinaires qui jalonnent ma vie quotidienne.
Toi aussi, tu es une tueuse sanguinaire...
– Je comprends. Pourrais-je avoir de l'aspirine ?
– Bien sûr.
– Pourrais-je au moins avoir son nom ? Pour ma plainte ? Il est clairement réticent ; cet homme ne veut pas de scandale au sein de son hôtel.
Je me force à me calmer ; il fait juste son travail. Il pose les comprimés d'aspirine sur la table avec un verre d'eau avant de consulter son ordinateur.
– Il s'est enregistré sous le patronyme de Billy Saint. J'écarquille les yeux, mes oreilles se mettent à siffler. Bordel de merde, plus de doute, maintenant j'ai vraiment passé la nuit avec Dominguez.
– Vous permettez que je passe un coup de fil ? J'aimerais demander à ma sœur de venir me chercher.
– Naturellement.
Ses manières poudrées et son ton me tapent sur le système. Je prends le médicament et vide le verre d'un trait avant de composer le numéro de Cass. Pas question de rentrer chez moi et de retrouver le démon. C'est fini cette fois, il a dépassé les bornes ; je ne pourrais jamais lui pardonner ça.
– Oui, allô, quoi encore ?
– Cass, c'est moi, dis-je d'une petite voix, je me sens soudain vulnérable, stupide et fragile.
– Gayle ? Gayle, tu vas bien ?
– Je n'en sais rien, tu peux venir me chercher ?
– Il t'a libérée ?
Je fronce les sourcils, Cass dit quelque chose que je n'entends pas, j'entends plusieurs voix ; merde, ils sont tous ensemble. Je me passe une main lasse sur le visage, résistant à l'envie de pleurer. Le regard plein de pitié que me lance Stevens machin-chose achève de me déprimer. Je préfère encore quand il me regardait avec animosité.
– Dis-moi où tu es, j'arrive tout de suite !
– Je suis..., je regarde le manager qui me communique l'adresse. Cass vient seule, je ne veux voir personne, s'il te plaît. Je n'ai pas la force de répondre aux questions, ni de voir qui que ce soit.
– Compte sur moi, je serai sur place dans 20 minutes. Elle raccroche et je rends son iPhone à Stevens.
– Vous avez besoin de quelque chose ? Sa voix s'est adoucie ; je grimace, c'est de pire en pire. Il me prend enfin au sérieux.
Je suis morte de peur. Pourquoi suis-je encore vivante ? S'il m'a eue une nuit entière, pourquoi ne m'a-t-il pas tuée ? Son but est-il de me faire comprendre que je ne suis pas à l'abri, qu'il peut faire ce qu'il veut de moi ? Il joue avec moi comme un chat avec une souris.
À part le tatouage, que m'a-t-il fait ? Je frissonne.
– J'aimerais prendre un bain.
Le manager hoche la tête.
– Vous pouvez utiliser ma salle de bain. Je vais demander à une femme de chambre de vous apporter des vêtements et une bonne tasse de café.
Je hoche la tête. D'un pas conquérant, il ouvre une pièce que je n'avais pas remarquée : une salle de bain attenante au bureau.
– Je vais vous laisser, mademoiselle. Et si vous portez plainte, nous aiderons la police à faire la lumière sur cette affaire ; vous avez ma parole. Je me force à sourire au petit homme.
– Merci.
Pourquoi suis-je encore vivante ? Cette question me rend complètement dingue.
Je enclenche le verrou de la salle de bain avant de me débarrasser de ma chemise. Je me glisse sous la douche italienne et règle l'eau aussi chaude que je peux la supporter. Elle me brûle la peau, mais ce n'est pas suffisant ; ce ne sera jamais suffisant pour purifier mon cœur et mon âme. J'ai la sensation d'avoir été souillée. Je me frotte les cuisses en poussant un petit hurlement ; le tatouage me fait un mal de chien. Je hurle encore plus fort en m'acharnant sur lui. Je veux qu'il disparaisse. Je veux que tout ce qui a un rapport avec cette nuit disparaisse, comme mes souvenirs.
Après Leblanc, je m'étais juré qu'aucun homme ne me toucherait plus contre ma volonté. Mais il y a eu Franco et cette nuit Dominguez a fait ce qu'il voulait de moi.
Je me force à ne pas penser à ce que Riccardo m'a fait parce que si je laisse ces souvenirs m'envahir, je vais m'effondrer. Il faut que je sois forte.
L'employée de Stevens, une femme ronde aux cheveux bruns, m'apporte une robe et une veste. Elle s'excuse de ne pas avoir trouvé de chaussures parmi les affaires laissées par les clients à l'hôtel.
Cass met une demi-heure à arriver. Quand elle pénètre dans le hall de l'hôtel, j'en suis à ma deuxième tasse de café et je tremble de froid, malgré la chaleur du hall.
– Gayle, tu nous as fait une de ces peurs ! Tu es frigorifiée. Qu'est-ce qui s'est passé entre Riccardo et toi ? Il a reçu l'appel de Dominguez et n'a pas levé le petit doigt. Pire, il s'est affiché avec Rebecca hier au Point ; je crois qu'ils se sont remis ensemble.
J'en prends un coup. À quoi je m'attendaisaprès tout ? Il m'a foutue dans le cercueil appartenant à Rebecca.
– On s'est séparés.
– Quoi ? Mais ce n'est pas possible, il t'aime.
– Non, il aimait l'image qu'il s'était faite de moi. On peut rentrer, je veux dormir.
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