Chapitre 10: Giacomo ce héros !

Une femme vient me prévenir que le dîner est prêt. Dès que mes yeux se posent sur elle, j'éclate en sanglots.
Quelque chose dans sa façon de porter fièrement son afro me rappelle ma mère. Très gênée, elle agravit les marches pour atteindre la plate-forme et me tapote maladroitement l'épaule. Malheureusement, son geste augmente mon torrent de larmes.

Je me sens tellement coupable de la mort de ma mère, je n'ose pas imaginer ce qu'elle a traversé avant d'expier son dernier souffle, seule loin de tous ceux qu'elle aime.

À présent, je suis installé dans la cuisine, une assiette est posée devant moi. Je n'ai pas très faim, mais je suis reconnaissante à Tara de ne pas m'avoir servi de la viande. Je pense que si j'en vois, je serai capable de gerber. Tara, c'est la femme de Pedro, elle a dans la vingtaine. Elle est grande et mince, avec la peau couleur café. Contrairement au moment où elle est venue me chercher, ses cheveux sont désormais attachés.

- Tu n'aimes pas ? J'ai dû changer mes plans pour le dîner car Riccardo m'a interdit de cuisiner de la viande, c'est un vrai bipolaire celui-là.

Je me fige en regardant les pâtes au pesto. Riccardo a fait ça ? Je lui en suis reconnaissant même si je doute qu'il l'ait fait par égard pour moi.

Je souris à Tara avant de prendre une bouchée.

- C'est vraiment délicieux.
On commence à manger en silence. Riccardo, accompagné de Pedro, pénètre dans la cuisine. Tara se lève pour les servir. À mon grand malheur, Riccardo s'installe à côté de moi, il est si proche que nos jambes se touchent presque. Il saisit mon menton entre son pouce et son index pour me forcer à pencher la tête sur le côté, les yeux légèrement plissés.

- Lâche-moi, qu'est-ce qui te prend ?

- Tu as pleuré. Il note en me relâchant. Tara coule vers lui un regard sévère qu'il fait exprès d'ignorer.

- Une poussière dans l'œil, tu m'as promis qu'on allait parler de mon père. Qu'avais-tu à me dire ? Du coin de l'œil, je vois Pedro faire signe à sa femme. Il saisit son assiette et son verre d'eau, elle fait de même avec une certaine hesitation comme si elle rechignait à me laisser seule avec Riccardo. Mais elle finit par suivre son mari.
Riccardo sourit en fourrant une bouchée de pâte dans sa bouche.

- Tu les regardes avec désespoir, tu veux les suivre ?

- Je ne suis pas folle de joie à l'idée d'être seule avec toi.

- J'adore qu'on ait peur de moi.

Cet homme est vraiment trop étrange. Je ne réplique pas, je mange en silence, en l'observant du coin de l'œil, il porte le même tee-shirt blanc que moi. Ça me fait bizarre de porter ses vêtements, enfin plus précisément de nager dans ses vêtements, ils sont tellement grands que le tee-shirt à lui seul fait office de robe. Un look digne des rappeurs des années 2000.

- Adrian Leblanc te cherche activement. Et ton père a signalé ta disparition ainsi que celle de ta mère. Sur la déposition qu'il a faite à la police, elle était venue à Nîmes pour ton anniversaire. J'écarquille les yeux, dans quelque jous j'aurai 23 ans, ce qui signifie que si je n'avais pas eu le malheur de tomber sur Adrian Jr, je serais à cet instant dans mon appartement de Nîmes avec maman.

- Comment il va ? Il hausse une épaule avec désinvolture.

- Comme tu t'en doutes. Il est dévasté, la police ne prend pas du tout au sérieux sa déposition, ils disent que peut-être ta mère s'est enfuie avec un amant.

- Quoi ? Mais c'est ridicule, jamais elle n'aurait fait ça !

Je le vois légèrement grimacer. Il prend une grande bouchée de son plat avant de remplir un verre d'eau, son attitude me paraît suspecte comme s'il se retenait de dire quelque chose.

- Comment tu sais tout ça, je ne comprends pas qui tu es ? Je finis par demander, ne supportant plus le silence.

- C'est un jeu d'enfant, j'ai mes hommes en France qui s'occupent de ce genre de choses. Et en ce qui concerne qui je suis, tu n'as pas besoin de le savoir.

- Je ne veux pas savoir de toute façon, je sens que ça ne va pas me plaire.
Il faut que je dise à mon père ce qui est arrivé avant qu'il ne l'apprenne par quelqu'un d'autre. Je sursaute quand il pose son doigt au coin de mon œil. Il recueille une larme et l'observe avec un froncement de sourcils avant de me regarder, il semble presque fasciné.
- Tu pleures...

- Evidemment que je pleure, j'ai perdu ma mère, ma liberté et mon père gravement malade nous cherche, jamais il ne me trouvera si je suis ici et jamais il ne trouvera... sa femme. Et pour couronner le tout, des flics stupides lui font comprendre qu'elle a fugué avec un amant !

Ma voix se brise, je me sens gêné de me laisser ainsi aller devant lui surtout qu'il n'arrête pas de me regarder comme si je suis une équation mathématique.

- Je ne comprends pas, qu'il l'apprenne de toi ou de quelqu'un d'autre, ça ne la ramènera pas à la vie, te mettre en danger ne changera rien, elle ne reviendra pas. Tu ne feras qu'aggraver les choses. Et te mettre à pleurer ne sert à rien.

- Ma mère est morte, tu t'entends parler.

- Des gens meurent chaque jour, c'est la chose la plus normale au monde.

J'écarquille des yeux, comment peut-il dire une chose pareille avec autant de détachement ?
Il à un probleme ce mec.
- Et alors, tous ces gens qui meurent ne sont pas ma mère. Tu racontes n'importe quoi. Tu n'as aucune empathie.

- Petite serveuse, il faut que tu arrêtes de te lamenter sur ton sort.

Me lamenter sur mon sort ? Comment peut-il me dire ça, comme s'il pouvait comprendre ce que j'ai vécu, j'allais lui dire quand je me rendis compte que ça donnerait justement l'impression que je me lamente. Je saute plutôt du tabouret, j'ai besoin d'être seule.

- Tu n'as pas terminé. Il me retient par le bras, folle de rage, je saisis le verre d'eau sur le comptoir en marbre et lui asperge le visage.

- Ne me touche pas. Il ferme les yeux, mâchoire serrée alors que l'eau dégouline de son visage et sur son tee-shirt immaculé.

- Tu commences à me taper sur le système avec cette habitude. Je me demande si je n'aurais pas dû te laisser dans cette chambre.

- Et moi je me demande si tu n'es pas pire. Comment est-ce possible de prendre le malheur des autres avec une telle désinvolture !

- Ce n'est pas de la désinvolture, mais de la logique. Foncer tête baissée, à Paris, ne changera rien, au contraire cette fois c'est la jolie tête de ton père qui sera sur un plateau.

Le verre m'échappe des mains et se brise en mille morceaux, ses mots font naître dans ma tête tellement d'images horribles, je suis en proie à une grande détresse et comme à chaque fois, je réagis de manière impulsive, je prends le deuxième verre d'eau et lui arrose le visage. Riccardo laisse échapper un juron, sentant le danger arriver, je m'éloigne le plus rapidement possible de lui.
Contournant le comptoir de la cuisine, je vais me planquer de l'autre côté de la pièce.
- Je t'ai dit d'arrêter, je commence à perdre patience. J'ouvre les tiroirs avant de saisir un rouleau à pâtisserie, je le brandis comme bouclier d'une main tremblante.

- J'arrêterai quand toi, tu cesseras de dire des âneries. Il sort son canif de sa poche avant de s'avancer vers moi, je pousse un cri et m'éloigne, on se met à tourner en rond autour du comptoir en marbre

- Je suis juste logique, ceux qui agissent toujours en suivant leurs sentiments n'obtiennent Jamais rien de bien.

- Tu es un monstre, je ne te demande pas de me comprendre, ni de te mettre à ma place. Mais garde tes commentaires pour toi.
Mon bas de jogging se délasse dans ma course, je laisse échapper un juron, je le retiens; d'une main j'essaie de le resserrer et Riccardo en profite pour charger vers moi. Dans ma course, je glisse sur l'eau que j'ai moi-même versée sur le sol, et merde. Il me saisit par le poignet avant que je ne m'étale sur le sol et me plaque face au mur.

- On va parler de tes petites habitudes, tu vas arrêter de m'arroser. Il tord mon poignet à l'arrière de mon dos. Je le regarde par-dessus mon épaule.

- La prochaine fois, elle sera chaude. Son corps se presse contre mon dos et sens la pointe de son couteau sur mon visage, l'arme se rapproche dangereusement de mon œil.
- Pour ton malheur tu commences à m'inspirer le pire. Il dit d'un ton éraillé me serrant plus fort contre son corps.

- Je peux savoir ce qui se passe ici ?
Giacomo se tient au centre de la cuisine, il est vêtu d'un costume trois pièces et d'un long manteau. Ses cheveux sombres soigneusement peignés en arrière dégagent un visage d'une perfection aristocratique, contrairement à son démon de frère, ses yeux à lui sont d'un bleu limpide. Riccardo me lâche, en s'éloignant de l'autre côté de la cuisine, il sort une cigarette qu'il allume tranquillement avant de dire.

- Rien, la serveuse et moi avions une petite conversation. J'ouvre la bouche, outrée de son insouciance.

- Il s'est moqué de ma mère, il n'a aucune empathie et fait des commentaires blessants.

- Tu me demandes d'avoir de l'empathie pour ta mère mais tu n'en as pas pour tout le monde.

- Tout le monde est un cas général, donne-moi le nom de quelqu'un mort injustement qui pourrait susciter mon empathie.

- Bill Gates ! Il déclare avec un sourire en coin.

- Va te faire foutre, il est vivant.

Giacomo soupire.

- Je vois que j'ai bien fait de venir finalement, Gayle, j'ai une proposition à te faire. Ça te dirait de venir t'installer chez moi ? Riccardo et moi françant les surcils dans une parfaite synchronisation.

- C'est gentil, mais je veux juste rentrer chez moi. Il pénètre dans la pièce, ses chaussures en cuir écrasent des morceaux de verre mais il ne semble même pas y prêter attention.

- Écoute, je ne vais pas te mentir. Si tu rentres chez toi maintenant, ils vont te tuer mais avant, ils vont te torturer pour savoir où tu étais et je ne peux pas prendre le risque que tu nous balances. Mon frère a agi comme toujours comme un imbécile.

On entend un rire puis le tiroir s'ouvre, la seconde d'après Riccardo saisit un couteau, il le regarde presque amoureusement puis, le temps d'un battement de cils, il le lance. La lame fend l'air dans notre direction, j'ouvre grand les yeux quand elle passe entre Giacomo et moi et se plante dans le mur.

Mais putain, ce mec est un malade mental!
Giacomo ne cille pas comme s'il était habitué.

- Je t'ai déjà dit d'arrêter de parler de moi comme ça ! Préviens Riccardo, son frère roule des yeux avant de recommencer à parler comme si un putain de couteau n'avait pas failli se planter dans sa chair.

- Si les Leblanc apprennent que c'est nous qui t'avons kidnappée, les choses peuvent très vite dégénérer et je ne peux pas me le permettre. Tu comprends ? Tout ce que je peux t'offrir pour te remercier de nous avoir débarrassés de Adrian Jr, c'est ma protection contre cette famille, et il coule un regard vers Riccardo adossé au plan de travail les mains dans les poches, contre mon frère.

- Je comprends.

Non, honnêtement je ne comprends pas. J'ai atterri dans une sorte de monde parallèle, je suis happée par tout ça et je ne sais pas comment en sortir.

- Je ne suis pas un danger pour elle.

- Si ! Je réplique en lui lançant un regard mauvais, ce qui le fait rire. Évidemment. Je l'ignore, je dois convaincre Giacomo, je ne sais pas ce qu'ils sont mais j'ai l'impression que c'est lui qui prend les décisions.

- Ils ne vont pas me tuer, je me ferai discrète, et si c'est le cas je ne dirai rien. Giacomo traverse la pièce avant de poser une main sur mon épaule, de manière à attirer mon attention, il est aussi grand que son monstre de frère à tel point que je dois me tordre le cou pour croiser son regard. D'ailleurs le démon dit quelques mots dans une langue que je ne comprends pas d'un ton cassant et légèrement menaçant, ce qui fait rire Giacomo avant qu'il ne retire sa main.

Gayle, crois-moi s'ils décident de te faire parler, ils te feront dire des choses que tu n'avais même pas conscience de connaître.

- Je propose qu'on lui fasse passer un test, déclara le démon, laisse-moi m'occuper d'elle si elle résiste à une heure de torture avec moi. Je suis sûr qu'elle tiendra avec les Français.

- Essaie pour voir ! Je brandis le rouleau à pâtisserie, ce qui l'amuse. Putain, il m'énerve !

- Ma maison est grande, tu pourras être tranquille, et en plus ma... Cassandra sera heureuse d'avoir de la compagnie.

- Tu sais très bien que Cass va la détester et en plus je refuse qu'elle bouge d'ici.

- C'est à elle de décider, Riccardo.

- J'accepte. Je dis sans hésitation juste pour provoquer Riccardo. Ses paroles m'ont blessé, le fait qu'il ne fasse aucun effort pour se mettre à ma place aussi, mais je préfère me raccrocher à cette inexplicable colère qu'il fait naître en moi car à l'instant où ce sentiment va me déserter, je vais m'effondrer.

On s'affronte du regard, il croise les bras sur la poitrine faisant bomber les muscles de son torse les jambes légèrement écartées dans une posture dominante, ses cheveux sombres comme du jaie humide balayant son front.
Contre toute attente je vois son regard s'illuminer comme s'il avait une idée derrière la tête puis il sourit de manière énigmatique.

- D'accord, tu peux y aller. Même Giacomo est surpris, enfin je crois. Moi par contre, ma mâchoire me tombe carrément. Vraiment aussi simple que ça ?

- Bien, Gayle va préparer tes affaires.

Il se moque de moi. Je n'ai pas eu le temps de faire mes bagages avant que son frère ne me kidnappe.

- Je suis prête, sortez-moi d'ici. Giacomo hoche la tête et me précède vers la sortie.

- Gia, tu te rappelles quand on était enfant ? Tu étais le seul à qui je prêtais mes jouets, mais je ne te les ai jamais donnés.

Giacomo a un faible sourire avant de secouer la tête.

On se dirige vers la sortie et je suis heureuse de constater que ce bipolaire de Riccardo est resté dans la cuisine.

***

Une quinzaine de minutes plus tard, on arrive chez Giacomo, une villa luxueuse perchée sur une colline. Une femme est sur le canapé en train de feuilleter un magazine, dès qu'elle voit Giacomo, un énorme sourire éclaire son visage, ses yeux se mettent à briller d'une grande affection, elle enfile ses pantoufles et dès qu'elle me remarque, son sourire disparaît.

- Je t'ai interdit de ramener tes conquêtes ici.

Génial, ça commence bien.

- Cass, je te présente Gayle. Son regard passe de Giacomo à moi.

- Oh, la fille qui a zigouillé Adrian Jr, qu'est-ce qu'elle fait ici ?

- Elle va rester ici quelque temps. Cassandre secoue vigoureusement la tête en me fusillant du regard.
- Non, pas question, je te conseille de retourner à Riccardo son jouet.

- Premièrement, ce n'est pas un jouet et elle reste. Tu sais très bien comment est Riccardo (il regarde sa montre), j'ai rendez-vous avec mon père et je suis déjà en retard, veille à ce qu'elle ne manque de rien. Il s'avance vers elle avant de poser un baiser sur son front, Cassandre ferme les yeux en se laissant aller contre lui avec un petit sourire, ils s'observent, il y a une sorte de tension entre eux comme si elle se retenait de l'embrasser, je suis très gênée d'assister à ça. Je me dandine d'une jambe à l'autre. Giacomo finit par se diriger vers la sortie avec un signe de la main pour moi.

Cassandre me regarde à présent avec une certaine animosité. Elle a des traits asiatiques, grande et mince, ses cheveux teints en bleu sont remontés au sommet de son crâne en un chignon négligé.

Génial, je comprends pourquoi Riccardo a été heureux de me laisser partir. Cassandre est exactement comme lui.

- Si Giacomo veut que tu restes, je ne peux rien faire, mais il y a des règles dans cette maison. Première règle, tu ne dois jamais t'approcher de Gia, deuxième règle, tu ne dois jamais le regarder (elle énumère avec ses doigts) troisième règle, ne lui parle jamais. Compris ?

- Aguicher votre mari n'est en aucun cas mon intention. Elle éclate de rire.

- On n'est pas ensemble, c'est mon meilleur ami.

- Hein ?

- Longue histoire et je ne te fais pas encore assez confiance pour t'en parler. Suis-moi, je vais te montrer ta chambre. Mais dis-moi, Riccardo t'a montré lequel de ses nombreux visages ?

- Je ne te fais pas assez confiance pour en parler. Elle sourit avant d'enrouler une main autour de mes épaules.

- Je sens qu'on va s'entendre. Je comptais te donner la chambre la plus nulle, mais j'ai changé d'avis. Désormais, tu es mon invité d'honneur.

À l'aide, Riccardo me manque.

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