Chapitre 28: La femme aux cheveux blancs.
La pièce dans laquelle je pénètre ressemble à une cellule de prison. Les murs sont d'un blanc immaculé. Il y a un lit dans un coin, il est d'assez bonne taille, les draps jadis blancs sont enduits d'une substance qui rappelle le sang. Mais ce qui me laisse sans voix, ce n'est pas la rapidité à laquelle ma demande en ces lieux a été exaucée, mais la table rectangulaire dans un coin de la pièce. Une femme y est allongée. Je n'ai pas besoin de m'en approcher pour savoir qu'elle est morte. L'odeur nauséabonde qui s'en dégage est assez éloquente. Je fronce le nez, résistant à l'envie de vomir, et je regarde Bellucci à la dérobée avec l'espoir qu'il ait la même réaction que moi, mais non, il est calme. Comme si c'était parfaitement normal.
Nous avons suivi Bellucci durant presque une semaine et pas une seule fois je ne m'étais douté que sous ses airs de Monsieur tout le monde, c'était un pédophile et un nécrophile. Putain, ce mec a des filles, qu'il traite comme des princesses, comment peut-il faire autant de mal ? Comment peut-on être aussi tordu ? Des gens comme ça ne se remettent pas en question ? Il n'a jamais essayé de mettre ses filles à la place de celles qu'il expose un peu partout dans cet orphelinat.
Et sa femme, est-elle au courant ? Plus de 15 ans de mariage, ça m'étonnerait qu'elle ne se soit jamais doutée de rien. Mais elle vit sa vie de luxe tranquillement.
Il me tourne autour comme un loup, ses mains s'attardent sur mon dos avant de glisser dans ma perruque. J'ai peur qu'elle lui reste dans les mains, mais je chasse cette pensée bien vite, je l'ai tellement bien collée que même un ouragan ne pourrait la déloger.
– L'argent achète tous les fantasmes... Il murmure en pinçant mon téton. J'ai un frisson de dégoût. Dommage que l'argent n'achète pas la moralité. Alors c'est ça, être riche ? Se permettre de tout faire juste parce qu'on le peut ? Bellucci fait croire au monde entier qu'il est un homme de bien, propriétaire de plusieurs orphelinats, alors que les gamins qui résident ici sont utilisés à des fins malveillantes.
– Pourquoi ? Je questionne sans quitter des yeux le corps devant nous. Je sais que ma question peut paraître bizarre, je suis censée savoir ce qui se passe ici avant d'y mettre les pieds, surtout, je suis censée y prendre goût. Pourtant, je suis tellement crispée qu'on dirait que je veux m'enfuir.
Bellucci a un petit rire, il commence à retirer sa veste qu'il lance sur le lit, dévoilant sa chemise immaculée qui met en valeur son torse musclé. Il n'est pas aussi massif que je le pensais, mais il est bien entretenu et foutrement charismatique, comme seuls peuvent l'être les politiciens d'exception. On ne va pas se mentir, à un homme comme Bellucci, je donnerais mon vote sans hésitation après lui avoir donné le bon Dieu sans confession.
– Vous savez ce que c'est d'être riche ? C'est n'avoir aucune limite, avoir ce qu'on veut, aller où on veut en un claquement de doigts. Mais avec le temps, je me suis lassé, tout était trop facile, je n'avais plus ce frisson, ce petit quelque chose qui me faisait me sentir vivant, alors j'ai décidé de repousser les limites.
Tout en parlant, il fait sauter les boutons de sa chemise, dévoilant son torse saillant recouvert d'un duvet sombre.
– Les fantasmes sont des barrières à la jouissance. J'ai alors décidé de ne plus jamais imposer de barrières à mes désirs. Sa chemise part rejoindre sa veste. Il me regarde longuement avec convoitise avant de déclarer :
– Retire ta robe, ne garde que tes chaussures ! L'ordre claque comme un fouet, c'est le ton d'un homme qui est habitué à obtenir ce qu'il veut. De mon micro, me parvient le juron de Riccardo. Bordel, je suis tellement stressée que j'en avais oublié que je porte une oreillette.
Je me crispe et il le remarque, car une furtive lueur de colère traverse ses iris, ce qui n'arrange pas mon état, loin de là.
– Un problème ? Ce n'est pas une question, mais un avertissement. Son regard est passé de moi à la fille étendue sur la table en métal, comme pour dire : obéis ou tu finiras comme elle.
Il n'est pas question que je passe par ce schéma. Mais c'est inévitable si je fais n'importe quoi. Ni Riccardo ni moi ne sortirons d'ici vivants. Est-il au courant de ce qui se passe dans cet endroit ? Si oui, il s'est vraiment foutu de moi, il aurait dû me le dire pour que je me prépare. Là, j'ai vraiment l'impression de passer pour une idiote.
Je prends une profonde inspiration avant de lancer un regard de défi à Bellucci. Un sourire étire mes lèvres luisantes de gloss. Son regard se trouble, je suis belle et je le sais, même si je n'ai jamais utilisé mon charme pour obtenir quoi que ce soit. Je crois qu'il est grand temps de m'en servir, sinon je vais finir sur une table entourée de crudités.
Bellucci se rapproche, avec mes talons, on fait presque la même taille. D'une main, il pince mon menton entre son pouce et son index, de l'autre, il retire mon masque.
– J'étais curieux de voir à quoi tu ressembles sans ce masque. Je bats pudiquement des paupières.
– J'espère que tu n'es pas déçu ?
Il secoue la tête.
– Au contraire, au contraire. Il avance encore en regardant ma bouche et je comprends qu'il veut m'embrasser. Mission ou pas, je ne peux pas aller aussi loin, surtout pas avec lui, il me dégoûte, dieu sait sur quel cadavre ses lèvres ont traîné.
– Je n'embrasse pas. Je déclare d'un ton ferme en posant une main sur sa bouche. Je le sens sourire sous ma main, le regard brillant de malice.
– La nuit est longue, ma chère, j'ai tout le temps qu'il faut pour vous faire changer d'avis.
Je suis sûre qu'il est du genre à forcer les filles à changer d'avis.
– Vos vêtements. Il me tarde de vous voir dans la splendeur de la nudité.
Je fais passer ma main sur le côté et fais descendre la fermeture éclair de ma robe. Elle tombe sur le sol dans un bruissement de tissu. Je l'enjambe et je reste devant lui en corset et porte-jarretelles en plus de mes chaussures.
Le quinquagénaire a un hochement de tête ravi avant de proposer :
– Un petit remontant. Mon sourire est crispé par le dégoût et la colère, mais il ne le remarque pas vu que déjà, il se dirige vers la table. Il sort quelque chose de sa poche, un petit récipient en or. Je m'avance vers lui. Il contient de la poudre blanche. De la drogue de toute évidence.
Bellucci trace des lignes sur les jambes pâles de la fille morte avant de rouler un billet de 100. Il se penche pour sniffer toute la ligne avant de se redresser en rejetant la tête en arrière, avec sur le visage un air extasié. Suis-je la seule que cette odeur de chair pourrie met dans tous ses états ?
– Arrête de t'attarder sur des détails insignifiants. Si tu décèles une ouverture, fonce, quelques secondes peuvent faire la différence entre la vie et la mort.
La voix grave de Riccardo me ramène encore à l'ordre. Qu'est-ce qu'il fabrique ? Il est encore en bas avec ses filles ? Non, il ne faut pas que je pense à ça. Je suis jalouse, ça ne sert à rien de le nier, et je ne veux pas ressentir cette brûlure d'envie.
Je profite que Bellucci soit penché pour prendre une nouvelle dose pour lui enfoncer mes griffes en fer dans le cou. Bellucci se crispe, mais la seconde d'après, j'ai appuyé sur le petit bouton. Son corps se met à convulser quand un courant très puissant le traverse, il s'effondre sur le sol en béton, mais il est toujours conscient.
– Qu'est-ce que...
– Je crois que je commence à débloquer de nouveaux fantasmes. Je recommence mon manège. Bellucci expire, me postillonnant dessus, mais je ne m'arrête pas avant qu'il ait perdu connaissance. Le cadeau de Riccardo est une lame à double tranchant. À chaque fois que j'attaque Bellucci, je suis moi-même électrocutée, mon bras est tout engourdi, mais je ne sens même pas la douleur, poussée comme je suis par l'adrénaline. Je suis en colère contre Bellucci.
Contre Riccardo, comment peut-il connaître l'existence d'un tel endroit et fermer les yeux ? Et encore, je suis sûr qu'il existe dans ce bâtiment des pratiques dont je ne veux même pas avoir connaissance.
La porte s'ouvre alors que je m'attendais à voir Riccardo, c'est la femme aux cheveux d'argent qui entre, je suis tout de suite aux aguets. Si elle appelle les gardes, je suis dans la merde. Mais elle n'en fait rien, elle ferme la porte avec un petit sourire en avisant Bellucci étendu sur le sol, un filet de salive sur le menton et de la poudre blanche sous le nez. Je plisse les yeux en reculant, qu'est-ce qu'elle me veut, elle ? Devrai-je la traiter comme une ennemie ? Oui, dans cet orphelinat, tout le monde est un ennemi potentiel.
– Je savais que vous n'étiez pas net, je sais reconnaître les éléments dangereux. Je carre les épaules, venant d'elle, c'est presque risible.
C'est au tour de Riccardo d'entrer dans la chambre. Dès que je le vois, je me détends, ma respiration devenant plus calme.
Il regarde Bellucci puis moi, ses yeux ont toujours été inexpressifs, mais avec ses lentilles, c'est encore pire. Mais sur les miens, je suis sûr qu'il voit tout le dégoût et la colère que je ressens. Il comble la distance et prend mon visage en coupe dans sa main gantée.
– Ça va ? Je le fusille du regard. Pour une fois, son ton soucieux ne me fait rien. Il se moque de moi ? Comment ça pourrait aller ? Non, rien ne peut aller bien dans un endroit pareil.
– Il t'a touchée ? Je lève les yeux au ciel.
– Oui, on a eu le temps de faire 3 à 4 bébés. Sa mâchoire se contracte, et je regrette la chaleur de sa main sur mon visage quand il la laisse retomber.
– Ne plaisante pas avec ça.
– Pourquoi ? Ce n'est pas ce que tu avais prévu ?
– Crois ce que tu veux. Mais je préfère mourir que laisser un homme te faire du mal à nouveau.
Pourquoi, j'ai envie de questionner, mais je me mords la lèvre pour m'en empêcher.
– Voyez-vous ça, Riccardo Gaviera qui s'inquiète pour quelqu'un. Te serais-tu payé un cœur en mon absence ? Je les regarde avec incompréhension avant de prendre conscience que je suis toujours en petite tenue. Je récupère ma robe, que j'enfile avec des mouvements saccadés.
– Je suis curieuse de savoir qui est cette charmante créature.
Cette femme et moi avons au moins ça en commun. Elle se campe devant moi et porte sa main à mon visage. Je recule pour qu'elle ne me touche pas, mais Riccardo est plus rapide. Il saisit son poignet qu'il serre quelques secondes avant de la repousser avec brusquerie.
– Ne la touche pas. Je t'ai donné ce que tu voulais, Flora. Maintenant, aide-nous à sortir d'ici. La femme aux cheveux gris sourit, ses yeux passant de moi à Riccardo. Ce dernier soulève sa canne avant de dévisser le bas, il y a une aiguille qu'il s'enfonce dans le bras de Bellucci.
– Qu'est-ce que c'est ? Je questionne en récupérant mon masque que Bellucci avait lancé sur le lit.
– Un sédatif, avec ça, il ne risque pas de se réveiller d'aussi tôt. Nos yeux se croisent, et je me détourne au bout de quelques secondes. Je ne sais pas quoi penser de lui ni de tout ça.
– Suivez-moi. Déclare Flora d'un ton théâtral, en se dirigeant vers la porte. Riccardo me retient par le bras quand je suis sur le point de lui emboîter le pas.
– Ne me regarde pas comme ça.
– Comment ?
– Comme si je te fais peur.
– Quelle importance, tu dois être habitué. Il a un petit sourire, et j'ai l'impression qu'il est triste, comme si je l'avais blessé avec ma remarque. Riccardo me lâche, il charge Bellucci sur son épaule sans effort apparent. Ne supportant pas le silence qui s'est installé, je questionne :
– Tu lui fais confiance ?
– Quelle est la première règle ? Ne faire confiance à personne, surtout pas à lui. Il a été catégorique là-dessus. Alors pourquoi avoir introduit cette femme dans notre plan ? Ce qui m'énerve le plus, c'est qu'il ne m'a même pas prévenu. Il faut que je sorte d'ici avant de péter un câble.
Je remarque que les deux gardes qui arpentaient les dédales quelques instants plus tôt sont avachis sur le sol, inconscients. L'œuvre de Riccardo, sans doute.
On suit Flora à travers les dédales sombres, jusqu'à un escalier en pierre. Il est tellement humide que je dois me cramponner à la rampe pour ne pas me casser la gueule. Là aussi, il n'y a que quelques lampes qui nous permettent de voir notre progression. Depuis combien d'années cet endroit sert-il de berceau du vice pour les activités de Bellucci ? Combien de personnes a-t-il tuées, combien a-t-il tué ?
– Que vas-tu faire de lui ? questionne Enora. Sa voix est faible, mais l'écho se répercute tout de même entre les vieux murs. Nous atteignons enfin le bas de l'escalier, la pièce qui suit est une chapelle. L'endroit a connu des jours meilleurs ; des bancs sont installés ici et là, et l'autel est en ruines. Les statues du Christ et de la Vierge sont les seules intactes, et les murs sont couverts de toiles d'araignée. Ça sent le moisi et le renfermé, cette odeur propre à la poussière.
– Ça ne te regarde pas. Contente-toi de tenir tes engagements.
Sans se démonter, elle me sourit, faisant le signe de la croix avant de s'incliner de façon théâtrale. Cette femme est le genre de personne qui prend absolument tout comme un jeu, et quelque chose dans sa désinvolture me fait penser à l'attitude de Riccardo.
– Cet endroit est gouverné par le diable, et le diable ne s'adore qu'en sacrifice. Pas vrai, très chère ?
– Je n'en sais rien.
– Oh, évidemment que vous savez. Vous êtes avec Riccardo, après tout, et ce garçon est le diable en personne. Je suis persuadé que vous lui avez sacrifié quelque chose.
Le garçon en question reste impassible, comme si ce n'était pas de lui qu'on parle. Il doit avoir l'habitude d'entendre ça. Et sans savoir pourquoi, je me sens coupable de ce que je lui ai balancé dans la cellule. Monstre ou pas, moi, il m'a sauvé la vie.
Flora ouvre une petite porte en bois, l'air nocturne me balaie la peau. Le passage est si petit que Riccardo doit se baisser pour traverser avec son fardeau. Le jardin à l'arrière du bâtiment est en très mauvais état, envahi par de hautes herbes et jonché de débris de ce qui semble être un amas de bancs et de tables.
Je reconnais l'arbre sous lequel nous avions garé le SUV de Riccardo. Ce dernier jette Bellucci dans le coffre. Je suis persuadée qu'il va se réveiller quand son corps fait un énorme bruit contre le métal, mais il n'a même pas un frémissement.
– Quand tu verras Giosuè, ne manque pas de lui dire que je t'ai aidée, je suis fatigué de vivre reclus de tout.
Giosuè Gaviera, la pieuvre, le père de Riccardo. Ce dernier ne réplique pas. Il me regarde très longuement, comme s'il voulait me faire passer un message. Ses cheveux blonds et ses yeux gris me rendent nerveuse. J'essaie de creuser pour dénicher le démon sous ce déguisement froid et austère, mais je ne vois absolument rien. J'ai l'impression d'être entourée d'inconnus.
Il s'avance vers la femme aux cheveux gris et prend le visage de cette dernière en coupe dans ses mains. Le geste peut presque paraître affectueux.
– Merci pour ton aide, ma tante. Les choses se passent le temps d'un battement de cil. Riccardo la saisit par le cou et la regarde à travers ses cils.
– Qu'est-ce que tu fais ?
– Je te sacrifie.
Il réplique d'un ton caressant avant d'enfoncer un couteau, que je n'avais pas remarqué, dans sa poitrine. Le sang gicle, éclaboussant son visage et le haut de ses vêtements.
J'étouffe un cri, mais je suis incapable de détourner le regard. Il retire l'arme avant de la replonger à nouveau au même endroit, comme pour être sûr de faire plus de dégâts. Quand il s'éloigne de Flora, cette dernière reste immobile quelques instants avant de s'effondrer lourdement sur le ventre.
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