Chapitre 6: À table !

Adrian Leblanc m'a abusée une bonne partie de la nuit.

C'était long, douloureux, humiliant.

Plus je me débattais, plus son ardeur augmentait. Il m'a frappée plusieurs fois partout, mais jamais au visage. Il m'a également étranglée, s'activant au-dessus de moi avec des mouvements durs et saccadés. Il a serré ma gorge jusqu'à ce que je perde connaissance. Puis, j'ai été réveillée avec un coup de poing, et le calvaire a recommencé.

Et il parlait, beaucoup. Il parlait constamment. Pendant mon calvaire, j'ai appris que j'étais à Avignon, une ville à quelques minutes en train de Nîmes. C'est assez ironique, ma seule et unique visite à Avignon remonte à il y a deux mois. J'y étais venue avec une amie pour regarder le film: Le Consentement

Malheureusement, il n'a jamais demandé mon consentement à moi.

J'ai aussi appris qu'Adrian Leblanc, en plus d'être un homme d'affaires français très riche, est aussi l'un des plus grands trafiquants de drogue du pays. Il est marié et a cinq enfants : deux filles, ses princesses, et trois fils. J'ai appris que deux de ses fils sont des bons à rien, et que le seul qui en valait la peine, je l'ai tué, moi. Oui, une moins que rien, une misérable créature sans importance, j'ai ôté la vie au digne fils d'Adrian Leblanc. Jamais je n'aurais cru qu'un jour je commettrais un meurtre, mais avec tout ce qu'ils me font subir, je n'arrive même pas à regretter mon acte accidentel. Il m'a prise de force, dans tous les sens, et j'ai été obligée de lui faire des choses inimaginables. Ma première expérience sexuelle a été un calvaire.

J'espère que son fils rotie en enfer.

La tête pendant mollement sur mon buste, je ne peux ignorer la douleur qui irradie dans tous mes membres, particulièrement entre mes jambes. Mon sang tache l'intérieur de mes cuisses.

Je me rappelle encore l'éclat de rire d'Adrian en se rendant compte que j'étais vierge. Je sens son souffle alcoolisé, sa peau fripée qui frotte contre la mienne, ses yeux bleus dilatés. Je l'entends murmurer à chaque mouvement : "Pour mon fils, pour mon fils."

Mes supplications, mes larmes, ma détresse n'ont eu aucun effet sur lui. Plus je pleurais, plus il me faisait souffrir.

Je suis vidée, physiquement, émotionnellement. Je veux mourir.

De toute façon, Adrian m'a déjà tuée. J'ai l'impression que seule mon enveloppe corporelle subsiste. Il m'a pris quelque chose d'essentiel. Une chose que je ne récupérerai jamais.

- Oh, mais c'est dégoûtant, tout ce sang, chantonne Claude alors que je relève la tête au moment où elle ferme la porte. Elle est vêtue d'un short en cuir et d'un débardeur, ses longs cheveux cascadent jusqu'à ses épaules. Elle n'est pas spécialement jolie, mais elle a un certain charme.

- Je ne sais pas ce que tu as fait au boss, mais il est de bonne humeur. Il est tellement de bonne humeur qu'il t'invite pour le repas, et crois-moi, c'est un véritable festin.

Je plisse les yeux en observant sa main. La bague qu'elle porte ressemble beaucoup à celle de ma mère. Un diamant de plusieurs carats que papa a réussi à lui offrir pour leurs fiançailles en multipliant les petits boulots. J'ai soudain une bouffée de nostalgie. La main sur sa hanche mince, Claude me regarde avec impatience, attendant une réponse.

- Je n'ai pas faim.

- Chérie, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, depuis que tu es ici, personne n'a jamais demandé ton avis.

- Pourquoi ? Pourquoi vous me faites ça ? Je n'ai jamais fait de mal à personne. Claude s'avance, elle commence à détacher les menottes.

- Tu as tué l'homme de ma vie.

- C'était un monstre, je me suis défendue. Il m'a attaquée, il voulait me kidnapper. Je n'ai rien fait d'autre que me défendre ! Laisse-moi partir, je ne dirai rien, je te le jure.

- Gayle, tu ne quitteras jamais cette propriété vivante. Tu as tué le fils préféré d'Adrian Leblanc, estime-toi heureuse d'être toujours vivante. Si ça ne tenait qu'à moi, ta jolie petite tête serait dans la cheminée. Maintenant, lève-toi. Tu vas prendre un bain et aller déjeuner, le boss déteste attendre.

Elle pointe son arme sur moi pour me pousser à me lever. J'obéis, je grimace en descendant du lit, chaque pas vers la salle de bain est un supplice.

- Plus vite, je n'ai pas que ça à faire. Elle laisse échapper un rire, je sens l'arme m'effleurer le dos.

- Je te comprends, tu sais. J'ai été sa maîtresse durant un temps et je sais que le boss baise à fond. Pauvre petite chose, il a dû te défoncer la chatte.

Une colère comme je n'en ai jamais ressentie s'empare de moi. Je me retourne si soudainement que Claude ne l'anticipe pas. D'un coup dans la main, je fais tomber son arme, je la saisis par le cou et je frappe sa tête contre le mur blanc. Une fois, deux fois, trois fois. Je suis complètement déchaînée, je déverse toute ma rage sur elle. Ses mains tentent de m'agripper, mais physiquement, je suis beaucoup plus forte qu'elle, sûrement poussée par l'adrénaline, et putain, j'en profite. Elle tombe lourdement au sol en hurlant. Je me jette sur elle et je me mets à la rouer de coups, déchaînant toute ma frustration, toute ma colère. Quand j'entends des pas précipités, je me relève, je récupère l'arme et envoie un coup de pied au crâne de Claude, qui essaie de ramper loin de moi. Elle est blessée au crâne, comme en attestent ses cheveux poisseux, et je lui ai cassé le nez. Elle a aussi des marques de griffures sur la joue. Une joie malsaine me saisit, puis la porte s'ouvre dans un fracas sur le compagnon de Jawad. Il analyse la situation, son regard se posant sur Claude étendue sur la moquette près de la porte de la salle de bain, avant qu'il ne pointe son arme sur moi.

- Pose ça, ou je te zigouille.

- Laissez-moi partir ! Mon doigt tremble sur la gâchette.

Claude fait un mouvement, un infime mouvement vers moi. Je sursaute et mon doigt appuie sur la gâchette. Je regarde horrifiée la balle se loger dans la pomme d'Adam du compagnon de Jawad. Il laisse tomber son arme et pose la main sur son cou. Les hurlements stridents de Claude percent l'air.

Je porte la main à ma bouche pour tenter de ne pas vomir, mais le pistolet m'échappe, je m'effondre soudain, complètement vide.

***

- Je dois avouer que je suis impressionnée. L'état dans lequel tu as mis Claude et aussi Bill, bravo. C'est bien dommage que tu ne travailles pas pour moi.

Je regarde droit devant moi alors qu'Adrian Leblanc parle. Jawad m'a fait prendre un bain à coups de gifles, de coups de pied et d'insultes. Puis il m'a affublée d'une robe ridicule avant de me traîner dans la salle à manger, une pièce luxueuse et brillamment éclairée, au centre de laquelle se trouve une énorme table pouvant accueillir une vingtaine d'invités. Adrian Leblanc était déjà installé quand je suis arrivée, vêtu d'un costume trois pièces, ses cheveux rejetés en arrière et sa barbe soignée. Jawad m'a installée sur un siège avant de m'attacher. Je peux utiliser mes mains, mais si je veux me lever, je dois inévitablement emporter le siège avec moi, ce qui n'est pas très pratique. Un grand plat est posé devant moi, recouvert d'une cloche en argent étincelante.

- Tu m'as rendue très heureuse cette nuit, tu sais. J'adore qu'on me résiste, je trouve que ça rajoute un truc en plus. C'est spécial, comme cette viande.

Je baisse les yeux sur son assiette, un steak très saignant. Le plat est rempli de sang à chaque fois qu'il en coupe un morceau. J'ai un haut-le-cœur.

Je repense à M. Téléphone, cet homme insupportable et malpoli, qui avait commandé deux steaks saignants. Je m'étais pris la tête avec lui sans savoir que le vrai danger viendrait de celui qui ne m'accordait pas un seul regard.

J'ai l'impression que ça remonte à si loin.

- Pourquoi ne me tuez-vous pas ? Il se tamponne le coin de la bouche. Je remarque que ses initiales sont brodées sur la serviette blanche.

- Te tuer ? Mais je suis en train de le faire. Je vais te briser, chaque jour, je briserai quelque chose en toi jusqu'à ce que tu perdes la vie, mais tu ne mourras pas. Tu sais qu'il y a des gens dans ce monde qui sont morts alors que leurs corps continuent de bouger. À l'intérieur, ils sont vides, sans aucune volonté, sans aucun but, sans aucun rêve, ils sont comme des machines. C'est ce que je ferai de toi. Je ferai de toi ma petite chose. Je ne veux pas que tu meures, je veux que tu sois brisée, et crois-moi, à ce jeu-là, je n'ai jamais perdu.

Peut-il vraiment me réduire à cet état ? Car honnêtement, plus il parle, plus je ne peux m'empêcher de penser que je suis déjà comme ça. J'étais en couple avec un homme que je n'aimais pas parce qu'il fallait que je sois en couple. J'ai quitté ma ville, commencé une nouvelle vie, pour ensuite me rendre compte que je hais cette vie. Je n'ai jamais eu de volonté, de but, de rêve ; j'ai toujours vécu au jour le jour, luttant chaque jour contre la dépression et l'envie de me foutre une balle.

Ce serait un mensonge de dire que la mort me fait peur. Ce qui m'effraie, ce n'est pas l'idée de mourir. Non, je n'ai jamais voulu mettre fin à mes jours pour ne pas décevoir mes parents. Je ne voulais pas qu'ils trouvent mon corps et qu'ils se demandent chaque jour où ils avaient bien pu échouer. Pour moi, cette vie n'a jamais valu la peine d'être vécue. Je suis comme une feuille au vent, qui suit la direction indiquée par les éléments.

Adrian Leblanc se laisse aller contre son siège en claquant des doigts. Aussitôt, une musique s'élève, puis Jawad s'avance vers nous en sifflotant, détendu comme s'il allait à la plage.

- Madame ! Il s'incline devant moi, avant de soulever la cloche. Je le fusille du regard avant de me détourner avec dédain.

Mes yeux analysent le plat, ou plutôt ce qui s'y trouve. Ma poitrine est secouée par un hurlement qui ne verra jamais le jour. Jawad maintient mon siège sur place pour que je ne bouge pas. La musique est de plus en plus forte, aussi forte que le martèlement dans ma poitrine, aussi forte que le bruit des couverts d'Adrian Leblanc et aussi forte que le bruit de mastication qu'il produit. Je suis incapable de détourner le regard ; j'essaie, mais je n'y arrive pas. Comment est-ce possible ? C'est sûrement un cauchemar, et je vais me réveiller.

Non, ce n'est pas possible. Ce n'est pas la tête de ma mère qui se trouve devant moi.

- Elle voulait te faire une surprise. J'ai eu beaucoup de mal à m'en débarrasser. C'est une vraie gangster, ta mère, tu as beaucoup de chance.

Plus Jawad parle, plus la musique devient forte, les notes de violon sont entraînantes et ça me rend dingue.

C'est bien maman. Sa peau couleur café est pâle, elle a des tresses plaquées, et ils lui ont crevé les yeux pour mettre à l'intérieur des dahlias, mes fleurs préférées. Ils ont remplacé les yeux de maman par des dahlias !

- Elle a apporté ce bouquet pour toi. C'est une chic femme, tu ne trouves pas ? Elle était tellement belle, cette peau, ses cheveux, ses fesses, ses seins et ce ventre plat. J'ai particulièrement apprécié de me retrouver en elle. Elle adore être prise de force, comme toi, je présume.

Adrian Leblanc éclate de rire à la suite de la phrase de Jawad.

- Pour ce que j'en sais, elle est très tendre et très juteuse. Je me tourne vers son assiette, cette viande à moitié cuite, ce sang. Il me fait un sourire, alors je comprends.Cette musique va me rendre dingue.

Un hurlement d'horreur et de détresse réussit enfin à se frayer un chemin dans ma gorge.

***

Pour me calmer, Jawad m'a injecté quelque chose à très forte dose. Je suis réveillée, mais je n'arrive pas à bouger. Pour ajouter à ma détresse, il a mis la même musique entraînante dans la chambre où ils me tiennent captive. J'entends les notes de violon encore, encore et encore. Je revois inévitablement ma maman, ma petite maman chérie qui a fait le trajet de Paris à Nîmes pour me voir. Elle m'avait apporté des fleurs, des fleurs qu'ils ont utilisées pour les implanter dans ses iris.

Elle a dû tellement souffrir...

Jawad a baissé le son avant de poser le lecteur sur la table de chevet. Mes yeux sont brouillés de larmes et j'ai envie de hurler, mais je n'ai pas la force. J'arrive à bouger un doigt, rien de plus.

Je n'en pouvais plus. Si je pouvais bouger, j'aurais brisé le lecteur, mais je suis condamnée à écouter les notes de violon.

- Mon père a un nouveau jouet, il l'a gardé ici. Je l'ai vue, elle est tellement belle, elle ressemble à Halle Berry dans James Bond. Je voudrais bien me la faire.

Une voix d'homme, un adolescent, je dirais. Surexcité.

- Pourquoi tu ne le fais pas ?

Une autre voix d'homme. Plus posée. Avec un accent.

- Je n'ai pas le droit de m'en approcher. Elle a tué Adrian, et père veut se venger. Il est en colère, mais moi, ça m'arrange. Puisque mon frangin a crevé, je serai le chef de famille à la mort de mon père. Je vais régner sur la France, tu te rends compte ?

- Intéressant... Elle est là-dedans ?

- Oui, mais père a donné l'ordre de ne pas y entrer.

- Je pisse sur les ordres de ton père.

La porte s'ouvre dans un fracas.

- Qu'est-ce que tu fous ? On n'a pas le droit !

- Si tu veux être digne de prendre la place d'Adrian Jr, tu dois commencer à te comporter comme un mec, un vrai. Les vrais hommes brisent les règles.

- Je suis un mec. Putain, vise-moi ce cul. Je comprends pourquoi père veut la garder pour lui tout seul. Il ne supporte pas qu'on touche à ses possessions, surtout si elles sont aussi belles.

- Hmm.

Je sens le lit s'enfoncer, puis un doigt suit la ligne de mon nez, avant de recueillir une de mes larmes.

- Étrange, elle est consciente mais ne bouge pas.

Un éclat de rire, puis la voix du gamin dit :

- Père a zigouillé sa mère. Ils lui ont présenté sa tête sur un plateau. C'était du grand art. Elle a fait une crise d'hystérie, donc Jawad a été obligé de la piquer pour qu'elle la boucle.

- De l'art. Il y avait comme une menace dans sa voix, je frissonne. Lorsqu'il amorce un mouvement de recul, je fais appel à toute ma volonté et réussis à lui saisir la main. Je le sens se crisper.

J'ai la brusque impression de connaître cet homme, comme si nous étions connectés. C'est sûrement mon désespoir qui me fait penser à n'importe quoi.

J'ai faim, j'ai soif, j'ai envie de faire pipi, j'ai envie de sortir d'ici, mais il y a une chose que je veux plus que tout au monde.

- La musique, pitié. Arrêtez la musique.

Ma voix est si faible que je suis certaine qu'il ne m'a pas entendue. Il garde ma main dans la sienne un moment qui me paraît interminable avant de se lever.

- Partons avant que Jawad ne débarque. Tu rentres demain en Italie ? J'aurais bien voulu que tu restes un peu.

- Non, finalement je vais attendre un peu. J'ai envie de faire des bêtises.

- Quel genre ?

- Le genre palpitant.

Tout à coup, j'entends une détonation, et je frémis en recevant des débris. La musique cesse. Je ferme les paupières, soulagée.

- Putain, Riccardo, t'es con, t'es obligé de tirer sur le lecteur ?

- La musique me casse la tête. Partons.

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