Gayle

Après le déjeuner, on se sépare. Chacun part vaquer à ses occupations. J'ai été soulagé quand Rebecca a été la première à partir. Je n'ai rien contre elle, après tout c'est Riccardo qui me doit fidélité, mais sa présence me rend mal à l'aise. Cette façon hostile qu'elle a eu de me regarder à table après la déclaration du démon n'a pas arrangé les choses.
Après son départ, Riccardo a essayé de me parler, mais je me suis enfui encore une fois. Je ne voulais rien entendre, même si je suis curieuse de savoir de quoi ils parlaient quand je suis entrée dans la salle à manger.
Il est allé voir Gia, en route, il m'a parlé de la décision de la pieuvre. Celle d'unir Cass avec un certain Reich Miller, futur chef de la Mafia noire de Chicago.
De ce que m'a expliqué Dante à table, à Chicago il y a deux grandes familles mafieuses, les deux plus puissantes en tout cas, les Lambardi qui viennent d'Italie alliés à la Sacra corona unita et les Miller, une famille fondée par un certain Adam Miller qui tire leurs racines de la Nouvelle-Orléans.
Giacomo doit être dévasté. J'ai envoyé un message à Cass, mais elle ne m'a pas répondu. Elle doit sûrement être occupée. Je trouve ça foutrement étrange qu'en 2024 des choses comme le mariage arrangé puissent encore exister.

Je m'installe derrière un petit bureau en bois verni. J'essaie de détendre mon sourire, mais la foule me rend nerveuse même si cette foule est composée de personnes qui ont adoré mon livre et qui cherchent à me rencontrer.

- Respire et tout ira bien, ce ne sont pas des journalistes. Gil m'en veut toujours depuis ma première et dernière interview désastreuse. Une chose est sûre, je ne verrai plus jamais de journalistes de ma vie, pour mon plus grand bonheur.

La première lectrice s'avance dans ma direction. À chaque fois que je suis dans ce genre de situation, j'ai envie de pleurer. L'adolescente en moi, celle qui lisait des livres en rêvant elle aussi d'en écrire, est incapable de se tenir tranquille, elle jubile.

- Je suis tellement heureuse de vous rencontrer, vous êtes tellement belle, déclare la fille devant moi presque en sautillant. Je lui souris sincèrement, les yeux humides. J'aurais dû penser à prendre des mouchoirs.

- Merci, c'est gentil. J'adore tes bracelets ! Elle écarquille les yeux, surprise que j'aie remarqué ce petit détail. Elle les place devant moi, ils ressemblent à s'y méprendre aux descriptions du bracelet que porte la protagoniste de mon histoire.

- Je les ai faits moi-même, j'ai hâte de lire le tome 2 !

Moi aussi ...
Je signe son livre, puis elle s'éloigne, remplacée par une autre fille.
Puis c'est un homme qui se met devant moi. Je suis assez déstabilisée. Oui, j'ai plein de lecteurs masculins, mais ce type avec sa taille impressionnante et ses tatouages a plus le profil pour travailler pour la pieuvre que pour lire une dark romance.
Oui, je sais, je me perds en préjugés stupides.

- Bonjour, c'est un cadeau pour ma femme.
Comme c'est gentil. Cet homme est le mari dont tous les lectrices ont besoin.

- C'est adorable. Quel est son nom, ou je pourrais le signer avec votre nom et le sien, ça serait original. Il sourit, ses yeux se plissent legerement. C'est étrange, mais quand on le regarde de plus près, on a l'impression que son visage a des plis irréguliers.

- C'est bien, je m'appelle Billy Saint et ma femme c'est Éloïse. Je fais une rapide dédicace avant de lui donner le livre en souriant. Nos mains se touchent quand il le récupère et il a comme un sursaut. Mon sourire se fait gêné, je murmure des excuses presque machinalement. Il reste là, sans bouger alors que le garçon derrière lui semble clairement s'impatienter.

- J'espère que votre femme va l'aimer.

- Je n'en doute pas. Mais il ne bouge toujours pas, c'est comme s'il veut me demander quelque chose, il attend quelque chose. Ses yeux s'abîment dans les miens et une peur irrationnelle s'empare de moi. Mes doigts se crispent sur le stylo, je le serre tellement fort que j'ai peur de le casser.
Le garçon derrière lui, lui touche l'avant-bras, il tressaille et fusille le garçon du regard. Pendant une fraction de seconde, j'ai peur qu'il s'en prenne à lui mais à la place, l'homme me fait un signe de la main et s'éloigne.

- Enfin mon tour ! Je souris au suivant.

Ça me rappelle quand je travaillais comme caissière. Il y avait toujours une mamie qui prenait tout le supermarché et bloquait la file. Ceux qui se trouvaient derrière me regardaient toujours comme si c'était ma faute.
J'ai soudain envie d'éclater de rire face à ma paranoïa.

Mais quand je redresse la tête pour parler à la personne devant moi, je me fige. Le mec est toujours là, il est adossé au mur, le livre ouvert devant son visage, mais il n'est clairement pas en train de lire. Il me regarde.
Je me sens mal à l'aise. J'essaie du mieux que je peux de me concentrer sur ceux qui se sont déplacés pour venir me voir. Mais c'est difficile, mon mode de vie étant ce qu'il est maintenant, à chaque fois qu'il y a un type louche dans les parages je ne peux pas m'empêcher d'avoir peur et de me poser des questions.
James n'est pas loin, je tente de me rassurer. Il a perdu sa vigilance une fois et je me suis fait kidnapper. Depuis, il est plus aux aguets que jamais. N'empêche, est-ce à ça que va ressembler ma vie désormais ? Je dois constamment surveiller mes arrières ? Vivre dans la peur ? Avoir la boule au ventre même dans une pièce remplie de personnes qui semblent bienveillantes ?

Quand nous avions commencé nos entraînements, Riccardo avait l'habitude de dire :
Ne fais confiance à personne, reste toujours sur tes gardes. N'importe qui peut être une menace, le danger peut surgir de n'importe où.
Je le trouvais paranoïaque, mais maintenant je suis forcée de lui donner raison.

Après la dédicace, la tension qui retenait mes épaules se relâche. Je suis installée dans un coin de la librairie en pleine conversation téléphonique avec Cass.

***

- Il n'a pas le droit, m'indigné-je avec flamme. Celle qui au fil du temps est devenue ma sœur de cœur éclate de rire.

- Mais la pieuvre a absolument tous les droits. Je regarde mes ongles, à force de ronger mon pouce, je l'ai mis dans un état lamentable.

- Pourquoi j'ai l'impression que tu le prends bien ?

C'est vrai, j'avais peur de l'appeler parce que je redoutais l'état d'esprit dans lequel elle serait. Mais Cass est presque heureuse, ce qui est vraiment bizarre pour quelqu'un à qui on a demandé d'épouser un parfait inconnu.

- Tu veux que je sois honnête avec toi ?

- S'il te plaît.

Si j'ai besoin de mensonge, je sais qui aller voir. D'ailleurs, où est-ce qu'il est ?

- Au début ça m'a surpris, puis ça m'a mise en colère. Je me suis demandé de quel droit Giousé Gaviera prenait ce genre de décision sans m'en parler, mais j'ai passé la nuit à réfléchir et je me suis rendu compte que c'est la meilleure chose qui puisse m'arriver.

- Comment ça ?

- Tu sais très bien que la pieuvre ne me laissera jamais partir, pas avec tout ce que je sais sur l'organisation. Mais maintenant ? Je suis libre de m'en aller, j'irai vivre aux États-Unis.

- Tu vas épouser un homme que tu ne connais ni de Samson ni de Dalila, je n'appelle pas ça de la liberté !

- Ni de Samson ni de quoi ? Peu importe. Reich Miller est un mec gentil, j'ai eu l'occasion de le voir quelques fois. D'ailleurs, on a un rencard lui et moi. Je me lève de mon siège comme un petit robot et je me mets à arpenter la librairie, quand je suis à cran, je déteste être immobile.

- Quoi, et pourquoi ?

- On va se marier, idiote, je veux être honnête avec lui au sujet du bébé.

- L'honnêteté serait de dire à Gia que le bébé est de lui !

- Gayle je t'en prie, on a déjà eu cette discussion. Gia et moi, c'est impossible et s'il connaissait la vérité, ce serait encore plus difficile.

- Mais c'est pas juste !

- Oui mais c'est comme ça. Tu sais pourquoi la pieuvre n'a pas hésité à sceller mon union avec Reich ? Parce qu'il me connaît. Je suis un membre de la Cosa Nostra, la famille passe avant tout. Je ne peux pas risquer une guerre pour mes sentiments. Le devoir avant tout.

- C'est vrai, désolé. C'est juste que j'ai du mal à me dire que tu vas partir.

Qu'est-ce que je vais faire moi sans toi ?

- Vois ça comme une aventure. En plus, tu pourras venir me voir et on ira visiter New York, Chicago et Seattle !

- Je préfère la Nouvelle-Orléans.

- Comme tu veux, on fera le tour de l'Amérique.

- Ça commence à me plaire, je me vois déjà en parfaite touriste. On éclate de rire.

- Bon, je te laisse. J'ai du travail.

- Embrasse Gayle deuxième du nom pour moi.

- Tu perds ton temps, je ne vais pas appeler mon bébé Gayle, mais tu seras sa marraine. Je fais la moue.

- Je suppose que c'est mieux que rien. À plus tard.

- Jade ? Je met quelque temps à me rendre compte que c'est à moi qu'on s'adress.

- Oh Liam.

- J'attendais que tu termines ta conversation téléphonique. Je voulais te parler.

Liam est l'un des auteurs qui travaillent comme moi sous le coude de Gil. C'est un type grand et enveloppé toujours vêtu de façon élégante. Il remonte ses énormes lunettes de vue sur son nez en s'arrêtant devant moi.

- Je t'écoute. Il déglutit, je jurerais qu'il est nerveux.

- Voilà, j'ai une idée qui me trotte dans la tête depuis quelque temps, un livre en commun toi et moi. J'aimerais t'inviter à dîner pour en parler.

Je suis sur le point de répondre quand j'entends un rire. Je me tourne vers l'étagère qui supporte les livres de cuisine avec une grimace.
Je ne suis même pas surprise de voir Riccardo, ce mec a toujours l'habitude de surgir comme un foutu fantôme. Il est confortablement adossé, les jambes croisées, ainsi que ses bras, dans son tee-shirt gris qui ne laisse aucune place à l'imagination. Les muscles bandés, il a la tête légèrement penchée en avant, ses yeux globuleux fixés sur Liam.
Il décroise les bras et se détache de l'étagère. Il lui faut quelques foulées pour se placer à côté de moi.

- Salut ? déclare Liam avec un sourire, il tend la main au démon, comme le font les gens bien élevés, mais Riccardo le regarde longuement avant d'extirper sa cigarette de sa bouche et de la tapoter brusquement sur la paume tendue. Je pousse un cri et le repousse en arrière. Liam est blême, il serre sa main contre lui, la flamme l'a à peine touché mais tout de même.

- Je vais y aller, dit-il précipitamment en s'enfuyant. Je soupire, j'ai vraiment prié pour que cette catastrophe sur pattes sorte de prison ?

- Tu es malade, il aurait pu se brûler !

- Qui, le cendrier qui te prenait pour un bout de viande ?

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

Il agite un livre quelconque devant mon visage.

- Je suis venu faire dédicacer mon livre. Je le dépasse pour aller récupérer mon sac, les filles et même les garçons présents dans la librairie n'arrêtent pas de le dévorer des yeux. Pas étonnant, même s'il m'énerve constamment, je ne peux ignorer son charisme et sa beauté. Un diable avec le visage d'un ange.

- Ce n'est pas mon livre. Qu'est-ce que tu fais ici, j'ai du travail.

- J'ai consulté ton planning, ta séance de dédicace est terminée.

- Quoi, tu as fouillé mon ordinateur ?

- Oui.

Il repose le livre, c'est un thriller qu'il met entre des fantaisies. Je remets le bouquin à sa place.

- J'aimerais que tu m'accompagnes acheter des vêtements. C'est la moindre des choses après tout.

- Je ne te dois rien, tu peux y aller avec Rebecca. Son soupir soulève sa poitrine massive.

Il s'allume une nouvelle cigarette. Je pose la main sur son menton pour orienter son visage vers le panneau où est marqué l'interdiction de fumer. Pour toute réaction, je reçois sa fumée au visage.

- Gayle, arrête d'accord, c'est ridicule. Elle ne m'intéresse pas.

- Ridicule ? Eh bien, la fille ridicule te demande d'aller te faire voir. Je ne veux aller nulle part avec toi.

- Très bien.

Il fait quelques pas en arrière avant de se retourner. Mon cœur se serre. C'est moi qui lui ai demandé de partir alors pourquoi j'ai envie de pleurer ? Je me rends bien compte que je me comporte comme une idiote, mais je lui en veux.
Si maman était là, elle m'aurait sûrement dit de me comporter avec plus de maturité, de m'asseoir et de parler avec lui. Mais en réalité, j'ai peur. Il m'a vraiment fait mal en disparaissant sans me donner aucune raison. Il y a à présent ce doute qui s'est insinué à cause de son ex.

Et s'il allait la retrouver ? Putain, je viens peut-être d'envoyer le démon droit dans les bras de cette pimbeche de Rebecca ?

- Gayle, je peux te voir. Je suis Gil dans un coin de la librairie, je n'ai plus aucune envie d'être ici.

- J'ai parcouru les quelques chapitres que tu m'as envoyés. Et c'est vraiment prometteur sauf du point de vue de l'antagoniste, je vais être honnête, c'est beaucoup trop sombre.

Je mords mon ongle tellement fort qu'il se casse.
- Je ne comprends pas. Elle a un sourire, le genre de sourire destiné à me faire avaler une pilule trop amère.

- Le tome un était beaucoup trop soft, par rapport à ce que je viens de lire, il y a des scènes qui sont carrément insoutenables. Si tu pouvais réprimer et mettre plus en avant le côté romance.

- Je ne suis pas auteur de romance, oui il y a de la romance dans mes livres, mais pas que. De plus, dans le tome deux, j'essaie de développer l'antagoniste.

- Je sais, mais essaye de comprendre. Même avec la limitation d'âge, ce genre de livre tombe souvent entre les mains des adolescents. Je t'avais dit que si tu fais plus sombre que le tome 1, il y a un problème avec toi, mais là tu me fais carrément peur.

Elle a éclaté de rire, mais j'ai l'impression d'avoir reçu une gifle. Je me force à sourire.

- D'accord, je vais modifier certaines scènes.

- Merci, j'attends le manuscrit final avec impatience.

Je sors de la librairie avec l'envie de frapper dans un sac de sable. Je ne comprends pas comment se fait-il que décrire comment j'ai rendu Adrian Leblanc aveugle soit trop sombre ! Il y a des livres beaucoup plus dark qui circulent sur le marché. Gil m'en demande beaucoup trop.

Une voiture verte, à la carrosserie si brillante qu'elle capte les rayons du soleil, était garée sous un arbre de l'autre côté de la rue. Elle démarre en trombe, tourne en formant une sorte d'arc de cercle et se gare à côté de moi dans un nuage de poussière. Son coffre s'ouvre en même temps que la portière côté conducteur. J'ai le temps de voir des chaussures sombres avant que deux mains me saisissent. Je suis soulevée de terre et, en quelques enjambées, la personne qui me porte me jette dans le coffre. Il ferme ce dernier, me plongeant dans le noir.

Je rêve ? Ça s'est passé tellement vite que je n'ai pas vu le visage de la personne qui m'a mise ici, mais j'ai reconnu le parfum de Riccardo.

Une portière claque et, la seconde d'après, la voiture démarre dans un crissement de pneus.

- Riccardo ?

- Oui, princesse. La peur que j'avais ressentie est remplacée par de la colère puis par de la résignation. Ça m'apprendra d'être amoureuse d'un bipolaire.

Gangsta de Kehlani retentit alors que je suis à l'arrière, je me prends la musique de plein fouet.

- Mais tu es complètement fou ! Pourquoi suis-je dans le coffre ?

- Je t'ai déjà dit d'arrêter de me défier, petite serveuse.

Je soupire. Putain, il me tape sur le système. Je réussis à manœuvrer jusqu'à atterrir sur la banquette arrière. Il me sourit à travers le rétroviseur. Je lui jette mon sac au visage, mais il réussit à l'éviter. Putain, quelle journée de merde !

- Gil me tape sur le système. J'explose, une fois que je prends place à l'avant.

- Tiens, tiens, je croyais que seule moi y arrivais. Que s'est-il passé ?

- Elle veut que certains passages du tome 2 soient moins intenses. Je hurle presque en mimant des guillemets. Il arque un sourcil après avoir pris une intersection.

- Les passages sur le sexe ?

- Non, espèce d'obsédé, les scènes de violence. Je me retiens déjà beaucoup, je ne sais pas ce qu'elle veut.

Le démon fait mine de réfléchir, puis il manœuvre pour éloigner son siège du volant.

- Mais qu'est-ce que tu fabriques ? Je questionne avec une pointe de panique dans la voix. Ses mains ont lâché le volant, mais la voiture continue d'avancer. Le démon se comporte souvent comme s'il avait l'assurance d'être éternel.

- Viens, tu vas conduire.

- Quoi, mais ? La voiture s'arrête à un feu rouge. Il tapote ses jambes. Voyant que j'hésite, il se penche et me soulève.

- Tu me fais faire n'importe quoi. Je proteste sans grande conviction.

Il rit quand je m'assois confortablement, ses mains se verrouillent autour de mon ventre.

- Tu veux un conseil ?

- Oui ? C'est presque avec hesitation que je replique les conseil de Riccardo virent souvent à la catastrophe selon Luca.

- Tu devrais envoyer ton éditrice se faire foutre.

- Merci, c'est exactement ce que j'avais besoin d'entendre. J'ironise, mais ça ne l'empêche pas de poursuivre, plus sérieux que jamais.

- Premièrement, ce n'est pas pour elle que tu écris mais pour toi. Elle doit apprendre à accepter et respecter ton travail et arrêter de te poser des barrières.

- Tu es sage quand tu veux, dis donc. Je redémarre quand le feu passe au vert. Si on se fait contrôler, on est morts.

Nous sommes deux à l'avant et je n'ai même pas de permis.

- Ça m'arrive. Tu devrais être honnête avec ton éditrice ou en chercher une autre.

- Ce n'est pas aussi simple. En plus, je ne veux pas laisser tomber Gil, elle a cru en moi et elle est vraiment patiente.

Mais tu as raison, il faut que je sois honnête avec elle. Il faut qu'elle apprenne à respecter mon genre littéraire !

- Je pourrais lui faire peur, pour qu'elle te laisse tranquille. Je lui lance un regard à travers le rétroviseur.

- Oublie. Hey, attends une minute, cette voiture est neuve.

- Oui, la pieuvre l'a reçue en cadeau. Ça aide d'être le fils du chef de la Cosa Nostra. Gayle, je n'ai pas vu Rebecca en prison.

Je me tourne une fraction de seconde pour le regarder. Ce matin, après sa conversation avec elle, il semblait de très mauvaise humeur.

- Elle m'a dit qu'elle est partie te voir en prison.

Riccardo m'indique la route à prendre avant de répondre.

- Elle dit que vous vous êtes sûrement mal comprises. Elle est venue en prison mais je n'étais pas au courant, le gardien en chef ne me parlait jamais de ceux qui venaient me voir, disant que je n'étais pas un prisonnier modèle.
Je commence à croire que Camille a raison de toujours se transformer en dragon quand Rebecca est dans les parages.

- On ne s'est pas mal comprises, je sais très bien ce qu'elle m'a dit. D'ailleurs, qu'est-ce qu'elle voulait ?

Riccardo sourit contre ma nuque, ses mains glissent sous mon haut. Je frissonne, son corps est toujours tellement chaud, même avec les températures qui commencent à se refroidir.

- J'adore quand tu es jalouse. Elle voulait juste me parler de l'incident de la galerie.

- Je ne suis pas jalouse. Elle est toujours amoureuse de toi.

- Gayle, je ne contrôle pas ses sentiments. Mais ça n'a aucune importance pour moi, il faut que tu me fasses confiance. Je sais, je ne mérite pas ta confiance, mais je te jure que je te prouverai que tu peux compter sur moi, fini les cachotteries et les disparitions.

Je serre le volant. Pourrais-je vraiment lui faire confiance ? Chez Riccardo, mentir est presque une deuxième nature, et j'ai peur de tout miser sur lui et de me retrouver encore une fois sans rien.

- Il me faut une garantie. Il éclate de rire, il me soulève légèrement et me colle plus confortablement contre lui. Dans cette position, il n'est pas facile de conduire, mais je me sens bien dans ses bras.

- Dur en affaires, OK, si je fais encore un truc de travers, la maison est à toi.
Je lève les yeux au ciel.

- Tu me prends pour qui ? La maison ne t'appartient pas, elle est à ton père. Il grimace.

- Cette maudite Cass parle trop, techniquement elle est à la famille Gaviera.

- Tu vois, c'est plus fort que toi, tu essaies toujours de me manipuler. Voilà, pas de sexe tant que je n'aurai pas pleinement confiance en toi.
Les mains de Riccardo s'immobilisent sur mon ventre, il me regarde à travers le rétroviseur, il s'est littéralement décomposé.

- Pas question !

- C'est le deal. C'est à prendre ou à laisser. Il fait la moue, ses mains remontent plus haut et il dégrafe mon soutien-gorge d'un mouvement plein d'expertise.

- Tu es sûr de toi ? Questionne le démon, en empoignant mes seins, il joue avec mes pointes. Je ferme les yeux avant de prendre conscience qu'il n'est pas prudent de conduire les yeux fermés.

- Oui, j'en suis sûre. Sors tes mains de là !

- Très bien.

- Je veux une chose.

- Je t'écoute, princesse.

- J'aimerais que tu consultes un psy. Les caresses de Riccardo s'arrêtent net, comme si je l'avais frappé. Je me gare dans le parking d'un quartier commerçant de l'île. Je coupe le contact avant de me retourner pour lui faire face, à cheval sur ses jambes.

- C'est mon frère qui t'a mis cette idée en tête ? finit-il par questionner après m'avoir longuement reluquée, on dirait presque que je suis une apparition.

- Non, je te le jure. J'y ai pensé toute seule. Riccardo, tu as besoin d'un suivi psychologique. Il secoue la tête.

- Non, je suis désolé, mais je ne peux pas faire ça.

- Pourquoi ? Je sais déjà qu'il ne va pas répondre. Comme d'habitude, à chaque fois que la conversation devient sérieuse et qu'il ne peut plus utiliser l'humour comme moyen de défense, il se braque. Je sais aussi que s'il le pouvait, il quitterait la voiture. Je reprends.

- Prendre des médicaments pour contrôler tes crises de psychose ne suffit pas, tu as besoin de comprendre pourquoi ça t'arrive, un professionnel pourra t'aider. Je ne dis pas que tu seras complètement guéri, mais tu pourras te sentir mieux. Avant que tu refuses, juste promets-moi de voir un psy, juste une fois ou deux, s'il te plaît !

J'écarte ses cheveux noirs de son front avant d'y glisser mes doigts. Riccardo allonge ses jambes autant que la voiture le permet, me faisant basculer sur son torse. Il tire sur une mèche de mes cheveux, la relâche, elle reprend ses boucles initiales, il recommence le manège plusieurs fois, les lèvres pincées. Autour de nous, il y a un vrai raffut, des voitures qui se garent, d'autres qui démarrent, des gens en pleine conversation qui se dirigent vers le centre commercial. Un peu plus loin, il y a une aire de jeux pour enfants. Mais dans la voiture, j'ai l'impression d'être seule au monde avec le démon, je jurerais entendre les rouages de son cerveau tourner à plein régime. Il enroule la mèche autour de son doigt avant de relever les paupières et de plonger son regard dans le mien.

- D'accord, j'irai voir un psy. Je suis tellement surprise de sa soudaine capitulation que je sursaute. Si facile. Je m'étais préparée à batailler durant des heures.

- C'est vrai ?

- Je te le promets.

Je le crois à moitié seulement. Connaissant Riccardo, il est capable de me dire qu'il est chez le psy alors qu'il est en train de zigouiller quelqu'un dans son sous-sol. Mais je veux bien lui donner le bénéfice du doute. Après tout, notre accord vient à peine de débuter.

- Je veux deux choses en échange. Un rendez-vous, un vrai.

- Ton adolescence te manque ? J'accepte. Et la deuxième ?

- Je vais y réfléchir. Viens.

Après ça, on fait le tour des boutiques de l'île pour lui trouver des vêtements. Faire du shopping avec Riccardo, c'est un peu comme courir un marathon, il s'arrête juste le temps de vérifier si quelque chose est à sa taille, puis sans même aller en cabine, il le jette dans son chariot.
Il prend tout ce dont il a besoin, puis on part manger quelque chose. Ironie du sort, l'un des chiens que j'avais habillés avec son pull passe juste à côté de nous. Je devais me pincer pour ne pas éclater de rire, alors que Riccardo fusillait le pauvre chien du regard.

– Je peux avoir des ciseaux et des glaçons ? Je demande au serveur, il me lance un regard perplexe mais il opine du chef avant de revenir avec ce que je lui ai demandé quelque minutes plus tard.

– Je peux savoir ce que tu prépare encore ? Pour toute réponse je lui souris.

– Rien, pourquoi tu ne me fais pas confiance ? Il s'est légèrement avancé, j'admire la montre qu'il a au poignets avant de me concentrer sur son visage orné d'un léger duvet sombre.

– Non ! Pose ça ne me fou pas la honte, je suis quelqu'un de très estimée ici.

Je remplis mon verre de vin sans jamais le quitter des eux et y ajoute les glaçon.
Riccardo se décompose, il regarde autour de lui pour s'assurer que je n'ai pas attiré l'attention.

– Gayle !
– Oui mon cœur. Je plante ma fourchette dans mes pattes, comme elles sont extrêmement longues, je décide d'utiliser les ciseaux.

J'ai pris ce plat exprès pour le faire enrager.

– Oh mon Dieu, que humiliation, tu veux qu'on se fasse virer du restaurant ?

J'éclate de rire, je risque de finir en prison mais voir Riccardo se décomposer parce que j'ai mis des glaçons dans du vin et que je coupe mes  pattes avec des ciseaux n'a pas de prix.

– j'ai quelques chose sur le visage pourquoi tout le monde me regarde.

Il m'ignore son propre visage tourné vers le mur pour se dérobé des autres clients qui prennent mon manège avec les pattes pour une attraction.

– Poses ses ciseaux ! J'éclate de rire sans pour autant arrêter.

– Respire, tiens.

– Non, éloigne cette abomination de mon visage !

– Aller, s'il-te-plait !

Il jette un regard torve dans ma direction mais accepte tout de même la bouchée que je lui donne.

– Bon toutou !
– Je vais te tuer !

Mon téléphone se met à vibrer dans la poche de ma veste brisant l'intimité du moment.
Je le consulte, j'ai reçu un message. Je l'ouvre avant de sursauter, l'appareil m'échappe des mains et tombe dans mon plat.

- Tout va bien, petite serveuse ? Je me force à lui sourire en espérant qu'il ne remarque pas le tremblement de ma main, mais Riccardo est une personne qui fait attention aux détails et c'est justement la main qui récupère le téléphone qu'il observe avant de planter ses yeux dans les miens. Bon sang, ces yeux sont enorme. Comment echapper à ce regard, je ne suis pas assez douée pour lui cacher mon trouble.

- Oui, je crois que je devrais ralentir avec le café.

Il continue de manger avant de déclarer :

- Avant de mentir, tu diriges toujours tes pupilles vers la gauche. Tu viens de le faire.

Je soupire, agacée.

- Je ne mens pas, d'accord ? Je suis juste fatiguée. Il plisse des yeux.

- L'honnêteté, ça va dans les deux sens. Si on veut que ça marche, il faut tout se dire. Je repose ma question : tout va bien ?

Je ne peux pas lui dire ce qui s'est passé en son absence. Si je lui raconte que je suis sortie avec Franco, il va péter un câble. Il ne me pardonnera jamais s'il apprend ce que j'ai failli faire, même si c'est sous l'effet de la drogue.
Je réprime un frisson en regardant discrètement ma main. Le souvenir de ce qui s'est passé à Marzamemi est toujours douloureusement vivace dans mon esprit et je suis effrayée à l'idée d'être à nouveau confrontée au Riccardo qui perd le contrôle. Mais je me sens tellement mal de lui rabattre constamment les oreilles avec ses cachotteries alors que moi aussi je lui cache quelque chose d'important. Je prends plusieurs inspirations pour essayer de calmer les battements de mon cœur.

- Gayle...

- Tout va bien !

- Tu viens de diriger tes pupilles vers la gauche.

Mon téléphone vibre encore, Riccardo me regarde comme s'il voulait sonder mon âme. Je reste totalement immobile avant de me rappeler que j'ai un repas qui m'attend.

- Et si tu me parlais du scénario que tu as imaginé pour le tome 2 ?

Je suis sincèrement soulagée qu'il pose la question, le silence commençait à être pesant. Parler de mon livre avec lui me permet de me rendre compte à quel point il m'a manqué. J'ai l'impression d'avoir vécu toute ma vie dans l'attente de cet instant, l'instant où quelqu'un me demande de lui parler de quelque chose d'important pour moi, pas juste par politesse.

Riccardo n'est pas le genre de personne qui se force à faire quoi que ce soit ; non, ce que je fais lui importe vraiment.

Surtout, ça m'empêche de penser à la photo que je viens de recevoir : la bague achetée quelques semaines plus tôt par Franco, autour du doigt d'une fille dont les ongles sont peints en rouge.

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