Gayle
Une semaine plus tard
– Et celle-ci ? Camille pose un pied sur le support pour me montrer ses chaussures à lanières. J'étouffe un bâillement. Elle me fusille du regard avant de continuer à se pavaner, je n'ose même plus me plaindre.
– Elles sont parfaites. Arya et moi répliquons en tandem.
– Vous avez dit la même chose des trois paires précédentes. Elle se regarde dans le miroir avant de sourire. Arya nous a invités au vernissage d'un de ses amis qui se déroule dans deux jours, raison pour laquelle Camille veut absolument une nouvelle paire pour l'occasion.
– Parce qu'elles sont parfaites, mais de toute façon, tu vas prendre les noires.
– Non. J'ai envie de mettre un peu de couleur dans ma garde-robe.
Après qu'elle a pris ce dont elle a besoin, elle règle la note et nous sortons du centre commercial. Je décline poliment quand elles proposent de me déposer, de toute façon la maison du démon n'est qu'à une dizaine de minutes à pied du centre commercial et j'ai envie de marcher.
James, comme à son habitude, s'est sûrement fondu dans la masse, il est tellement discret que parfois j'oublie même qu'il est là. Chose dont je lui suis infiniment reconnaissant. Si la perspective d'avoir un garde du corps ne m'enchante toujours pas, j'apprécie néanmoins sa discrétion.
Je m'arrête au centre commercial pour faire le plein de trucs à grignoter pour quand je vais me mettre à écrire. J'ai convaincu mon éditrice de m'accorder un mois de plus. Elle était contre, mais elle a fini par céder. Je peux être persuasif quand je veux.
Écrire sous pression ne me plaît pas du tout. J'ai l'impression d'être dans l'armée sous les ordres d'un général qui me hurle constamment de faire 100 pompes. Au loin, le tonnerre gronde. Je lève les yeux en direction du ciel sombre. Il va bientôt pleuvoir. De la hauteur où je me trouve, j'arrive à distinguer l'Etna au loin, un sourire tord mes lèvres. Dans d'autres circonstances, j'aurais été une parfaite touriste. Cette île vaut le coup d'être explorée, mais depuis que je suis là, je n'ai vu que le côté sombre que ses paysages ont à offrir.
Au moins, papa profite bien. Avec un groupe d'amis, il est allé visiter un site archéologique dans le nord de l'île. Il me manque énormément, mais je suis contente qu'il reprenne sa vie en main après la mort tragique de maman.
Un groupe de jeunes campe près de la devanture d'un bar me siffle. Je fais mine de n'avoir rien entendu et je presse le pas. Mais c'est sans compter l'un d'eux qui se détache du groupe après avoir échangé une poignée de main avec ses compagnons et se met à me suivre. J'étouffe un soupir d'agacement. Pourquoi à chaque fois qu'une fille marche seule dans les rues, il faut toujours qu'il y ait un lourdaud qui débarque pour lui parler ?
Le garçon dit plusieurs choses, mais je me contente de presser le pas. Malgré toute la volonté du monde, je suis incapable de faire comme s'il n'existait pas quand il me touche l'épaule. Je réprime un frisson, j'ai horreur qu'on me touche sans mon consentement. Ça me rappelle beaucoup trop Adrian Leblanc, et même la mort de ce vieux rat ne suffit pas à effacer son souvenir.
Je me retourne vers le gamin, je l'analyse rapidement : grand, très mince. Il porte un tee-shirt à l'effigie d'Imagine Dragons et un jean délavé qui tombe sur ses hanches. Je lui souris puis, la seconde d'après, j'extirpe le Beretta qui était coincé sous la ceinture de mon jean et le pointe dans sa direction. Il écarquille les yeux au même moment que ses amis arrêtent de rire. Il se met à courir quand je retire le cran de sécurité.
Je continue mon chemin après avoir rangé mon arme. C'est étrange, même si je ne supporte pas sa présence, je suis inquiète pour James. Je ne l'ai pas vu de la journée. En général, il se manifeste toujours quand quelqu'un de suspect s'approche trop près, enfin depuis que Franco s'est rendu compte de sa présence. J'ai été lamentable sur ce coup-là, avoir un garde du corps durant plus de 5 mois sans jamais s'en rendre compte.
Pour ma défense, je le répète, c'est un professionnel !
J'emprunte un chemin construit sous une arche, c'est un raccourci qui me permet d'arriver plus vite chez le démon. Au début, je venais ici pour l'attendre parce que j'avais bêtement espéré qu'un soir j'aurais la surprise de le voir dans la cuisine en train de vider le bar. Ou qu'en me réveillant un matin, il serait sur le lit avec moi, mais au bout de deux mois, j'ai perdu espoir. Pourtant, je suis restée pour m'occuper des félins.
Mais je continue toujours de l'attendre. Je n'arrêterai jamais.
J'entends soudain un craquement derrière moi, comme une brindille. Je m'arrête une fraction de seconde, tous mes sens en alerte, avant de reprendre ma progression. Quelqu'un marche derrière moi, il cale ses pas aux miens. Comment ai-je fait pour ne pas le repérer avant ? J'essaie d'abord d'agir de manière détachée, mais au bout de quelques secondes, je presse le pas, la personne aussi. J'ai le temps de me retourner pour voir une masse sombre me foncer dessus. Je suis plaquée contre la pierre et la main qui tente de saisir le Beretta est retenue. L'individu pèse de tout son poids sur moi et me tord le poignet avec tellement de force que mon arme me tombe des mains. Il maintient mon bras blessé dans mon dos, un autre homme envahit la ruelle. À deux, ils me maîtrisent malgré tous mes efforts pour me débattre. J'entends l'un des types rire et me remercier de lui avoir montré mon arme avant qu'une aiguille ne s'enfonce dans mon cou.
Putain, ça ne va pas recommencer. Je suis une proie géante ou quoi ?
***
Je grimace quand quelqu'un enfonce son doigt dans mon nombril, là où se trouve mon piercing. Ce n’est pas douloureux, mais ça me provoque des fourmillements dans tout le corps. Ma vision est obstruée et je suis bâillonnée.
La pièce est froide et humide, si froide que je suis persuadée qu’on m’a retiré mes vêtements quand j’étais inconsciente, mais il me reste mes sous-vêtements. Quelqu'un respire bruyamment à côté de moi, comme si cette personne avait couru un marathon.
Il se met derrière moi pour détacher le tissu qui me barre la vue. Je cligne des yeux plusieurs fois pour m’adapter. Je suis dans ce qui semble être une grange. Dans un coin, il y a plusieurs bottes de foin empilées, un seau, une table en bois sur laquelle sont posées plusieurs babioles que je n’arrive pas à identifier d’où je suis. Le plafond est très bas et une seule lampe y pendouille, réussissant miraculeusement à éclairer toute la pièce. Je suis installée sur un siège en bois, ficelée comme du jambon avec des cordes. Je n'arrive même pas à bouger mes membres et j'ai du mal à respirer.
Pour m'être retrouvée un nombre incalculable de fois dans ce genre de situation, je m’exhorte au calme. J’ai survécu à des hommes dangereux et j’ai même réussi à éliminer celui que je considérais comme mon pire ennemi, alors que peut-il m’arriver de pire ? La personne reste longtemps derrière moi avant de mettre fin à mon appréhension.
Je arque un sourcil, pendant une fraction de seconde je m'étais attendue à voir Dominguez, après tout, il court toujours. Mais la femme au regard injecté de sang qui me fait face ne me dit rien du tout.
Elle me regarde avec un dédain à peine dissimulé. Elle est petite, pulpeuse, avec une impressionnante masse de cheveux aussi bruns que les miens.
Je lui rends son regard. Si je n'étais pas attachée, je pourrais facilement lui refaire le portrait et l'accrocher au plafond avec ses cordes. Je ne ressens aucune peur juste l’impatience de savoir ce qu'elle veut.
Je commence à comprendre que désormais, c’est à ça que va ressembler ma vie. Non, ce n’est pas normal, mais je ne vais tout de même pas me mettre à pleurer à chaque fois.
– Les hommes se font toujours berner, tu as réussi à l’avoir avec ta beauté, pas vrai ? À la fin de sa phrase, sa voix est montée dans les aigus. Elle m’a fait penser à un gamin qui n’aime pas son cadeau de Noël.
Tiens, c’est bientôt la saison des fêtes, il faut que je pense à un cadeau pour mon père, mes amis aussi, que pourrais-je bien offrir à des gens qui ont tout ? ... Gayle, ce n’est vraiment pas le moment. Je ne dis toujours rien et mon air suffisant l’agace.
– Tu vas me dire pour qui tu travailles et ce que tu as fait de lui, et tout ira bien.
– Pourquoi je ferais ça ? La tarée saisit un sai noir sur la table et s'avance jusqu'à toucher mes genoux et pointe son arme sous ma mâchoire.
Génial, c’est pourquoi cette fois ? Une ancienne amante de Riccardo ? Une femme dont il a tué le mari, le frère, le cousin ?
– Pour sauver ta vie.
– La mort n’est qu’un voyage.
Et j’ai failli faire ce voyage tellement de fois que ça ne me fait plus rien. Mais malgré ma mine impassible, je dois avouer que je suis intriguée. Je sais que ce n’est pas elle qui m’a droguée et kidnappée, ça j’en suis persuadée. Mais qui est cette jolie brune et où sont ses deux complices ?
Je tressaille quand la pointe de son sai me transperce légèrement la peau, faisant couler un filet de sang.
– Ne joue pas à la plus fine avec moi, j’ai des armes et je n’hésiterai pas à m’en servir.
– Détache-moi et on verra qui s'en sert le mieux. Elle éclate de rire, c’est un rire doux et cristallin. Un rire de femme maîtresse dans l’art de la séduction.
– Fais ta maligne, tu espères sûrement que quelqu'un viendra te sauver, mais n’y compte pas, je me suis débarrassée de ton garde du corps. Maintenant tu vas me dire ce que tu as fait de Franco.
Je fronce les sourcils.
– Franco, pourquoi lui ferais-je quoi que ce soit ?
– J’en sais rien putain, tu es sûrement un appât.
Les appâts sont des filles utilisées par certaines organisations comme la Sacra Corona Unita et la Banda della Magliana pour attirer des filles et des garçons innocents dans un piège. Ils se retrouvent ensuite forcés à se prostituer et ne quittent les maisons closes que les pieds devant. J’ai moi-même été piégée par une fille nommée Sasha.
– Je ne suis pas un appât, mais explique-moi, je ne comprends rien.
– Tu penses que je vais te croire ? Franco a disparu et tu es la dernière personne avec qui il a été vu, ce qui fait de toi une suspecte potentielle.
Ah non, cette fois ce n’est pas la merde du Démon mais la mienne.
Je me mords la lèvre, Franco disparaître ? Mais c’est ridicule. Ok, j’ai acquis pas mal de compétences ces derniers temps ; il y a une époque, je n’étais même pas capable de couper du pain de manière adroite mais maintenant je peux trancher la gorge d’un homme d’un geste net et rapide. Mais je ne suis toujours pas assez forte pour m’en prendre à un géant comme Franco.
– Je ne sais pas de quoi tu parles, c’est vrai que Franco et moi nous sommes vus il y a une semaine, mais je ne lui ai rien fait. Enfin, regarde-moi, tu penses vraiment qu’une femme aussi menue que moi puisse faire quoi que ce soit à un mastodonte comme Franco ?
Je ne parle pas de la drogue qu’il a mise dans la bouteille d’eau. S’il a vraiment disparu, je serais vraiment coupable aux yeux de cette fille parce que j’ai des raisons de lui faire payer.
J’y ai pensé d’ailleurs, plusieurs fois. J’ai ruminé l’idée de lui faire payer ce qu’il a fait. Mais soyons honnête, je l’ai bien cherché, Franco n’a jamais été digne de confiance, pourtant je suis tombée dans le panneau.
Elle plisse les yeux, peu convaincue.
– J’ai bien réussi à mettre ton garde du corps hors d’état de nuire par la ruse. Pourquoi ça serait différent pour toi ? Tu vas me dire ce que tu as fait. Tu vas tout me dire.
Je me tortille sur mon siège, mes seins sont tellement comprimés que ça me fait mal.
– Il est venu me trouver au restaurant d’Ellen et m'a demandé de l'aide. Il avait besoin des conseils d’une amie, un truc dans le genre.
– Pourquoi ?
– Pour acheter une bague de fiançailles. Elle me regarde longuement comme si j'avais une voiture en lévitation au-dessus de l’océan avant d’éclater de rire. Elle rit tellement fort que des larmes perlent au bord de ses yeux. Je serre les dents, agacée au plus haut point et de plus en plus en manque d’air à cause de ses liens.
– Excuse-moi mais c’est tellement drôle, tu penses vraiment me faire avaler qu’un célibataire endurci comme Francisco va acheter une bague de fiançailles.
– Je n’en sais rien, il m’a demandé de l’accompagner et il a acheté une bague pour sa fiancée, une certaine Valentina, non…
Putain, c’était quoi le nom déjà ?
– Franco n’a pas de fiancée ! Elle hurle, tu te paies ma tête. La tarée jette son sai à travers la pièce. Il atterrit contre une botte de foin.
– Je vais te faire passer l’envie de te moquer de moi. Elle s’éloigne d’un pas déterminé vers la table et saisit un petit couteau en or. Elle s’accroupit ensuite devant moi et prend mon pied. J’arrive à peine à bouger. Autrement dit, je suis encore dans la merde !
– Dis-moi ce que tu as fait de lui, c’est ta dernière chance.
– Mais tu le fais exprès, je t’ai dit tout ce que je sais. Elle serre mon pied plus fort et place le couteau sous l'ongle de mon petit orteil, elle me regarde, un dernier avertissement dans ses prunelles sombres. Je frissonne, elle ne va pas faire…
La tarée a glissé la lame sous mon ongle, elle l’enfonce petit à petit. Je me mets à trembler, mes poings se serrent, et tout mon corps convulse comme s’il voulait s’arracher du siège. Putain, je réussis à ne pas hurler, mais c’est l’une des choses les plus difficiles que j’ai eu à faire. La lame termine sa progression jusqu’à atteindre la cuticule.
Je gémis quand elle tire sur mon ongle, le séparant d’un bout de peau résistant. Ma poitrine comprimée se soulève au rythme d’une respiration erratique.
– Tu es résistante, je dois t’accorder ça. Une perle de sueur glisse entre mes seins, je baisse la tête jusqu’à ce que mes yeux rencontrent les siens. Je lui souris.
– Découpe-moi en morceaux si tu veux, ça ne changera pas la réalité. Je n’ai rien fait à Franco.
– Si tu ne lui as rien fait, tu sais où il est. Un souvenir me revient brusquement en mémoire, il y avait un homme dans l’appartement de Franco. Il doit être le dernier à l’avoir vu. Mais je ne me souviens pas des traits de son visage et je ne connais pas son identité. Et même si je lui en parle, elle va croire à une invention de ma part.
– Et toi, tu perds ton temps avec moi au lieu de chercher à le retrouver. Je t’ai dit toute la vérité.
Elle enfonce brutalement le couteau dans mon gros orteil entre l’ongle et ma chair. Le choc passé, la douleur se répand dans tout mon corps en partant de mon pied. Je rejette la tête en arrière, les paupières closes comme si ça pouvait m’aider à ne plus sentir cette brûlure qui m’empoisonne la peau.
La tarée retire brutalement le couteau et se lève.
– Finie la méthode douce.
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