Gayle


- J'ai une théorie, déclare Camille en faisant tourner son verre de cocktail fluorescent entre ses doigts.

- Laquelle ? Elle plisse les yeux jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que deux fentes avant de les ouvrir en grand. La belle brune vêtue de la traditionnelle petite robe noire pointe soudain sa paille dans ma direction puis dans celle d'Arya.

- Ève n'a jamais forcé Adam à manger la pomme. Il l'a fait lui-même et l'a accusée et elle a accepté de porter le blâme par amour. Elle prend une pose théâtrale et déclare d'un ton haut perché.

- Maudit soit le cœur qui saigne par amour.

Arya et moi échangeons un regard. Chaque vendredi soir, on sort au cinéma, dans un restaurant ou juste dans un club, c'est devenu un peu notre tradition. Mais contrairement aux autres jours, l'ambiance est assez lourde, Camille qui se montre toujours gaie est triste et en colère et elle refuse de nous dire pourquoi. À la place, on a droit à des théories toutes plus farfelues les unes que les autres.

- J'ai une autre théorie.
- Génial, marmonne Arya. Je crois que j'ai besoin d'alcool finalement.

- Moi aussi. Camille ignore notre sarcasme et poursuit.

- Je suis persuadée que tous les hommes infidèles sont les descendants directs de Zeus.

Je roule discrètement des yeux. Cette soirée sera interminable.

- Et si tu nous disais ce qui n'allait pas ! Je finis par m'emporter.

- Tout va bien !
- Si tout allait bien, tu ne serais pas en train de boire la table à la place de ton verre. Elle grimace et remet sa paille dans le cocktail.

- D'accord, je veux bien. Mais j'ai besoin de quelque chose de beaucoup plus fort.
Je fais signe à une serveuse. Elle prend rapidement nos commandes et s'éloigne après nous avoir promis d'être là dans cinq minutes.

Nous sommes dans l'un des clubs sous la protection de la Cosa Nostra. Camille l'a choisi à cause des stripteaseurs ultra sexy qui vont se produire dans une heure.

Mon téléphone vibre dans mon sac. Mon cœur se met à battre plus fort. J'ai peur que ce soit la personne qui m'a envoyé la bague.

Comte Dracula
Pourquoi tu n'es pas à la maison ?

Gayle

Bonsoir à toi aussi, ô vénéré comte Dracula. Oui, je me porte comme un charme, merci de t'en inquiéter.

Comte Dracula

Tu n'es pas à la maison !

Gayle

Je suis avec les filles, c'est notre soirée traditionnelle du vendredi.

Comte Dracula

Rentre !

On peut dire qu'il est ouvert à la discussion, lui.

Gayle

Non.

Comte Dracula

Gayle !

Gayle

Riccardo !

Comte Dracula

Où est-ce que tu es ?

Gayle
Dans un club de striptease. Et je suis vêtue de manière tout à fait indécente.

Je me dépêche de désactiver ma localisation en attendant sa réponse.

Comte Dracula
Mon cœur, rentre à la maison !

Gayle
C'est une menace ?

Comte Dracula

Non, un dernier avertissement, putain.

Gayle

Je reste. Et devine quoi ?

Comte Dracula

Quoi encore ?


Gayle
Je n'ai pas mis de sous-vêtements. Passe une bonne soirée.

Je range mon téléphone dans mon sac quand la serveuse revient avec nos verres.

- Je me sens seule, finit par lâcher Camille de but en blanc après la première tournée.
Arya et moi nous rapprochons d'elle dans une synchronisation parfaite.

- C'est ça que tu avais tellement de mal à nous dire ? questionne la blonde.

- Oui. Je donne toujours l'impression d'être inébranlable. Alors j'ai eu honte de vous avouer ce que je ressens. En plus j'ai du mal à me confier.

- Camille, même les femmes fortes ont besoin d'un homme à leurs côtés. L'avouer n'est en aucun cas une faiblesse. Elle me regarde comme si j'avais parlé en haut valyrien avant de secouer la tête.

- Je suppose mais je me sens pathétique. Je suis jolie, intelligente, je pourrais avoir tous les hommes à mes pieds, pourquoi mon traître de cœur a-t-il choisi le mauvais ?
Je sais qu'elle parle de Giovanni. Ces deux-là n'arrêtent pas de se tourner autour mais Camille refuse de se mettre avec lui. Elle lui en veut pour quelque chose.

- Giovanni ? demande prudemment Arya. Elle vide un verre avant d'acquiescer.

- Je suis entrée illégalement en Italie après avoir fui la secte où évoluait ma famille. Quand je suis arrivée sur l'île, je n'avais pas un sou et je vivais dans la rue en me faisant passer pour un garçon. C'était assez facile, à l'époque j'étais très grosse, je me suis rasé les cheveux. Personne ne s'est jamais rendu compte de rien.

Un jour, je me suis introduite dans un club appartenant à l'organisation pour voler les clients, mais ce soir-là je suis tombée sur Riccardo. Il m'a cassé le bras, il m'aurait tuée si Giovanni n'était pas intervenu. Il a dit à Riccardo qu'il ne fallait pas faire de mal à une fille.

Elle fait flamber un verre de tequila et le vide avec un sourire amer.

- J'étais dans la rue depuis plus de sept mois, je m'étais tellement fait passer pour un garçon, que j'en avais oublié qui j'étais, alors ça m'a touchée qu'il voie la fille en moi. Riccardo m'a relâchée. Mais cet idiot a toujours été un vrai parano, il m'a accusée d'être une espionne pour le compte de leurs ennemis. J'avais peur qu'il me tue, mais Giovanni m'a encore défendue et finalement ils m'ont laissée partir. Je croyais que c'était fini, que je ne les reverrais plus, mais le lendemain, Luca, Riccardo et lui étaient venus dans le petit studio que je partageais avec d'autres garçons qui ne savaient pas que j'étais une fille. Ils m'ont proposé de travailler avec eux. C'est en quelque sorte comme ça que je suis devenue collectrice au sein de l'organisation.

Luca et Riccardo m'ont pris sous leurs ailes. Ils sont devenus mes frères et m'ont tout appris. En plus d'eux, il y avait Giovanni qui semblait très soucieux de moi, mais les autres, surtout les filles, me harcelaient, j'étais grosse et chauve, j'avais des manières brutales et pire, je ne comprenais pas très bien la langue. À chaque fois elles trouvaient un moyen de me rabaisser de préférence devant les garçons. Mais Giovanni était toujours là, il me défendait constamment. Nous sommes devenus très proches et j'ai fini par faire la pire erreur de ma vie : tomber amoureuse de lui.

- En quoi c'est une erreur ? s'indigne Arya.

- C'est une erreur parce que j'étais horrible alors que Giovanni, lui, était physiquement parfait, toutes les filles lui tournaient autour. Jamais il ne s'intéresserait à une fille comme moi. Pourtant, aussi fou que ça puisse paraître, il s'intéressait à moi ; il m'accompagnait durant mes missions, s'entraînait avec moi, on faisait tout ensemble. Plus je passais du temps avec lui, plus mes sentiments grandissaient et j'étais incapable de me contrôler. Un soir, nous étions dans ma chambre à regarder un film et j'ai craqué, je l'ai embrassé. J'étais mortifiée, j'étais sur le point de m'enfuir mais il m'a retenue et m'a embrassée en retour.

- C'est tellement romantique, s'enthousiasme Arya, le visage en coupe dans sa main, les yeux brillants. On dirait qu'elle regarde un film à l'eau de rose au cinéma.

- Romantique ? Cette nuit a été le début de ma descente aux enfers. Je lui ai tout donné, c'était merveilleux sur le coup mais le lendemain, il n'était plus là.
Quand j'ai fini par le trouver pour en parler, il m'a ignorée. Il s'est tout simplement métamorphosé en quelqu'un d'autre. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi et ça me tuait. Un soir, je suis allée chez lui, je l'ai trouvé en train de s'envoyer en l'air avec Rebecca.

Cette dernière s'était fait passer pour mon amie, quand les autres filles me harcelaient elle me défendait, alors je me suis confiée à elle au sujet de Giovanni, pendant tout ce temps ils se sont moqués de moi, ils avaient fait un pari. Le but était que je tombe amoureuse de lui et que je couche avec lui. Cette nuit-là, Rebecca s'est moquée de moi, de mon physique. Comment ai-je pu être naïve au point de croire qu'un homme comme Giovanni pouvait réellement tomber amoureux de moi. Elle m'a insultée, mais il est resté figé, pas un seul mot n'a franchi ses lèvres. Cette garce de Rebecca en a parlé à tout le monde. C'était horrible.

Je lui prends la main, à défaut de la prendre dans mes bras. Giovanni va avoir un petit tête-à-tête avec Persée et Méduse !

- Après cette nuit, je me suis juré de travailler pour être une meilleure version de moi-même, de ne plus jamais me confier et surtout de ne plus laisser un homme m'utiliser comme il l'a fait.

Durant tout ce temps, j'étais blessée mais pas en colère. Elle prend son visage en coupe, regarde autour d'elle avant de continuer.

- Puis le temps est passé. Je suis devenue excellente comme collectrice, mon physique aussi a changé. Tous ceux qui étaient toujours sur mon dos à se moquer de moi, venaient me draguer. Elle éclate d'un rire triste, mais Giovanni a fait pire : il a osé m'avouer ses sentiments. J'étais tellement en colère que je lui ai tiré dessus. Il n'était pas amoureux de moi, mais de celle que j'étais devenue et ça m'a mise en rage. Ce qui m'a le plus énervée, c'est que malgré la tristesse et l'humiliation qu'il m'a fait subir, je l'ai dans la peau. Je n'arrive pas à aimer un autre homme.

- C'est étrange. Je n'arrive pas à imaginer Giovanni faisant preuve d'une telle cruauté. Il a l'air si gentil.

- C'est juste un hypocrite, ce mec est un monstre. Il m'a humiliée pour faire plaisir à Rebecca.

- Il y a forcément une explication. J'ai bien vu la façon dont il te regarde. Ce mec ressent quelque chose pour toi.

Je dois avouer que Arya n'a pas tort.
- Tu devrais discuter avec lui. Elle me regarde comme si j'avais dit une abomination. Je descends un verre, pour me rendre compte que c'est mon sixième. Bon sang, il faut que j'arrête.

- Tu as perdu la tête ?

- Non, Giovanni et toi, vous ne vous êtes jamais expliqués. Tu n'as jamais vraiment su pourquoi il a changé du jour au lendemain.

- Il n'a pas changer Gayle, il à juste retirer son masque en plus c'est évident. Tu le fais exprès ? Il avait fait un pari avec ses potes de la haute et comme une idiote, je l'ai facilement laisser gagner.

- Arrête, j'objecte. Tu n'es pas idiote, juste amoureuse.

- Gayle a raison, il y a trop de zones d'ombre dans cette histoire.

- Eh bien, ces zones d'ombre resteront où elles sont. Il n'est pas question que je m'approche de lui. Vous avez de la chance, vous savez, surtout toi Arya. Toi, Gayle, par contre, tu es dans la merde et pas qu'un peu.

- Je sais, mais je m'en moque. Il se trouve que j'aime être dans cette merde.

Elle lève les yeux au ciel avant de sourire. Elle presse plus fort ma main.

- C'est un vrai nid à problèmes, il a toujours utilisé l'humour comme moyen de défense. Mais crois-moi, Gayle, il est à fond sur toi, même s'il se comporte comme un con. Ne tombe pas dans les pièges de Rebecca, Riccardo ne s'est jamais intéressé à elle ni à personne, c'est la pieuvre qui l'a obligé de l'épouser. Cette garce !

- Je sais, mais c'est compliqué. J'ai peur.

- Tu as raison d'avoir peur. Tu es avec un psychotique, un homme qui peut t'offrir des fleurs et la seconde d'après t'étrangler avec les épines. Alors crois-moi, tu as raison d'avoir peur. Mais n'aie pas peur de Rebecca, elle ne t'arrive pas à la cheville. Quant à toi !

Arya se rembrunit, elle sait déjà où cette discussion va la mener.

- Toi, tu me mets en rage, tu ne te rends même pas compte de la chance que tu as. Vous avez encore rompu n'est-ce pas ?

- Nous sommes en pause.

Camille et moi soupirons.

- Le jour où Luca en aura marre, crois-moi. Tu le perdras pour toujours et tu t'en mordras les doigts.

- Bon, ça suffit ! s'emporte Arya, je t'interdis de me parler de ma relation avec Luca, tu n'y comprends rien.

- Tu appelles ça une relation ? Tu n'arrêtes pas de le quitter à chaque fois que tu en as envie. Il souffre.

- Moi aussi, qu'est-ce que tu crois. Je n'aime pas son mode de vie.

- Alors qu'est-ce que tu fiches ici ? Le mode de vie de Luca, c'est notre mode de vie à nous tous. Je vis dans l'illégalité, Gayle aussi. Tu prétends être notre amie mais tu méprises tout ce que nous sommes, pourquoi tu ne rentres pas dans ton château, princesse Aryanna Rochi.

- Le fait que je ne me plains jamais ne veut pas dire que j'ai une vie parfaite.

- Arya, Camille, on attire l'attention là !

- Quoi, tu veux être la voix de la raison peut-être ? Tu es très mal placée, tu restes avec un homme qui n'a pas hésité à te poignarder. Je veux juste que Luca prenne conscience qu'il peut faire autre chose de sa vie !

- Un homme qui n'a pas hésité à me poignarder ? Riccardo est malade Arya, ce n'est pas un jeu. Et je t'interdis de me parler comme ça. Vous êtes ridicules à vous disputer dans un club bondé.

- Cette conversation n'est pas ridicule. Luca souffre à cause d'elle même s'il ne laisse rien paraître. Tu ne mérites pas son amour.

Arya a un sursaut comme si elle l'avait frappée suite à ces paroles. Ses yeux se remplissent de larmes.

- Tu es juste jalouse parce que personne ne t'a jamais aimée pour ce que tu es.

Je grimace. L'alcool décuple leur colère, mais Arya vient d'utiliser ce que Camille nous a difficilement confié contre elle.

- Pourquoi serais-je jalouse ? Tu es exactement comme Giovanni, tu attends que Luca change pour l'aimer. Ça n'arrivera jamais, c'est un homme de la Cosa Nostra et ton comportement le tue à petit feu. Tu le quittes à chaque fois que tu en as envie parce que tu sais qu'il sera toujours là à t'attendre.

- J'ai mes raisons putain, je suis contre la violence.

- Alors qu'est-ce que tu fiches ici ! Arya se lève, Camille en fait de même.

- Va te faire foutre. Gayle, tu viens.

- Gayle reste !

Je me retrouve entre elles, chacune me lançant un regard dur. Je soupire.
- Vous êtes ridicules. Je vous rappelle que vous êtes amies, et qu'on a assez de problèmes pour ne pas en rajouter.

- Amies, elle n'est pas mon amie, elle défend constamment Luca sans jamais me demander mes raisons. J'essaie, j'essaie constamment mais c'est plus fort que moi, tu penses que c'est facile pour moi peut-être ?

- Bon ça suffit. On a payé une fortune pour entrer ici, vous n'allez pas tout gâcher pour ça. Toi Arya, tu es juste une hypocrite et toi Camille, je te conseille de nettoyer ta baraque avant de t'intéresser à celle des autres.

- Je ne suis pas une hypocrite !

- Si. Tu n'aimes pas la violence mais tu me considères Gayle et moi comme tes amies. Tu penses que Gayle est un ange peut-être, elle a crevé les yeux d'un homme sans ciller !

- J'ai un peu cillé tout de même et j'en fais des cauchemars.

- Je vais rentrer chez moi !

- Oui, c'est ça, dégage !

- Vous vous comportez comme des gamines. C'est ridicule. Il y a vraiment un problème si moi je suis la voix de la raison !

On se regarde longuement avant d'éclater de rire. Je ne sais même pas d'où ça vient mais ça fait du bien. Arya reprend place à côté de moi et commence à s'acharner sur la bouteille d'alcool.

- Je suis désolée, c'était grossier de ma part.

- Pardon. C'est juste que je tiens beaucoup à Luca.

- Plus que tu ne tiens à moi visiblement.
Je soupire et c'est reparti pour un tour.

- Ça n'a rien à voir. C'est toi le problème dans votre relation.

- Occupe-toi de ce qui te regarde. Je veux juste qu'il soit un homme meilleur.

- Comme tu veux. Continue de pousser Luca à bout et un jour, tout ça va t'exploser au visage. Quand ce jour arrivera, ne viens pas pleurer sur mes épaules.

Arya lève les yeux au ciel. C'est fascinant, ce n'est pas la première fois que nos conversations s'enflamment mais on reste toujours présentes les unes pour les autres.

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