Gayle

C'était la folie dans les rues. Pourtant, Tara m'avait prévenue de ne pas sortir, mais j'y suis allée parce qu'il me fallait absolument un manuel sur la psychologie criminelle et infantile. Comme Riccardo ne veut pas me donner de réponses, je vais chercher là où j'ai toujours trouvé ce que je voulais : dans les livres. J'ai certes eu ce que je voulais, mais à quel prix ?

James et moi avons été bloqués une heure dans les bouchons, il y avait des supporters de l'équipe nationale d'Italie partout. J'ai encore l'impression d'entendre scander l'hymne et les coups de klaxon qui résonnent en echo. Mais rien n'est pire que l'état dans lequel je trouve la chambre.

– Mais putain, je vais le tuer, Riccardo !

Je sors de la salle de bain en trombe, les poings serrés. Je vais me le faire.

– Tara, tu n'aurais pas vu le démon ?

– Les démons, tu veux dire ? Il est dans le cinéma avec Luca.

– Il y a un cinéma dans cette baraque ? Tara a un petit rire, une délicieuse odeur de pop-corn embaume l'air, le poulet qu'on a fait ensemble est sur le plan de travail, on dirait qu'il me fait des appels de phares.

– Il y a même une salle de sport, mais seuls les garçons l'utilisent. Elle m'indique le chemin. Je vis pratiquement ici, mais je n'ai jamais visité pour connaître tout ce que cette villa abrite. Peu importe, j'ai des choses plus importantes en tête pour l'instant. Je me dépêche de les rejoindre, Luca et le démon dans la même pièce, c'est souvent synonyme de catastrophe.

– Riccardo Antonio Gaviera !

Suite à mon intrusion, Luca sursaute et lâche l'échelle. Riccardo, qui était perché au sommet, manque de tomber, mais se retient de justesse en envoyant un coup de pied à Luca suivi d'un chapelet de jurons.

Mais qu'est-ce qu'ils fabriquent encore ?

– Salut, ma petite étoile. Luca fait mine de vomir. Je croise les bras et le fixe, il n'est pas question que je me laisse attendrir. Il regarde son meilleur ami, la tête penchée sur le côté.

– Je sens que je vais avoir des problèmes.

– Oui, et pas qu'un peu. Moi, je vais arroser mes chats, déclare Luca avant de sortir en riant.

– Tu es rentrée ??

– Ça ne se voit pas ?

– Tu sais, il y a un savant qui a fait une étude et prouvé que les beaux gosses ne devraient pas avoir de problèmes. Les ennuis sont pour les gens moches et misérables comme toi !

– Tes études à deux balles, tu les inventes tout seul. Tu n'es qu'un clochard ! Tu vas me rendre chèvre. Tu n'as pas baissé la lunette des toilettes, ta serviette est près du lavabo, et tu as foutu de l'eau partout. Je ne suis pas ta boniche. Il fait mine de réfléchir avant de descendre de l'échelle.

– Ah, les femmes, tu as enterré tout ce que j'ai fait de bien. Un rire nerveux m'échappe, mais il se moque de moi ?

– Mais tu n'as rien fait de bien, tu as laissé le dressing en bordel, la salle de bain aussi, et tu n'as même pas fait le lit.

– J'ai tiré la chasse. Il a l'air tellement sérieux qu'on éclate de rire au bout de quelques secondes à se regarder dans le blanc des yeux.

– Je te déteste, dis-je entre deux hoquets. Non, mais tu te payes ma tête en plus. Tirer la chasse ? Je devrais te donner une médaille peut-être ?

– D'ailleurs, parlons de toi, je trouve tes cheveux partout ! Je pose les mains sur mes hanches.

– Ah oui, où ?

– Sur ta brosse à cheveux, par exemple. Je me passe la main sur le visage.

– Tu as trouvé mes cheveux sur ma brosse à cheveux, c'est comme si tu me disais que tu as trouvé de l'eau dans l'océan ou du sable dans le Sahara. Tu dois toujours avoir le dernier mot, n'est-ce pas ? Je me demande pourquoi je perds mon temps à argumenter avec toi. La prochaine fois que tu laisses la suite dans cet état, tu te trouves une autre maison.

Il soupire, je vois bien qu'il se retient de rire. Et moi aussi, ma colère est partie à la seconde où je l'ai vu. Il comble la distance qui nous sépare et me prend dans ses bras.

– Je suis désolé, ça ne se reproduira plus. Mais aujourd'hui, c'est un grand jour.

J'arque un sourcil.

– Quoi, tu retournes en enfer ?

– HA HA, l'humour des femmes. Viens m'aider.

– Arrête de me donner des ordres. Il me fourre un bout de tissu dans les mains que j'identifie comme le drapeau de l'Italie. Je regarde autour de moi pour me rendre compte qu'il y a des décorations en rapport avec l'équipe du pays partout.

– Nous allons battre la Suisse ! s'écrie Riccardo avec une grande conviction.

– Nous ? Je ne suis pas italienne. Son drapeau à la main, je grimpe sur l'échelle pour l'accrocher sur le seul côté vierge de décoration du mur.

– Pas encore. Mais dès que tu seras ma femme, tu changes de nationalité. Je lève les yeux au ciel, l'échelle tangue dangereusement. Riccardo pose les mains sur mes fesses pour me retenir.

– Je te tiens !

– Tu devrais tenir l'échelle.

– Hm. Je suis bien là. Je décide de ne pas argumenter, ça ne nous mène jamais nulle part de toute façon.

Il me passe des punaises avant qu'on fasse le reste de la décoration.

– Faisons un pari, déclare le démon en grimpant de l'autre côté de l'échelle. Je lui fais face. C'est fou, mais je sais déjà ce qu'il va me demander.

– Laisse-moi deviner, si l'Italie gagne, on couche ensemble ? Il hoche vigoureusement la tête.

– Oui ! Je plonge mes yeux dans les siens avant de me rapprocher. L'échelle tangue, supportant difficilement notre poids.

– Il n'est pas question que je couche avec un homme qui ne baisse pas la lunette des toilettes.

– Tu as vraiment le don de ruiner les moments romantiques. Très bien, je m'engage à ne plus foutre le bordel dans la chambre. Mais tu dois bien reconnaître que le désordre d'aujourd'hui était à titre exceptionnel.

J'avoue qu'en général, il est maniaque. Mais certainement pas autant que moi, j'ai du mal à dormir quand tout n'est pas parfaitement rangé.

– Très bien, pari tenu. Si ton équipe perd, je gagne quoi ? Il retire son tee-shirt qu'il jette à travers la pièce avant de contracter les muscles de ses bras et de son ventre.

– Tu gagnes ce corps magnifique.

Mais quelle espèce de fanfaron ! Je me retiens d'une main, je pose l'autre sur ses abdos qui se contractent à mon contact. Mon corps s'humidifie d'anticipation.

– Ce corps est déjà à moi.

– Pas encore, murmure Riccardo d'une voix rauque en tirant sur mes cheveux pour exposer mon cou. Je gémis quand il frotte sa barbe contre ma peau, y provoquant des picotements et un tsunami dans tout mon corps.

– Tu es tellement belle, j'ai du mal à croire que tu es à moi. Tu sais qu'avant toi, je ne croyais pas aux miracles ?

– Aux miracles ?

– Je croyais que les anges n'existaient qu'au paradis, mais dans mon enfer, j'en ai trouvé un.

Une émotion indescriptible alourdit mon cœur, qui se met à battre beaucoup trop vite. Je m'éclaircis la gorge pour pouvoir déclarer.

– Je ne suis pas sûre d'être un ange. Les anges sont parfaits, moi, je suis… compliquée.

– Encore heureux. Ton petit côté démoniaque est une chose créée par ton cerveau pour t'adapter à la situation. Il se montre du doigt.

– C'est toi, la situation ?

– Une situation pas facile à gérer mais foutrement sexy, tu en as de la chance. Je roule des yeux, on ne l'arrête plus une fois qu'il est lancé.

Il retire la cigarette de sa bouche et se rapproche de moi. Je déglutis, fermant légèrement les yeux parce que je sais ce qui va arriver et je l'attends avec impatience.

– Excusez-moi. On se tourne vers l'entrée, Riccardo écarquille les yeux et il me fourre sa cigarette dans la bouche avant de descendre.

– Monsieur Attal !

– Papa !

Je descends à mon tour, mon père entre dans le cinéma, le démon frappe dans ses mains et le reste des lumières s'allument.

– Ma puce, depuis quand tu fumes ?

– Quoi ! Je regarde la clope entre mes doigts sans comprendre. Bordel, il m'a bien eue, ce menteur avait dit à mon père qu'il avait arrêté de fumer. Riccardo est vraiment trop fourbe.

– C'était à Riccardo !

– Le mensonge est un très vilain défaut, petite serveuse. Riccardo, la mine impassible, lui serre la main. Il s'est métamorphosé, c'est fascinant, presque effrayant de le voir remettre le masque qu'il met en société. Le visage et le comportement qu'il montre au monde et qu'il met de côté dès que je suis seule avec lui.

– Merci d'avoir répondu à mon invitation. Et je tiens à ajouter un truc, s'il y a des feux de forêt, c'est elle. Gayle jette ses mégots partout.

Un cri d'indignation m'échappe.

– Cette fois, tu dépasses les bornes, je vais t'en foutre, moi, des feux de forêt. Je fonce dans sa direction, Riccardo se cache derrière mon père avant de sortir du cinéma en courant.

– Gayle, je commence vraiment à m'inquiéter de ton comportement. J'ai l'impression que tu as besoin d'une thérapie pour la gestion de la colère. Ta sœur, et maintenant ce pauvre Riccardo.

– Monsieur Attal, vous voyez avec quoi je dois vivre ? En plus, elle laisse la chambre en bordel chaque matin, je dois tout ranger !

– Sois maudit, tu n'es qu'un menteur.

***

Une heure plus tard, tous les invités du démon, à savoir son frère, Cass, Arya, Camille, ainsi que Dante et Bud, qui n’arrêtent pas de faire des commentaires pour sortir Riccardo de ses gonds, sont là.

– La télé est trop petite, dit Bud. Je lève les yeux au ciel.

– Elle prend tout le mur, Bud, tu es insupportable, marmonne Cass, qui s’est installée le plus loin possible de Giacomo. Ça me fait mal de voir la distance qui s’est installée entre eux. J’ai connu ces deux-là constamment main dans la main et très amoureux.

– Vous voulez du poulet ? propose Tara. Les garçons se mettent à lui hurler dessus quand elle passe devant l’écran. Tout le monde porte le maillot de l’Italie, même mon père. Malgré tous mes efforts, je n’ai pas pu y échapper. 
Riccardo était formel : soit je m’habille aux couleurs du pays, soit, je cite : « Je dis à l’immigration que tes papiers sont falsifiés. »

– Ça va, excusez-moi. Vous voulez du poulet, monsieur Attal ?

– Tara, sers ton poulet loin de l’écran. Elle fusille Luca du regard. Je la vois vider la sauce piquante dans le bol qu’elle pose à côté de lui. Avec la bière qu’il a, ça va être un mélange détonnant. 
J’adore, ça lui apprendra à s’adresser ainsi aux gens, tout ça à cause du foot. Non mais je rêve ! 
Tara va ensuite s’installer sur les genoux de son mari. Riccardo, une bière à la main, hurle sur un joueur qui, selon lui, a laissé passer une occasion. Moi, tout ce que je vois, c’est des hommes adultes courir derrière un ballon, autrement dit, je n’y comprends rien.

Je lève les yeux de mon livre le temps de regarder l’écran. Décidément, c’est un grimoire pour moi, alors je retourne à ma lecture. Il est assis par terre, dos à moi, j’ai les doigts dans ses cheveux et les jambes posées sur ses épaules. Oui, je le prends pour une table basse.

– Petite serveuse, poulet ! Il ordonne en claquant des doigts devant mon nez. 
J’allais l’insulter, mais papa est dans la pièce. À la place, je fourre le pilon cuit au charbon de bois dans la sauce piquante et le mets dans sa bouche.

– Putain, Tara, c’est trop épicé.

– Hé, c’est Gayle qui a fait le poulet.
– On ne peut rien attendre d’un peuple qui met des ananas sur les pizzas, marmonne Luca.

– C’est les Américains qui font ça, idiot. Sans vouloir me vanter, mon pays a la plus grande concentration de chefs étoilés !

– Tu ne crois pas si bien dire, commente papa, fier. Camille, depuis son siège, me fusille du regard, n’appréciant visiblement pas le commentaire que j’ai fait sur son pays.

– Peu importe, nous avons introduit dans le monde le soft et le hard power. Le monde est colonisé par l’Amérique.

– N’empêche, vous n’avez pas de gastronomie.

– Ce sont des idées reçues. Dans le Sud, nous avons plusieurs plats signature, et chaque année, des millions de personnes vont à New York manger des hamburgers.

– Que vous avez volés à l’Allemagne, rétorque mon père.

– Faute, mais il y a faute, merde. Je peux faire mieux si on me donne le ballon, s’écrie Riccardo. 

Je ris.

– Avec tes poumons ruinés par la nicotine, je doute que tu puisses faire quoi que ce soit. C’est à son tour de rire.

– La nuit avant d’aller en prison, je t’ai baisée sept fois. Si ça, ce n’est pas du cardio, je me rappelle même que tu avais du mal à marcher !

– Putain, tu veux un micro ?

– Ton père est sourd comme un pot. Aucun risque.

Il n’a pas tort, mais tout de même.

– Merde, Riccardo, tu es un vrai perroquet quand tu es avec ta meuf, commente Bud. Je me pince les lèvres avant de me pencher pour murmurer contre son oreille.

– Tu es bavard avec ta meuf ?

– Non, je le suis avec ma femme, parce qu’elle me permet d’être moi-même.

– Oh, c’est tellement gentil de me dire ça.

– Qui t’a dit que je parlais de toi ? Ma bouche forme un "O" parfait, il en profite pour y mettre le reste du poulet épicé qu’il n’a pas terminé.

– N’attrapez pas ma veste, mais l’Italie joue contre qui ? Tout le monde éclate de rire suite à la question d’Arya. Luca se prend le visage entre les mains en secouant la tête.

– Ne me regardez pas comme ça, je l’ai choisie pour son… Il s’interrompt en se rendant compte que papa est là, avant de poursuivre.

– Pour la taille de son cœur. Arya lui lance une frite qu’il attrape en plein vol et fourre dans sa bouche. Dante fait mine de vomir.

– Voilà l’exemple type d’une femme qu’il ne faut jamais épouser.

Évidemment, le commentaire de Bud fait rire les garçons, mais les filles s’énervent. La salle est remplie de cris, papa se ratatine sur son siège. Le pauvre, il doit avoir l’impression d’être dans un asile de fous. Je suis reconnaissante à Riccardo de l’avoir invité, mais si ça continue comme ça, il aura besoin d’une nouvelle transplantation cardiaque. 

Ils sont tous encore en train de s’écharper, Riccardo et moi faisons des commentaires pour rajouter de l’huile sur le feu, puis on les regarde se hurler dessus avec satisfaction. On se tape même dans la main, fiers de nous.

– Non, bordel ! Suite au hurlement de Dante, mon livre m’échappe des mains. La Suisse a réussi à marquer un but.

– Tu vois, Arya, c’est à cause de tes commentaires stupides qu’on est menés, attaque de nouveau Bud. C’est incroyable, ce mec n’en rate pas une.

– Ma faute ? C’est ma faute si l’Italie est nulle.

– Je ne te permets pas de dire ça, s’emporte Camille. Je te rappelle que nous sommes tenants du titre.

– Je tiens juste à préciser, Cam, que tu es américaine. Tu sais, le pays qui a colonisé le monde.

– Ferme-la, Gayle, va déjà renouveler ton titre de séjour.

– Hé !
– C’est Maradona ?

– Aryanna Rochi, tu n’es pas obligée de parler si tu n’as rien à dire, marmonne Giacomo en prenant une grande inspiration.

– C’est juste une question.

– Je suis sûr qu’elles ne savent même pas qui est Maradona, marmonne Luca.
Évidemment, la salle s’enflamme de nouveau.

– Tu es tellement misogyne, s’emporte Cassandre, qui a même rougi de colère. Elle est bientot au terme de sa grossesse mais sa patience s’est terminée depuis le premier mois.

– Ah, bah voyons, question rapide : qui est Maradona, Gayle ?

– Pourquoi tu me poses la question à moi ? C’est Arya qui fait des commentaires stupides.

– Je te pose la question parce que tu as un livre, tu dois être très cultivée.
– Oui, pornographiquement cultivée, déclare Riccardo le plus sérieusement du monde. Putain, je le hais.

– Vous êtes d’un ridicule.

– Contente-toi de répondre, apostrophe Bud avec ennui.

– Un joueur argentin, mort, célèbre pour avoir marqué un but avec sa main. La Mano de Dios.

Il plisse les yeux en direction de Riccardo, qui est parfaitement calme, comme si la conversation ne l’intéressait pas. Ce que Bud ne voit pas, en revanche, c’est le téléphone sur lequel Riccardo a noté la réponse au fur et à mesure.

– Je suis sûr que ton mec t’a soufflé la réponse.

– Oh pitié, s’emporte Cass, quelle mauvaise foi. Donc tu penses que les femmes ne savent rien du foot ?

– Les femmes connaissent un paquet sur le foot, vous non !

– J’en connais un paquet sur le foot, plus que toi, espèce de con, rétorque Cass, Bud éclate de rire.

– Cass, tu ne peux pas être enceinte et folle en même temps.

– Folle ? J’en connais un qui n’aura pas sa paye ce mois-ci.

Je laisse Bud et Cass se démêler et je me penche sur le démon, enroulant un bras autour de ses épaules. Il rejette légèrement la tête en arrière avec un sourire en coin.

– Tu sais que tu es sexy, toi ? J’ai envie de te dévorer. Il opine du chef avec une moue, ce mec adore les compliments. Mes lèvres se posent sur sa joue.

– Je le sais. Tu as beaucoup de chance. Je lèche le lobe de son oreille, avant de l’attirer entre mes dents.

– Je… Je n’ai jamais rien organisé ici, je n’ai même jamais invité mes amis. La fin de la phrase est brusque, comme s’il n’en revenait pas lui-même.

– Pourquoi ? Il hausse une épaule.

– Quand Cora est partie avec Giacomo, je suis venue vivre ici. J’étais seule avec Pedro, qui était mon garde du corps. C’était une maison, pas un foyer. Je ne m’y suis jamais sentie chez moi, et je ne voyais pas l’intérêt d’y faire venir des gens. Mais, tu es là maintenant. Je me suis dit que ça te ferait plaisir.

Je suis touchée qu’il cherche mon bonheur. Mais je ne veux pas être la seule à compter dans l’équation.

– Ça te fait plaisir à toi ? J’enveloppe ses joues et le pousse à me regarder. Sa tête se pose sur mes genoux, et mes cheveux tombent autour de nous comme un rideau qui nous protège du monde extérieur quand je me penche plus en avant.

– J’ai beaucoup hésité, et j’ai failli annuler à plusieurs reprises, mais oui, ça fait plaisir d’avoir des gens ici. Même si je risque de noyer Bud dans la piscine avant la fin de la soirée.

– Je suis fière de toi, champion. Merci de t’être confié à moi.

Et je suis sincère. Riccardo est le genre de personne à toujours fuir quand les choses virent au sentimentalisme. Et en ce qui concerne Bud, c’est Cass qui risque de le tuer.

– Ça compte vraiment pour toi, que je m’ouvre sur mon passé ?

– Oui, ça veut dire que tu me fais confiance et que tu veux compter sur moi.

– Hey, vous deux, prenez une chambre ! Je me redresse pour me rendre compte que tout le monde nous regarde. Luca est même en train de nous mitrailler avec son foutu téléphone. Il prend même un ton solennel avant de déclarer :

– Je suis Riccardo Gaviera, aucune fille ne me marchera dessus !

Je rêve ou il essaye d’imiter Riccardo ?

– Deux ans plus tard, il est transformé en table basse. Bud et Luca éclatent de rire en se tapant dans la main. Les autres se mêlent à l’hilarité générale à l’exception de Giacomo, j’ai l’impression qu’il est complètement à l’ouest.

– Les femmes, ça va, ça vient. Pourquoi laisser une te gâcher la vie ? ajoute Cassandre.

– Oh, sans oublier le classique : ne jamais passer plus d’une semaine avec la même femme, termine Dante en prenant la voix traînante de Riccardo. Ce dernier lève sa bière en faisant un doigt d’honneur à ses amis.

– Finalement, je veux bien du poulet, Tarra, déclare Bud quand le coup de sifflet final retentit. L’Italie a été éliminée par la Suisse 2 à 0 rien que ça !

– De toute façon, je suis Américain, commente Camille.

– Et moi, je suis Coréen. Marmonne Cassandre avec un haussement d’epaule.

– Je suis française.

– Je rêve ou en Italie, on a recueilli toute la misère du monde ? déclare Bud.

– Vous auriez dû recueillir des joueurs capables de marquer des buts, je lâche en éclatant de rire.

C’était la chose à ne pas dire. Les garçons s’énervent et Cass, Camille et moi recevons des projectiles de poulet sur la tête. Riccardo vide carrément le pop-corn sur moi.

– C’est pas ma faute si votre pays est nul.

– Tu veux qu’on parle des performances de la France ?

– Non, je préfère parler d’un certain narcissique qui a perdu un pari ! Je hurle en réussissant à sortir du cinéma en courant.

***

– Ils n’avaient aucune chance, murmure mon père sur le ton de la conspiration une heure plus tard, pour que Riccardo n’entende pas. Il est d’une humeur de chien, pas étonnant : il s’est beaucoup investi, et tout ça pour rien. 
Je me pince les lèvres pour ne pas sourire. Je n’ai pas envie de me prendre une balle. Riccardo marche à grands pas en direction de la voiture.

– Retire ce sourire de ton visage. Ils avaient une défense de merde, sinon nous aurions gagné. Papa se dépêche de pénétrer dans la voiture. Je suis sûre que c’est pour aller rire en paix. J’enroule les bras autour du cou de mon grincheux.

– Mais oui, je sais, ils avaient toutes les chances ! Mais ça arrive que les meilleurs perdent. Je masse légèrement les plis sur son front. 

– J’ai besoin d’une clope. Quelle équipe de merde, putain ! 

– Que dirais-tu d’un bon massage dès qu’on rentre ? Il arque un sourcil avant de sourire. À cet instant, j’ai l’impression que mon cœur vient de dégringoler dans mon ventre. Putain, je l’aime ! 

– Je vais peut-être me laisser convaincre. 

– Vous voulez autre chose pour oublier la défaite de ce soir, ô vénéré comte Dracula ? Je me mets sur la pointe des pieds alors qu’il presse le bas de mon dos. 
Son regard se fait malicieux. Oh, oh, Gayle, tu viens de réveiller le démon lubrique qui sommeillait en lui. Il se penche pour murmurer contre mon oreille : 

– Déjà, je veux que tu arrêtes de répéter le mot "défaite", tu aggraves mes ulcères. 

– Mais tu n’as pas d’ulcère. Autre chose, votre majesté ? 

– Je te veux à genoux. Je veux cette petite langue rose sur ma queue. Je veux tirer sur ta chevelure indomptable alors que ma queue remplit ta bouche. Je veux jouir dans ta bouche et que tu avales ma semence jusqu'à la dernière goutte. 

Il s’éloigne en direction de la voiture, me laissant dans l’incapacité de respirer. Une chose est sûre : ce qu’il veut est très clair.

– Riccardo, j’aimerais te parler. Giacomo passe à côté de moi sans un regard, laissant dans son sillage une odeur d’alcool. 

– Ça ne peut pas attendre ? Je dois déposer le vieux chez lui. 

– Gayle peut le faire. C’est urgent. 

– Je vais le faire. Vas-y. Riccardo secoue la tête. 

– Pas question, Gayle a la fâcheuse tendance à toujours se faire kidnapper quand elle est seule. Gia, je viendrai te voir plus tard. Il me donne une tape sur les fesses en m’ordonnant de monter.

Durant tout le trajet, les deux hommes parlent de foot, des équipes qui ont leurs chances pour la Coupe de l’Euro, et ils parlent encore et encore de pourquoi l’Italie n’a pas gagné. Comme je n’y comprends absolument rien, je ne me mêle pas de la conversation. Je suis assise à côté de mon père, la tête plongée dans mon téléphone. L’entente entre lui et Riccardo me fascine toujours autant. Je ne sais même pas comment elle s’est faite. Je suppose que le fait que mon compagnon soit un bon menteur est un plus. 
Je scrolle sur Instagram avant d’aller enregistrer des épingles sur Pinterest.

– Chérie, j’ai terminé ton livre. 
Oh, mon Dieu, non, pas ça. J’ai envie de sauter hors de la voiture. Je garde les yeux baissés comme si j’avais un contrat avec le sol. 

– Ah oui ? 

– Oui, ton travail sur la psychologie des personnages est remarquable. 

– Si vous voulez mon avis, elle a fait un travail remarquable dans tous les points de vue, position… je veux dire possible et imaginable… Mon visage s’enflamme davantage suite à l’intervention du démon. Lui et ses sous-entendus à peine voilés.

Les deux hommes éclatent de rire et ils se tapent même dans les mains. Non mais j’hallucine. 
Je les regarde, choquée. Ça m’arrange qu’ils s’entendent bien, mais au point de se liguer contre moi, ça, c’est inadmissible. 
Mais je suis incapable de dire quoi que ce soit : mon père a lu mon livre. La honte ! 
Je reçois une notification sur Instagram. Quelqu’un m’envoie une invitation par message. Je n’ai pas de compte à mon nom propre, juste un compte d’auteur. Ça doit sûrement être un lecteur. 
Mais en ouvrant le message, je me fige.

"Je te vois, j’ai toujours un œil sur toi. Sur ta vertu, sur ta vie. Parce qu’elle m’appartient."

Suivi d’une vidéo. Je l’ouvre, et je sens le feu de l’enfer se déverser sur moi avec la force d’un tsunami. Ma tête se met à tourner et j’ai envie de vomir. 
Dans la vidéo, j’ai une vision claire de moi et de Franco. Sur un lit, il est au-dessus de moi, en train de m’embrasser comme si sa vie en dépendait. Avec tout ce qui s’est passé ces dernières semaines, j’en avais oublié cette histoire. Cette vidéo est comme une claque qui me rappelle que chaque jour, la corde autour de mon cou se resserre.

Bordel de merde, j’ai les mains agrippées à son tee-shirt et les jambes arrimées autour de sa taille. Ma tête se met à tourner et je me dépêche d’éteindre mon téléphone. La vidéo fait plus de 10 minutes. Une dizaine de minutes qui mettent en avant la décision la plus stupide que j’ai prise de mon existence. Je suis incapable d’en regarder davantage. Mon Dieu, comme j’ai été stupide. 
Si seulement je pouvais retourner en arrière et renvoyer Franco et Rebecca se faire foutre. J’ai laissé cette dernière me déstabiliser avec ses mensonges et je me suis fait manipuler comme une débutante par le premier. 
Je ferme les yeux et me laisse aller contre le dossier du siège. Mon cœur bat beaucoup trop vite, j’ai envie de vomir. J’ouvre légèrement la vitre. 
Je sursaute quand mon téléphone vibre. Putain, je ne l’avais pas éteint ? Je regarde l’écran.

Compte Dracula

Ça va ?

Mon cœur se brise et mes yeux se remplissent de larmes malgré tous mes efforts pour les retenir. Je soulève les paupières pour croiser son regard dans le rétroviseur. 
Je hoche brièvement la tête avec un sourire, la gorge nouée. 
Je ne le mérite pas. Je me rends douloureusement compte que, malgré tous ces problèmes, Riccardo m’a toujours placée sur un piédestal que je ne mérite pas. Comment vais-je lui expliquer ça ? Je vais perdre le respect de la personne qui compte le plus pour moi.

La voiture s’arrête à un feu rouge. J’essaye de regarder partout sauf dans la direction de Riccardo. Le poids de la culpabilité me donne envie de vomir, je me sens minable, sale. Cette sensation est étrange, c’est maintenant que je prends enfin conscience de la gravité de ce qui s’est passé avec Franco. Je bouillonne littéralement de colère. Il m’a droguée et a failli prendre quelque chose que jamais je ne lui aurais donné de mon plein gré. Mais qu’est-ce qui m’est passé par la tête ce jour-là ? J’ai vraiment cru à son histoire de fiancée et de bague. 

Une voiture grise électrique vient s’arrêter juste à côté de nous. Comme la vitre de mon côté est baissée, celle de l’homme assis du côté passager l’est aussi. Un homme asiatique me regarde avec insistance, et tout le reste se passe comme dans un brouillard.

J’ai le temps de le voir soulever un bras qui tient une arme, et il la pointe dans ma direction. Je reste figée à cause du choc. J’entends un cri que j’identifie comme celui de papa, ou peut-être est-ce Riccardo ? Mon cerveau est incapable de déterminer à qui appartient la voix. 

Quelqu’un se jette sur moi pendant que le bruit des balles retentit dans la voiture. 

Je ne vois plus rien, mon père m’a poussée à terre et il pèse de tout son poids sur moi. J’essaie de le repousser, mais il ne bouge pas d’un iota. 
Je compte cinq coups de feu. Je ne réussis à repousser papa que quand la Bentley reprend la route dans un crissement de pneus pour s’éloigner du tireur. Autour de nous, le chaos sur l’autoroute est infernal. Les gens essayent de fuir les tirs, ce qui provoque des accidents. Une femme perd le contrôle de sa moto et va heurter un 4x4. 

Je regarde à l’extérieur, j’ai le temps de voir la voiture de nos attaquants faire demi-tour dans le chaos général qu’ils ont causé et s’enfoncer dans la circulation. Je me concentre sur la plaque d’immatriculation que je note mentalement. 

– Chérie, ça va ? J’ai un hoquet, comme si je revenais à la réalité après un bref cauchemar. Je regarde mon père, les yeux écarquillés ; il est affalé contre la banquette, les mains croisées sur le ventre.

– Merde, Riccardo, il a été touché ! Je hurle au comble du désespoir en me jetant sur mon père, dont le maillot de l’Italie commence à être écarlate. J’essaie de le prendre par les épaules pour le coucher plus confortablement, mais je reste figée quand ma main se recouvre de sang. C’est exactement comme dans mon rêve. Je prends plusieurs inspirations ; j’ai l’impression que ma respiration s’est bloquée dans ma poitrine. Je suis incapable de détourner mes yeux de mes mains tremblantes couvertes du sang de mon père.

– Gayle !

– Princesse, merde, écoute-moi. Retire ton tee-shirt et compresse sa blessure, il ne doit pas perdre de sang.

J’entends ce qu’il dit avec une clarté effrayante, mais je n’arrive pas à bouger. Mes mains rouges sont la seule chose dont j’arrive à prendre conscience.

Je revois Jawad, j’entends le tintement de la cloche quand il l’a soulevé, la tête de maman des Dahlia dans ses orbites, l’assiette d’Adrien le Blanc, sa viande saignante… Je dodeline la tête d’avant en arrière. Il a mangé ma mère. Il a mangé une partie d’elle comme un vulgaire steak et il m’a obligée à regarder. Ils m’ont obligée à regarder le moment exact où j’ai perdu foi en ce monde. Maman…

– Gayle ! Je reçois un coup sur la tête, je sursaute en regardant autour de moi.

– Réveille-toi, ce n’est pas le moment !

– Qu’est-ce que ?

– La blessure. Compresse-la ! ordonne sèchement Riccardo en conduisant comme un malade. Il roule tellement vite que les arbres ne sont plus qu’une masse uniforme ; le vent s’engouffre dans l’habitacle, faisant voler mes cheveux dans tous les sens.

Papa ! Je dois m’occuper de papa. Je retire mon tee-shirt et le roule en boule pour le presser sur la blessure qu’il a au ventre.

Je pose ma tête sur sa poitrine pour me rendre compte avec horreur qu’il ne respire plus.

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