Chapitre 4: Le conte des milles et une morts
Le lendemain, quand les rayons de soleil éclairent la mezzanine, je suis déjà debout. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.
J'ai fait mes devoirs, nettoyé l'appartement, j'ai lancé une machine. Et j'ai même avancé dans l'écriture de mon roman.
Je ne voulais pas dormir, j'avais peur d'avoir une commotion cérébrale. Mais surtout, j'étais effrayée à l'idée de me faire attaquer durant mon sommeil.
En quittant la maison à 8 heures pour me rendre à l'université, je ne peux m'empêcher d'être glacée par la peur : la moto est encore là. Le sol est propre, pas une goutte de sang. C'est comme si les événements de la veille n'avaient jamais existé.
Comment est-ce possible ? Je suis en train de devenir folle ?
Oui il m'arrive de parler seule, et d'imaginer des scénarios complètement invraisemblables. Mais pour une fois, je suis persuadée que ce n'était pas le fruit de mon imagination fertile.
Je m'accroupis pour regarder de plus près. Je me sens ridicule et les quelques personnes qui passent par là pour vaquer à leurs occupations quotidiennes n'arrêtent pas de me regarder, mais je m'en fiche. J'ai été agressée hier et j'ai poignardé mon agresseur, personne ne me fera croire le contraire !
Alors oui, ces derniers temps, mentalement je suis épuisée, mais je ne suis pas complètement folle. Non ?
Je me penche pour examiner le sol de plus près.
Ah, ah ! Dans un coin du mur, il y a des taches rouges, solides comme du sang coagulé, en très petite quantité. Je saisis ma bouteille d'eau et en verse quelques gouttes avant de prendre un papier dans mon sac. Je grimace en me rendant compte que c'est mon devoir que je viens de déchirer. Tant pis, je vais en imprimer un autre. Je frotte la feuille contre le mur.
Bingo, elle me revient avec une tache rouge, je sens une pointe d'excitation grimper en moi. C'est du sang ! Mon agression a bien existé.
Je regarde derrière moi, la route en pente bien plus rassurante à la lumiére du jour s'etend à perte de vue.
Donc, je l'ai blessé mais pas tué, vu qu'il a pris le temps de se relever et de nettoyer son sang avant de s'enfuir ? Pourquoi cet homme m'a-t-il suivie ? Je ne comprends pas, au restaurant, quand il dînait avec les deux frères, il ne me regardait même pas ! Ça ne m'aurait pas surpris venant de l'autre détraqué qui se prénomme Riccardo. Mais celui au piercing semblait si calme et si gentil.
Il sait où j'habite. Et si ce qui l'a poussé à me suivre depuis le restaurant le pousse à revenir me hanter chez moi ?
Ma journée à été un véritable calvaire. Au premier cours, j'ai dormi sans pouvoir m'en empêcher, puis dès que quelqu'un m'approche, je sursaute sans le faire exprès. À la pause, j'ai reçu un appel de ma mère qui m'a fait une scène parce que je n'avais pas pris son appel la veille, je suis à cran donc on s'est disputés. Je l'ai rappelée pour m'excuser, elle n'a pas décroché. Il serait vraiment temps que cette femme prenne en maturité !
À 16 heures en rentrant chez moi, je passe au supermarché pour prendre des croquettes pour le chat, pour la litière, il se contentera d'un carton pour l'instant, je n'ai pas le temps. En passant à côté du mur des disparus, je ressens un malaise. C'est un mur où sont placardées plusieurs photos de jeunes femmes portée disparu, neuf en tout. J'aurais pu être l'une d'elles. Je remarque qu'un rigolo a mis une photo de sa voiture avec en légende : "Elle n'est pas perdue, juste magnifique." J'arrache l'affiche avec hargne avant de continuer mon chemin tout en surveillant mes arrières.
Arrivée chez moi, je donne à manger au chat, il semble très content de me voir. Je prends du temps pour jouer avec lui avant de me faire un toast au fromage. Je mange en revoyant mes cours puis je pars prendre un bain.
- Maman va aller travailler, tu vas être sage, d'accord ? J'ai toujours voulu avoir un animal de compagnie, mais jamais je n'aurais cru que je l'aurais dans des conditions aussi chaotiques.
Le chat me regarde brièvement avant continuer à se lécher comme si je n'existe pas.
J'enfile un jean, un tee-shirt sombre et ma petite veste sans manches à l'effigie du Carrefour des Halles. Je vide une tasse de café avant de sortir de la maison. Je suis épuisée, cette maudite routine commence à me gaver.
***
- Chérie, ferme les yeux ! Je mets le reste des plats dans la poubelle avant d'obéir à Rex.
- Maintenant, ouvre. En ouvrant les paupières, je me retrouve avec une énorme bague de fiançailles sous le nez, on se regarde bouche ouverte, yeux écarquillés, puis on se met à sautiller et à hurler, je réussis à la prendre dans mes bras malgré le comptoir qui nous sépare.
- Je suis tellement contente pour toi, Rex.
- Cette année à Noël, ce n'est pas que le sapin qui va briller. Quand je pense à ma cousine qui me bassine les oreilles chaque année avec son mari, cet avocat de mes deux, et ses merveilleux enfants, cette connasse. Je suis fiancée ! Elle hurle, je dois retourner au travail avant qu'on ne me vire. À propos, hier j'ai vraiment cru que tu n'allais pas passer la nuit après ce que tu as dit au client !
Sans que je ne sache pourquoi, sa phrase me fait penser à mon agression. J'aurais pu mourir, j'aurais pu perdre ma vie, une vie que je ne chéris même pas, j'existe plus que je ne vis, je ne profite jamais de rien. Je stagne constamment mais malgré tout, je ne veux pas mourir, pas comme ça. Pas avec cette impression de n'avoir rien accompli.
- Que veux-tu, je suis un chat, je rebondis.
- Mon cul, Barry est amoureux de toi. Il ne va jamais te virer. Tu devrais sortir avec lui, bon à plus !
Il y a une sorte d'amertume dans sa voix, mais je n'y prête pas attention, j'ai d'autres chats à fouetter.
Ce soir, c'est Rex et moi qui nous occupons de la fermeture. On termine assez vite et son fiancé vient la chercher. J'ai tellement peur de rentrer seul que je décide de tenter ma chance avec le couple.
- Rex, vous passez par Gambetta ? Elle hoche la tête. Nous sommes dans les vestiaires pour mettre nos vêtements avant de partir.
- Ouais, pourquoi ?
- Je ne veux pas déranger, mais je peux faire un bout de chemin avec vous?
- Sans problème, mais tu peux toujours demander à Barry de te déposer, il semble très disposé à ton egard. Je serre les dents sentant la colére poindre sous forme de migraine, c'est quoi son putain de probléme à toujour ramèner Barry sur le tapis.
- Ça ne sera pas nécessaire.
Le fiancé de Rex est vraiment mignon et très sympa. Je marche à côté d'eux alors qu'ils parlent des préparatifs de leur mariage. Rex à toujours rêvé de le faire à Vegas, mais son mec, qui vient d'une grande famille, préfère une cérémonie plus traditionnelle.
Ils se mettent à se chamailler gentiment, je vois bien qu'ils s'aiment beaucoup et qu'il y a une grande complicité entre eux. Mon cerveau lui est à des années-lumière de là, je n'arrête pas d'angoisser à l'idée de prendre la rue Porte d'Alès seule.
Grâce à mon travail, j'ai réussi à ne pas y penser, mais maintenant...
je saisis mon téléphone et je commence à envoyer des messages à ma mère pour lui demander pardon d'avoir raccroché son appel. Maman et moi avons le même tempérament et parfois ça dégénère, mais c'est la personne que j'aime le plus au monde et elle me manque. J'aimerais aussi avoir des nouvelles de mon père, il a des problèmes cardiaques depuis qu'il a 20 ans et je n'aime pas rester sans de ses nouvelles, mais il ne prend pas mes appels, il ne les a sûrement pas vus mais je ne peux m'empêcher d'imaginer le pire.
Perdu dans mes pensées, je ne fais pas attention au van qui vient vers nous à toute vitesse, il amorce une sorte d'arc de cercle avant de se garer devant nous dans un crissement de pneus, nous bloquant le passage par même occasion.
- Putain, il est malade ! s'écrie Matt, en posant une main sur le ventre de Rex pour l'éloigner.
Un mauvais pressentiment me saisit lorsque la porte du van s'ouvre en coulissant sur un mec grand et mince vêtu de noir. Il a une cagoule et tient une arme. Quand il saute hors du van, ses bottes Timberland font un bruit qui me semble assourdissant sur le sol.
Rex pousse un cri paniqué en tentant de s'enfuir, mais l'homme tourne son regard vers elle, en un battement de cils, il lui tire dessus. Je vis avec horreur la balle traverser sa bouche, avec une précision mathématique. Rex tombe lourdement sur le sol.
Matt n'a même pas eu le temps de réagir que lui aussi récolte d'une balle. Je me mets à hurler et mon cerveau m'ordonne de réagir quand un autre homme sort du van.
- Ne lui fais pas de mal... Je me mets à courir, mais l'un des mecs est sur mes talons. Il est beaucoup plus rapide que moi et il réussit à me rattraper sans aucun mal. Il me colle durement contre son torse et la seconde d'après, il presse un mouchoir sur mon nez. L'odeur douceâtre est très caractéristique, elle me pique les narines. Je me débats autant que je peux pour qu'il me lâche.
- On n'a pas le temps pour ça, fout-là dans le van avant que quelqu'un passe sur l'autoroute. Le type qui me tient grogne quelque chose, il presse plus fort le mouchoir sur mon nez et une main enroulée autour de mon ventre, il me soulève et malgré tous mes efforts pour lui faire lâcher prise, il arrive à avancer avec moi vers le van. Je me sens de plus en plus engourdi. Quand on arrive devant les corps de Rex et de Matt, j'écarquille les yeux et je me mets à hurler. Même si le bruit est étouffé par le mouchoir, il y a du sang partout sur le sol. Rex est étendue sur le dos, son regard voilé avec sur le visage une expression de surprise. Des larmes coulent sur mes joues, j'ai envie de lui hurler de se lever, mais aucun son ne franchit mes lèvres.
je me mets à griffer mon assaillant pour qu'il me lâche. L'autre homme ouvre le van et celui qui me tient me jette sans ménagement à l'intérieur. Ma tête heurte quelque chose, la douleur est si forte qu'elle me coupe le souffle. Je n'arrive plus à bouger, je me sens engourdi, happé de plus en plus vers les limbes.
Je me réveille plusieurs fois avant de retomber dans les vapes, la voiture bouge à grande vitesse et je suis chahutée dans tous les sens. J'entends des voix très lointaines et je n'arrive à bouger ni mes mains ni mes jambes, c'est comme si elles sont attachées et quelque chose m'oppresse la bouche.
C'est dans un état presque comateux que je sens la voiture s'arrêter. Quelques secondes après, la porte du van s'ouvre, laissant pénétrer l'air nocturne, je frissonne. J'ai si froid.
Des mains m'agrippent, je suis traînée hors du van puis soulevée, quelque chose de dur s'enfonce dans mon ventre, il y a des bruits de pas, de gravier et même des bruits d'insectes.
- C'est elle ?
- Ouais, on en a zigouillé deux, mais on l'a eues.
- Ce n'est pas ce qui était convenu, le boss ne va pas être content. Je sens la personne qui me porte se tendre.
- Il n'était pas prévu qu'elle soit accompagnée et on ne pouvait pas attendre qu'elle rentre chez elle.
Il se remet en marche, me balançant dans tous les côtés. Autour de moi, je ne distingue pas grand-chose, simplement une faible luminosité, je dois lutter pour rester éveillée, mes mains pendent mollement. Il monte des marches deux à deux, j'ai envie de vomir à chaque pas qu'il fait, enfin il prend un couloir plongé dans la pénombre avant d'ouvrir une porte après quelques pas, je suis jetée sans ménagement sur un lit. Je rebondi et mon envie de vomir augmente. je remplit mes poumons d'air dès qu'il me retire le bâillon.
- Que... me voulez-vous ? Aucune réponse. À travers mes cils, je vois l'homme tourner les talons. Il ferme la porte derrière lui.
Le silence dans la pièce est insupportable, je n'arrive pas à ouvrir les yeux, je réussis à grand peine à me sortir du lit, me traînant sur le ventre, cherchant à atteindre la porte malgré mes pieds et mes mains entravés. Je suis à mi-chemin lorsque je perds à nouveau connaissance.
Deux claques me réveillent en sursaut. Une femme se tient en face de moi. Je me rends compte que je suis étendue sur un lit, mes mains retenues en l'air grâce à des menottes. Et que je suis complètement nue.
- J'en avais marre d'attendre que tu te réveilles.
- Qui êtes-vous ? Elle coule sur moi un regard vert plein de dédain.
- Tu n'as pas besoin de le savoir. Mes membres sont moins engourdis mais la douleur à mon crâne est toujours aussi insupportable.
- Je me suis permise de te débarrasser de tes cheveux.
- Quoi ? Elle ne répond pas, elle se dirige plutôt vers la table de chevet, saisit une carafe et commence à remplir un verre d'eau.
- Je présume que tu dois avoir soif. Je suis incapable de hocher la tête par précaution pour ne pas rappeler la douleur à ma tête, mais en effet j'ai soif. Elle pose un genou sur le lit, le verre est sur le point de toucher mes lèvres quand elle le renverse. Je sursaute quand l'eau glacée se déverse sur mon corps nu.
- Oops. Elle sourit, dévoilant une rangée de dents blanches, tu espères vraiment obtenir quoi que ce soit de bien dans cette baraque après ce que tu as fait ?
Ce que j'ai fait ? De quoi elle parle ? Et pourquoi cette femme me retient-elle ici ? Je me rappelle soudain de Rex et de Matt. Mon Dieu, ils ont été tués, par ma faute !
Je n'aurais jamais dû demander à faire un bout de chemin avec eux, elle venait de se fiancer, elle semblait tellement heureuse et si complice avec Matt, j'ai tout gâché, j'ai absolument tout gâché.
Je m'en veux tellement d'avoir survécu alors qu'eux non.
- Pitié, tu ne vas pas te mettre à chialer maintenant. Si? Je te conseille de garder tes larmes pour plus tard.
La porte s'ouvre. Attirant mon attention vers elle. Un homme y pénètre. Il doit avoir la cinquantaine, ses cheveux sont blancs comme sa barbe fournie, le contraste avec ses yeux bleus clairs est saisissant. Il est grand et mince, avec de larges épaules. Il porte un costume deux pièces gris et une écharpe, des chaussures et des gants en cuir. Je ne l'ai jamais vu. Mais son regard me fait penser à quelqu'un.
- Laisse-nous. Il déclare d'une voix posée sans me quitter des yeux. Gênée d'être ainsi nue devant lui, je ramène mes jambes contre ma poitrine. La fille me lance un regard presque triste avant de sortir. L'homme s'avance lentement, il se dégage de lui un tel charisme, où que je pose mon regard je ne vois que lui. Sa présence happe toute la pièce.
Il prend place sur le lit, à bonne distance de moi. Ses yeux ne quittent jamais mon visage, d'un côté je suis soulagée qu'il ne reluque pas ma nudité, mais de l'autre j'ai la désagréable impression d'être mise à nu par ses yeux bleus électriques comme s'il pouvait voir mes secrets les plus enfouis.
- Tu sais pourquoi tu es ici ? Je secoue la tête machinalement, incapable de dire quoi que ce soit. Il me fait peur.
- Je vais te le dire. Tu sais petite, je suis connu comme l'homme de glace. Je ne m'énerve jamais, en toutes circonstances j'arrive toujours à garder mon calme. J'ai toujours pensé que réagir au quart de tour ne servait à rien. Mais toi, tu as réussi à faire ce que personne n'a jamais réussi à faire en 52 ans d'existence. Tu as réussi à me mettre en colère, très en colère.
Il parle avec calme, détachant chaque syllabe. Je suis fascinée par chaque mot qui sort de sa bouche et angoissée par sa maîtrise.
- Comment est-ce possible ? Je ne vous connais pas.
- En effet, tu ne me connais pas. Mais tu m'as pris quelque chose de précieux. Tu as tué mon fils.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top