Chapitre 35: La mitomanie

Il balance les pieds au bord de ma fenêtre avec la désinvolture qui le caractérise.

On se regarde pendant un temps qui me paraît infini, puis je m'avance vers lui, incapable de résister à l'attraction.

Mais le diable sur mon épaule me rappelle qu'il est parti alors que j'étais à l'article de la mort. Mon visage se ferme comme celui de Méduse quand je suis dans les parages.

– Je n'arrive pas à y croire. Tu disparais trois jours sans donner de nouvelles et tu reviens, juste comme ça ?

Riccardo fait mine de réfléchir en se tapotant le menton du doigt.

– C'est moi ou tu te comportes comme si nous étions mariés ?

J'écarquille les yeux avant de lui dédier une mine blasée, mais il a raison, purée. Nathan a été mon seul petit ami, pourtant avec lui, je n'ai jamais été jalouse, ni possessive, ni rien de ce qu'une copine devait être.

Pourtant avec Riccardo, je ne comprends même pas ce qui m'arrive. Je secoue la tête pour chasser ses pensées.

– Qu'est-ce que tu fiches ici ?

– Je suis là pour toi. Il tire une bouffée de cigarette avant de jeter le mégot dehors.

– Oh, pour moi, vraiment ? Pourquoi tu es parti ?

Hé merde, je recommence avec mes reproches. Pour ma défense, j'ai besoin d'en avoir le cœur net.

– J'avais des choses à faire à Rome.

Il penche la tête sur le côté avec un énorme sourire. Brusquement il s'aggripe au rebord de la fenetre avant de balancer ses jambes et les referme autour de moi, m'attirant contre lui. Ma respiration se bloque quand je bascule contre son torse.

– Je t'ai manqué, Petite étoile ?

Je cligne des yeux, prise de court. J'ai envie de glousser comme une adolescente et d'entortiller une mèche de mes cheveux autour de mon doigt. Heureusement, ils sont courts maintenant.

– Tu crois vraiment pouvoir t'en sortir avec ça ? Tu as 30 secondes pour me dire pourquoi tu es parti, et tu as intérêt à avoir une bonne raison !

– Sinon quoi ? Il questionne avec un sourire insolent. Tu vas t'énerver ? Sortir tes minuscules griffes ? J'ai peur !

Nathan est toujours là, mais ni Riccardo ni moi ne lui prêtons attention.

Je me penche sur son épaule. Il pense certainement que je vais lui faire un câlin, car ses bras se referment autour de moi et il enfouit son visage dans mon cou. Ce simple geste fait battre mon cœur trop fort. C'est officiel, il faut que je me calme.

J'évalue la distance entre la fenêtre et le sol.

– Le temps passe, démon.

Il marmonne un « hmm » contre mon cou avant que ses mains ne parcourent mon dos en des caresses lascives.

– Putain, comment veux-tu que je me concentre quand tes seins sont plaqués contre mon torse comme ça !

– Que tu te concentres ? Je n'y crois pas, tu t'apprêtes encore à me mentir. Pourquoi te concentrer sinon ?

– Je ne sais pas dans le monde d'où tu viens, mais dans mon monde, le mensonge coule de nos lèvres comme une cascade.

J'écarquille les yeux avant de me ressaisir. S'il veut jouer à ça, on va jouer.

– J'ai de nouveaux tatouages. Il susurre contre mon oreille.

Il empoigne ma taille avant de remonter plus haut, prenant mes seins en coupe. Je me mords la lèvre inferieur avant de dire dans un souffle.

– Vraiment ?

Je glisse la main dans son tee-shirt et la referme sur la manche du couteau qu'il coince sous l'élastique de son jean, et m'en empare.

– Oui. Il repond une voix rauque tout en faisant rouler les pointes des mes seins entre ses doigts. Je rejette la tête en arriere et il en profite pour mordiller mon cou.

– Le temps est écoulé, mon cœur.

Nos yeux se croisent au moment où je m'éloigne. Les siens s'écarquillent quand il comprend ce que je suis sur le point de faire.

Je le pousse sans la moindre hésitation.

Riccardo laisse échapper un juron à faire rougir le diable en atterrissant sur le gazon. Il roule sur le côté et se redresse en me fusillant du regard.

– Des guerres ont été déclarées pour moins que ça !

– J'ai tellement peur ! Je ne veux plus te voir chez moi !

Je lui envoie un baiser juste avant de fermer les volets.

– C'est pour ce type que tu travailles ? Il est louche.

– Louche ? Je questionne en me tournant vers lui. Tu es très mal placé pour dire ça. Pour qui tu te prends ? Tu crois vraiment pouvoir sortir avec moi, puis te rabattre sur ma sœur quand je ne te donne pas ce que tu veux, et sortir avec ma sœur, puis te rabattre sur moi quand elle ne te donne pas ce que tu veux ?

– Ça n'a rien à voir avec Emma. Il s'agit de nous deux.

Je m'avance vers Nathan en extirpant le couteau de son étui en cuir. Je pose un genou sur le lit et, la seconde d'après, le couteau est sur son cou.

– Écoute-moi bien, toi. Je commence à en avoir assez que tu me touches et que tu me fasses des avances. Je ne veux plus jamais que ça se reproduise, compris ?

Il essaye d'acquiescer, mais il sait que la pointe du couteau va l'érafler s'il bouge. Je suis soudain prise d'une pulsion, celle d'enfoncer la lame dans sa peau, voir le sang s'écouler de ses blessures et la vie quitter ses yeux. Cette envie est tellement forte que mes mains se mettent à trembler. Je ferme brièvement les yeux dans l'espoir de chasser ces pensées contre nature.

– Je pensais que nous étions sur la même longueur d'onde.

Son haleine empeste tellement l'alcool que j'ai un mouvement de recul.

– Nous ne l'avons jamais été. Tu es avec ma sœur. Je me moque si vous avez des problèmes et que tu te sens seul. Tu poses tes mains sur moi, je te le ferai regretter.

Je sais que Nathan ne me prend pas au sérieux. Mais, je ne lui fais pas de promesses en l'air. Plus jamais je ne laisserai un homme m'abaisser comme Leblanc l'a fait.

– Tu as changé. Je te préférais avant.

– Quand tu pouvais te payer ma tête en toute impunité ?

Je retire le couteau sans attendre sa réponse et le range dans l'étui avant de le glisser dans la poche de mon short en coton.

En bas, j'entends la porte s'ouvrir et une voix familière échanger des banalités avec mon père. Je me masse la tempe, je savais que ça ne serait pas facile de me débarrasser de lui.

– Gayle, tu as de la visite !

Je regarde la fenêtre. Je pourrais passer par là et aller chez Cass ? Non, Riccardo ne va tout de même pas me pousser à fuir ma propre maison !

Je soupire et, après un dernier regard d'avertissement pour Nathan, je sors de la chambre.

Ma visite se tient dans le salon avec deux roses qu'il a sûrement dû piquer dans le jardin des voisins.

En plus d'être un menteur, c'est un voleur.

– Mademoiselle Attal, j'ai appris que vous avez eu un accident, comment vous sentez-vous ?

Je bloque en haut de la dernière marche. Non, mais j'y crois pas, il se moque de moi en plus ?

Papa juge que mon silence est un manque de respect.

– Ma puce, voyons, on te parle !

– Ce n'est rien, elle est sûrement en état de choc.

De ses longues jambes, il avale la distance et se campe devant moi. Je prends les deux roses et remarque qu'il a pris le temps de retirer les épines, et cette attention me touche.

Ressaisis-toi, jeune fille !

C'est là que je remarque le changement sur ses mains : il a vraiment de nouveaux tatouages.

Sur chacun des doigts de la main droite, il y a écrit LOVE, et sur quatre doigts de la gauche sont marquées HATE. Le rendu est à couper le souffle, mais je me raidis avant de faire une stupidité, comme embrasser ses doigts.

Il est parti à Rome pour un tatouage. C'est bien du Riccardo, ça. Je le fusille du regard.

– Merci, monsieur Gaviera !

– Riccardo, voulez-vous boire quelque chose ?

Je secoue la tête, lui faisant signe de refuser. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que je risque de franchir une étape avec lui s'il apprend à connaître mon père, ne serait-ce que le temps d'une tasse de thé.

Le démon fait la moue, ignorant l'avertissement dans mon regard, et réplique :

– Avec plaisir, Monsieur Attal.

Dès que papa disparaît dans la cuisine, son sourire de diable revient en flèche. Il comble les deux pas de distance qui nous séparent et m'attire à lui.

– Ric... Non, mais...

Déjà, il met fin à mes protestations en s'emparant de ma bouche. Je gémis, vaincue, en me mettant sur la pointe des pieds. Mes bras s'enroulent autour de son cou.

Au même moment, il suce ma lèvre inférieure, me faisant presque décoller du sol tant il provoque en moi des sensations inédites. Mon corps se plaque contre le sien, et nos langues commencent à se tourner autour. Riccardo pose les mains sur mes fesses et, dans un râle, il me soulève. Mes jambes s'enroulent autour de ses hanches, et mon dos rencontre le mur, faisant tomber un vase qui se brise, nous poussant à nous séparer.

Ça a duré à peine quelques secondes, mais je suis à bout de souffle.

– Tout va bien ? hurle papa depuis la cuisine. J'entends ses pas. Paniquée, je réfléchis à la vitesse de l'éclair.

– Oui, je... ma tête tourne et j'ai failli tomber.

Mon père écarquille les yeux. Je me sens mal, mais c'est la seule façon d'expliquer pourquoi je suis appuyée sur mon patron.

– Tu vois, tu es en colère parce que je t'ai privée de sortie, mais j'avais raison, tu es toujours faible.

Riccardo se retient de rire en pinçant les lèvres. Il fait bien : c'est à cause de ses mensonges que je suis dans cette situation.

Il me soulève comme une mariée.

– Tu dois faire attention, Gayle. Prendre le volant après avoir bu n'était vraiment pas une bonne idée.

Déclare Riccardo, la mine sévère, en me posant sur le canapé.

– Je vais te tuer, et me servir de ton crâne comme coupe de vin !

Je marmonne de sorte qu'il soit le seul à entendre.

Papa n'attendait que cette occasion pour se lancer dans une plaidoirie sur les dangers de l'alcool.

Le démon, assis en face de nous, son verre de limonade à la main, l'écoute avec attention, hochant la tête de temps en temps pour marquer son approbation.

JE LE DÉTESTE !

– Je vous comprends, l'alcool est un vrai danger. Moi, j'étais un grand fumeur, mais j'ai réussi à arrêter. Je suis sûr qu'avec un peu de volonté, Gayle peut y arriver.

Ma mâchoire se décroche et je ne fais aucun effort pour cacher ma surprise. Mes yeux jouent au ping-pong entre les deux hommes : l'un défend ses convictions avec force, et l'autre ment avec encore plus de force. C'est incroyable, il m'a dit que le mensonge chez lui venait naturellement, mais le voir à l'œuvre est presque fascinant. Même moi, je commence à croire que je suis alcoolique. Si j'écoute ses discours une seconde de plus, je vais m'inscrire aux Alcooliques Anonymes !

N'en pouvant plus d'entendre les récits sur la vie utopique d'ex-fumeur de Riccardo, je me lève.

– Je vais nettoyer les débris de verre ! En passant près de lui, je lui donne un coup de pied discret, mais je manque de m'étaler sur la moquette. Riccardo me retient en commentant.

– Le manque d'équilibre, l'une des conséquences de l'alcool.

Bordel, je vais vraiment le tuer.

Je me dirige vers la cuisine, laissant les deux nouveaux amis entre eux. Quand je me penche pour saisir l'essentiel de nettoyage, je sens quelque chose contre moi. Je me redresse à la vitesse de l'éclair, pensant que c'est Riccardo, mais c'est Nathan. Il est sûrement entré par la porte arrière.

– C'est quoi ton problème ?

Au lieu de répondre, il prend une gorgée de sa bière. Je prends sur moi, je refuse de faire une scène devant papa. Je récupère ce dont j'ai besoin et je sors de la cuisine.

Le bel Italien continue de mentir effrontément à mon père. Je soupire, je mets les fleurs dans la poubelle avant de monter dans ma chambre pour récupérer un tee-shirt. Je mets ensuite les débris du vase sur le tee-shirt et je protège le tout avec du ruban adhésif ; j'ai vu ça sur YouTube, un influenceur expliquait que c'est pour éviter que les animaux qui fouillent les poubelles ne se blessent.

– Mais dites-moi, Riccardo, vous voulez rester pour dîner ?

Je me fige avec ma serpillière.

Non, pas ça ! Pitié, la soirée est déjà assez compliquée, pourquoi papa veut-il en rajouter ?

– Oui.

– Parfait. Mon père se lève pour aller dans la cuisine.

– À quoi tu joues ?

– Moi, rien ! Qu'est-ce que tu me reproches ?

Je fusille le démon du regard en passant à côté de lui, il tire le poignard de ma poche sans se départir de son air moqueur.

– J'aimerais tellement que tu retournes à Rome. Ça me ferait des vacances.

– Et moi qui croyais que ma dulcinée se languissait de mon absence.

Je manque de percuter Nathan en entrant dans la cuisine, mais putain, il commence à m'agacer. Je m'écarte de la porte pour le laisser entrer dans le salon, mais évidemment, il prend tout son temps, comme pour me provoquer.

– Quel charmant jeune homme, malgré toute sa fortune, il n'est pas du tout prétentieux.

Ça y est, mon père est amoureux.

– Oui, il est fascinant...

– Tu devrais prendre exemple sur lui.

Cette réflexion m'aurait tiré un éclat de rire si un cri provenant du salon ne m'avait pas mise en alerte. Je sens déjà la catastrophe : nous avons laissé Riccardo et Nathan seuls dans la même pièce.

Mes jambes se mettent en mode pilote automatique et je décolle hors de la cuisine. Mon ex-petit ami est installé sur le canapé, le visage rouge et crispé par la douleur. Il dégouline de sueur, un couteau profondément enfoncé dans sa main qu'il tient comme s'il avait peur qu'elle ne tombe. Je me retiens au mur pour ne pas perdre connaissance. Nathan perd tellement de sang que son tee-shirt bleu est devenu poisseux et écarlate. Papa se précipite vers lui, l'air horrifié.

– Qu'est-ce qui s'est passé ?

Nathan souffle sûrement pour évacuer la douleur. Il lance au démon un regard prudent avant de répondre.

– J'ai fait un faux mouvement en coupant la pomme.

– J'aurais bien voulu l'aider, mais je suis hématophobe, ajoute Riccardo en regardant partout sauf Nathan, comme si la vue du sang lui était insupportable.

Si le mensonge est un art, alors la pieuvre de l'ombre en est le créateur.

– Ce n'est rien, je vais m'en occuper.

Nathan se lève du canapé, il est pâle et sa démarche est incertaine. Il se dirige à l'étage, le couteau à fruit toujours dans la main.

– Tu devrais aller à l'hôpital, suggère mon père.

– Ça va, réplique-t-il avec rudesse avant de disparaître à l'étage.

– L'alcool, conclut le comte Dracula avec un haussement d'épaules théâtral.

– Il est vrai que ce jeune homme est un grand buveur. Je vais aller l'aider à nettoyer la blessure.

– Riccardo, tu ne dépasses pas les bornes. Je marmonne en fonçant sur lui, les poings serrés.

– Estime-toi heureux, la seule chose qui m'a empêché de le tuer, c'est la présence de ton père.

– Laisse Nathan tranquille. Qu'est-ce que tu fais ici ?

– Il te harcèle ! Ce n'est qu'un avertissement, s'il recommence, je vais le tuer.

Je grimace parce qu'il ne rigole pas.

– Riccardo, je peux gérer Nathan. Je n'ai pas envie que mon père soit mêlé à tout ça, essaie de le comprendre !

– Je comprends, je suis désolé, mais je n'ai pas pu m'en empêcher.

– Tu es désolé ? Je questionne, médusée.

Il hoche la tête.

– Oui, je peux comprendre que tu veuilles préserver ton père de la violence dans laquelle on évolue. C'est un chic type.

La chute de la fenêtre a peut-être fait plus de dégâts que prévu.

Riccardo se lève soudain, je suis tellement intimidée par sa haute stature que j'ai un mouvement de recul. Il a une expression que je n'arrive pas à déchiffrer et, sans que je ne sache pourquoi, ça ne me plaît pas.

– Je vais y aller.

– Quoi, pourquoi ?

– Pour ne pas apporter le chaos chez toi.

Il se dirige déjà vers la sortie et je reste pétrifiée sur place. Je me rappelle soudain les mots qu'il m'avait dédiés dans l'avion quand il était sous l'emprise de l'alcool : Tout le monde veut que je parte. Pourquoi toi, tu serais différente ?

Je veux être différente des autres à ses yeux, je ne me l'explique pas. Mais je veux constamment être à ses côtés, même quand il fait tout son possible pour me mettre en colère.

Je laisse tomber le panier de fruits que j'étais censée mettre à la poubelle parce qu'il est plein de sang et pars à la poursuite de Riccardo.

– Attends ! dis-je en arrivant dehors. Il est déjà devant le portail.

– Je ne veux pas que tu partes, mais essaie de me comprendre. J'ai déjà perdu maman dans une violence inimaginable, je veux au moins préserver mon père de tout ça. J'ai envie que tu restes, mais s'il te plaît, ne poignarde plus personne.

– Je me tiendrai tranquille.

– Tu as intérêt. Au moindre incident, je te donne à manger à Persée.

***

Comme il me l'a promis, il se tient admirablement bien. Tellement bien que j'en viens à me demander où est passé le vrai Riccardo Gaviera.

– Non ! Il hurle quand papa est sur le point de casser les spaghetti en deux, nous faisant sursauter.

– Je veux dire, non, ce n'est pas nécessaire.

– Papa, tu veux casser des pâtes en Italie devant un Italien ? Je questionne sans lever les yeux de ma tâche.

– Mais la casserole est trop petite.

Riccardo récupère les pâtes et les met dans l'eau, montrant à papa que les casser n'est pas nécessaire. Je glousse en les regardant. Je suis assise dans un coin de la cuisine avec le livre que papa m'oblige à lire. Être en convalescence a ses avantages.

C'est vraiment étrange, l'entente qui s'est instaurée entre les deux hommes. Il y a quelques mois, ils ne se connaissaient pas, et maintenant ils parlent de foot et de recettes de pâtes aux fruits de mer comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Riccardo a l'air plus naturel, heureux, comme s'il s'était débarrassé d'un masque, ou dans son cas, comme s'il en avait mis un qui lui permet d'être moins à cheval sur les restrictions du monde dans lequel il a grandi. J'aime le voir comme ça.

Et c'est peut-être un pari risqué, mais je veux faire en sorte qu'il soit toujours heureux.

Mon téléphone posé sur la table vibre. Je le saisis avant de lancer un regard au cuisinier slash menteur-né.

Riccardo

À quoi tu penses ?

Gayle

À rien.

Riccardo

Menteuse, tu es un livre ouvert.

– Vous avez de l'huile d'olive ? Papa se sent offensé par la question, il ouvre les placards et pose une énorme bouteille d'huile d'olive de Californie.

– Il n'en reste pas beaucoup, Gayle et Emma l'utilisent pour leurs bains d'huile.

Je souffle. Comment paraître sexy devant un homme quand ton père balance tous tes secrets de beauté ? Il ne manquerait plus qu'il lui dise que j'utilise le riz comme masque.

Gayle

Je viens de me lancer un défi.

Riccardo consulte son téléphone tout en versant l'huile dans la casserole.

Riccardo

Lequel, celui d'augmenter la fréquence des bains d'huile ?

Gayle

Ha ha ha, non. J'aime voir un certain démon derrière les fourneaux, et je ferai en sorte qu'il y soit très souvent.

Papa s'excuse pour aller cueillir du basilic dans le jardin. J'en profite pour poser mon livre et me rapprocher du comte Dracula. Avec ses manches retroussées et son tablier, il est à tomber.

– Goûte ça ! Je prends une bouchée de la sauce, je veille à garder un visage parfaitement neutre, puis je fais une énorme grimace.

– Démon, pourquoi ta sauce est sucrée ?

Riccardo pâlit.

– Quoi ? Il récupère le pot contenant le sel. Bordel, c'est écrit "sel", ça serait du sucre ?

N'y tenant plus, j'éclate de rire.

– Je te fais marcher, ta sauce est parfaite. Tout comme le cuisinier d'ailleurs.

Riccardo récupère quelques louches d'eau de cuisson des pâtes qu'il met dans une casserole avant de verser les pâtes dans une passoire placée dans l'évier.

– Tu pourras avoir le cuisinier en dessert si tu es sage.

Je prends une fourchette pour goûter un morceau de langouste dans la sauce.

– C'est chaud !

– Laisse-moi faire, déclare Riccardo. Je pense d'abord qu'il va souffler dessus, mais le monstre se penche et fourre le morceau de fruit de mer dans sa bouche.

– Oh... J'ai l'impression que tu viens de manger mon cœur, je le voulais ce morceau.

– Tu peux avoir un morceau plus grand, si tu veux.

Je lève les yeux au ciel, remarquant qu'il a une tache de sauce sur la lèvre. Je me rapproche davantage et l'essuie avec mon doigt. Le regard de Riccardo se fait plus intense, il capture mon doigt entre ses dents avant de le sucer.

La porte s'ouvre à cet instant sur mon père. Je sursaute et m'écarte de Riccardo.

– Comment trouves-tu la sauce, Gayle ?

– Une pincée de sel et ça sera parfait.

Mon père pouffe, il tapote l'épaule de Riccardo en passant à côté de lui. Il pose le basilic sur le plan de travail et se dirige vers la sortie.

– Vous pouvez arrêter les enfants, ça devient pénible. Je sais que le vase n'est pas tombé par accident. Je vais me rafraîchir avant le dîner.

Oops.

Riccardo part 30 minutes après le dîner. À table, tout s'est bien passé. Le seul problème, c'était Emma qui posait des questions assez personnelles, et sans se démonter, il a menti avec son zèle habituel, gardant juste ce qu'il fallait de vérité.

Papa a demandé à ma sœur de s'occuper de la vaisselle, et je me suis éclipsée dans ma chambre.

Seule sous la douche, je me suis rendu compte que j'aurais voulu que maman soit là ce soir. La connaissant, elle n'aurait cru à aucun des mensonges du démon, aussi doué soit-il, mais elle l'aurait adoré, j'en suis persuadée.

Je termine ma douche, je me sèche les cheveux et j'enfile un énorme tee-shirt en coton qui fait office de pyjama.

J'ouvre la fenêtre avant de me glisser sous les couvertures.

Je suis profondément endormie quand je sens les couvertures s'écarter et quelqu'un se glisser derrière moi. En temps normal, j'aurais hurlé. Mais une seule personne a l'habitude de faire ça. Je baisse les yeux et dès que je reconnais le tatouage tribal, ma respiration se calme.

– Coucou petite serveuse.

Ses mains glissent sous mon tee-shirt, empoignant mon ventre. Je frissonne parce qu'elles sont froides en me cambrant contre lui

Coucou mini crise cardiaque. Tout ça ne faisait pas partie du contrat que j'ai signé. Pourtant, plus le temps passe, plus j'ai l'impression que je serais capable de tout lui céder.

***

Je suis réveillée par l'insupportable coq de notre voisin. Oui, un coq... Quelle idée de vivre à côté de fermiers ! Mais je ne peux même pas me plaindre, papa a sympathisé avec eux et ils nous apportent des œufs à chaque fois. Sachant que je ne pourrai pas me rendormir, je me dirige à pas de loup vers la salle de bain pour ne pas réveiller Riccardo.

Une fois prête, je sors de la chambre et vais en cuisine, attirée par l'odeur de café. J'espère juste ne pas y trouver Nathan.

– Bonjour. Tu es matinale, dis donc.

Ma sœur, vêtue d'un tailleur pantalon sombre, me regarde par-dessus son épaule.

– J'ai un rendez-vous professionnel, et je n'ai pas dormi de la nuit à cause des jérémiades de Nathan. Il m'a dit que c'était ton patron qui lui avait fait ça, dit-elle en mimant des guillemets en prononçant le mot "patron".

– Euh...

– Il aurait dû viser la tête, je ne le supporte plus.

– Pourquoi tu restes avec lui, alors ?

Emma écarte gracieusement ses cheveux de son visage.

– J'en sais rien. L'habitude, et la peur de finir seule sûrement. Il y a du café et des croissants.

Elle termine en rinçant sa tasse avant de sortir. Emma me fait de la peine. Combien de personnes vivent cette situation, obligées de rester avec quelqu'un juste par peur de ne pas trouver autre chose ?

Je m'assure que le café est brûlant avant de le servir. Je pose le tout sur un plateau et remonte dans la chambre.

– Bonjour, dis-je timidement en trouvant le démon réveillé. Ma chambre empeste la cigarette.

Il détaille mes jambes nues avant de remonter son regard sur mon visage.

– Bonjour.

Il replie son doigt, me faisant signe d'avancer. Je prends sur moi, il sait que je déteste ça et cherche à me provoquer. Je pose le plateau sur la table de chevet avant de m'installer sur le lit, tenant ma tasse entre les mains.

– Tu peux me promettre un truc ?

– Ça dépend de quoi ?

– Ne pas fumer dès que tu te réveilles. Mange au moins quelque chose.

– J'arrête si tu arrêtes de mettre de l'huile d'olive dans tes cheveux.

– Mais pourquoi tu n'es jamais sérieux ? je demande en riant.

– D'accord, je te le promets.

– Dis-moi, commence le démon après avoir pris une gorgée de son café. Son ton me met tout de suite en alerte. Pedro m'a raconté pour Franco. Qu'est-ce qu'il te veut ?

Je me rappelle brusquement du mot que Franco m'avait laissé au restaurant de Ellen : Appelle-moi quand tu auras envie d'être traitée comme une reine. Ou une princesse, je ne me souviens plus. Je l'avais jeté à la poubelle, car je n'ai aucune intention de me lier de quelque manière que ce soit avec Franco.

Peut-être que je me fais des idées, mais j'ai l'impression qu'il me suit à la trace et s'arrange toujours pour venir me parler quand Riccardo n'est pas dans les parages.

Je prends un croissant, Riccardo en a déjà fini un. C'est un broyeur, ce type.

– Rien, on s'est croisés par hasard.

– Par hasard ? À cinq minutes de chez toi, alors que Franco vit et travaille de l'autre côté de l'île ?

– C'est peut-être la meilleure pâtisserie de l'île.

Riccardo plisse les yeux, pensif. Même moi, je trouve l'attitude de Franco bizarre.

– Peut-être...

Il pose sa tasse avant de se lever.

– Je dois y aller, j'ai rendez-vous avec la pieuvre dans une heure, et je dois passer chez moi avant.

Tu vas revenir ? Je me mords la lèvre pour ne pas poser la question à haute voix. Riccardo enfile sa veste et récupère les clés de sa voiture.

– Ok. Je me contente d'acquiescer.

Il prend mon visage entre ses mains, caressant mes lèvres de son pouce. Mon corps frissonne d'envie. Je me tortille sur le lit pour me rapprocher de lui. Riccardo presse sa bouche sur mon front en murmurant :

– Merci.

Je ne comprends pas pourquoi il me remercie, mais il se dirige déjà vers la fenêtre avant que je ne puisse lui demander des éclaircissements. 

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