Chapitres 42: Un brin d'intimité à Marzamemi
À cause du Titanic, j'ai toujours eu une grande appréhension des voyages en bateau, pourtant, à l'exception de mon épisode de somnambulisme, tout s'est bien passé. Mais il n'y aura jamais rien de mieux que d'avoir les pieds sur terre, peu importe à quel point j'ai soif d'aventure, j'adore la stabilité qu'apporte la terre ferme.
La bourgade de Marzamemi ressemble à ces lieux qu'on ne voit que sur les cartes postales, trop beaux et trop irréels. Une plage immaculée, bordée par des eaux turquoises scintillantes. Le sable, blanc comme la neige, s'étend à perte de vue, parsemé de coquillages.
C'est un village maritime magnifique, entouré du bleu de la mer, qui forme sur la côte deux petits ports naturels. De petites barques de pêcheurs flottent près des ports, souvent colorées en bleu, rouge et jaune. J'ai du mal à croire que dans un endroit aussi calme et aussi beau, un criminel, pédophile, puisse se cacher. C'est le genre de lieu où l'on vient pour oublier toute la misère du monde.
Quand nous étions descendus du bateau, j'avais trouvé un énorme coquillage en forme de trompe. Juste pour m'amuser, j'avais essayé de souffler dedans.
– Imagine que quelqu'un ait fait pipi dessus, ou pire ! J'avais laissé tomber l'objet comme s'il m'avait brûlé. Riccardo a vraiment le don de gâcher les moments les plus féeriques. Après qu'il m'a apporté mon petit déjeuner et échangé quelques paroles énigmatiques dont lui seul a le secret, il est parti, et je ne l'ai revu que lors du débarquement. Je me serais bien passée de sa présence pour le reste de ma vie, mais c'est quasi impossible étant donné qu'on travaille ensemble.
– Petite serveuse, viens ici ! Je grince des dents. Je passe mon temps à l'ignorer, mais lui ne comprend pas les choses de cette façon. Avec un soupir, je m'éloigne de la fenêtre. La chambre que j'occupe dans la maison de vacances louée par le démon est collée à la sienne, et les cloisons sont si minces que j'entends absolument tout avec une acuité dérangeante.
– Quoi ? Je pousse la porte de sa chambre.
– Dans la salle de bain.
– Tu es visible ?
– Plaît-il ? Il réplique d'un ton solennel.
– Riccardo !
– Je ne suis pas à poil, maintenant viens ici.
Il a une serviette nouée très bas autour de ses reins. Il n'est pas massif, mais chaque muscle de son corps est parfaitement défini. Mes yeux parcourent ses tatouages avant de descendre sur ses abdos et sur le V caractéristique qui disparaît sous sa serviette. Je me mords la lèvre inférieure pour réprimer l'envie qui me tenaille.
Avec un grognement, Riccardo saisit mon poignet et m'attire dans la salle de bain. Ses mains se posent sur ma taille et il me hisse sur le lavabo, s'insinuant entre mes jambes.
– Je me suis promis de ne pas te toucher, mais tu dois arrêter de me regarder comme ça. Tu ne me facilites pas la tâche. Il serre plus fort ma taille en faisant courir son nez sur ma mâchoire, et en réponse, je me cambre contre lui.
– Je ne te regarde pas. Je dis en évitant son visage. Mes yeux se posent plus bas, sur la bosse qui se forme sous sa serviette. Bon sang, je relève les paupières pour croiser son regard amusé. Ses doigts s'insinuent sur les côtés de mon short avec une lenteur diabolique. Il tire dessus, me rapprochant du bord du lavabo et dangereusement de son érection.
– Je sens toujours ton regard sur moi, avant même de te voir, je sais exactement quand tu es dans une pièce.
C'est drôle, moi aussi. Je le sens à cette oppression dans ma poitrine, à ce frisson qui me parcourt l'échine. J'adore cette sensation qui me prévient que mon ouragan personnel, que ma mini crise cardiaque, n'est pas loin. D'elle-même, mes mains remontent sur sa nuque, je glisse mes doigts dans ses cheveux.
– Pourquoi m'as-tu appelé ?
– Tu sais faire une coupe ? Je plisse les yeux en regardant sa crinière. Je tire légèrement dessus. Riccardo me sourit et mon cœur se met à battre plus vite. Je me tortille et me rapproche encore, avide de sa proximité. Son front se pose sur le mien.
– Je l'ai fait une ou deux fois pour mon père, pourquoi ? Riccardo grimace.
– C'est toi qui lui as fait sa coupe ridicule ? Je m'éloigne assez pour croiser son regard.
– Hey, cette coupe ridicule s'appelle une calvitie. Crois-le ou non, avant, mon papa avait de très beaux cheveux, et je suis douée. Il regarde mes cheveux, un sourcil haussé. Je comprends le message et on se met à rire. Je le hais.
– Je m'occuperai de mes cheveux plus tard. Tu la veux ta coupe oui ou non ?
– Je présume que c'est mieux que rien. Coupe les miens.
C'est vrai qu'ils sont plus longs que la première fois qu'on s'est rencontrés, mais ça lui va bien. Un énorme sourire éclaire mon visage. Je lui ferai une coupe hideuse, comme ça aucun risque que les filles du village ne soient attirées par lui.
– Oublie tout de suite tes pensées diaboliques.
– Je ne pense à rien.
– Gayle, tu es un livre ouvert. Je me mords la lèvre inférieure.
Riccardo soupire avant de saisir ma nuque. Je m'apprête à protester, mais il capture ma lèvre inférieure et y plante ses dents avant de la sucer. Ah merde, le désir explose dans mon ventre. J'empoigne sa crinière pour le rapprocher encore plus de moi. Je me cambre contre lui, sentant sa verge se presser contre l'intérieur de ma cuisse. Il laisse échapper un son à mi-chemin entre le gémissement et le grognement et mordille ma lèvre de nouveau...
– Bien, je n'aurai plus à me demander ce que ça fait de mordre cette lèvre.
Je serre très fort les paupières avant de plonger mes yeux dans les siens. Il se moque de moi ?
– Je t'ai déjà dit d'arrêter ça ! Il s'éloigne à temps pour éviter mon coup de pied.
– Perdu ! Le prenant de vitesse, mon poing entre en contact avec sa joue.
– Putain, je perds tous mes réflexes avec toi, il marmonne en se massant la joue. Bon, on la fait cette coupe ?
– Seulement si tu enfiles un boxer. Il pose les mains sur ses hanches minces en contractant ses abdominaux.
– Tu as peur de ne pas pouvoir résister au dragon ? Je grimace de dégoût.
***
Riccardo réussit à dénicher un siège en bois d'assez bonne taille où il s'installe. Il n'arrête pas de siffloter pendant que je pose tout ce dont je pourrais avoir besoin sur le lavabo.
– Je vois que monsieur est de bonne humeur. Je marmonne à voix basse pour qu'il n'entende pas.
– Ok Google, lance la musique !
– Si j'entends le générique de Scarface, je brûle cette maison. Riccardo s'empresse de demander à l'assistante Google de passer sa seconde playlist.
Un son caractéristique nous annonce que l'assistante Google l'a entendue, puis, une seconde après, Careless Whisper de George Michael retentit depuis la salle de bain. Je fais une grimace administrative.
– Tout espoir n'est pas complètement perdu pour toi.
Derrière lui, je commence à mouiller ses cheveux. Une fois qu'ils sont assez humides, je saisis le peigne.
– Démon ?
– Oui, petite serveuse.
– Pourquoi tu mets de la musique pour torturer ? Je le sens se raidir, puis, à travers le miroir, je vois un énorme sourire illuminer son visage. Bon sang, Riccardo ne se contente pas de tuer de sang-froid. Il aime ce qu'il fait, peut-être un peu trop si j'en juge par la lueur dans son regard.
– Pour angoisser la victime, ça les rend complètement fous quand les notes s'enchaînent encore et encore. Une fois, j'ai poursuivi un homme dans un chalet sous des notes de musique classique, tu aurais dû voir sa tête.
Je me rappelle surtout du désespoir dans la voix de Bellucci quand il le suppliait d'arrêter la musique.
– Tu aimes ça ? Il hausse un sourcil.
– Je dois le faire.
Il me lance un regard méfiant quand je saisis la tondeuse. Je ne sais pas d'où me vient ce courage, mais je me penche pour l'embrasser sur la joue avant de dire :
– Fais-moi confiance.
– Recommence, je n'ai rien senti.
– Ça ? Je suis sur le point de l'embrasser à nouveau, mais il tourne brusquement la tête et ses lèvres capturent les miennes. Je suis tellement ébranlée que la tondeuse allumée tombe entre nous et atterrit sur ses jambes la lame en avant, juste au niveau de son dragon, comme il l'appelle. Riccardo s'écarte comme si c'était une bombe. Bordel, j'ai failli faire de lui un eunuque.
Il est livide, il lève un doigt dans ma direction mais, à cause du choc, il n'arrive pas à dire un mot. Je me pince les lèvres pour retenir l'éclat de rire qui veut sortir de force. Je ramasse l'appareil. Le démon plisse les yeux avec méfiance mais se laisse faire. J'écarte quelques cheveux de sa nuque, laissant juste ce que je dois raser. J'ai toujours pensé que cette coupe lui irait bien, reste plus qu'à le faire correctement.
– Qui était ta première victime ?
– Tu veux vraiment savoir ?
– Oui, pourquoi pas ?
– Tu vas me prendre pour un monstre et tu auras peur de moi.
– Je te prends déjà pour un monstre.
J'enroule mes bras autour de ses épaules par derrière, ma joue contre la sienne, et j'ajoute :
– Un énorme monstre avec des yeux effrayants.
En ce qui concerne la peur, je ne relève pas. En réalité, ce qui m'effraie le plus ce sont mes propres réactions, ou plutôt mon manque de réaction face à tout ce qui m'entoure.
– Je sais ce que tu essayes de faire, note le démon en tournant légèrement la tête pour croiser mon regard.
– Quoi ?
– Tu essayes de m'amadouer avec ta tendresse.
– Et ça marche ?
– Oui, quand tu fais ça, j'ai l'impression que je peux tout te donner.
Même ton cœur ? La musique est remplacée par Here I Am de Line so thin.
– Je répondrai à tout à une seule condition.
Il tapote sa joue avec son index. Je claque un baiser dessus avant de me redresser pour me remettre à la tâche.
– C'était le fils d'un des associés de mon grand-père. Ce dernier avait appris qu'il volait de la marchandise dans les réserves de la Cosa Nostra pour la revendre, et ça, c'était impardonnable. Mon père s'est occupé de lui et, comme il trouvait que je devais faire mes preuves, il m'a demandé de me débarrasser de son fils, qui était aussi dans le coup. Mais mon père ne voulait pas qu'il meure rapidement. Il m'a initié à la torture. Pendant plus d'un mois, Jacob était dans un sous-sol et je regardais mon père lui faire un nombre inimaginable de trucs. Quand je détournais les yeux, il s'en prenait à moi. Je ne devais pas montrer de signes de faiblesse, d'empathie... Quand il a estimé que c'était suffisant, il m'a demandé d'achever Jacob avec 50 coups de couteau.
– Pourquoi 50 ?
Riccardo se met à siffloter, je serre les dents. Ok, maintenant il commence à m'agacer, je vais devoir faire ça après chaque question ? Je l'embrasse sèchement, ce qui le fait rire.
– Je présume que mon père voulait que ça dure. Mais père est un homme cruel, il n'a aucune empathie et il a toujours attendu ça de Luca, Giacomo et moi. Mais je suis le seul dont il a vraiment réussi à briser l'humanité.
Je termine de raser la nuque, je coupe quelques mèches à l'arrière avant de commencer à raser le côté. Après m'avoir lancé un regard qui peut se traduire par : "Si tu fais n'importe quoi, je te bute", Riccardo continue.
– Je devais le poignarder partout sauf au cœur. Mon père voulait que ce soit lent. Mais j'avoue que, quand je me suis mis à cheval sur Jacob et que ses yeux vides ont plongé dans les miens, je n'ai pas vu l'intérêt de prendre mon temps. J'étais jeune, j'avais peur, j'étais fatigué et j'estimais qu'avec tout ce que mon père et moi lui avons fait subir, il était déjà mort. Je ne voyais pas l'utilité de prolonger son trépas. Pour moi, c'était comme poignarder un homme dans le dos. Je l'ai égorgé et il est mort sur le coup.
Le côté gauche terminé, je commence à m'occuper du côté droit.
– Comment a réagi ton père ?
Il sourit avant de faire la moue. Ce démon a de la chance, son profil est parfait. Je reste là à l'observer, le crépitement de la tondeuse entre nous.
– Tu m'as demandé quelque chose ?
– Tu commences à m'agacer.
– Il était furieux. En tant que Made Man, obéir aux ordres est crucial. Mon père était le futur chef, je n'avais pas le droit de lui désobéir. Il m'a puni pour s'assurer que ça ne se reproduise plus.
– Mais c'est horrible, tu es son fils !
– Je suis soldat de la Cosa Nostra.
Il pose son doigt sur ma lèvre pour m'empêcher de parler.
– C'est sans importance.
Je soupire. J'allais lui demander ce que son père lui a fait. Visiblement, ça restera un mystère.
Je pose la tondeuse et saisis les ciseaux.
– Tu avais quel âge à cette époque ?
– Tu connais le prix à payer pour une reponse, Daddy à besoin de sa dose. Il se tapote la joue, je me penche et le mord avec assez de force pour qu'il laisse echapper.
–Putain....13 ans.
– 13 ans. Mais je croyais que tu avais fait ta première victime à 11 ans.
– Oui, mais je ne l'ai pas tué, je l'ai juste brisé. C'était suffisant pour père pour ce rendre compte de tout mon potentiel.
Je ne sais pas s'il s'en rend compte, mais il y a une note d'amertume dans sa voix qui, depuis le début, était égale. Cet événement, plus que son premier meurtre, l'a marqué. Je suis persuadé qu'il s'agit de sa mère, comme je suis persuadé qu'il ne me donnera pas de détail, même pour tous les bisous du monde.
– Et c'était qui ?
– Tu sais que tu es beaucoup trop curieuse ? Je te répondrai si tu t'assois sur mes genoux.
– Ça veut dire jamais, espèce de maître chanteur. Je fais glisser mes doigts dans ses mèches du devant, les mains de Riccardo se posent sur ma taille et il remonte mon débardeur pour dévoiler mon ventre.
– Je te verrais bien avec un piercing au nombril.
– Tu changes de sujet là, et arrête de bouger ou je te fais une coupe ridicule.
Après un nombre incalculable de chansons rock, les notes de "Jealous" de Labrinth retentissent.
– J'adore cette chanson, j'ai toujours voulu avoir un piercing, mais pas au nombril.
– Hmm. Il mordille mon ventre avant d'y passer la langue.
– Bordel, Riccardo, tu ne serais pas un vampire par hasard !
– Tu as bien aimé quand ce vampire a mordu un endroit précis de ton anatomie...
Mon visage passe en mode combustion spontanée. Est-il obligé de parler de ça ?
– Ce n'est pas le genre de chose à dire à une fille qui tient ta coupe de cheveux entre ses mains. Je meurs d'envie de te faire des cratères sur le crâne. Je sens un sourire contre ma peau.
– Où le veux-tu, ce piercing ?
– Sur la... Je halète, il plonge sa langue dans mon nombril en appuyant sur mes tétons. Je coupe une mèche sans le faire exprès, merde. De toute façon, c'est de sa faute.
– Démon, arrête !
– D'accord, viens ici ! Il m'attire sur ses jambes et, à cause de la brusquerie du mouvement, on manque de tomber à la renverse. Heureusement, il nous stabilise en se retenant rapidement au mur.
– Mais reste tranquille !
– D'accord, cette fois je me tiendrai calme. Laisse-moi deviner pour le piercing.
– Je t'écoute, Sherlock Holmes. J'essaie de me concentrer pour couper les dernières mèches, même si avoir les jambes écartées à quelques pas de son érection rend la tâche apocalyptique.
– Sur la chatte ? Je pouffe.
– Non seulement tu es vulgaire, mais tu n'es pas original.
– OK, sur les seins.
– Non, sur la langue. Ses yeux se mettent à briller. Je pointe les ciseaux dans sa direction avant qu'il ne dise quoi que ce soit.
– N'y pense même pas ! Il arque un sourcil, ses mains allant et venant sur mes hanches. Je ne sais pas s'il se rend compte du kaléidoscope de sensations qu'il déclenche en moi. Il le sait forcément et le fait exprès.
– J'allais juste dire que ça sera joli sur toi. Mais ce n'est pas pratique pour moi. J'ai déjà un piercing sur la queue ; je ne veux rien sentir d'autre que ta langue quand tu vas me prendre dans ta bouche.
Je suis tellement estomaquée que les ciseaux me tombent des mains, il parle comme si c'était une évidence.
– Riccardo, ici la Terre, je ne suis pas ta copine. Il fait une moue dédaigneuse.
– Cette expression est trop banale. Tu es à moi, chaque partie de ton corps est à moi. Je te laisse juste la liberté de t'en rendre compte alors tu t'offriras à moi.
Mon dieu, que répondre à ça ? Mon cœur rate un battement avant de reprendre à un rythme effréné.
– Ça n'arrivera jamais !
– On verra.
– Et toi alors ? Il a l'un de ses sourires énigmatiques qui fait danser les papillons dans mon ventre.
Le genre de sourire qui veut dire : devine ! Sauf que je ne sais pas quoi deviner.
Un coup discret nous surprend, j'entends la porte s'ouvrir.
– Gayle ! Je reconnais la voix d'Arya. Riccardo marmonne son mécontentement dans sa barbe.
– Où est-ce que tu es ?
– Dans la salle de bain.
Riccardo tente de fermer la porte de celle-ci, mais je l'arrête. Dans notre lutte, le tabouret, beaucoup trop petit, tombe et Riccardo se retrouve sur le sol et moi au-dessus de lui. Il grimace.
– Mais qu'est-ce... oh, vous étiez... Il prend ta petite fleur, je le savais !
Elle se tient dans l'embrasure de la porte en short et top bleu. Je secoue énergiquement la tête.
– Oui, et tu nous déranges.
Déclare le démon avant de m'attirer plus près ; je retiens de justesse un gémissement.
– Vous êtes de chauds lapins, dis donc.
– Tu sembles oublier que ta cabine avec Luca était à côté de la mienne. Le visage d'Arya vire au rouge, avant qu'elle ne fusille Riccardo du regard.
Je pince les lèvres pour ne pas rire. Pour un couple qui passe son temps à se séparer, Arya et Luca font beaucoup l'amour.
– Je venais juste vous prévenir qu'on a prévu de sortir. Je compte bien profiter de ce charmant village !
– J'arrive. Juste le temps de terminer sa coupe.
Elle nous lance un regard lourd de sens avant de sortir. Je me relève, les jambes légèrement tremblantes, avant de saisir le sèche-cheveux.
J'ai une brusque envie de lui couper une veine, je ne sais pas d'où sort cette colère.
Enfin, si, je sais. Je lui en veux d'être tout d'un coup si gentille alors que, sur le bateau, il était plus qu'infernal.
Riccardo me donne constamment l'impression qu'il joue avec moi, avec mes sentiments, en soufflant le chaud et le froid sans aucun égard.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
J'arrête de m'occuper de ses cheveux pour l'observer, amère. Je suis toujours à califourchon sur ses jambes, ses mains sont sur mon dos, mon buste dangereusement proche du sien, et nos parties intimes sont intimement pressées l'une contre l'autre.
Cette impression de normalité n'a pas de raison d'être, je ne le connais pas. On se connaît à peine. Quand il est en colère, il me rappelle constamment que je ne suis rien, juste une employée, un boulet qu'il se coltine sans aucune raison.
Mais moi ? Je passe mon temps à essayer de comprendre ce qu'il ressent. Et moi, qu'est-ce que je ressens pour lui ?
De l'attachement ? C'est sûrement ça, parce que je ne vais pas me voiler la face : s'il n'y avait rien, je n'aurais pas aussi mal à chaque fois qu'il m'ignore, et je ne serais pas aussi heureuse quand il agit avec égard.
Mon impulsivité prend le dessus, il me tape sur le système !
– Eh merde, va te faire foutre, continue ta coupe toute seule.
Riccardo me retient fermement m'empêchant de me lever.
– Dis-moi ce qui ne va pas.
– Tu as dit que tu regrettes de m'avoir sauvé, tu regrettes le moment où je t'ai tenu la main et où je t'ai demandé d'arrêter la musique.
Une ombre passe sur son visage. Riccardo se laisse aller contre le mur, me regardant par-dessus ses cils, qui jettent des ombres sur ses pommettes saillantes.
– J'ai beaucoup de regrets. Mais pas ça. Je regrette de ne pas t'avoir sortie de là plus tôt.
Je fais la moue. Qu'est-ce qui lui prend ? Et moi qui voulais une confrontation...
– Ta présence a tout chamboulé. Avant toi, personne n'avait des munitions contre moi. Mais rien ne me blesse plus que te rendre triste. À chaque fois que je te blesse, que je vois la douleur dans ton magnifique regard brun, je me sens comme la pire des merdes.
Ma bouche s'ouvre, mais aucun son ne s'en échappe.
Merde ! J'en ai perdu ma faculté à parler et même à réfléchir. Et ça, ça signifie qu'il tient à moi ? Que je ne suis pas qu'une simple employée ?
Riccardo claque des doigts devant mon visage, je cligne des paupières.
– Je m'en moque.
Riccardo a un sourire en coin, il se rapproche, caressant ma lèvre inférieure de la pulpe de son pouce.
– Mais oui, bien sûr. Ses mains remontent jusqu'à ma taille qu'il empoigne
Cette fois, je réussis à finir mon travail malgré les yeux de lynx et les mains baladeuses d'un certain démon, et je suis assez fier du résultat.
***
– Après deux jours passés en mer, j'ai envie de me défouler, déclare Camille en sautillant sur le sable chaud. Elle porte une robe blanche, très échancrée au niveau du dos, qui lui va à ravir. À côté d'elle, Arya, le nez plongé dans son téléphone, est vêtue d'une longue robe fluide dévoilant ses bras et ses épaules. Ses cheveux blonds coupés en carré encadrent son visage de poupée aux paupières lourdement maquillées.
Quant à moi, j'ai opté pour une robe tricotée à fleurs, retenue derrière le cou, et des tongs, rien de mieux pour être à l'aise, alors qu'on se dirige vers les restaurants et les bars en pleine air, placés ici et là sur la plage.
Je sens la chaleur du sable sous mes pieds, le soleil s'est couché, ne subsistent dans le ciel que quelques lueurs qui teintent l'horizon d'orange.
– C'est incroyable, dit Arya, une lettre anonyme a été envoyée à la presse. La personne écrit qu'un orphelinat à Rome est utilisé comme lieu de prostitution pédophile, entre autres pratiques. Je m'arrête net, mon cœur se met à battre plus fort et ma vision, putain, je jurerais que durant une infime seconde, ma vision s'est brouillée et que mes genoux ont failli flancher.
Un orphelinat à Rome ? Celui de Bellucci ? Non, impossible.
– Quoi ? Arya me montre brièvement son téléphone, dans lequel est affiché un article de presse. Je défile et le doute n'est plus permis, il y a ses photos qui montrent le bâtiment en pierre.
– En vue de la pression médiatique, la police y a fait une descente. Ils ont fait des découvertes macabres, plusieurs enfants étaient victimes de pédocriminels. Mais ce n'est pas tout, c'est aussi un lieu de prédilection pour les nécrophiles et toutes sortes de pratiques que je n'ai même pas envie de nommer. Le propriétaire de l'orphelinat est suspecté d'être à l'origine de ce manoir de l'horreur, un certain Antonio Bellucci. Malheureusement, il est introuvable.
– Le lâche ! crache Camille, le regard lançant des flammes. Je suis sûr qu'il s'est enfui, c'est connu, ils n'assument jamais leurs actes !
– Et encore, ça fait des années que ça dure. Dis-toi que le chef de la police et même le maire de la ville, ainsi que d'autres hommes et femmes très influents, étaient des habitués des lieux. L'un des enfants a formellement identifié le maître, et il a été mis en examen. Des têtes vont tomber ! conclut Arya.
– Mais qui a envoyé cette lettre ? Il devrait être récompensé. C'est un héros !
Arya fait signe à Camille d'attendre, elle défile en secouant la tête.
– Son identité n'a pas été révélée.
Moi, je sais pertinemment qui a envoyé cette lettre. Le plus minuscule atome de mon corps le sait et, en cet instant, je n'ai qu'une seule envie : aller le retrouver.
Il était parti à Rome après que je me sois réveillée à l'hôpital, et il y est resté une semaine. C'était pour ça ? Je dois en avoir le cœur net !
– Les filles, je dois rentrer à la maison deux minutes, je vous rejoins.
Arya sourit en jouant des sourcils.
– Tu vas continuer là où vous vous êtes arrêtées ? Elle fait allusion à moi et à Riccardo dans la salle de bain. Je lève les yeux au ciel, cette fille est une obsédée, ce n'est pas possible.
– Non, j'ai oublié de prendre ma carte, j'arrive tout de suite. Déjà, je commence à m'éloigner.
– On t'attend au bar ! dit Camille. Je lève le pouce en leur direction, poussant plus rapidement sur mes jambes.
Je meurs de faim, mais il faut que je voie Riccardo. J'ai du mal à réaliser ce qu'il a fait. Pour être honnête, je pensais qu'il s'était désintéressé de l'orphelinat dès l'instant où on a laissé le corps encore chaud de sa tante dans la cour arrière. Jamais je n'aurais cru qu'il puisse faire une telle chose. Il me l'avait promis, mais bon, je n'y croyais pas.
Je n'arrive même pas à définir ce que je ressens. Je suis partagée entre la joie, la gratitude et l'incompréhension, et, comme une idiote, des larmes dévalent sur mes joues, quelques passants me jettent d'ailleurs des coups d'œil insistants. Un homme s'arrête même pour me demander si tout va bien, ce à quoi je réponds par un sourire avant de presser le pas.
Je crois que jamais je n'arriverai à saisir la contradiction qu'est Riccardo Gaviera. Sa carapace est comme les monstres invoqués par Nagato, plus tu frappes pour la briser, plus d'autres couches plus solides se forment à la surface. Résultat, je n'arrive jamais à cerner sa personnalité. Pourquoi ne m'a-t-il pas fait part de ses projets ? J'ai le droit de savoir, après tout, je suis également concernée.
Une image fugace de la petite fille se fraye un chemin dans mon esprit. Elle m'avait serrée si fort et moi, je n'avais rien fait. Je me sentais tellement coupable. Où qu'elle soit maintenant, je suis certaine que c'est mieux que dans cet orphelinat...
Je suis tellement absorbée par mes pensées que je remarque tardivement l'homme qui se tient devant le portail en bois au motif compliqué de la maison de vacances.
Il regarde celle-ci avec attention ; d'ailleurs, il ne me remarque même pas. C'est un homme d'un certain âge, 40 ans peut-être. Il porte une chemise bleue, rentrée dans un pantalon en toile sombre, et il tient contre lui un livre. Il se tourne vers moi quand je suis assez proche de lui, et un sourire bienveillant illumine son visage.
Un long frisson traverse mon échine, je n'arrive pas à identifier ce que je ressens face à lui. Néanmoins, je souris. Ses cheveux bruns sont coupés en brosse, les tempes sont striées de mèches argentées, et quelques pattes d'oie se creusent au coin de ses yeux à mesure que son sourire s'agrandit.
– Bonjour.
– Bonjour, ma fille, je suis le père Lorenzo.
Je serre chaleureusement sa main sans me départir de mon sourire. Comme à chaque fois que je suis face à un inconnu, je suis tentée de donner un faux prénom, mais je n'en vois pas l'utilité.
– Je suis Gayle. Vous avez besoin de quelque chose ?
Le livre qu'il tient est une Bible, la couverture en cuir est très usée, ce qui témoigne que ce manuscrit en a vu de toutes les couleurs.
– Je passe toujours par là pour me rendre à la paroisse, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que la maison de vacances est louée.
– Oh, je comprends. Mes amis et moi allons y résider pour quelque temps.
Il hoche la tête, ma main est toujours dans la sienne, et ses yeux d'un gris sombre sont remplis de bienveillance.
– Quand j'aurai le temps, je viendrai bénir cette maison. Il s'est passé des choses assez macabres ici l'été dernier.
J'écarquille les yeux en frissonnant, ma réaction ne lui échappe pas et il éclate de rire.
– N'ayez crainte, jeune fille, ayez foi en Jésus et tout ira bien.
Il me tapote la main avant de la lâcher.
– J'ai été heureux de vous rencontrer, Gayle. Vraiment heureuse.
– Moi aussi.
Je lui fais un signe de la main maladroit avant de me diriger vers le portail. Alors que je remonte l'allée, je déglutis en regardant devant moi. C'est une maison avec une ossature en bois, construite sur trois étages, munie de 6 chambres, d'une cuisine moderne, de plusieurs salles de bain, d'une véranda, d'une salle de cinéma et d'une piscine à l'arrière.
Qu'a-t-il bien pu se passer ici ? Je hausse les épaules. Je suis persuadée d'une chose : qui que soit le fantôme qui habite cette maison, il ne sera jamais plus démoniaque que Riccardo Gaviera.
Je monte les quelques marches avant de pousser la porte. Luca et Dante sont sortis bien avant les filles, et Riccardo avait dit qu'il allait nous rejoindre plus tard. Il avait des choses à régler.
Toujours à faire son mystérieux, celui-là !
Toutes les lumières sont allumées, mais la maison est plongée dans un silence angoissant. Je monte les marches deux à deux avant de traverser le couloir ; c'est là que je commence à entendre la voix grave du démon. J'ouvre la porte de sa chambre, il est sur le balcon en pleine conversation téléphonique, sa main libre bouge dans tous les sens. Je marche sur la pointe des pieds pour le surprendre, mais tout près du balcon, le plancher grince et il n'en faut pas plus au démon pour se tourner vers moi, arme dégainée.
– Putain, c'est moi !
Je hurle presque hystériquement à la vue du T4E HDR 68 qu'il surnomme Princesse.
– Qu'est-ce que tu fous ici, putain !?
– Avant de dégainer, tu pourrais vérifier, tu es malade !
– Crois-moi, si je n'avais pas vérifié, tu serais déjà morte à l'heure qu'il est. Qu'est-ce que tu veux ? Je n'ai pas le temps !
Quelqu'un peut me rappeler pourquoi je suis venue déjà ? Je le fixe en sentant la colère monter en moi et la migraine poindre. Putain, il m'agace.
Il fait bouger son arme de haut en bas comme pour me rappeler à l'ordre.
– Alors ?
– Rien, va te faire foutre !
– Quelle plaie cette fille ! Oui, Gia, je t'écoute, non, rien d'important, juste Gayle qui est en manque d'attention.
J'écarquille les yeux, quoi ? Moi, en manque de son attention ? Ce qu'il ne faut pas entendre. Je n'arrive pas à croire que j'ai pleuré de gratitude pour ce type !
– Non, je ne pense pas revenir maintenant, peut-être dans une semaine ou deux, je ne te promets rien. Je ne vais pas abandonner si près du but.
Il se masse la tempe, comme j'ai l'habitude de le faire quand j'ai mal à la tête. Ces derniers temps, c'est de plus en plus fréquent. En fait, j'ai toujours mal à la tête quand Riccardo est dans les parages.
Mais une pointe de quelque chose que je ne veux pas ressentir me saisit. Je soupire avant de me retourner.
Je me soucie de lui, pourquoi continuer de le nier ?
– Reviens ici !
Je lui fais un doigt d'honneur en quittant sa chambre pour me rendre dans la mienne. Dans mon sac, il y a sûrement des médicaments contre le mal de tête, en espérant qu'il soit allergique et que ça me débarrasse de lui pour de bon.
Je remplis un verre d'eau avant de retourner dans sa chambre.
– Dis à père que je pisse sur ses projets, je ne reviendrai pas avant d'avoir terminé ce que j'ai à faire ici. Et Luca non plus ne peut pas venir, si les choses dégénèrent, j'aurai besoin de lui, mais Bud peut s'en occuper...
Quel agréable personnage. Mais pour être honnête, moi aussi, je pisserais bien sur Giousé Gaviera après ce qu'il a fait à son fils à peine âgé de 13 ans.
– Tiens !
Il regarde le verre avec méfiance.
– Que veux-tu que je fasse avec ça ? Non, pas toi, Gia, c'est encore Gayle.
– C'est un comprimé.
– Non, c'est un verre d'eau. Apporte-moi de l'alcool si tu veux te rendre utile.
Grrr ! Je tape du pied, j'ai littéralement envie de sauter sur place comme une gamine capricieuse. Quand j'étais petite et que je refusais de prendre mes médicaments, papa me pinçait les joues et me les mettait de force dans la bouche. Je regarde Riccardo en secouant la tête. Si je fais ça, il va me tuer.
– Mon dieu, tu me rends dingue. C'est un comprimé effervescent. J'ai remarqué que tu te massais la tempe.
Il me regarde de manière énigmatique, une lueur dans son regard que je n'arrive pas à identifier, avant de saisir le verre et de le vider d'un trait.
– Merci.
– Je suis surprise que tu connaisses ce mot.
Tu te plains du comportement de Riccardo, mais tu as un véritable problème : tu ne pouvais pas te contenter de dire "de rien" ?
Heureusement, il m'ignore et continue de parler à son frère.
– D'accord, je t'enverrai toutes les informations par mail. Au fait, tu as parlé à Cass ?
Je suis tout de suite en alerte quand j'entends le nom de mon amie. Je me rapproche ; Riccardo s'éloigne, les yeux plissés, avant de pénétrer dans la chambre. Il me fait un signe du doigt comme si j'étais un chien.
Curieuse de savoir ce qui doit être dit à Cass, je le suis à l'extérieur.
– Tu pourrais attendre que je rentre pour le lui dire, j'aimerais voir comment elle va te tuer.
Il glisse sur la rampe d'escalier alors que je me contente de les dévaler.
– À plus tard !
Riccardo raccroche. Il porte une chemise légère blanche et un pantalon de toile de la même teinte. Ça me fait toujours bizarre de le voir avec autre chose que du noir, du gris ou les autres couleurs austères qu'il affectionne. D'ailleurs, ma coupe de cheveux est une vraie réussite, juste assez dégradée avec quelques mèches qui lui tombent sur le front.
– J'ai fait un travail remarquable, déclare-je en passant les doigts sur ses cheveux. Il me laisse faire avant de saisir ma main qu'il garde dans la sienne.
– Que doit dire Giacomo à Cass ?
Il décroche les clés de sa moto du porte-manteau. Qui met des clés sur un porte-manteau ?
– Tu es certainement la dernière personne à qui je le dirais.
– Quoi ! Tu ne me fais pas confiance ?
On ferme la maison à clé avant de sortir. Riccardo traîne sa moto jusqu'au portail.
– Non !
– Je suis vexé. Après tout ce que j'ai fait pour toi, après tout ce que nous avons traversé de bien et de mauvais. Toutes ces années de bon et loyaux services, comment peux-tu me dire ça ?
– Putain, ma tête va exploser. Gayle, si je voulais un truc qui radote sans cesse à mes côtés, j'aurais pris un perroquet !
– Je vais te faire parler. Tu verras.
– Continue et je vais te faire taire avec ma queue.
Je ferme la bouche. Je prends ses menaces très au sérieux depuis l'épisode de la cabine. Je monte à l'arrière de sa bécane en verrouillant mes bras autour de lui. Je finirai bien par trouver un moyen de lui faire cracher le morceau.
– Ma coupe de cheveux est une réussite, on est d'accord ?
– Tu veux pas l'écrire sur mon dos pendant que tu y es ?
Sa remarque m'arrache un rire.
– Non, je veux être payée pour mon travail. Donc dis-moi ce que Giacomo doit dire à Cass.
– Bien tenté, mais c'est non !
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