Chapitre 27: Antonio Belluci
Les couloirs sont étroits et, comme le reste des lieux, faiblement éclairés. Cet endroit ressemble à s'y méprendre au couvent où a été tournée La Nonne.
Une porte s'ouvre derrière moi, me faisant sursauter. Je me retourne au moment où une fille se précipite vers moi, elle me percute, manquant de me faire tomber, avant d'enrouler ses bras minces autour de mes hanches en pleurant contre mon ventre. Elle est complètement nue, et ses longs cheveux blonds, tout emmêlés, cascades en boucles irrégulières jusqu'à son dos. Un homme sort de la pièce d'où vient la gamine. Je reste interdite quelques secondes avant de comprendre enfin ce qui se passe, j'ai un haut-le-cœur.
Deux hommes, vêtus de costumes, se précipitent vers nous et tentent de m'arracher l'adolescente, qui se met à hurler dans une langue que je ne comprends pas.
– Qu'est-ce qui se passe ? demande Riccardo dans le micro. Je ne réponds pas.
Les deux hommes traînent la petite jusqu'à la chambre.
– Antonio va me rembourser, je les aime dociles, crache l'homme à poil. Il est petit, le ventre aussi bedonnant que ses jambes sont minces, et sa petite queue pointe dans ma direction.
C'est un pédophile ; cet endroit n'est pas une maison close ordinaire. Ce sale porc de Bellucci vend les orphelins qui résident en ces lieux au plus offrant. Je me rappelle soudain le premier soir où nous l'avions suivi ici ; je suis à présent persuadée que ce qu'il tenait ce soir-là était un corps, le corps d'un enfant.
– Vous voulez vous joindre à moi ? propose l'homme qui continue de me regarder. Il sourit en passant sa langue sur ses lèvres. Qu'est-ce qu'ils ont tous à me demander ça ?
– Ne fais rien de stupide. On s'occupera de tout ça le moment venu. La voix de Riccardo me rappelle à l'ordre, exactement au moment où je fais un pas vers l'homme pour l'électrocuter à l'aide de mon bracelet.
Je prends une grande inspiration avant de continuer mon chemin, je me sens mal.
– C'est une enfant, on ne peut pas laisser faire.
– Je sais, je te promets qu'on les sortira d'ici. Forte de cette promesse, je m'arrête devant la porte en bois sculpté qui mène à la salle de réception du premier. Riccardo m'a fait mémoriser les plans du bâtiment, alors je n'ai aucun mal à me repérer.
Je pousse la porte et tous les regards se tournent vers moi. Il y a à peine une poignée de personnes ; cette salle est aussi grande que celle du rez-de-chaussée. À la différence qu'il y a quatre tables rectangulaires sur lesquelles sont couchées des femmes complètement nues. Le long de leurs corps, la nourriture est disposée de façon très artistique.
La première a la peau d'ébène, avec des tresses plaquées. Les ongles de ses mains et de ses pieds sont peints en blanc, des fruits de toutes sortes reposent sur son corps et autour. La deuxième est une femme blanche avec des cheveux noirs ; elle supporte la charge des amuse-bouches, et ainsi de suite.
Je me rappelle qu'une fois, nous avions regardé un documentaire sur Cuisine TV qui parlait de ce nouveau concept japonais consistant à servir de la nourriture sur des femmes nues. Papa s'était indigné, affirmant que c'était dégradant pour la femme et que c'était encore un moyen pour des hommes puissants d'asseoir leur suprématie.
Je sens des regards peser sur moi. Je m'avance vers la table autour de laquelle sont disposées les boissons. Comment arrivent-elles à ne pas bouger ? Personnellement, si on met des cerises à quelques mètres de ma bouche, je vais me gêner. Je referme ma main autour d'une coupe de champagne avant de me figer. J'observe avec attention la fille couchée sur la table rectangulaire couverte d'un tissu argenté.
Je connais cette fille blonde ; elle faisait partie du groupe des filles avec qui j'étais dans le van de Franco.
Soudain, j'ai un flashback du moment où Dona a demandé à ce dernier de me tuer. Elle disait qu'un nécrophile paierait cher pour le corps d'une métisse.
Ses cheveux sont étalés autour d'elle, et elle est très lourdement maquillée ; ses paupières sont closes et sa bouche peinte en violet est légèrement entrouverte.
Elle est figée, et son corps est d'une pâleur extrême malgré le maquillage. Il se dégage d'elle une odeur âcre que même l'alcool a du mal à dissiper.
Elle est... Non, c'est grotesque. Je me fais des idées.
– Fascinant, n'est-ce pas ? Je me tourne vers la femme qui vient de se manifester derrière moi.
– O-oui, en effet. J'acquiesce sans même savoir pourquoi.
– C'est du grand art. Un jour, l'une de mes filles s'en est prise à un client qui s'était permis de la toucher. J'ai alors trouvé un moyen pour qu'elles ne s'en offusquent plus jamais.
Je me crispe. Mon Dieu ! Ma main tremble légèrement, et ma sensation de nausée monte en flèche. Heureusement que je n'ai rien mangé avant de venir dans cet enfer.
Je ne supporte pas les odeurs de parfum, de nourriture et d'encens qui se dégagent de cette pièce parce qu'elles ne servent qu'à masquer l'odeur de décomposition qui ne manquerait pas de venir des corps.
– Ne panique pas. La voix de Riccardo me rappelle à l'ordre ; il peut parler, bordel, ce n'est pas lui qui est dans une pièce remplie de cadavres. Est-il au courant de tout ce qui se passe dans cet orphelinat ? Merde, évidemment qu'il sait ; sinon, pourquoi me demander de garder mon calme alors qu'il n'est même pas là ?
– Dites-moi, quel est votre fantasme ?
– Mon fantasme ?
– Les gens viennent ici pour assouvir leurs fantasmes les plus inavouables, et nous leur accordons ce qu'ils souhaitent.
Je n'ai jamais réfléchi à la question, mais à cet instant, je n'ai pas de fantasme. J'ai un besoin : le besoin de voir cet endroit brûler et Bellucci avec.
La femme doit avoir la quarantaine, ses cheveux argentés sont coupés courts. Elle porte une robe à manches courtes en dentelle ; elle est mince et très élégante. Son masque argenté couvre une partie de son œil droit avant de couvrir la moitié de son visage du côté gauche.
– Je doute que vous puissiez me donner ce que je veux, mais je me contenterai de ce que vous avez.
Je lève mon verre à son intention en espérant qu'elle me laisse tranquille.
Je balaye la pièce du regard ; il ne faut pas que j'oublie pourquoi je suis là. Je remarque enfin Antonio Bellucci. Même avec son masque, je le reconnais, mais c'est un autre homme qui capte mon attention.
Cheveux blancs, barbe blanche, yeux bleus clairs. Il me fait penser à mon ancien bourreau, mais avec son masque, je ne suis sûre de rien. Une chose est sûre, il ne ressemble pas à l'homme que nous cherchons.
– Il ne s'intéresse pas aux femmes vivantes ni aux adultes. Elle suit mon regard. De qui parle-t-elle, de Bellucci ou du sosie de Leblanc ?
– Il ne m'a jamais eu, moi.
– Que voulez-vous ? Il y a une note de suspicion dans sa voix. Je comprends que si je n'envoie pas la politesse au diable, je ne me débarrasserai jamais d'elle.
– Je ne sais pas encore ce qui me brancherait pour la soirée ; néanmoins, je sais que votre présence me dérange.
Elle se crispe avant de s'incliner et de s'éloigner dans un bruissement de tissu.
– Impressionnant ! susurre Riccardo avec une pointe d'amusement dans la voix.
– Faut croire que tu commences à déteindre sur moi.
J'ai beau chercher, je ne trouve pas l'homme que Riccardo cherche. En plus, Bellucci semble très pris avec le sosie de Leblanc.
En le regardant, je sens une rage bouillonner en moi. J'ai l'impression que c'est lui tout en étant persuadée du contraire, mais cette inconnue fait remonter en moi une colère longtemps contenue.
Un jour, je lui ferai payer ce qu'il a fait à maman, je lui ferai regretter d'avoir posé ses mains sur moi.
– Rien de ton côté ? Je déambule entre les tables, me sentant de plus en plus mal ; j'ai l'impression d'être dans une morgue. Je saisis une pomme pour me donner de la contenance, mais il n'est pas question que je porte ça à mes lèvres. Même mortes, certains hommes trouvent le moyen d'utiliser les femmes
– Des gens qui baisent, rien d'intéressant, réplique Riccardo.
– Il y a un homme ici, il me fait penser à Adrian Leblanc.
– Ne t'inquiète pas, je ne laisserai jamais quelqu'un te faire du mal, je me réserve ce privilège. Je me mordille la lèvre pour ne pas sourire. Dans un endroit pareil, mon amusement est très malvenu.
À cet instant, Bellucci se tourne vers moi. Je lève mon verre à son intention avec un sourire insolent. Je suis nerveuse, mais je ne le montre pas. Je ne bouge pas et lui laisse le loisir de parcourir mon corps du regard. Il dit quelque chose au sosie de Leblanc, ce dernier se tourne vers moi, plantant ses yeux de glace dans les miens. Je sens mes pieds se visser au sol et un frisson parcourir tout mon corps. Ce n'est pas lui, ça ne peut pas être lui. Pourtant...
Je déglutis avec peine, essayant de me concentrer sur Bellucci qui se lève du canapé en velours. Il passe à côté d'un homme âgé qui tripote une gamine. Chose étrange, elle ne bouge pas, elle accepte tout ce qu'il lui fait, pas un son, pas un mouvement.
Un nécrophile. Putain, dans quoi Riccardo m'a-t-il fourrée ?
Pas très grand et d'une corpulence trapue, Bellucci porte un costume fait sur mesure et des chaussures en cuir. Son masque prend toute la moitié de son visage. Je lui tends la main quand il arrive à ma hauteur.
– J'ai l'impression que vous vous ennuyez. Et ce n'est jamais bien pour mon image d'hôte si vous vous ennuyez chez moi.
Lors de ses soirées, on ne se présente pas, m'a dit Riccardo. Chacun va droit au but ; la règle est de se laisser aller à ses fantasmes, même les plus loufoques.
– À mourir. Je ne trouve rien qui me stimule. Mais ce n'est pas votre faute, j'ai fait tellement de choses.
– Qu'est-ce qui vous intéresse ? Je pourrais vous aider à trouver de nouvelles activités.
– Vous êtes disposé à me donner tout ce que je désire ?
– Naturellement, personne ne quitte cet endroit insatisfait.
Je veux que tu meurs, connard ! Je prends une profonde inspiration, il faut que je me calme. Tout ira bien, s'il continue à me prendre pour une femme inoffensive. Riccardo m'a demandé de tout faire pour l'amener dans une pièce où nous serons seuls et de l'immobiliser. J'espère que son merveilleux plan ne va pas se retourner contre moi.
La main de Bellucci se pose sur mon bras et il commence à parcourir ma peau de caresses lascives.
– Alors ?
– Être prise de force sur un lit couvert de sang. Ses yeux se mettent à briller.
– On peut arranger ça. Suivez-moi !
– Excusez-moi. Je réprime un sursaut quand l'homme à la barbe blanche vient dans notre direction sans me lâcher des yeux. Il m'observe comme s'il voulait découvrir mes secrets les plus inavouables, et en cet instant, je suis persuadée que c'est Adrian Leblanc. Même avec son masque, je le reconnais.
– Je ne partage pas, prévient Bellucci. Son sourire professionnel ne masque pas l'intonation menaçante dans sa voix. Moi, je suis pétrifiée sur place. Je m'attendais à beaucoup de choses en venant ici, mais certainement pas à trouver cet homme ici.
– J'ai l'impression de vous connaître. Merde, comment vais-je me sortir de cette situation s'il découvre que je suis dans de beaux draps et que Riccardo qui m'a sauvée va se mettre son père à dos ?
Je me force à calmer les battements de mon cœur. De ma vie, je n'ai jamais été aussi nerveuse. Heureusement, Antonio Bellucci s'interpose.
– Pas de ça ici, tu connais les règles. Une fois que tu franchis les portes, tu ne connais personne et personne ne te connaît. Maintenant, excuse-nous.
La barbe blanche serre les dents, comme s'il n'en revenait pas que Bellucci s'adresse à lui avec autant de dédain.
Je lui donne la main après une certaine hésitation. Je suis tétanisée par la peur. Riccardo et moi avons analysé différents cas de figure, mais même pour le plus fin stratège, il arrive que la situation échappe à son contrôle. Bellucci et moi prenons l'escalier. Il s'arrête pour dire quelque chose à la femme aux cheveux d'argent. Cette dernière me sourit de manière énigmatique, me rendant encore plus nerveuse que je ne le suis déjà. Elle me regarde comme si elle savait quelque chose de vital que j'ignore. Je transpire à grosses gouttes. Heureusement que j'ai des gants, sinon Bellucci l'aurait remarqué à ma main moite.
Un homme masqué nous escorte à travers les dédales sombres. Pendant que Bellucci est occupé à lui parler, je communique à Riccardo l'emplacement de la chambre.
– Vous avez dit quelque chose ?
Merde !
– Oui, j'ai hâte d'être seule avec vous.
– Mais nous ne serons pas seuls. Je fronce les sourcils ; ce n'était pas ça le plan. À défaut de trouver l'homme que cherche activement Riccardo, je dois être seule assez longtemps avec Bellucci pour permettre à Riccardo de venir nous trouver.
– Je ne suis pas adepte des plans à trois. Bellucci me sourit. Je n'arrive pas à retrouver en cet homme au regard vitreux le père et le mari aimant que j'ai surveillé durant huit jours.
– Ne t'inquiète pas, mon chou, je serai tout à toi, et la troisième personne sera toute à moi. Chacun aura son compte.
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