Gayle


Je relis ce que j'ai écrit attentivement avant de pousser un soupir qui secoue ma poitrine et de tout effacer d'un clic rageur. Je hais mon ordinateur ! Pourquoi n'efface-t-il pas plus vite le fruit de mon incapacité ?

Angel a dit une fois dans une interview qu'elle n'a pas ses propres chansons dans sa playlist. Eh bien, moi, non seulement j'ai mon propre livre dans ma pale, mais je le relis sans cesse, pas pour en tirer une certaine satisfaction, non, à ce stade, je me demande juste comment je me suis débrouillé pour l'écrire si je n'arrive même pas à faire une phrase sensée pour le début du tome deux. C'est un vrai foutoir dans ma tête ; chaque fois que j'essaye de me concentrer assez pour écrire, mon esprit prend un billet d'avion et s'envole pour Rome.

Je te hais, Riccardo Gaviera.

Si au moins il acceptait de me voir, je saurais comment il va et j'arrêterais de me faire du mouron. Lors de ma dernière visite il y a à peine une semaine, un homme a accepté que je le voie, que Riccardo le veuille ou non. C'était le gardien en chef de la prison, il était prêt à me laisser seule avec Riccardo dans l'une des cellules utilisées pour les visites conjugales. Ma joie et mon espoir ont été balayés en une fraction de seconde par la méfiance qui est désormais devenue une seconde nature chez moi. Pourquoi cet homme ferait-il ça pour moi, ou plutôt en échange de quoi ? Parce que les bonnes actions désintéressées n'existent pas. Il a fini par se jeter à l'eau, il serait prêt à me laisser passer du temps avec Riccardo si je couchais avec lui.

Mon côté impulsif a pris le dessus et je lui ai envoyé mon poing dans la figure, lui cassant le nez au passage. Maintenant, je regrette parce que j'ai vraiment peur que mon acte irréfléchi ait causé des problèmes au démon.
Au contraire, j'espère qu'il aura des montagnes de problèmes, cet imbécile.

Je me passe la main sur le visage, je suis tellement fatiguée de constamment jongler entre le manque que son absence a laissé dans ma vie et la colère qui monte en moi chaque fois que je pense à lui. Si je continue comme ça, je serai bonne pour la camisole de force.

– Ça va, chérie ? Je lève la tête pour regarder Ellen qui se tient en face de moi. Mon ancienne patronne pose une tasse de thé en face de moi. Même si je ne travaille plus comme serveuse dans son restaurant, j'y reviens très souvent pour être seule et écrire.

– Tu penses que mon éditrice acceptera d'éditer un livre qui n'a qu'un seul mot ? Je tourne l'écran pour lui montrer le prologue écrit en grand. Ellen grimace un sourire.

– Peut-être, on ne sait jamais. Tu créeras peut-être une nouvelle tendance.

– Je suis désespérée, je ne sais plus quoi faire.

– Et si tu faisais une pause, tu te mets peut-être beaucoup trop de pression. Je me mordille les lèvres, elle n'a pas tort. L'écriture a toujours été facile pour moi, je n'ai jamais eu à me forcer, mais avoir constamment mon éditrice sur le dos qui me rappelle que je suis tenue par un contrat, ça me rend dingue. J'ai encore l'impression d'entendre la voix de Gil.

« Tu sais, Gaylen, la politique de la maison d'édition veut que pour une histoire en plusieurs tomes, au moins deux manuscrits doivent être déposés, mais nous avons fait une exception pour toi, nous devons respecter un planning !! »

Ahhhgh, sort de ma tête !

En regardant du côté de l'entrée, je vois une personne qui me fait me lever d'un bond de mon siège. Mon mouvement est si brusque que ma main percute la tasse de thé qui se renverse, mouillant mon clavier et mon téléphone.

– Mince, Ellen, je suis vraiment désolée.

– Ce n'est rien, je m'en occupe. Je me concentre à nouveau sur Rebecca quand elle s'éloigne pour aller chercher de quoi nettoyer. Je ne l'ai pas revue depuis six mois maintenant.

Elle s'avance dans ma direction avec un sourire d'excuse.

– Je ne voulais pas te faire peur. Je secoue la tête en signe de dénégation mais aussi pour sortir de la stupeur que génère sa présence. Voir Rebecca fait naître en moi des souvenirs douloureux de mon séjour à Marzamemi, je pense non seulement à Dominguez mais surtout au soir où Riccardo a failli me tuer lors d'une crise de psychose. À l'époque, je ne savais pas qu'il était malade. Oh, je savais qu'il me cachait quelque chose, mais jamais je n'avais imaginé que ça aurait pu être aussi grave. Je fais courir mon pouce sur ma paume, ma blessure a cicatrisé il y a longtemps mais j'aime bien la toucher.

Je m'en fous, je l'aime quand même. Mais je vais le tuer s'il rentre à la maison. Il va voir.

– Ce n'est rien, je suis maladroite. Ellen revient avec des serviettes, je l'aide à nettoyer puis elle s'en va après avoir pris la commande de Rebecca. Contrairement à la dernière fois que je l'avais vue, cette dernière a repris du poids, ses cheveux sombres ne sont plus gras mais soyeux et cascadent en boucles sombres jusqu'à ses épaules et ses yeux bleus ont retrouvé leur éclat. Elle est magnifique et je suis sincèrement ravie pour elle.

– Tu sembles aller mieux, dis-je d'un ton hésitant.

– C'est le cas. Mes parents m'ont fait interner dans une clinique spécialisée. Ça n'a pas été facile au début, tu t'en doutes, mais les médecins m'ont beaucoup aidée et peu à peu je sens son emprise sur mon esprit disparaître.

Elle a appuyé sur le mot « son ». Je ne peux pas lui en vouloir de ne pas prononcer le nom de Dominguez. Cet homme a détruit sa vie, il a marqué non seulement son corps mais aussi son esprit. Et même si Rebecca arrive à s'en sortir, elle aura toujours les sévices de cet homme marqués sur la peau comme des témoins indésirables dont on ne peut se débarrasser.

– Je suis désolée de débarquer comme ça, mais Cass m'a dit que je te trouverais ici, alors je suis venue. Je tenais à te remercier pour ce que tu as fait pour moi.

– Ce n'est rien, je veux dire c'est normal...

– Ce n'est pas rien, je t'ai poignardée pourtant tu ne m'as pas abandonnée. Je suis vraiment désolée.

Une serveuse place une tasse de cappuccino devant elle avant de nous laisser.

– Arrête, ce n'est pas toi. C'est lui le coupable, je ne t'en veux pas. Je suis vraiment contente de voir que tu as réussi à t'en sortir. Elle me sourit et mon propre sourire apparaît automatiquement. C'est comme si, en cet instant, on partage quelque chose de fort, Rebecca et moi. Nous sommes deux femmes que des hommes ont tenté de briser et qui essayent de s'en sortir.

– Je t'en serai éternellement reconnaissante. Je glisse une mèche de mes yeux derrière mon oreille, les remerciements à répétition me rendent mal à l'aise.

– C'est rien, Rebecca, en plus je n'ai absolument aucun mérite, c'est Riccardo qui a tout fait. Il t'a cherchée avec acharnement durant un an. Rebecca rougit, elle saisit sa tasse et porte le breuvage fumant à ses lèvres.

– En parlant de Ric, je suis venue te voir pour ça aussi.

– Ah... Je me pince les lèvres.

– Je voulais savoir s'il y a quelque chose entre vous, parce que maintenant que je vois plus clair, loin de son emprise, j'ai pris conscience que je suis toujours amoureuse de Riccardo et je compte bien le récupérer.

Je te l'offre, ce nid à problèmes. Ça sera juste un poids de moins sur mes épaules !

Je regarde mon ordinateur puis elle, je ne sais pas quoi lui répondre. Le silence s'allonge entre nous, troublé par les conversations des autres clients autour de nous. Rebecca papillonne des cils avant de poser la tasse. Elle mâchouille sa lèvre inférieure, visiblement très mal à l'aise avant de reprendre.

– Après ce que tu as fait pour moi, je me suis dit que je me devais d'être honnête avec toi.

Traduction : Je suis honnête avec toi donc tu te dois également de l'être avec moi. Mais comment pourrais-je l'être ? Il serait facile de lui dire qu'il n'y a rien entre Riccardo et moi, mais ce serait un mensonge, tout comme je mentirais en affirmant qu'il y a quelque chose.

Je suis sûre de mes sentiments, je sais ce que je suis prête à faire pour lui. Mais je ne sais pas ce qu'il ressent. Je pense le savoir, mais je n'en suis pas sûre alors...

– C'est à Riccardo de décider. C'est tout ce que je réussis à dire. Décidément, mon sens de la répartie est aussi vide que mon deuxième roman.

– S'il m'accepte, tu ne poseras pas de problème ?

Je retiens un rire.

– Je ne me battrais jamais avec une autre femme pour un homme.

– Je suis allée le voir en prison, je voulais juste le remercier, mais quand mes yeux ont parcouru son corps, des sentiments que je croyais disparus remontent à la surface.

J'ai été blessée plusieurs fois : la première fois, c'était un coup administré à la tête par Adrian Jr ; ma deuxième blessure grave était un coup de feu de Jawad qui m'a atteinte à l'épaule ; puis Rebecca m'a poignardée à la cuisse et Riccardo a planté ma main sur le sol avec un couteau affûté. J'ai eu mal, très mal, mais aucune de ces douleurs n'égale celle que je ressens en cet instant. Pour faire simple, j'ai l'impression que mon cœur a été plongé dans une boîte en acier qui elle-même lévite au-dessus du feu. Je saisis le verre d'eau et le porte à mes lèvres, regrettant que l'eau ne soit pas froide.

Je me force à sourire à Rebecca, je ne vais pas lui faire une scène. Ce n'est pas sa faute si Riccardo ne veut pas me voir, je ne peux pas lui en vouloir.

– C'est cool.

PUTAIN ? NON, CE N'EST PAS COOL. DES QUE JE RENTRE À LA MAISON, JE VAIS VIDER SA COLLECTION DE MONTRES DANS LA PISCINE.

– On a passé une nuit ensemble dans l'une des cellules réservées aux visites conjugales. Il est d'une ardeur inégalable.

Le choc me coupe le souffle. Rebecca continue de parler, inconsciente de la colère que je cache derrière mon air impassible.
– J'espere qu'il va bientot sortir.

– Ouais, j'espère aussi. Elle regarde sa montre. Une idée me traverse la tête, je sais que Rebecca n'a pas envie de parler de lui mais je déclare.

– Il a essayé de rentrer en contact avec toi ? Ma question est légitime. Dominguez court toujours et juste après que j'ai libéré Rebecca, il m'a envoyé un énorme bouquet de roses rouges suivi d'un mot. C'était clairement une menace, mais depuis, je n'ai plus eu de ses nouvelles, pas que je m'en plaigne, mais je ne serai vraiment rassurée que quand il sera mis hors d'état de nuire.

Rebecca a un frisson qui ne m'échappe pas, elle secoue légèrement ses frêles épaules.

– Non. Sa voix a légèrement tremblé et elle a baissé les paupières. Dans le cas de Rebecca, cette réaction peut se traduire soit par un mensonge, soit par la peur et le pouvoir que Tommaso Dominguez exerce sur elle.

– Rebecca, s'il entre en contact avec toi, tu dois...

– Je sais ce que j'ai à faire, je ne suis pas complètement idiote, dit-elle en s'emportant et en haussant le ton. Désolée, bon, je vais y aller.

Étrange !

– D'accord.

Rebecca pose un billet sur la table avant de se lever. Je soupire quand elle s'éloigne, je peux enfin arrêter de sourire. Je n'ai jamais été douée pour faire semblant.

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