Chapitre 32: Les pluies de castamere
Après la douche la plus rapide du monde, j'enfile une jupe en jean courte et un chemisier léger sombre que j'attache au niveau de mon ventre. Je récupère mes chaussures, des bottines en cuir, avant d'aller rejoindre Riccardo dans sa chambre, comme il me l'a demandé.
Il a enfilé un pantalon de camouflage, un tee-shirt sombre et un pull dont la capuche est rabattue sur sa tête.
Il détaille ma tenue d'un œil appréciateur avant de me demander de le suivre dans son dressing en repliant le doigt, cette manie qu'il a tendance à toujours m'agacer.
Je croise les bras avec un air de défi, restant campée sur mes positions. Il revient du dressing quelques secondes plus tard en se rendant compte que je ne l'ai pas suivi. Il y a un certain agacement sur son visage quand il déclare :
– À quoi tu joues ?
– Oh, tu m'as appelé, désolée, je n'ai pas le souvenir d'être un chien. Ça te tuerait de dire « Gayle, suis-moi s'il te plaît » ?
Il me regarde longuement comme s'il voulait analyser une situation trop complexe. Je recule quand il fonce droit sur moi d'un pas déterminé, je me retrouve acculée entre lui et la porte, et il en profite pour se pencher, me soulever par les jambes et me jeter sur son épaule.
– Ce n'est pas drôle, pose-moi tout de suite !
Il va plus loin en claquant une main sur mes fesses avant de se diriger vers le dressing. Riccardo me pose à l'intérieur avec un sourire satisfait, ignorant mon regard mauvais. Mais quel brute !
Je remets de l'ordre dans ma tenue alors que le démon ouvre un tiroir d'un geste sec, me dévoilant sa collection de montres de luxe. Il retire celle qu'il a au poignet et la remplace par une toute simple avec une attache en cuir brun.
– Il t'arrive de sortir sans montre ?
Question stupide, dont le seul but est de briser le silence.
– Il t'arrive de sortir sans ton bracelet de cheville ?
Il pose la question en regardant ma cheville droite. Je ne m'en suis jamais séparée depuis mes 16 ans, c'est un cadeau de maman.
– Non, je réponds en levant les yeux au ciel.
– Tu as ta réponse.
Il ouvre un autre tiroir alors que je m'étais attendue à voir une rangée de cravates. Je découvre une collection de couteaux, tous plus beaux les uns que les autres.
Il en saisit un, de taille moyenne avec le manche en or sculpté de motifs compliqués. Le démon saisit ensuite une cravate qu'il découpe avant de se mettre à genoux devant moi. Il prend mon pied qu'il pose sur sa cuisse, il attache ensuite ce qui reste de la cravate très haut sur ma cuisse, comme une sorte de jarretière, avant d'y glisser le couteau.
– Je pouvais le faire toute seule.
– Et me priver du plaisir de te toucher ?
Je me mordille la lèvre quand il pose les siennes sur ma peau.
– Allons-y. Il dit en se redressant. Tu fais ce que je te dis et tout ira bien.
– Tu ne me racontes pas de mensonges, et tout ira bien.
Un sourire étire ses lèvres pleines.
– Riccardo, je suis sérieuse.
– Quel dommage, je ne suis jamais sérieux. Amène-toi !
***
Arrivé dans le jardin, le démon émet un sifflement, et aussitôt Médusa et Persée avalent la distance dans notre direction. Persée me tourne autour, puis il lève sa patte gigantesque. Je me penche pour le caresser.
– C'est qui le plus beau ? Oui, c'est toi !
– Tu sais que dans cette position, j'ai une vue parfaite sur tes fesses ?
Je lance un regard au démon par-dessus mon épaule. Il est debout derrière moi, Médusa en équilibre sur ses pattes arrière, en train d'accueillir ses caresses, alors qu'il ne me quitte pas des yeux. Elle en a de la chance, Médusa...
Avec un sourire, je me penche en avant. Je l'entends jurer, puis je me redresse, je me rapproche de lui et je murmure contre son oreille.
– Tu sais, si je me penche encore plus, tu pourrais avoir une vue plus spectaculaire, je n'ai pas mis de culotte.
– Quoi ?
Il est tellement médusé que ses yeux s'écarquillent.
Je le regarde en penchant la tête sur le côté comme il aime le faire, avant de saisir sa main et de la poser sur ma cuisse.
– Tu veux vérifier ?
Riccardo fronce les sourcils, il doit se demander ce qui me prend. Il n'est pas le seul. Premièrement, j'ai une culotte, et deuxièmement, depuis quand suis-je aussi audacieuse, surtout envers lui, alors que quelques heures plus tôt, je le haïssais tellement que sa simple présence me donnait des boutons ?
Je pose la main sur la sienne et je guide ses doigts le long de ma cuisse. Riccardo se rapproche en un mouvement presque imperceptible. Dès que ses doigts dépassent la limite instaurée par ma jupe, je m'éloigne avec un petit rire et je commence à courir en direction du garage. Je siffle et aussitôt Persée bondit sur ses pattes et me suit.
– Gayle, reviens ici !
– Dans tes rêves, Gaviera.
***
Dans la Bugatti Veyron conduite par Riccardo, j'essaie d'emmagasiner un maximum d'informations sur l'homme à qui nous devons rendre une petite visite.
Je suis installée sur le siège côté passager, son ordinateur sur les jambes. Medusa et Persée sont installés à l'arrière, et je me demande pourquoi le démon a pris les félins avec nous. Il s'est contenté de dire que c'était absolument nécessaire.
De temps en temps, Persée pose sa tête sur mon épaule. Il m'adore, et je le lui rends bien.
L'homme à qui nous allons rendre une petite visite s'appelle Kaido Yakushi, un Japonais de 36 ans. C'était un Yakuza. Dans la mafia japonaise, il occupait le titre de Sheteigashira, et il était assez prometteur pour gravir les échelons. Sauf qu'il avait un énorme problème : sa bite, qu'il était incapable de garder dans son froc.
Il a couché avec plusieurs femmes des membres de sa famille mafieuse, ce qui lui a valu de nombreux ennemis puissants. Jusqu'au jour où il a mis en cloque la femme de l'Oyabun, le chef des Yakuza en personne. C'est justement à cause de cette erreur qu'il a dû fuir avec son amante, qui est désormais devenue sa femme.
L'ancienne pieuvre, le grand-père de Riccardo, l'a accueilli parce qu'il lui devait un service. Il a donné à Kaido une maison, sa protection, une nouvelle identité et une somme d'argent assez conséquente pour lui permettre d'ouvrir un club de striptease. À une seule condition : il devait donner à la Cosa Nostra 30 % de ses recettes, chose qu'il rechigne désormais à faire.
– Tu te rends compte qu'il est obligé de vivre en cavale à cause de son kiki ? Riccardo, qui s'est arrêté au feu rouge, éclate de rire. Je suis tellement surprise par sa réaction que j'écarquille les yeux.
– Kiki ? Tu te moques de moi ? Tu peux utiliser des mots plus appropriés, je me sens mal, là.
– Je ne parle pas de toi.
– Je sais, princesse, mon dragon n'aura jamais à souffrir d'un diminutif aussi ridicule.
Il redémarre, me laissant troublée par le surnom affectueux.
– Ton dragon ? Riccardo me regarde avec un sourire enfantin, il hausse ses sourcils à tour de rôle, fier du surnom qu'il a attribué à une partie de son anatomie. C'est officiel, je ne verrai plus jamais les dragons de la même manière.
– Kaido est un idiot, mais je l'admire.
– Quoi ! Je m'exclame, ayant terminé de parcourir le dossier de Kaido. Je referme l'ordinateur et, alors que je tente de le poser à l'arrière, je croise le regard luisant de Medusa qui crache dans ma direction. Je m'écarte à la vitesse de l'éclair.
– Elle me déteste !
– Elle est jalouse, elle était la seule femme de ma vie jusqu'à ce que tu débarques. Puis, s'adressant au léopard, il déclare : Ne t'inquiète pas, mon cœur, tu pourras la dévorer quand j'en aurai fini.
– Ha ha, très drôle, je m'exclame en levant les yeux au ciel. Plus sérieusement, pourquoi as-tu de l'admiration pour Kaido ? Je me tourne sur le côté pour pouvoir le regarder, aussitôt mon cœur se met à battre beaucoup trop vite. Bon sang, qu'est-ce qui m'arrive ? Je le nie avec véhémence, mais il y a quelque chose en moi. Cette chose grandit de plus en plus à chaque fois qu'il est là et, pire, même quand il n'est pas là.
– La femme avec qui il s'est enfui est son amour de jeunesse. Le chef des Yakuza l'a épousée de force et il lui a fait vivre un enfer. Alors si Kaido est en cavale, ce n'est pas à cause de son kiki (il appuie le mot avec un petit rire), mais à cause de l'amour. Crois-moi, autant ce qu'on a entre les jambes peut être un problème, autant l'amour est un fléau.
– Tu en parles comme si l'amour était une mauvaise chose.
– Je n'ai jamais voulu perdre le contrôle, et tomber amoureux de quelqu'un, c'est lui donner le pouvoir de contrôler ta tête et ton corps, et ça, c'est putain d'effrayant.
Je me mordille la lèvre. Riccardo prend une autoroute perchée sur un pont étroit. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle, mais il n'a pas tort. Je ne suis jamais tombée amoureuse, mais quand ça arrivera, serai-je prête à faire des compromis pour faire de la place à cette personne, lui laisser le contrôle sur mes émotions et mon corps ? Sur ma vie ?
– C'est vrai que ça fait peur. Tu es déjà tombé amoureux ?
Ma question est logique, après tout il a été marié et remue ciel et terre pour retrouver son ex-femme. Je redoute la réponse, qui ne vient pas. Il se contente de me regarder de façon énigmatique, ses yeux sont magnifiques, trop grands pour son visage, sombres et frangés de longs cils.
Riccardo est une sorte de livre à deux faces. L'une des faces est accessible, l'autre est protégée comme les coffres d'une banque.
Il se passe tellement de choses dans ses yeux sombres, et j'arrive à en décrypter si peu. J'aimerais qu'il me fasse confiance, qu'il se confie à moi. Et, chose encore plus incroyable, j'aimerais apprendre à lui parler librement sans que ça ne se termine en drame.
Je décide de poser une autre question.
– Tu aurais fait ce que Kaido a fait au nom de l'amour ?
Il fait la moue, penchant légèrement la tête sur le côté avant de répondre sans hésitation.
– Oui, mais pas que. Si quelqu'un touche la femme que j'aime, je m'assurerai qu'il soit mort avant de débuter ma cavale.
***
Kaido Yakushi habite une villa perdue au milieu de la forêt sicilienne. Plus je parcours la propriété, plus je suis sans voix. J'en ai vu des maisons magnifiques, mais celle-là dégage un charme et une tranquillité que les autres n'ont pas. Je me verrais bien vivre ici, loin de tout. Riccardo claque des doigts devant mon visage, comme pour me sortir d'un rêve. Je suis tellement hypnotisé par la villa que je n'ai pas écouté ce qu'il me disait.
– Cette maison est magnifique ! Riccardo se gare, il coupe le moteur et regarde la maison comme s'il ne voyait pas la même chose que moi. Il arque un sourcil en secouant la tête. Je souffle, il le fait exprès ? La beauté de cet endroit saute aux yeux. La villa, intégralement en verre, est construite sur un lac. Sa forme sculpturale me laisse sans voix, elle a des fenêtres allant du sol au plafond et une corniche immaculée dont la forme rappelle celle d'un paquebot. Elle n'est pas trop grande, juste ce qu'il faut pour être parfaite.
On se déplace en ne faisant aucun bruit, même les félins, malgré leur taille. De plus près, elle est encore plus spectaculaire. La maison se reflète sur le lac, on dirait un tableau, je soupire de manière presque euphorique.
– La maison de mes rêves a enfin un visage. Riccardo a un rire sarcastique.
– Il n'y a rien de drôle, je marmonne, vexé par son attitude condescendante.
– Gayle, concentre-toi ou je t'enferme dans la voiture avec Medusa.
– Tu as vraiment le don de transformer mes rêves en cauchemar.
On remonte l'allée qui mène à la maison. Riccardo me passe un Glock alors qu'il garde la mitraillette. Il me surprend en me demandant de me cacher avec Persée derrière un arbre.
– Pourquoi ?
– Tu verras.
Riccardo se dirige ensuite vers la porte, ses longues jambes avalant la distance, la masse sombre de Medusa à côté de lui. Il appuie sur la sonnette une fois, puis une deuxième fois avec plus d'insistance. Une voix d'homme commence à râler assez fort pour réveiller un mort. À travers le verre, je vois Kaido avaler la distance, il remonte à la hâte son pantalon, une cigarette coincée entre ses lèvres. L'homme disparaît quelques secondes de mon champ de vision avant qu'il n'ouvre la porte.
Kaido se retrouve nez à nez avec la mitraillette de Riccardo. Il baisse les yeux et se retrouve confronté à un léopard sombre d'un mètre de long aux crocs acérés. Je ne le vois pas, mais je sais que Riccardo sourit quand il déclare.
– Kaido ! L'ancien Yakuza pâlit, il amorce un mouvement de recul en levant les mains.
Mauvaise idée, Medusa le prend comme une menace et se met à grogner dangereusement, le poussant à rester immobile.
– Où est ta femme ?
– Elle n'est pas là, qui êtes-vous, qu'est-ce que vous voulez, pourquoi vous pointez un putain de flingue sur moi ?!
Cette dernière phrase, il l'avait hurlée comme s'il voulait prévenir quelqu'un. Riccardo le pousse à avancer. La porte se referme. Je les vois quelques secondes à travers le verre puis ils disparaissent.
Je me mords la lèvre, à quoi il joue ? Il a accepté que je vienne pour, au final, me planter derrière un arbre avec un Persée ronronnant. Je sens la colère et la déception me saisir. Décidément, ce n'est pas demain à l'aube que Riccardo Gavieira et moi deviendrons une équipe solide.
Persée se redresse légèrement en alerte. Je suis soudain sur mes gardes quand j'aperçois une masse rouge qui contourne la maison. Elle se rapproche et je me rends compte que c'est une femme. Elle est pieds nus et porte un peignoir en satin rouge. Ses longs cheveux sombres cascade jusqu'au milieu de son dos. Elle tient un fusil de chasse. La femme en rouge prend le petit chemin construit sur le lac et se dirige vers la porte.
À la lumière, je reconnais la femme de Kaido.
Bon sang, il est rusé comme un renard. Il a dit à Riccardo que sa femme n'était pas là, en même temps il a hurlé assez fort pour prévenir cette dernière qu'un type armé était dans la maison. Maintenant, ils veulent le prendre à revers.
Mon souffle se bloque quand je prends conscience que Riccardo m'a laissée ici pour que j'assure ses arrières. Il me fait confiance. Cette constatation me donne tout le courage dont j'ai besoin.
Je quitte ma cachette à pas de loup, ordonnant au félin de ne pas bouger alors que Yura Yakushi tente d'ouvrir la porte sans faire de bruit. Je m'avance derrière elle, elle est tellement obnubilée par sa tâche qu'elle ne se rend pas compte de ma présence, même quand je marche sur une brindille qui se brise dans un bruit sec. La porte s'ouvre au même instant que le canon de mon arme touche ses cheveux.
– Pose ton arme ! Yura ! Kaido sursaute et elle réagit avec une rapidité surprenante. Elle laisse tomber l'arme et, avant qu'elle ne touche le sol, Yura se retourne en me bousculant.
Merde, mon Glock m'échappe des mains. Yura ceinture ma taille pour me pousser dans le lac. On atterrit toutes les deux dans l'eau glaciale. Elle me flanque une gifle monumentale et me décroche un crochet du droit la seconde d'après. Putain, je crois qu'elle m'a pété le nez là. Je secoue la tête pour me ressaisir.
Alors qu'elle est occupée à essayer de me noyer, je ceinture sa taille et je réussis, avec beaucoup de difficulté, à la faire basculer sur le côté. Sa tête heurte une pierre près de la berge, ce qui lui tire un râle de douleur. Je lui flanque plusieurs coups au visage avant de porter mes griffes en métal à son cou. Évidemment, à cause de l'eau, le courant est plus violent. Il me traverse le bras et je pousse un cri, ayant l'impression d'avoir été frappée par la foudre. Yura, qui s'en est pris plus que moi, s'est évanouie. Je me redresse, ramenant Yura sur la berge avant qu'elle ne se noie. Je suis dégoulinante et j'ai soudain trop froid. Je siffle à Persée, qui s'avance, la langue pendante.
Je ramasse mon arme puis je commence à tirer Yura dans la maison. Je suis à bout de souffle quand je la laisse au milieu du salon. Riccardo, qui tient Kaido en joue, a un grand sourire et quelque chose dans le regard qui ressemble à de la ... fierté ?
– Yura, merde, qu'est-ce qu'elle lui a fait ? Kaido cherche à se lever du canapé, mais Medusa, ayant flairé la menace, bondit, ses dents pointues s'enfonçant dans la cheville de l'ancien Yakuza qui hurle.
– Ça suffit, mon cœur, tu ne vas pas le manger tout de suite ! raille son maître avec un sourire moqueur. Medusa le relâche aussitôt en se léchant les babines. La féline me regarde et je jurerais lire dans ses yeux : la prochaine, ça sera toi. Riccardo se désintéresse de Kaido. Il marche vers nous et soulève Yura sans effort, la posant sur le canapé à côté de son mari. Puis il la réveille de quelques claques sur le visage. Je me masse le bras pour faire circuler le sang, il est tout engourdi.
Kaido serre les dents, mais il n'ose pas bouger à cause des deux félins, surtout à cause de Medusa qui se lèche les babines, rêvant de goûter de nouveau à son sang.
Kaido est un homme de taille moyenne, le crâne rasé, les yeux bridés entourés de petites ridules. Sur son torse musclé sont tatoués deux dragons aux couleurs foncées qui oscillent entre le noir, le rouge et le bleu. Ils se font face et l'un d'eux crache du feu. Ses bras sont couverts de tatouages aux motifs compliqués ainsi que son cou.
– Tu es rusé, je dois t'accorder ça. Heureusement que je ne t'ai pas sous-estimé. Mais toi, tu m'as vraiment pris pour un idiot. Rettiens ça, Kaido, on ne m'encule pas.
– Qui es-tu, bordel ? Qu'est-ce que tu veux ?
Au lieu de répondre, il sort son téléphone et lance la musique. Aussitôt, Rain of Castamere retentit. Le démon pose le téléphone sur la table basse en verre avant de s'installer sur un canapé en velours. Il me fait signe d'approcher. Je déglutis en obéissant. Il m'attire à lui et me fait asseoir sur ses genoux. Le couple, tenu en respect par les armes, ainsi que les deux félins, sont aussi surpris que moi. Je me tortille sur ses jambes, mal à l'aise.
Yura Yakushi, anciennement Namikase, est une femme à la beauté classique. Elle est grande et mince, avec de longs cheveux sombres qui encadrent un visage en forme de cœur aux traits fins. Ses yeux sont dotés de doubles paupières, qu'affectionnent tant les femmes asiatiques. Sa peau, d'une blancheur parfaite, détonne avec le rouge de son déshabillé. Pas étonnant que Kaido se soit mis le chef des Yakuza à dos.
– Nous allons avoir une petite conversation. Je vais commencer par poser des questions, chacun va répondre. Je commence : quelle est votre série préférée ? Je le regarde par-dessus mon épaule, la surprise se reflétant dans mes yeux. À quoi joue-t-il ? Quand il ne tue pas des gens, il leur demande quelle est leur série préférée. Kaido échange un regard avec sa femme avant de s'agacer.
– Putain, tu te paies ma tête... Riccardo tire. La détonation assourdissante retentit dans la maison en verre. La balle se loge dans le canapé, entre les jambes de Kaido, manquant de peu sa virilité. Yura a sursauté et se met à pleurer.
– Ne lui faites pas de mal, on vous donnera ce que vous voulez.
– La prochaine fois, je ne te raterai pas. On recommence, chacun va répondre. Ma série préférée est Game of Thrones, et toi, Yura ? Elle renifle, elle est aussi trempée que moi, et son visage a viré à l'écarlate.
– Crash Landing on You, qu'est-ce que... ? Persée grogne comme s'il ne supportait pas sa voix, ce qui lui arrache un cri et la pousse à remonter ses jambes sous elle et à se rapprocher de son mari, comme pour chercher sa protection.
– Je ne connais pas, et toi, Kaido ? Riccardo le regarde, les yeux agrandis, lui lançant un défi silencieux de ne pas répondre.
– Vikings. Il crache entre ses dents serrées. Si ses yeux étaient des fusils, Riccardo et moi serions déjà morts.
– Excellent, tu as du goût, et toi, Princesse, laisse-moi deviner : Friends ?
– Non, comme toi, Game of Thrones ! Son regard s'illumine, et un sourire enfantin éclaire son visage.
– Donc tu as reconnu cette chanson ? Il n'attend pas que je réponde. Il se tourne vers le couple.
– Je vais vous raconter l'histoire de mon personnage préféré, Tywin Lannister.
Mais où veut-il en venir ?
Mais oui, je comprends à quoi il joue. Je connais l'histoire qui se cache derrière cette chanson, pour avoir lu les livres. Riccardo semble lire dans mes pensées, car il se penche vers moi et murmure au creux de mon oreille.
– Tu veux nous raconter l'histoire ?
– Oui.
Il se laisse aller en arrière, les jambes écartées, la mitraillette posée sur l'accoudoir du canapé.
– On va écouter attentivement. Si quelqu'un respire, je le bute, pas vrai, mon cœur ?
En réponse, Medusa pousse un grognement qui se répercute dans toute la pièce. L'entente entre l'homme et l'animal est presque effrayante.
– À une époque, sur Westeros, Titus Lannister régnait comme gouverneur de l'ouest. Mais, aussi puissant qu'il était de par son titre et sa richesse, c'était un homme faible, trop bon pour être un chef. Alors, les grandes familles de l'ouest ont commencé à se moquer de sa faiblesse et à mettre en doute son autorité. C'étaient des choses banales comme rire quand il parlait, refuser de répondre à ses missives, se moquer de la taille des bijoux de sa femme. Jusqu'au jour où les deux maisons les plus puissantes de l'ouest, après les Lannister, décident de fomenter une rébellion pour renverser la famille dirigeante.
La chanson s'arrête et est remplacée par une autre version au piano. Le couple en face de nous m'écoute avec une attention particulière. Malgré les tremblements de Yura, ils ne semblent pas comprendre et nous prennent certainement pour des fous, mais la lumière se fera bientôt dans leurs têtes embrumées par la peur.
Je reprends le cours de mon histoire.
– La maison Reyne s'est alliée à la maison Tarbeck pour renverser les Lannister. Ils y seraient sûrement parvenus sans compter sur Tywin Lannister, fils aîné de Titus. Il a étouffé la rébellion dans l'œuf et éliminé les deux familles rebelles.
Riccardo saisit ma taille et ses dents se plantent dans mon cou. Il va me laisser des marques, mais je m'en moque. Il se lève ensuite d'un mouvement souple avant de me poser sur le canapé. Il s'avance vers le couple sans prendre son arme.
– Tywin Lannister a fait pleuvoir une pluie de sang sur les murs des maisons Reyne et Tarbeck. Il pointe du doigt son téléphone. Cette chanson est la putain de dernière chose qu'ils ont entendue. Elle est devenue emblématique, comme un rappel aux ennemis des Lannister. Mais sais-tu pourquoi il a éliminé ces deux familles, Kaido ?
– Putain, j'en sais foutre rien, pour montrer sa puissance ? Riccardo claque la langue.
– Pas que. Ces deux familles avaient fait serment d'allégeance, un serment qu'elles ont brisé, une dette qu'elles ont refusé de payer envers les Lannister. Mais les Lannister, eux, paient toujours leurs dettes.
– Mais où voulez-vous en venir ? questionne Yura. Elle parle avec beaucoup de grâce en articulant chaque mot. C'est moi qui réponds en plantant mes yeux dans les siens.
– Votre mari a fait un serment à la pieuvre il y a dix ans, serment qu'il est en train de briser. Il refuse de payer ses dettes, mais la Cosa Nostra paie toujours les siennes.
Yura pâlit quand elle comprend enfin où nous voulons en venir. Visiblement, le regard lourd de reproches qu'elle lance à son mari prouve qu'elle n'en savait rien. Riccardo reprend la parole alors que Kaido semble vouloir se donner à Medusa pour éviter de regarder sa femme.
– Il y a dix ans, la pieuvre vous a sauvés d'une mort certaine. Il vous a protégés, logés et il vous a permis de monter une affaire sur l'île. Mais tu sembles avoir oublié, Kaido, que la bonté de la Cosa Nostra a un prix. On a toujours un retour sur investissement, soit en récupérant notre fric, soit par le sang, et j'ai une folle envie de te tuer.
Il siffle et Medusa bondit sur le canapé, sa gueule proche du visage de Kaido. Il doit sentir son souffle chaud et son haleine fétide. Il tremble malgré tout l'effort qu'il déploie pour ne pas bouger. La queue de Medusa balaye le visage et le buste de sa femme à intervalles réguliers.
C'est fascinant de voir Riccardo à l'œuvre : grand, sombre, un sourire moqueur et des yeux brillants. Il sait qu'il a le pouvoir et il s'en délecte, et putain, j'ai envie de lui sauter dessus à cet instant.
Non, je ne suis pas normal.
– Écoute bien cette chanson, Kaido, la prochaine fois que tu l'entendras, sois sûr que ton heure a sonné. Mon cœur !
En reconnaissant le surnom, Medusa saute du canapé. Je me lève également en récupérant la mitraillette, et nous nous dirigeons vers la sortie.
– Qui es-tu ?
– La pieuvre de l'ombre, répond le démon sans le regarder. Je risque un coup d'œil en arrière pour me rendre compte que Kaido est aussi blanc qu'un linge. Il sait qu'il a la chance de passer la nuit et qu'il n'aura pas de deuxième chance.
À l'extérieur, Riccardo saisit son téléphone pour appeler son père.
– C'est fait, dit-il dès que ce dernier décroche, avant de couper la communication.
À travers le verre, je vois le couple se disputer. Yura dit quelque chose en levant les bras au ciel avant de se pencher pour frapper son mari sur la tête. Il joint les mains comme pour lui demander pardon ; si je ne grelottais pas de froid, je serais plié en deux face à cette scène.
Je sens quelque chose sur mes épaules. En me redressant, je me rends compte que Riccardo a posé son pull sur mes épaules. Je lève la tête, nos yeux se croisent, un sentiment lourd prend possession de mon ventre. Riccardo se tourne vers moi et se penche pour que son visage soit à la hauteur du mien. Je me passe la langue sur ma lèvre inférieure, qui devient soudain sèche. Il suit le mouvement, levant sa main, il pose le doigt sur ma bouche qui frémit. Il me raproche de lui, jusqu'à ce que je frole son torse, mon souffle s'accelere malgré moi, je me mets sur la pointe des pieds pour être à sa hauteur pour accueillir ce qu'il veut me donner.
Ma main s'accroche au bas de son pull, nos lèvres sont sur le point de se toucher quand des grognements menaçants de Medusa me font sursauter. Merde, qu'est-ce que j'étais sur le point de faire ? Je m'éloigne sans demander mon reste vers la voiture.
***
Dans la voiture, je regarde les rues défiler en caressant discrètement Persée. Un silence gênant s'est installé entre Riccardo et moi. Rien d'étonnant, il était sur le point de m'embrasser, et je suis restée là, immobile. J'en avais envie, oui, j'attendais qu'il le fasse. Mais que se serait-il passé après ? Heureusement, la jalousie maladive de la féline m'a empêchée de faire une bêtise. D'ailleurs, Médusa est plus hostile que jamais ; sa présence me terrorise.
– Tu n'as jamais rêvé d'autre chose ? je demande, risquant un regard dans sa direction.
– Si, mais les rêves ne sont pas permis quand on est un made man.
– Je vois. Et tu n'as jamais voulu être la pieuvre ? Un rire lui échappe, nos regards se croisent brièvement avant qu'il ne se concentre sur la route. Ça n'a duré qu'une fraction de seconde, mais une moiteur s'est logée entre mes cuisses. Je me tortille sur le siège avant de serrer les cuisses. Il faut vraiment que je me calme, qu'est-ce qui me prend ? Avant de connaître Riccardo, je n'avais jamais ressenti ce besoin. J'ai envie de faire une bêtise, comme grimper sur ses jambes et le prendre en moi. Une nouvelle vague de chaleur se répand dans mon intimité. Cette fois, je croise les jambes. Riccardo me lance un regard amusé, baissant les yeux sur mes jambes que je n'arrête pas de bouger. Aussitôt, mon calvaire augmente.
Il faut que je sorte de cette voiture. Je remarque qu'il ne prend pas le chemin qui mène chez lui.
– Tu voudrais que je le sois ? Sa voix rauque me ramène à l'ordre. De quoi parlait-on déjà ?
– Je suis sérieuse, tu sembles être craint.
– Oui, mais ça ne suffit pas. Je n'ai pas la patience de me farcir tous ces trous du cul. Les gens ont tendance à croire qu'il suffit de savoir manier une arme pour être un bon chef dans la mafia, mais c'est faux. On ne peut pas être un grand chef si on n'a pas un minimum de diplomatie dans le sang. Mon père est l'un des meilleurs Don que la Cosa Nostra ait connus ; il sait exactement quand il faut parlementer et quand tirer.
– Et Gia ? Il soupire, comme si le sujet le dépassait.
– Gia est un être à part. Dans un monde parfait, Gia serait un homme à la vie banale et tranquille, mais malheureusement pour lui, il est la future pieuvre. Il est beaucoup trop gentil.
Ce n'est pas une critique, juste une constatation alarmante.
– Tu l'aimes ?
– C'est un con, mais oui, c'est ma seule famille, et quand il deviendra la pieuvre, je serai à ses côtés pour combler ses lacunes. Je serai son ombre.
– Mais qui sera à tes côtés pour combler les tiennes ? Il ne répond pas.
– Pourquoi, quand une question est très personnelle, tu ne réponds pas ? Il hausse les épaules.
– Je ne sais pas.
Bercée par les ronronnements de la voiture et ceux du félin, je finis par m'assoupir.
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