Gayle

Étrangement, après le départ de Rebecca et cette inexplicable colère qu'elle a fait naître en moi, je réussis à écrire quelque chose. Ce ne sont que des idées, mais au fur et à mesure, je les développe et je suis persuadée que je pourrais en tirer quelque chose de cohérent. Une masse sombre se glisse sur le siège laissé libre par Rebecca, je sursaute avant de plisser les yeux. Bon sang, pas lui ! Mais achevez-moi !

– Salut, beauté.

– Franco, qu'est-ce que tu veux ?
Franco fait partie d'une des nombreuses organisations criminelles qui gouvernent l'île. Quand je travaillais comme serveuse dans ce restaurant, l'une de mes collègues, Sasha, m'a piégée et livrée à Franco contre de la drogue. Je serais sûrement en train de me prostituer à l'heure qu'il est si Riccardo ne m'avait pas sauvée. Depuis, Franco me harcèle, même si, pour être honnête, ça fait un bail que je ne l'avais pas revu.

Il place quelque chose sur la table. Je fronce les sourcils en reconnaissant la couverture de mon livre.

– Je viens faire dédicacer mon livre.

– Les dédicaces se passent à la librairie.

– Pas quand on a le privilège de connaître l'auteur. Il me tend un stylo que je saisis à contrecœur. Je ne vais tout de même pas me plaindre quand quelqu'un augmente mon chiffre d'affaires.

– Non seulement tu ne l'as pas lu, mais je sais que tu ne comptes pas le faire. Qu'est-ce que tu veux, vraiment ?

Franco sourit, dévoilant sa dentition parfaite. J'ai beau avoir une dent contre lui parce qu'il a tué une fille sans aucune raison pour m'intimider, je ne peux pas nier qu'il est foutrement beau gosse.

– Bon, tu as raison, j'ai un service à te demander. Il s'adosse à son siège de façon décontractée. Franco n'est pas le genre de type qui passe inaperçu avec ses presque deux mètres et son physique de bodybuilder.

– Toi, Franco, tu as besoin de moi ? Laisse-moi rire !

– Pour être exact, j'ai besoin d'une amie. Je arque un sourcil, c'est moi ou il est carrément gêné là ?

– Ah, tu as enfin compris qu'il y a des choses que l'argent ne peut pas acheter. Il choisit d'ignorer mon sarcasme.

– Voilà, j'ai rencontré une fille il y a quelques mois, le courant passe très bien entre nous. Il passe tellement bien que je veux l'épouser.

J'écarquille les yeux, réellement surprise.

– C'est vrai ?

– Absolument. Elle s'appelle Vivianna.

– Alors là, je suis vraiment contente pour toi, Franco.

Même si je ne comprends pas pourquoi il me raconte ça à moi, lui et moi ne sommes pas amis, loin de là.

– Tu te demandes sûrement pourquoi je te raconte ça. J'acquiesce, incapable de retenir un sourire.

– J'ai prévu de lui faire ma demande, mais je n'ai pas trouvé de bague, je n'y connais rien en ferraille.

– Si tu qualifies les bagues de fiançailles de ferraille, je confirme, tu n'y connais rien. Franco plisse les yeux en riant, il hausse une épaule.

– Tu vois ? J'ai besoin que tu m'aides à choisir une bague parfaite pour elle.

– Oh, je me sens réellement honorée, mais tu devrais demander ça à quelqu'un qui la connaît, tiens, sa sœur si elle en a une, ou sa meilleure amie, quelqu'un proche d'elle connaîtra mieux ses goûts et t'aidera à faire un meilleur choix.

Tiens, c'est une idée parfaite pour un roman. Non, Gayle, concentre-toi sur celui que tu es en train d'écrire.

Il souffle.

– Elle n'a pas de famille et a un meilleur ami, que je supporte moyennement. Je ris avant de faire la moue.

– Oh, c'est que tu es jaloux.

– Possessif.

Les choses sont simples, je protège jalousement ce qui est à moi et pour ton malheur, Gayle, tu es en train de devenir mon bien le plus précieux.

Ce souvenir se fraye un chemin dans mon esprit, je me sens soudain mal, j'ai l'impression de le tromper rien qu'en discutant avec Franco. C'est complètement ridicule. Putain, Riccardo me manque, c'est insoutenable. Mes yeux se mettent à piquer, je saisis un mouchoir.

– Alors, tu vas m'aider ?

– Oh, hm, je sais pas, je ne crois pas que ce soit très judicieux.

– Allez, Gayle, en souvenir du bon vieux temps. Je soulève très haut mon sourcil, on peut dire qu'il n'a pas froid aux yeux. Franco et moi n'avons jamais eu un bon vieux temps. Je suis tentée de lui administrer un refus catégorique, mais je n'en ai pas la force.

– Bon d'accord, mais après tu me laisses tranquille. Il a un sourire éclatant.

– Promis. Après tu ne me verras plus.

Je me lève en enfilant ma veste, je glisse mon ordinateur dans mon sac avant de le suivre vers la sortie. Mon téléphone se met à vibrer et une photo de Camille apparaît sur l'écran.

– Tu viens au point ce soir, pas vrai ? Camille est le genre d'amie qui ne commence jamais une conversation par un bonjour.

– Oui, je serai un peu en retard, je dois accompagner un ami. Je grimace en l'entendant mâchouiller.

– Dante ?

– Nah.

– Luca ?

– Non plus.

– Depuis quand tu as un pote qu'on ne connaît pas ? L'ami en question se tenait un peu plus loin adossé à une Rolls-Royce. Il est vêtu comme à son habitude d'un pantalon cargo et d'un tee-shirt vert.

– Ma vie ne tourne pas autour de vous. Je déclare, je n'ai aucune envie qu'elle sache avec qui je suis. Je plisse des yeux quand elle commence à me rire au nez, j'avais oublié que la belle brune n'était pas le genre de personne qu'on démontait aussi facilement.

– Oh, accouche ou je viens te chercher.

– Tu es toxique comme amie, c'est bon, j'accompagne Franco acheter une bague.

– Quoi, Franco, le mec de la Sacra Corona Unita, celui qui t'a kidnappée ? Non mais tu es malade !

– Oui mais l'eau a coulé sous les ponts depuis.

– Mais je m'en fiche de tes bêtises de sous les ponts, ce mec est dangereux. Qu'est-ce qu'il te veut ? Mais qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? Hello, on n'est pas dans Twilight, ton Edward ne va pas débarquer parce que tu te mets en danger.

– Arrête de dire n'importe quoi, ça n'a rien à voir avec Riccardo.

Je lui explique rapidement ce que Franco m'a raconté en haussant légèrement le ton, énervée par les bruits de mastication qu'elle produit.

– Hm, et sa meuf n'a pas de meilleure amie, de la famille ?

– Non.

– Comme c'est pratique. Gayle, je ne la sens pas. Tu vas finir dans les faits divers et Riccardo va tous nous massacrer parce qu'on a été incapables de te protéger. Bon, vu que tu as décidé d'y aller, va-y mais ne prends pas sa voiture, marche plutôt et partage-moi ta localisation en direct, on sait jamais.

– D'accord, on se retrouve ce soir au point.

– Si tu ne finis pas dans la cave de Franco. Gayle, tu peux vérifier la taille de son zizou, s'il te plaît ?

– Mais tu es malade !

– Oh, arrête, fais pas comme si tu ne t'es jamais demandé s'il est grand partout.

Je soupire avant de raccrocher.

À chaque fois que la vendeuse de chez L'histoire d'Or montre une boîte en velours où repose une bague de fiançailles, Franco fait une grimace. C'est notre troisième bijouterie, de ma vie je n'ai jamais côtoyé un homme aussi difficile : rien ne le contente, tout est soit trop grand, trop petit, trop blanc, trop jaune. Bref, Franco est une vraie diva.

– Ce modèle est unique, c'est une bague en or, munie d'un diamant blanc taillé comme une rose. Regardez comme les artisans ont fait un travail remarquable, les pétales de rose passent du blanc éclatant du diamant à l'or. La vendeuse se penche à travers le comptoir en verre pour montrer la bague à Franco, ce faisant, le col de son pull en U s'échancre dévoilant un décolleté impressionnant.

– Voyez ! ajoute-t-elle d'une voix caressante.

– Et c'est quel bonnet... Merde, je veux dire...

– Je vous demande pardon, s'indigne la vendeuse en reculant.  Je la vois serrer le poing comme pour resister à l'envie de le frapper pour son lapsus. Je décide d'intervenir avant que ça ne vire au carnage, visiblement c'est pour ça que je suis là. Quel con !

– Il veut dire combien de carats.

– Ah, eh bien...

Mes yeux dévient en direction des bagues exposées derrière la vitrine, une en particulier attire mon attention : c'est une bague en or blanc, le design est fait de sorte que deux mains tiennent une pierre verte taillée en forme de cœur. Elleest minuscule et ne doit pas coûter une fortune, mais elle a un charme unique.
Je sens Franco derrière moi, je m'écarte instinctivement quand son torse effleure mon dos.

– Désolé, je voulais juste voir ce qui te captive autant. Je secoue la tête avec un sourire d'excuse, ce n'est pas sa faute, je suis juste très mal à l'aise d'être avec un autre homme même si c'est pour l'aider quand tout mon être désire un autre.

Riccardo a couché avec Rebecca, pourquoi devrais-je lui rester fidèle !

Je chasse cette idée de ma tête.

– Je peux voir celle-ci. La vendeuse acquiesce, elle sort la bague et c'est comme si les lumières présentes dans cette pièce n'attendaient que cet instant pour converger en direction de l'émeraude qui se met à scintiller comme la caverne aux merveilles.

– Elle est magnifique.

– Tu trouves ? Je lève les yeux au ciel, ces made men ont peut-être beaucoup de goût en ce qui concerne les armes mais pour le reste, c'est une vraie catastrophe. La tristesse affaisse mes épaules. Putain, il faut que j'arrête de tout ramener à lui.

– Oui, je trouve qu'elle est très bien, mais toi qu'est-ce que tu en penses ?

– Honnêtement, elle est jolie. J'espère qu'elle lui plaira.

Une heure et trois bijouteries plus tard, Franco a enfin trouvé la bague de ses rêves ! On remercie la vendeuse mais Franco me retient par le coude quand nous sommes sur le point de passer la porte tambour.

– Qu'est-ce qui te prend ? Avec sa grande taille, il doit carrément se plier en deux pour me murmurer à l'oreille.

– Je ne sais pas si tu as remarqué mais un type te suit. Je me raidis, Franco me lâche avant de poursuivre.
– Je l'ai vu au restaurant, il n'avait pas vraiment attiré mon attention. Mais il était là quand nous sommes entrés dans la première bijouterie.

Je comprends beaucoup mieux pourquoi il a changé trois fois de bijouterie sans prendre la peine de regarder ce qu'elles proposent, il voulait s'assurer que le type nous suit.

– C'est qui ?

– L'armoire à glace qui tient son journal à l'envers. On traverse la porte et je passe la rue en revue. Je repère très vite un homme qui a presque la même taille que Franco. Ses vêtements sont tout ce qu'il y a de plus banal, il est adossé à un arbre et un journal masque son visage. Mais je reconnais ses vêtements, je l'ai vu au restaurant, mais comme Franco, je n'ai pas fait attention à lui.

– Je reviens. Sans attendre la réponse de Franco, je traverse la rue en quelques enjambées, je me plante devant l'homme.

– Votre journal est à l'envers. Il baisse sa paperasse, il porte d'énormes lunettes de soleil et une casquette de baseball.

– Qui êtes-vous, pourquoi me suivez-vous ?

Il retire ses lunettes dévoilant des yeux sombres.

– Je me nomme James, je suis votre garde du corps, à votre service depuis 5 mois.

J'ai l'impression de recevoir une chape de plomb, un rire sans joie m'échappe.

– Vous voulez me faire croire que vous me suivez partout depuis 5 bons mois, mais c'est ridicule, je m'en serais aperçue.

– J'ai été choisi pour ma discrétion. Je cligne des yeux avant de lever la main, paume dans sa direction.

– Attendez, c'est ridicule, choisi par qui et pourquoi ?

– Par Monsieur Gaviera.

– Riccardo ? Il acquiesce. Je n'arrive même pas à définir ce que je ressens. Le démon tient assez à moi pour me coller un garde du corps aux baskets mais pas assez pour accepter de me voir ? Cet homme est une vraie énigme.

– Vous êtes viré. Allez dire à votre patron que je ne veux rien venant de lui. Je m'éloigne mais James me suit à bonne distance.

– Vous n'avez pas le pouvoir de me virer, si je peux me permettre, Monsieur Gaviera ne sera pas ravi d'apprendre que vous sortez avec un membre de la Sacra Corona Unita.

Je m'arrête net au milieu de la route, mince, j'en ai oublié Franco. Il est toujours devant la bijouterie, ne nous quittant pas des yeux.

Je croise les bras sur la poitrine en penchant la tête sur le côté, James est aussi forcé de s'arrêter, il plonge ses yeux dans les miens.

– Et comment va-t-il le savoir ? Il passe les doigts sur son menton orné d'une barbe de quelques jours comme s'il cherchait les mots adéquats.

– Je suis chargé de faire un rapport chaque semaine.

– Autrement dit, vous relatez tous mes faits et gestes à Riccardo ? Mais pour qui il se prend ? Il m'abandonne et il se permet de me faire surveiller par ses sbires   ?

– Je ne fais que mon travail.

– Dites à votre patron que j'aurai sa peau s'il sort de prison. Il a intérêt à rester là-bas pour toujours.

Je remplis mes poumons d'air avant de m'éloigner, j'en ai assez, je me mets à courir, je veux être loin d'ici avant de faire une bêtise comme embrasser Franco à pleine bouche pour donner à James de quoi mettre dans son rapport à la con. Ce dernier me retient et je me rends compte à quel point je suis ridicule. Mais prendre conscience que Riccardo me colle un garde du corps m'énerve encore plus que l'idée qu'il n'en a rien à faire de moi. Je veux avoir des raisons de le détester, pas des raisons de l'aimer. J'ai l'impression que cet homme cherche constamment à me rendre folle.

– Tout va bien ? Je me dégage de sa poigne avec douceur. Franco observe James qui s'est rapproché, ils font presque la même taille et j'ai l'impression d'être Tyrion Lannister entre deux géants venus au nord du mur.

– Tiens. Il me donne une bouteille d'eau que j'accepte avec gratitude. Cette petite course m'a donné soif.

– Oui, je te présente mon garde du corps; bref, je dois y aller. J'espère que la bague plaira à ta copine. Il hoche la tête.

– Merci, tu veux que je te dépose ? Les deux hommes se jochent avec animosité, je prend alors conscience qu'ils font partie de deux clans qui se supportent moyennement et que ça peut très vite dégénérer, et  qu'on soit au milieu d'une rue passante en pleine journé, n'y changera rien.
– Madame Gaviera, n'a pas besoin de toi. Je pose une main sur le torse de Franco qui s'est avancer menaçant, James à une main sur  l'arme dissimulée sous sa veste.
Si c'était Riccardo, il aurait deja tirer peu important les consequense.
– Non, c'est gentil.

Je m'éloigne, James sur mes talons, sa présence m'agace mais je suppose qu'il ne s'en rend pas compte vu qu'il se lance dans un long discours sur le fait de sortir avec un membre d'un clan ennemi. Depuis l'attaque lors de la fête de fiançailles de Giacomo, tout le monde est sur le qui-vive. Personne n'a revendiqué l'action mais je suis persuadée que ce sont les LeBlanc qui ont fait le coup. Même si Jawad refuse de cracher le morceau. Si j'apprends que c'est lui qui a fait le coup, sa mort sera lente parce qu'à cause de lui, Cass a failli perdre son bébé. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal.

Mon téléphone vibre pour la dixième fois depuis que je suis sortie avec Franco. Je réponds à Camille et lui parle du garde du corps, étrangement elle ne semble pas surprise. Je louche en direction de ce dernier, il regarde la rue avec des yeux de lynx comme s'il s'attendait à ce qu'une bombe nous tombe dessus à chaque instant.

Je soupire, à quoi tu joues, Riccardo Gaviera ?

– Monsieur Gaviera m'a demandé...

– Ne me parle pas de lui.

Agacé, je tourne brusquement les talons. Finalement, je vais accepter la proposition de Franco, je vais  donner à James quoi mettre dans son maudit rapport.
Non mieux, je vais m'envoyer en l'air, comme Riccardo l'a fait avec Rebecca.

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