Chapitre 13: La serveuse et son garde du corps

Dans l'ensemble, je dois avouer que je suis plutôt contente de mon premier jour de travail. Avec tous les rebondissements que j'ai traversés ces derniers temps, je suis heureuse d'avoir au moins fait une chose qui me semble normale. Je m'occupe de la fermeture. Riccardo est installé sur un siège et il pianote sur son téléphone à la vitesse de l'éclair.

- Tu vas te dépêcher ou je te laisse ici ! Je soupire. La présence de Riccardo Gaviera me fait autant plaisir qu'un piment dans un Coca, mais aussi désagréable soit-il, je ne veux pas rentrer seule. Je ne sais même pas si mon garde du corps est là, je ne l'ai pas vu de la journée.

- Ça va, j'ai fini. Tu sais, si tu me donnais un coup de main, ça irait plus vite. Il me lance un regard vide de toute émotion avant de sourire.

- À force de te pencher pour débarrasser les tables, tu as fait tomber ton cerveau. Dépêche-toi ou je me casse ! Il ajoute en pointant son doigt dans ma direction.

Mais quel agréable personnage, sorti tout droit des rêves les plus lumineux...

Au fil des jours, j'ai réussi à me construire une petite routine tranquille qui me permet de ne pas trop me laisser absorber par des pensées sombres.

La journée, je reste chez Gia à regarder des films sur Netflix et le soir, je me rends au boulot. Je me suis adaptée en un rien de temps, surtout grâce à Sasha. Elle est très gentille et nous sommes devenues très proches. Même Ellen semble avoir oublié l'incident d'il y a cinq jours, pour mon plus grand bonheur.

Le démon, quant à lui, est toujours le même, juste une légère mutation qui le rend plus insupportable qu'au début.

Un matin, alors que je regardais Friends il est venu dans ma chambre. Je l'ai trouvé bizarre, enfin plus que d'habitude. Il avait les yeux cernés comme s'il n'avait pas dormi de la nuit.

- C'est une série de merde ! Il s'est glissé dans le lit après son commentaire et je suis restée interdite quand il a posé la tête sur mes jambes et a commencé à regarder.

- Tu as bu ? Il a secoué la tête pour toute réponse avant de se murer dans le silence. Au début, j'étais vraiment gênée, après tout, je ne le connais pas ce type, mais j'ai fini par me détendre. Je devais me mordre les lèvres pour ne pas rire parce que ses commentaires étaient plus drôles que la série.

- Ils avaient rompu ! Il déclare suite à l'épisode dans lequel Ross a trompé Rachel, deux heures après une dispute.

- Non, ils étaient en pause. Il m'avait brièvement regardé avant de faire la moue.

- Pause dans une relation, tu as cru que c'était une vidéo youtube ?

- Très drôle, laisse moi regarder en paix; tu n'y connais rien.

J'avais glissé mes doigts dans sa crinière sombre par curiosité au début, mais après j'ai continué à lui caresser les cheveux jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir.

Je l'avais trouvé étrange ce jour-là, comme s'il était malade et je n'avais pas pu m'empêcher de le dévorer du regard. Dans les bras de Morphée, il semblait moins effrayant, presque accessible. Cet épisode ne s'est jamais reproduit et il m'arrive de me demander si je ne l'avais pas imaginé.

Quoi qu'il en soit, si en journée il est invisible, le Comte Dracula vient toujours me chercher à la fin de mon service. On passe notre temps à nous disputer ; lui veut que je démissionne, chose que je refuse. Et moi je ne veux pas qu'il vienne me chercher parce qu'il fait peur à tout les clients de sexe masculin avec sa seule présence.

Un soir, il a cassé le nez d'un mec qui avait fait un commentaire désobligeant sur la longueur de ma jupe. Après avoir fini de s'en prendre à lui, j'ai eu droit à un sermon de cinq minutes de sa part ; je devais me mordre la lèvre pour ne pas rire car il parlait en faisant de grands gestes de main comme la plupart des Italiens.

Je suis en train de débarrasser la table derrière lui quand je remarque l'écran de son téléphone. Je m'avance et regarde par-dessus son épaule.

Une jolie fille lui a envoyé une photo dénudée avant que j'aie eu le temps de lire ce qu'elle avait écrit. Il sort de la conversation et se tourne vers moi.

- C'est ta copine ?

- Non, tu vas te dépêcher, bordel, je n'ai pas que ça à faire !

Voilà un résumé parfait de nos conversations quand il vient me chercher. Il reste dans son coin à lancer des ordres sans lever les yeux de son téléphone ou de son ordinateur. Quand je termine tard, il me promet de ne plus jamais revenir me chercher, pourtant monsieur revient toujours, comme une facture d'électricité.

Un soir, il est venu me chercher en apportant un cadeau, une boîte contenant des cerises. J'ai arqué un sourcil, surprise qu'il se montre gentil avec moi, mais la seconde d'après, il m'a presque jetée dans sa voiture alors que je n'avais pas terminé, déclarant qu'il avait des choses importantes à faire. J'ai dû appeler Ellen de son téléphone pour inventer une gastro. Heureusement, ma boss s'est montrée compréhensive. Ce soir-là, le démon a roulé en direction du port, avant de se garer près d'un entrepôt désaffecté.

On est restés dans la voiture pendant près d'une heure. Il ne répondait à aucune de mes questions concernant notre présence en ces lieux. Au terme de la deuxième heure, l'endroit a été éclairé par les phares d'une voiture. Le démon avait extirpé une mallette en cuir rouge de sous le siège. Quand il l'avait ouverte, j'avais laissé échapper un sifflement ; de ma vie, je n'avais jamais vu autant d'argent. Le démon avait ensuite récupéré une arme dans la boîte en m'ordonnant de ne sortir sous aucun prétexte.

- Tu sais conduire ? avait-il demandé urgemment.

- Oui.

- Génial, si les choses tournent mal, barre-toi.

- Mal, mais...

Il s'est dirigé vers l'autre voiture et a disparu à l'intérieur.

Il est revenu trente minutes plus tard, tenant un énorme sac qu'il avait lancé sur la banquette arrière. Riccardo m'avait regardée avant de me demander si j'avais été sage. Je lui ai montré son téléphone qu'il m'avait laissé ; j'avais remplacé son fond d'écran neutre par l'affiche du film Barbie et le thème par une affreuse couleur rouge. Pour me punir, il avait roulé comme un dingue, mais manque de chance pour lui, j'adore la vitesse, ce qui l'avait sincèrement surpris.

C'est mon septième soir au restaurant et je m'occupe de la fermeture. Il y a eu un enterrement de vie de jeune fille, ce qui m'a complètement épuisée. Je ne rêve que de dormir. Je range les tables avant de prendre les sacs poubelles. Les bennes se trouvent à l'arrière. Je passe la porte de la cuisine quand Sasha me tombe dessus. Elle est hors d'haleine et semble complètement paniquée.

- Il faut que tu viennes m'aider, l'une de mes amies se fait attaquer. Je suis tout de suite en alerte ; elle me tire vers la sortie.

- Nous devrions prévenir Riccardo.

- Riccardo ? (Elle semble très surprise.) On n'a pas le temps, dépêche-toi ! Elle me tire plus fort, semblant au bord des larmes.

- Que s'est-il passé ?

- Je ne comprends pas, elle est venue me chercher, mais son ex-mari avec qui elle entretient des relations houleuses nous a vues sur le parking. Ils ont commencé à se disputer et la situation s'est vite envenimée. J'ai essayé d'intervenir, mais je ne suis pas de taille. Nous traversons la petite ruelle à l'arrière du restaurant où sont posées plusieurs bennes à ordures. Oubliant toute prudence, je suis Sasha jusqu'à un grand parking qui donne sur le côté du restaurant. Il y a plusieurs voitures stationnées et des motos, ainsi que deux bennes sombres.

- Viens, ils sont devant. J'ai déjà appelé la police.

Je trouve ça vraiment immonde de s'en prendre à une personne sans défense. Et de toute façon, c'est triste à dire, mais dans des cas de féminicide, la police n'intervient que lorsque c'est trop tard. Combien de femmes ont porté plainte contre des conjoints violents, avec des enquêtes ouvertes seulement quand leurs corps ont été retrouvés démembrés dans une baignoire ?

Le calme qui règne de ce côté-ci de la rue me donne des frissons. Il me rappelle la nuit où j'ai été kidnappée. J'entends de la musique au loin, mais aucun autre bruit dans les environs.

Nous arrivons à côté des deux bennes ; il n'y a personne mise à part Sasha et moi. Je panique en pensant à son amie.

- Tu penses que son ex-mari l'a emmenée avec lui de force ? Elle ne me répond pas, regardant de tous les côtés avec une certaine nervosité. Je suis sur le point de reprendre la parole quand soudain je sens quelque chose de froid contre ma nuque.

Je me tourne lentement pour me retrouver nez à nez avec un type avec une mitraillette braquée désormais sur mon visage. La première chose que je me dis, c'est pourquoi un type comme ça a-t-il besoin d'une arme ? C'est le mec le plus grand qu'il m'ait été donné de voir, deux mètres, mais je jurerais beaucoup plus, en hyperbolisant juste un peu. Il a des bras si développés que ses veines ressortent, un torse tout aussi impressionnant. Je me demande comment son tee-shirt vert fait pour tenir. Il porte un pantalon de camouflage et des bottes en cuir piquetées de clous en argent. Contrairement à son corps bâti comme du granite, son visage n'est pas dur. Non, sa coupe militaire dégage un visage aux traits très tendres, un contraste à la fois saisissant et déstabilisant.

- Il ne s'agit pas de l'ex-mari de ta pote, si ? Je questionne en reculant les mains levées. L'homme pouffe et Sasha détourne le regard, comme si elle était gênée.

- Bon boulot, Sasha. La complimente l'homme d'une voix aussi dure que son corps.

À cet instant, la porte du van s'ouvre sur un autre homme. J'ai une désagréable impression de déjà-vu qui me laisse un goût amer dans la bouche. Il me touche avec un petit sourire. Ce salopard m'a déjà saisi les fesses avant de les presser.

- Regarde-moi ça, les clients seront ravis. J'attends qu'il soit assez proche pour lui rejeter brusquement la tête en arrière. Je le frappe en plein visage. Le grand s'avance et colle son canon contre ma joue.

- Rentre tes griffes, ma jolie.

- Tu as ma came ? Demande Sasha. Le plus petit passe devant en se massant le nez. Je peux au moins avoir la satisfaction de lui avoir fait mal. Il glisse la main dans sa poche et donne quelque chose à Sasha. Je la fusille du regard ; elle m'a piégée pour de la drogue.

- C'est tout ? Elle questionne en regardant le petit paquet blanc avec consternation.

- Un paquet pour une fille, c'est le deal. Répond le grand, et le plus petit ajoute :

- Continue de nous apporter des filles aussi jolies et tu auras bien plus.

Elle hoche la tête avant de s'éloigner en courant sans un regard pour moi. J'essaie de m'enfuir, mais le grand jette son arme à son compagnon et me soulève sans effort ; en quelques enjambées, il me jette dans le van. Je me redresse et me précipite vers les portes, mais elles sont déjà fermées. Non, pas ça, ça ne va pas recommencer, tout ce cauchemar ne va pas recommencer.

Je me rends compte que je ne suis pas la seule fille dans le van ; en fait, nous sommes au moins sept femmes. Elles ont presque toutes mon âge et elles sont toutes très belles.

- C'est quoi ce délire ? Je me mets à frapper les portes du van de toutes mes forces en hurlant alors qu'il a déjà démarré. Une femme aux longs cheveux roux, dont le mascara a coulé, me tire par le bras.

- Arrête, tu vas te faire tuer. Elle a un très fort accent, sûrement celui de l'est.

- Je ne comprends pas, qui sont ces gens ? Elles me regardent toutes incrédules. L'une d'elles, recroquevillée sur la banquette, répond :

- La mafia. Tu n'es pas d'ici ? Je secoue la tête. Elle me lance un regard triste.

- Il faut appeler la police ; l'une de vous a son téléphone. La rousse écarte ses cheveux de son visage. Elle a tellement pleuré que ses yeux sont aussi rouges que sa crinière.

- Non, et même si c'était le cas, ça ne servirait à rien. La police ne se mêle jamais des affaires des cartels.

Mais c'est quoi ce délire ? Je me laisse aller contre la portière, les genoux ramenés contre mon torse.

La rousse se met à parler dans une langue que je ne comprends pas, à une vitesse hallucinante. Elle pleure à chaudes larmes, la tête dans ses mains. Je la regarde sans trop comprendre. Quand l'homme m'a menacée avec son arme, j'ai d'abord cru que c'était la famille Leblanc. Avec eux, au moins, je sais à quoi m'attendre. Mais maintenant ? Pourquoi nous ont-ils kidnappées ? Où nous emmènent-ils ? Je sais que sur l'île, la mafia y est très implantée et leurs activités vont de la drogue à la traite des êtres humains, en passant par le racket, les extorsions, les détournements, la contrebande et le trafic d'armes. Si ça se trouve, je vais me retrouver dans une maison close où je serai forcée de coucher avec des hommes dégoûtants jusqu'à la fin de ma misérable vie.

L'image d'Adrian Leblanc me revient en tête. Je le vois s'agiter au-dessus de moi, sa peau fripée raclant la mienne, son souffle, je sens chacun de ses grognements, chacun de ses gémissements. Je refuse de revivre ça ; je me tuerai avant que ça n'arrive.

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