Chapitre 54: Deux filles brisés
– Les Gaviera organisent un dîner demain. Je plisse les yeux à cause du soleil, Cass a de plus en plus de mal à supporter l'odeur de nourriture, alors on a préféré aller se promener près de la jetée plutôt que d'aller à notre restaurant habituel.
– Je ne comprends pas.
– Un dîner, il y aura des membres de la Camorra et certains membres de la Cosa Nostra. Comme je suis une Gaviera, je suis obligée d'être là !
Je serre les dents, autrement dit, un dîner où sera la future femme de Gia.
– Non, mais tu es malade, tu veux vraiment t'infliger ça ? Je suis persuadé que tu as un côté sado.
– Non, arrête de dire n'importe quoi, je n'ai pas le choix. Gayle, j'ai besoin de toi, je n'aurai jamais la force d'y aller seule !
– Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je suis en train de couper le cordon avec votre monde. Cass a un sourire triste.
– Gayle, ce cordon, tu ne le tiens pas, il est entre les mains de la Pieuvre. Tant que tu n'es pas une menace, il s'en moque. Mais ne te voile pas la face, tu en sais trop pour couper le cordon, ils ne nous laisseront jamais partir.
Je soupire avant de shooter une canette de Coca qui se trouve sur mon chemin. Cass me fusille du regard, elle la ramasse et la met dans une poubelle.
– Il est venu me voir.
– Qui ?
– Le père Gaviera, la Pieuvre, il sait que je suis enceinte. Il a peur que l'enfant soit une menace.
Je n'arrive jamais à saisir la relation entre Cass et la Pieuvre. J'ai entendu des rumeurs comme quoi ils étaient amants à une époque, mais je n'y crois pas. Malgré la crainte qu'il véhicule autour de lui, Cass, elle, a une grande affection pour celui qui l'a adoptée il y a de cela quelques années.
– Quoi, comment ? Elle hausse les épaules. Comme toujours, Cass est d'une élégance à faire pâlir d'envie. Elle porte un tailleur Chanel sombre et des escarpins à semelle rouge, ses cheveux de la même teinte sont retenus en un chignon savamment élaboré.
– C'est simple, il a peur que si Gia apprend la vérité, il plaque tout et s'engage avec moi.
– Mais comment il sait que tu es enceinte ? Tu ne l'as dit à personne et moi non plus.
– Gayle, tu sais pourquoi il est devenu l'homme le plus puissant que la Cosa Nostra ait connu ? Il fait attention aux détails, rien ne lui échappe. Je suis persuadé qu'il sait parfaitement qui tu es et ce que tu as fait, mais il attend le bon moment pour utiliser cette information contre Riccardo.
J'expire, je me souviens du jour où il m'a kidnappée, cette impression de puissance, ce calme et cette maîtrise qui se dégageaient de lui.
La Pieuvre est puissante, terrifiante, il a refermé ses tentacules autour de chaque membre de la Cosa Nostra et rien ne lui échappe.
– Qu'a-t-il dit en ce qui concerne l'enfant ?
– Étrangement, il est content d'avoir un petit-fils ou une petite-fille, mais il me demande de garder le silence jusqu'au mariage. Non, il me l'ordonne. Viens avec moi, je t'en prie, tu es ma seule amie, j'ai besoin d'une épaule sur laquelle me reposer.
Je n'ai aucune envie d'assister à un dîner où il risque d'être, mais je me force à sourire à Cass. Le temps d'une soirée, je peux supporter Riccardo, elle.
– Évidemment que je serai là. Je ne manquerai jamais une occasion de me goinfrer. Elle me prend dans ses bras en sanglotant.
– Mon maquillage ! J'en ai marre. Il suffit qu'on me dise bonjour et je pleure, c'est horrible.
– C'est normal. Ça passera, j'espère. Dis, si c'est une fille, tu vas l'appeler Gayle ?
– Jamais de la vie. Elle s'éloigne, mais je la poursuis en hurlant.
– Je t'en prie, il n'y a pas assez de Gayle dans le monde !
***
Cass et moi passons donc le samedi à nous préparer pour le dîner et pour la fête des fiançailles qui sera donnée dans deux semaines. Une grande lassitude prit possession de moi quand nous arrivâmes à Rome.
La première fois que je suis venue dans cette ville, c'était avec Riccardo.
J'essaie de me montrer forte, mais il y a un vide, un manque en moi que seule sa présence pouvait combler.
Ce n'est pas parce qu'une personne nous manque que sa présence est bénéfique, pourtant...
Ce n'est pas le genre de manque qui me submerge quand je suis seule avec mes pensées, même quand je suis entourée, que je rigole, que je me sens bien, mais il y a ce vide.
Comme en cet instant, je m'observe dans le miroir portant une robe de créateur, je me demande ce qu'il en aurait pensé.
Je pose les mains sur mes hanches en imaginant que ce sont les siennes, je ferme doucement les yeux, et j'arrive à sentir son parfum, qui se mélange à l'odeur de nicotine. Sa main au tatouage tribal encercle mon ventre, me serrant fort, si fort que j'oublie mes soucis, j'oublie le danger, la douleur et le sentiment d'avoir été blessée, utilisée, rejetée.
Il est omniprésent comme le fantôme de mes désirs, un désir interdit, destructeur.
– ... Gayle ! J'ouvre les yeux, Cass se tient derrière moi en sous-vêtements, tenant une pile de robes dans une main.
– Désolée, j'étais sur la lune. Elle arbore instantanément son expression de grande sœur inquiète.
– C'est Ric...
– Non, ne prononce pas son nom. Cass soupire avant de hausser une épaule.
– Comme tu veux. Mais si ça peut te rassurer, il est malheureux comme un petit chien.
– C'est vrai ? Elle hoche la tête.
– La veille, il a passé la soirée chez moi, comme toujours il s'est plongé dans son mutisme, mais je sais qu'il est super mal.
Je devrais être contente qu'il soit malheureux. Mais je ne le suis pas. Ça m'inquiète, et s'il se mettait à boire et s'il ne dormait pas assez, ce sont tous ces facteurs qui augmentent sa schizophrénie...
J'observe la robe que je porte comme si c'était sa faute si je pense à lui. Je la retire avec un juron.
Après plus de trois heures à écumer les rues de Rome, Cass et moi trouvons enfin ce qu'il nous faut et bien plus encore.
On part après ça au spa, et quel que soit le degré de douleur que je croyais ressentir, rien ne sera jamais aussi horrible que se faire épiler à la cire chaude. À chaque fois que l'esthéticienne tire sur la bande, j'ai l'impression qu'elle prend un bout de mon âme avec elle.
– J'ai envie de faire une injection de botox. déclare Cass d'un ton blasé. Je la regarde du coin de l'œil avant d'étouffer un juron quand l'esthéticienne recommence sa torture.
– Pourquoi ?
– Pour être parfaitement inexpressive quand je verrai Gia avec la princesse de la Camorra. Depuis que je suis enceinte, je suis tellement émotive que je risque de me mettre à chialer.
– Alors n'y allons pas, on peut rester dans ton appartement à regarder des films en mangeant des glaces.
– Ça serait sympa, mais je dois y aller, il n'est pas question que je me cache, beaucoup de gens n'attendent que ça. Je suis Cassandre Gaviera, et une Gaviera a toujours la tête haute, peu importe le poids qui pèse sur ses épaules.
Je lève les yeux au ciel. L'orgueil est plus rattaché à ce nom qu'au sang.
– Comme tu veux. Elle me lance un regard espiègle.
– Tu es sûre que tu ne veux pas entendre parler de qui tu sais ?
– Vraiment pas !
– Comme tu veux. Mais...
– Mais quoi ?
– Rien.
Je plisse les yeux. De toute façon, je m'en moque.
Le dimanche vient un peu trop vite à mon goût. Couchée sur le ventre, je n'ai plus aucune envie de sortir. Je regarde mon téléphone, résistant à l'envie d'appeler Cass pour lui dire que j'ai attrapé une bonne gastro. Mais je n'ai pas le courage de lui faire ça, Cass est dévastée, je ne vais pas en rajouter, alors, mettant ma peur de le revoir de côté, je me lève de mon lit.
Je me débarrasse de mon pyjama pour enfiler un jean et un tee-shirt avant de sortir, écouteurs aux oreilles. J'ai tellement écouté de musique que j'en ai mal aux oreilles, mais je suis incapable de m'arrêter.
Le côté positif, c'est que grâce à cette période maudite, j'avance à grands pas dans mon projet d'écriture.
Grâce à sa chanson "Ice Cream Man", Raye me dit que je suis une : very fucking strong woman, mais je ne me sens pas strong, non, j'ai juste envie que le monde disparaisse, j'ai envie de me rouler en boule sur mon lit, lire et écouter de la musique encore et encore.
– Papa, je sors. Il pose son livre avant de me sourire.
– Tu as une minute, j'aimerais te parler. Alertée par son ton, je me dirige vers le canapé comme une automate et me laisse tomber à côté de lui.
– Après ce que tu m'as raconté, j'ai pensé à quelque chose.
Je ne sais pas quelle est cette pensée, mais elle ne va pas me plaire. Papa saisit mes mains comme s'il se prépare à faire passer la pilule. Je le regarde avec attention, attendant qu'il se décide à mettre fin au silence.
– Je pense que tu devrais consulter un spécialiste.
– Un spécialiste ?
– Oui, ma puce, un spécialiste de la santé mentale, quelqu'un qui...
– Papa, je ne suis pas folle ! Je déclare en retirant mes mains des siennes.
– Je sais, mais tu as vécu des événements très traumatisants. En parler à un psy pourrait t'aider à comprendre, à aller mieux. Tu as peut-être besoin de quelqu'un pour t'aider à extérioriser ta souffrance.
Je reçois un coup au ventre. Mon père vient de me dire, de manière assez subtile, que je suis un monstre même pas capable de pleurer la mort de la femme qui l'a portée en elle.
– Ce n'est pas parce que je ne le montre pas que je ne souffre pas. Je dis sèchement en essayant de retirer mes mains des siennes. Il me retient toujours avec sa douceur habituelle.
– Je n'en doute pas. Chaque personne a sa façon de réagir. Tu as peut-être besoin d'aide, et les médecins du cerveau sont là pour ça.
Que je sois maudite, mais encore une fois, je pense à lui. A-t-il déjà consulté un médecin spécialisé dans les troubles psychotiques ? S'il avait donné une chance plutôt que de me repousser avec ses mensonges, je lui aurais proposé de le faire, j'aurais tout fait pour le convaincre parce que je m'inquiète pour lui, comme papa s'inquiète pour moi. Je me force à lui sourire et je pose une main sur sa joue.
– Je vais y réfléchir, mais je ne te promets rien, je veux juste oublier tout ça.
– Ça n'arrivera jamais, Gayle. Ces événements seront à jamais une part de toi, mais il faut que tu te battes pour que ça ne devienne jamais un handicap. Je hoche la tête, la gorge nouée, je me penche pour l'embrasser avant de sortir de la maison. Je passe dans la cuisine pour prendre un doliprane et je récupère mon vélo électrique.
Dire que Cass est nerveuse est un euphémisme ; sa chambre est dans le même état que mon cerveau, un vrai bordel ! Je ramasse une culotte en dentelle blanche sur le pas de la porte et je m'avance en faisant attention de ne marcher sur rien.
– Cass ! Je l'appelle.
– Dans la salle de bain. Je jette la culotte sur le lit et m'avance, elle est devant le miroir en corset et porte-jarretelles, un fer à boucler dans les mains. J'écarquille les yeux, ses cheveux ont repris leur couleur naturelle, ils sont désormais noirs comme l'ébène. Moi qui suis toujours habituée à voir Cass avec une couleur différente chaque semaine, ça me fait bizarre.
– Mon Dieu, tu n'es pas prête ?
– Gayle, c'est dans deux heures ! Elle hurle presque, puis, saisissant des serviettes en papier, elle en coince une quantité impressionnante sous ses bras.
– Putain, rien ne va, je n'arrête pas de transpirer, je ne compte même plus le nombre de fois où je me suis maquillée.
Je lui prends le fer à boucler des mains avant de la pousser hors de la salle de bain.
– C'est peut-être un signe, on ne devrait pas y aller.
– Je t'en prie, n'en rajoute pas !
– Calme-toi, je vais m'occuper de ton maquillage et de ta coiffure.
Dès que je termine avec elle, je pars
prendre un bain et commence à me préparer. Je suis en train d'appliquer du fard à paupières brun quand mon amie se manifeste devant moi, j'avale presque de travers.
Elle porte une robe sombre avec de la dentelle transparente sur les côtés. La robe moule parfaitement son corps mince et élancé. Ses cheveux sombres cascade dans son dos, retenus par des épingles en diamant. Pour seul bijou, elle a opté pour de gros bracelets en or.
– J'en ai pas trop fait ?
– Non, tu es parfaite.
Finalement, je suis heureuse qu'elle m'ait convaincue de venir. Je donnerais mon rein gauche pour voir la tête de Giacomo Gaviera.
Quant à moi, j'ai opté pour une robe d'un vert kaki. Elle est retenue aux épaules par de fines bretelles et drapée au niveau des hanches. Le tissu épouse mes courbes à la perfection et se marie avec ma carnation caramel. Je passe la main dans mes cheveux courts avant de dessiner le contour de mes lèvres avec un crayon marron et d'ajouter une touche de gloss.
– J'ai pris ces boucles pour toi, elles iront avec la forme de ton visage. J'accepte les créoles avec un grand sourire.
– Tu es la meilleure.
– Je sais.
– Tu vas pleurer ?
– Oui. Elle hoche la tête avant d'éclater en sanglots. On recommence le maquillage en optant cette fois pour des produits waterproof.
C'est Dante qui vient nous chercher une heure plus tard. Il a un grand sourire quand nous sortons de l'ascenseur de l'immeuble où réside Cass. Quelques têtes se tournent vers nous, me mettant instantanément mal à l'aise.
Dante est magnifique, il porte un costume sombre, ses cheveux blonds sont retenus en arrière, mettant en valeur ses yeux bleus et ses traits harmonieux.
– Mesdames ! Il s'incline de manière théâtrale, en donnant à chacune de nous un bras.
– Je suis un sacré veinard de me pavaner avec deux beautés comme vous. Ça va ? La question est adressée à nous deux, j'ai raconté à Dante ce qui s'est passé.
– Non, mais il faut y aller, répond Cass avec un sourire résigné.
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