Gayle
Par chance, le docteur Garcier habite dans le quartier résidentiel à 10 minutes de la maison sur la falaise où réside Giacomo. Quand on arrive devant la villa, Camille et Luca sont déjà sur place. Cette dernière tient un sac en cuir contenant tout ce qu’il lui faut pour faire un portrait-robot selon les informations que le médecin nous donnera, de gré ou de force.
J’ai un sifflement admiratif devant la villa blanche. J’aurais dû choisir la médecine à la fac ; j'ignorais qu’ils étaient aussi friqués. Riccardo, une main posée sur le bas de mon dos, s’est allume une cigarette et souffle sa fumée sur mon visage. Je suis sur qu'il le fait exprès !
Non, j’aurais dû choisir la psychologie criminelle, ne serait-ce que pour comprendre ce fléau.
– Putain Gayle, j’ai tellement de choses à te raconter… Camille est interrompue par le démon.
– Ça peut attendre, on a des choses plus importantes à faire.
– Putain, ces types sont d’un ennui, comment Arya et toi faites pour les supporter ?
– Une question à un million de dollars !
On se tourne vers les garçons qui se tapent dans la main en riant avant de dire d’une seule voix :
– On est beaux !
Camille et moi faisons comme si nous n’avions rien entendu. Ils nous précèdent dans la maison. Dès l’entrée, je trouve qu’il y a quelque chose de bizarre. Riccardo aussi doit le penser car il se métamorphose, se mettant dans la peau du personnage inquiétant que les autres me décrivent souvent. L’heure n’est plus à la rigolade, me fait comprendre ce brusque changement d’attitude ; je continue mon inspection.
Premièrement, il n’y a pas de gardien, et ni le portail en fer forgé de couleur or, ni la porte ne sont fermés à clé. J’essaie de mettre mes inquiétudes sous le compte de ma paranoïa, qui est devenue une seconde nature depuis la nuit où Adrien Jr s’en est pris à moi, mais je n’y arrive pas. À force de côtoyer le danger, mon corps apprend à le reconnaître.
– Il doit sacrément faire confiance à ses voisins, ce médecin, commente Camille qui marche à côté de moi. Elle en profite pour me montrer la photo de son nouveau copain.
– Ça ne va pas durer. Comme d’habitude.
– Pitié, si j’ai besoin de négativité dans ma vie, j’irai voir Arya. Je hausse les épaules. Des « copains », j’en ai vu défiler ; elle finit toujours par s’en débarrasser au bout de quelques jours, sans aucune explication qui plus est.
On emprunte un petit sentier bordé d’arbres. Le jardin du docteur Garcia est aménagé dans le style anglais. Dans un coin, il y a des arbustes taillés sous forme d’animaux. Comme le portail, la porte qui mène à l’intérieur de la maison est ouverte. Il règne en ces lieux un silence pesant. C’est comme si la villa n’était pas habitée.
– Vous êtes sûrs que nous sommes à la bonne adresse ? Je questionne en calant mon pas à ceux des garçons, nous évitant autant que possible de faire du bruit. Luca regarde son téléphone où est affiché Maps.
– Ouais, mais ce silence… C’est vraiment bizarre.
– En général, les riches ne font pas de bruit, dit Camille d’une voix discrète.
Luca et Riccardo, qui foncent toujours au-devant du danger sans réfléchir, ouvrent la porte, leurs armes dégainées. Ce calme m'angoisse. Il me rappelle le jour où j’ai mis feu à la maison de Dominguez. Je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était un piège. Mais d’un autre côté, comment pourrait-il nous piéger ? À part Riccardo et moi, seuls Luca, Camille et Bud savent que nous sommes à la recherche du médecin.
L’intérieur de la maison est aussi beau que l’extérieur et encore plus silencieux maintenant que nous sommes isolés des bruits extérieurs. Le calme devient angoissant ; ce silence et cette tranquillité ne me rassurent pas du tout. Au contraire, ils créent une tension palpable, presque menaçante. Tout dans cette immense maison est trop tranquille, à commencer par nous, trop immobiles, comme la prémonition de quelque chose de mauvais.
– Peut-être que ce n’est pas sa résidence principale, dit Camille en regardant un tableau accroché au mur près de l’escalier en bois de chêne qui mène à l’étage.
– Dans mes recherches, je n’ai trouvé que cette baraque. S’il en a d’autres, elles ne sont pas à son nom.
– Restez là, on va fouiller l’étage. Luca et Riccardo commencent déjà à grimper les marches. Camille pose son sac sur la table et se dirige vers une pièce qui semble être la cuisine. Un détail attire mon attention près du bar. Je m’avance jusqu’à lui, le cœur battant, en nettoyant mes mains moites sur ma robe rouge.
Une bouteille de vin et un verre. Le verre est à moitié rempli et la bouteille n’a pas été refermée. Un vin raffiné comme celui que buvait Dominguez quand il me peignait dans son sous-sol. Je secoue la tête, ça ne veut absolument rien dire. C’est sûrement le docteur Garcia qui en a pris et oublié de refermer.
Mais où est-il ? Lui ainsi que sa famille ; si ça se trouve, ils sont en vacances et nous sommes venus ici pour rien.
– Gayle, viens voir ! Je regarde une dernière fois la bouteille avant d’aller rejoindre Camille dans la cuisine.
– Qu’est-ce que tu fabriques ? Elle me présente une boîte contenant de petites cuillères.
– Madame Garcia est une femme de goût. Ce sont des cuillères en cristal. Cette merveille mérite d’être exposée dans mon appartement. Tu penses que j’ai le droit de les prendre ?
– Tu m’as fait venir pour ça ? Tu… Je me fige. Près de la porte qui donne sur l’extérieur, il y a une tache écarlate. Je m’avance pour la regarder de plus près ; c’est du sang ?
Je relève la tête ; sur la poignée en argent, il y a aussi une empreinte ensanglantée. Je distingue très nettement la forme d’une main.
C'est vraiment étrange. Toute la cuisine est propre à l’exception de ces deux taches ; c’est comme si tout avait été nettoyé, mais qu’elles avaient été laissées là exprès pour qu’on tombe dessus. J’entends la voix de Riccardo et Luca ; ils ont sûrement fini d’inspecter l’étage. Derrière moi, Camille, inconsciente de ce que j’ai sous les yeux, fouille les placards en s’extasiant sur la qualité de l’argenterie.
J’ouvre la petite porte et me glisse à l'extérieur. Le bruit que produit le vent hivernal me fait froid dans le dos. Je déglutis péniblement. Il y a une ligne rouge tracée sur le sol ; on dirait qu’elle a été faite avec un pinceau.
Je suis la ligne. La voix de la raison m’ordonne de retourner à l’intérieur, d’aller chercher Camille. Je me suis tellement de fois retrouvée dans la merde quand je suis seule, je devrais apprendre à faire preuve de bon sens. Mais je suis incapable de m’arrêter ; comme toujours, je fonce tête baissée au-devant d’un danger imminent.
La ligne progresse, devenant de moins en moins nette jusqu’à s’arrêter au bord de la piscine. Elle a fait son chemin, elle m’a montré ce que je devais voir. La première chose qui attire mon attention, c’est la phrase écrite sur le mur avec des lettres rouges comme le sang. Par contre, la couleur est beaucoup trop compacte pour que ça soit ça, mais le leurre est parfaitement exécuté.
Je vous vois.
Mes poings se crispent sur le bas de ma robe. J’entends des pas lourds et précipités, que j’identifie comme étant ceux de Riccardo.
– Je crois que j’ai trouvé le chirurgien. Riccardo vient se placer à côté de moi. Le corps du docteur Garcia, sa femme et leurs enfants, deux adolescents, flottent à la surface de l’eau.
– Viens là. Comme une automate, je titube jusqu’à lui et enfouis la tête dans son épaule, pour me laisser envahir par son parfum.
– Tommaso est un tueur de masse. Je me crois obligée de rire. Quand il décide de débruiter quelque chose, il s’assure de ne rien laisser derrière lui. Je lève la tête pour croiser ses yeux.
– Riccardo, je crois que j’ai le droit de commencer à avoir peur là.
Le corps du fils du docteur Garcia est le plus proche de la berge. Il est blanc comme un linge et sa peau semble très luisante de là où je me tiens. Contrairement à son père, qui est petit et enveloppé, il était grand, athlétique avec une masse de cheveux sombre.
– Non, pas maintenant. J’ai besoin que tu continues de te montrer forte. Ne craque pas, nous ne pouvons pas lui donner ce plaisir.
– Oh bordel, je n’étais pas venue pour voir ça. Camille vient nous rejoindre, se passe une main sur le visage avec une grimace de dégoût.
Riccardo s’accroupit devant la piscine, il saisit Garcia par le tee-shirt et l’attire jusqu’à la berge.
– Une balle dans la tête, pile entre les surcils. On a affaire à des meurtres perpétrés par un perfectionniste. Ça ne peut être que lui.
– Ça n’a aucun sens. Contre Luca, il n’a aucune raison de tuer le médecin. Je réussis enfin à me détourner de ce spectacle macabre pour regarder le meilleur du démon.
– À moins que…
Non, ce n’est pas possible. J’avale difficilement ma salive.
– À moins que… Tu comptes terminer ?
– C’est évident, Camille. Il savait qu'on venait. Je fais un signe du menton en direction de l’inscription sur le mur.
Je vous vois.
– Qu’est-ce que tu veux insinuer ?
– Je n’insinue rien, je mets en lumière une évidence. Quelqu’un parmi ceux qui ont participé à la recherche du chirurgien a vendu la mèche. Camille s’avance vers moi, toute amabilité ayant déserté son visage.
– Tu racontes n’importe quoi. Tu insinues que moi, Luca ou Bud avons un lien avec Dominguez ?
– Nous étions les seuls au courant. Comment se fait-il que Dominguez ait eu le temps de se débarrasser du médecin ? Il a eu une longueur d’avance sur nous parce que quelqu’un l’a prévenu !
– C’est impossible, nous sommes un groupe soudé ! Qui nous dit que ce n’est pas toi ? Après tout, on ne te connaît pas assez pour te faire confiance.
– Pourquoi es-tu autant sur la défensive ? Je n’ai jamais dit que c’était toi !
Les yeux verts de Camille se rétrécissent sous l’effet de la colère. Elle se jette sur moi. Comme je suis au bord de la piscine, je perds l’équilibre, mais je m’agrippe à sa veste en cuir pour l’emporter dans ma chute.
J’ai un frisson de dégoût en tombant dans l’eau où gravitent les corps depuis Dieu sait combien de temps. Mais encore une fois, je me surprends à ne ressentir aucune peur. Comment être effrayée ? Mon plus grand cauchemar, ce ne sont pas les morts, mais les vivants.
– Mais lâche-moi, ça ne va pas ! Je me libère de son emprise.
– Jamais je ne trahirai Riccardo, il est comme mon frère, et je croyais qu’on était amies. J’écarte mes cheveux mouillés de mon visage.
– Mais putain, je n’ai jamais dit que c’était toi. Mais les faits sont là, Dominguez nous a laissés ce comité d’accueil parce qu’il sait que nous cherchions le chirurgien. À moins qu’il soit omniscient, ce qui m’étonnerait, il a des yeux et des oreilles au sein de l’organisation.
– Les filles, loin de moi l’idée de déranger votre discussion, mais vous êtes dans une piscine où flottent plusieurs corps en décomposition, dit Luca en allumant une cigarette.
Je sors de l’eau en m’agrippant aux barres de fer, ma robe me colle à la peau et mes bras se recouvrent de chair de poule.
– Et toi, pourquoi tu es aussi calme ? questionne Camille en fusillant Riccardo du regard.
– Je ne vois pas l’intérêt de m’énerver.
– Tu es d’accord avec elle ? J’arrive pas à y croire. Jamais je ne retournerai ma veste, vous êtes ma famille.
– Je sais, Luca non plus. Je suspecte même que Dominguez est à l’origine des deux attaques dont il a été victime. Ne reste plus que…
– Non, Riccardo. Bud ne fera jamais ça.
– Pourtant quelqu’un a parlé.
Quelqu’un dans l’organisation est en contact avec Dominguez, marmonne Luca, les bras croisés sur son torse massif. Il se passe ensuite la main sur ses tresses plaquées en grimaçant.
– Quel merdier.
Il saisit brusquement son téléphone et lance un appel. La personne décroche au bout de la deuxième sonnerie, et la voix de Bud remplit la nuit.
– Yo, salut mec, dit-il d’une voix enjouée.
– Viens me rejoindre dans la maison du docteur Garcia C’est urgent.
– Quoi, vous l’avez trouvé ?
– Oui, répond evasivement Luca.
– D’accord. Envoie-moi l’adresse. Je vous interdis de commencer la fête sans moi.
Luca raccroche après lui avoir communiqué l’adresse. Nous restons devant la piscine dans un silence inconfortable où on se regarde tous avec une certaine méfiance.
– J’espère que tu es fier de toi. Ils vont tuer Bud par ta faute. Une pointe de culpabilité s’insinue dans ma poitrine, mais je la chasse. Faire preuve d’empathie n’aura qu’un seul résultat : nous tuer tous.
Putain, Emma a raison, je n’ai pas de cœur. Mais, je m’en moque, si nous voulons arrêter Dominguez, nous devons agir exactement comme lui.
***
Dix minutes plus tard. J’ai pris une douche dans l’une des chambres à l’étage et enfilé une chemise. Camille a fait de même. Elle refuse de me parler. Je m’en moque, je ne vais pas la prendre par les pincettes, elle est certes mon amie, mais ça ne change rien à la réalité : quelqu’un a révélé nos projets à Dominguez. S’il y a un traître au sein même de l’organisation, aucun de nous n’est en sécurité. Il est facile de combattre un ennemi déclaré, mais comment faire quand l’ennemi est tapi dans l’ombre ?
Bud pénètre dans le salon à la décoration rouge et or, ce qui augmente ma migraine. Je ne le connais pas beaucoup, mais du peu que le démon m’a raconté, ils se connaissent depuis leur plus jeune âge. Ils ont tous été formés au tir et à l’art du combat par Dominguez. Je ne veux pas placer une cible sur sa tête, mais si le traître n’est ni Luca ni Camille, il ne reste plus que lui. J’espère de tout cœur me tromper.
– Pourquoi cette baraque est-elle aussi silencieuse ? Moi qui m’attendais à entendre les cris du toubib résonner depuis l’Etna.
Camille me lance un regard noir, ses lèvres formant une ligne mince de contrariété. Je reste parfaitement impassible.
– Prends place Bud, intime Luca.
Le regard du grand Amérindien passe sur nous tous ; je peux y déceler son incompréhension et toutes les questions qui y défilent. Il s’installe sur le siège en face de Luca, tandis que Riccardo, lui, reste adossé au mur, la jambe droite repliée, la tête légèrement inclinée vers le bas ; il a déjà la main sur son arme. Je suis soudainement inquiète ; Riccardo est une vraie bombe à retardement, son calme n’est qu’une apparence, il est capable de tirer avant même que Bud ait eu le temps de se défendre.
– Ce n’est pas Bud, ce n’est pas possible, marmonne Camille de sorte qu’elle ne soit entendue que de moi. Je comprends enfin qu’elle aussi a des doutes sur lui, malgré tous les efforts qu’elle fournit pour ne pas les laisser transparaître. Elle est blessée, mais préfère se cacher derrière sa colère.
– J’espère. Je murmure en croisant les bras sur la poitrine.
– Ohtoi, la ferme !
La voix de Luca m’empêche de répliquer.
– Le médecin est mort et sa famille aussi.
– Quoi ? Vous êtes une bande d’enfoirés, vous avez commencé la fête sans moi ? Luca secoue la tête.
– Nous les avons trouvés morts. Les yeux de Bud se troublent.
– Je ne comprends pas.
– Les choses sont pourtant simples. Dominguez s’est débarrassé du médecin parce qu’il savait qu’on le cherchait. Autrement dit, quelqu’un l’a prévenu.
– C’est ridicule. Seules nous cinq étions au courant des recherches. Pour qu’il soit au courant, il faut… Bud se décompose soudainement, il a compris ; il se lève brusquement en lançant à chacun de nous un regard plein de rage.
– Je rêve, vous m’avez fait venir parce que vous soupçonnez que c’est moi la taupe ?
– Je n’ai jamais dit ça, Bud, note calmement Luca. Le grand gaillard a un rire sans joie, sa colère, à l’instar de celle de Camille, transpire par tous les pores de sa peau.
– À d’autres, je vous connais. Vous êtes en train de faire mon putain de procès. Ça fait plaisir de voir à quel point je suis estimé après tout ce que nous avons vécu ensemble. C’est quoi le deal, tu vas poser deux trois questions et Riccardo va appuyer sur la gâchette ?
– Bud, calme-toi. Crois bien que ce n’est pas facile. Mais c’est étrange qu’il soit au courant de nos plans.
– Ce qui est étrange, c’est que vous 4 vous vous liguez contre moi comme si c’était une évidence que je sois le traître. Que les choses soient bien claires, si vous voulez me tuer, faites-le. Je ne vais pas m’abaisser à vous supplier de m’épargner, mais n’oubliez pas une chose : j’ai aussi participé à l’enquête qui a prouvé que Dominguez détournait les fonds de l’organisation. C’est à cause de nous trois qu’il a tout perdu. Vous croyez vraiment que je serais épargné dans sa petite vengeance ?
Son regard se pose brusquement sur Camille, puis sur moi ; il s’attarde plus que nécessaire, me mettant mal à l’aise.
– C’est peut-être elle. Je trouve étrange qu’une fille qui n’a pas subi de formation ait réussi à lui échapper.
– Je ne lui ai pas échappé, il m’a laissée partir. Ça faisait partie de son plan.
– Comme c’est bizarre, tu sembles t’y connaître sur ses plans. Laisse-moi deviner : c’est toi qui as convaincu les autres que c’est moi le problème.
– Fais attention à ce que tu dis, menace Riccardo sans se détacher du mur.
– Quoi ? Tu ne veux pas penser à cette éventualité, toi qui te méfies toujours de tout.
– Je n’ai rien à voir là-dedans !
– Moi non plus, putain. Donc c’est Camille.
– Tu es vraiment un beau salaud, je suis la seule à t’avoir défendu !
– Rien de perso, Cam. Mais les choses doivent être dites.
Riccardo se met brusquement à rire. On le regarde tous, exaspérés ; il choisit toujours son moment, celui-là.
– Il n’y a rien de drôle. Je crache avec un agacement à peine dissimulé.
– Si, c’est drôle. Il a réussi à nous battre à plate couture tout en semant la zizanie entre nous. Si aucun de nous cinq n’est la taupe, quelqu’un a forcément vendu la mèche, et je vous demande de réfléchir. Peut-être que vous avez parlé de l’enquête autour de vous.
Luca a travaillé avec Riccardo, et Bud, Camille et moi avons mené l’enquête de notre côté.
– Les téléphones. Je marmonne.
– Mais oui, putain, Gayle et moi avons parlé au téléphone à plusieur, et je présume que vous aussi. Nous sommes peut-être sur écoute. Riccardo fait craquer sa nuque.
– Parfait.
– Comment ça, parfait ? C’est tout sauf parfait s’il est au courant d’absolument tout.
– Nous avons perdu le médecin, mais nous t’avons toujours. Tu te rappelles à quoi ressemble ce Billy Saint ?
– Oui.
– Assez pour permettre à Camille de faire un portrait-robot ? Je hoche la tête.
– Alors parfait. Si ce connard nous écoute, je veux qu’il sache qu’on le tient.
– C'est plutôt lui qui nous tient. Je marmonne en me passant une main lasse sur le visage ; il a toujours une longueur d’avance.
– Ne lui donne pas des pouvoirs qu’il ne possède pas. Ce n’est qu’un homme. La preuve, il a commis sa première erreur en venant te voir à la librairie.
– Juste une question : où se trouve le toubib ? J'ai passé deux semaines à traquer des médecins, je suis curieux de savoir à quoi il ressemble.
C'est Camille qui répond à Bud.
– Dans la piscine.
– Nous n'avons pas de temps à perdre, déclare Camille. Elle récupère sa mallette, comme moi. Elle porte une chemise blanche qu’on a dénichée dans le dressing à l'étage, et ses cheveux humides sont retenus en un chignon négligé.
Elle s'installe sur l'un des sièges qui longe la table à manger en chêne blanc.
– Gayle, amène-toi. Et tu as intérêt à avoir la mémoire visuelle aussi opérationnelle que ta faculté à semer la zizanie.
Je serre les poings. Je déteste qu'on me fasse passer pour une méchante, comme si ce que je disais n'était pas une évidence.
Luca me lance un regard suppliant, comme pour m'intimer de l'ignorer. Il m'a pris pour le prix Nobel de la paix ?
– C'est quoi ton problème, réellement ! J'explose.
– Mon problème, c'est toi. Nous n'avons jamais eu de problème entre nous et tu débarques, tu entres dans la tête de Riccardo avec tes yeux de biche et tu cherches à le séparer de tout le monde. Aujourd'hui, c'est Bud, demain ça sera qui, moi, Luca ?
– Je t'en prie Camille, je valorise ton intelligence, alors ne me fais pas l'insulte de me considérer comme une chèvre. Tu sais comme moi qu'il y a quelqu'un qui a parlé de nos projets avec Dominguez. Je n'ai jamais dit que c'était forcément l'un de nous. Si tu es autant en colère contre moi, c'est parce que tu es jalouse de ne plus être la seule fille du groupe, c'est d'ailleurs pour ça que tu t’acharnes constamment contre Arya. Mais je ne suis pas Arya !
– Tu as raison. On était bien avant que vous ne débarquiez avec vos problèmes.
– Dominguez n'était pas mon problème, c'était le vôtre, et maintenant il veut ma tête.
– On va faire ce portrait-robot, oui ou non ? questionne Luca, la pointe d'amusement dans sa voix m’énerve encore plus.
– Toi, va te faire voir. Hurle Camille sans me quitter des yeux.
Riccardo se détache du mur. Il nous saisit chacune par le bras et nous attire à lui, posant une main sur l'épaule de chacune.
– Luca, ton arme.
Je fronce les sourcils, plus amusé que jamais ; Luca jette son colt sur la moquette rouge, juste à nos pieds.
– Voilà comment ça va se passer. Vos histoires à dormir debout me donnent mal à la tête. Donc, si vous avez des problèmes à régler, prenez cette arme et réglez-les. Sinon, prends ton carnet de croquis et toi (il fait un signe de menton dans ma direction après s'être détourné de Camille) fais travailler tes souvenirs et faites-moi le meilleur portrait-robot de l’univers, ça prendra toute la nuit s’il lle faut mais je veux un travaille digne d’un agent du FBI;
Je vous donne 10 secondes pour réfléchir. Il nous embrasse chacune sur le front avant de s’éloigner.
Putain, je crois que je viens de mouiller ma culotte. Même Camille, qui est constamment froide, a rougi.
– Je rêve ou ton mec vient de nous traiter comme des gamines ?
– Il n'aurait pas eu à le faire si tu te comportais comme une femme adulte. Indignée par mon commentaire, Camille se précipite sur le colt ; j'ai le réflexe de donner un coup de pied à sa main, et l’arme roule un peu plus loin.
– Ça risque d'être une longue soirée… marmonne Luca en se passant la langue sur son anneau labial d'un geste diablement sexy.
– Elles ont leurs règles ou quoi ? Évidemment, pas besoin d’être un génie pour savoir que le commentaire vient de Bud ; je vais craquer !
– Cette joute verbale ne m'amuse pas, je finis par dire.
– Moi non plus. Terminons ce que nous avons à faire, je veux rentrer chez moi.
Une heure et plusieurs croquis défectueux plus tard, nous nous lançons dans la réalisation d’un nouveau croquis. Il y a quelque chose de dérangeant à être tranquillement installé dans la maison où Dominguez a massacré toute une famille, pire, savoir que cette famille flotte dans la piscine n’arrange pas mon malaise.
– Le nez…
– Bulbeux avec une très légère inclinaison vers la gauche. Sans desserrer les dents, elle hoche la tête et continue de dessiner. Petit à petit, le portrait prend vie. Je revois avec une acuité effrayante ce Billy Saint dans la librairie. Très grand, il devait faire 1 mètre 80, musclé mais pas massif. Ce jour-là, il portait une chemise blanche et un pantalon de toile sombre.
– Ses yeux étaient très legerement bridés.
– Quoi ? Tu es sûre ?
– Sûre, je me sers de mes doigts pour étirer mon regard. Camille apporte les derniers détails au dessin et le glisse dans ma direction. Mon souffle se bloque dans ma poitrine.
– C’est lui, c’est l’homme que j’ai vu à la librairie. Billy Saint.
– Parfait. Elle sort un ordinateur qui semble avoir survécu à la guerre de Sécession de son sac.
– Je vais me servir de ce dessin comme modèle et créer un portrait en trois dimensions. Bud, qui somnole sur le canapé, marmonne.
– Il y en a encore pour longtemps ?
– Ça prendra le temps qu’il faudra.
– J’ai des choses à faire moi.
– Tu insinues que ton temps est plus précieux que le nôtre ? Bud brandit sa main où est tatouée une croix en direction de Camille en hurlant.
– Vade retro, Satana ! Luca, Riccardo et moi éclatons de rire, et c’est comme si toute la tension qui s’était accumulée dans nos corps avait disparu.
Camille fait un doigt d’honneur à Bud et commence à massacrer le clavier.
Les premières lueurs de l’aube commencent à éclairer la maison quand nous terminons.
Les garçons se sont endormis sur les canapés, mais Camille et moi ne tenons que grâce au café que nous n'avons pas arrêté de boire au cours de la nuit.
– Cette fois, on le tient, elle tourne l’écran dans ma direction. Jamais je n’ai vu un portrait-robot aussi parfait. Les yeux, le nez, tout a été reproduit à la perfection. J’ai l’impression de l’avoir devant moi, la personnification de mes pensées les plus dérangeantes parce que oui, je pense beaucoup à lui. Et ça me derange.
– Désolée pour la petite crise de colère. J’ai du mal à me contrôler. Je secoue la tête en saisissant sa main.
– Ne t’excuse pas, on est tous à cran.
– Pas eux. Je me demande comment ils peuvent dormir aussi calmement. Je regarde Riccardo ; même dans son sommeil, il a les poings serrés et un pli entre les sourcils. Même dans les abysses du sommeil, il est en proie à des pensées sombres et à la montée de souvenirs qu’il ne comprend pas lui-même. Comme j’aimerais avoir le pouvoir de supprimer tout ce qui l’empêche d’être en paix.
Quand je détourne la tête, je trouve le regard de Camille sur moi. Elle sourit.
– Quoi ? je dis sur la défensive.
– Tu l’aimes.
Son affirmation sonne comme une critique.
– J’espère qu’il en a conscience et qu’il ne détruira pas tout. Cet idiot a une faculté presque naturelle à détruire tout ce qui lui arrive de bien dans la vie.
L’idiot en question se réveille en s’étirant langoureusement comme un chat. Camille se lève pour aller chercher de l’eau.
– Vous avez fini ? Je hoche la tête alors qu’il réveille Luca et Bud.
Camille revient en titubant, sans son verre d’eau. Le regard agrandi, la bouche grande ouverte. On dirait presque qu’elle a vu un fantôme.
– Il faut que vous veniez voir ça !
– Quoi encore, putain ? Je me lève et la suis dehors, suivie de près par les garçons.
– Bordel de merde ! s’exclame Luca ou Bud, j’en sais trop rien.
Les corps du docteur Garcia et de sa famille ont été sortis de la piscine. Le chirurgien est pendu à une arbre à quelques mètres de là, complètement nu. Les rayons de l’aube se reflètent sur son corps pâle, à certains endroits rouge, violet et vert attestant l'état avancer de la degradation de ses cellules.
À ses pieds, ses enfants et sa femme. Nue eux aussi.
– Laissez-moi faire un résumé, commence Camille. Pendant que nous étions à l’intérieur, quelqu’un est venu ici et a sorti les corps de la piscine ?
– Très bien résumé.
Et personne n’a rien entendu.
Comment est-ce possible ?
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* Un tueur de masse, est une personne qui tue plusieur individu lors d'un même événement.
Contrairement à un tueur en série, qui est un individu qui réitère ses actes dans le temps.
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