Chapitre 29

Je rouvris les yeux, voyant le monde différemment. Mon regard se posa sur ma droite où une apparence éthérée m'attendait et me fixait comme si j'étais son salut. Mon corps me semblait plus léger. Je passais une main dans mes cheveux, rabattant quelques mèches sur mon épaule. Ils n'étaient plus roux. Ils étaient blancs ou bien argentés, je ne pouvais pas trop dire. Je m'avançais vers l'âme errante de l'enfant qui m'appelait. Il se tenait de l'autre côté du ravin, à l'entrée de la forêt. Je pris un peu d'élan et je sautai par dessus le fossé qui nous séparait. Logiquement, je serais très certainement tombée, mais j'avais atterri souplement de l'autre côté comme si ce n'était qu'un petit trou sur le chemin.

L'enfant qui était une petite fille, ne semblait pas avoir plus de 8 ans. Son visage était aussi inexpressif que le mien. Elle me prit la main, et ce qu'elle avait vécu avant sa mort m'apparut rapidement, comme un film en vitesse x10. Je ne serrais pas sa main dans la mienne, et elle me tira doucement la main pour me montrer le chemin. Je savais que derrière moi, il y avait les autres. Ils étaient sortis de la voiture et avait sauté par dessus le ravin. Ce n'était pas très compliqué pour des loup-garous.

La petite fille me guidait à travers la forêt, nous promenant parfois à droite et à gauche. Je ne lui en tenais pas rigueur parce qu'elle cherchait à rejoindre les autres âmes errantes. Certains nous avaient rejoint et ils formaient un petit groupe devant moi. Un autre enfant avait pris mon autre main et nous continuions à avancer à travers les arbres et les buissons.


« On est sûr du bon chemin ? Questionna Keïr, un peu perplexe.

- C'est le bon chemin. Répondis-je, en continuant de marcher.

- Comment tu peux en être sûre ? Insista-t-il, d'un ton un peu bourru.

- Les enfants nous montrent la voie. Avouai-je, après un petit silence. »


Le silence retomba entre nous. Je n'entendais plus que les voix des enfants qui me disait toujours la même chose "par ici". Il y en avait énormément qui nous rejoignait, c'en était presque devenu une procession d'âmes errantes qui nous escortait jusqu'à bonne destination. Notre cortège marcha plusieurs minutes, rassemblant les derniers enfants éparpillés. Ils s'arrêtèrent dans une clairière, juste assez grande pour tous les faire tenir. Certains s'évaporèrent comme si leur temps était bel et bien fini sur terre.


« Pourquoi on s'arrête là ? Questionna Cailean.

- Ils ne veulent pas aller plus loin. Répliquai-je, en observant les âmes s'éparpiller.

- Comment ça, ils ne veulent pas aller plus loin ?! Grogna Keir, en s'approchant de moi.

- Je te conseille de ne pas t'approcher plus. Le retint Fred, en posant une main sur son bras. »


Je lançais un regard vers le druide, qui avait pris une expression bien trop sérieuse qu'on ne lui connaissait pas. Il était plutôt du genre à sourire pour tout et pour rien. Il lui arrivait d'enguirlander les autres, mais ce n'était qu'un bref instant. En tout cas, il avait bien eu raison de stopper Keir, si il s'était rapproché un peu plus, je l'aurais sûrement envoyé voler. Il n'y avait pas que lui d'ailleurs. Je l'aurais fait avec n'importe qui, sauf peut-être Cameron. Je reposais mes yeux sur les enfants qui disparaissaient les uns après les autres, ne laissant plus que quelques uns derrière eux. La petite fille qui m'avait guidé tout le long, resta avec moi, accrochée à ma main. Quand il ne restait plus que quelques uns de ses amis, elle me tira la main pour que je la suive, jusqu'au centre de la clairière, où ils m'entourèrent.


« Que font-ils ? S'enquit Cameron.

- C'est une bonne question, dont je n'ai malheureusement pas la réponse. Avoua Fred. »


Je savais ce qu'ils voulaient. Certains voulaient la vengeance, d'autres voulaient sauver les survivants et le reste voulaient simplement rejoindre l'autre côté. Ceux qui étaient restés avec nous, voulaient simplement partir. Je fermais les yeux, cherchant à prendre à bras le corps le flux magique en moi. Je m'engouffrais un peu plus dans l'antre sombre, et me laissais guider. Quand je rouvris les yeux, les enfants n'étaient plus là. Ils avaient simplement disparu.


« Leannan ? M'appela Cameron, en essayant d'avoir une réponse sur la situation.

- Ils sont partis. On va devoir se débrouiller sans eux. Lui avouai-je, sans me tourner vers eux.

- Et tu as une idée d'où il faut aller ? S'enquit Cailean, agacé par le temps que nous perdions. »


Je fermais une nouvelle fois les yeux, et le lieu où se trouvait Peter m'apparut distinctement, ainsi que le chemin à emprunter. Je rouvris les yeux et n'attendis pas les autres pour avancer. Même si j'étais persuadée qu'il y en avait certains qui hésitaient à me suivre, ils n'avaient de toute façon pas le choix. Ils devaient me faire confiance pour trouver Peter, parce que la forêt devait sentir la Mort à plein nez. Même moi je la sentais, alors que mes sens n'étaient pas aussi aiguisés que ça. Le sens olfactif des Loups ne servaient donc à rien en ce moment.

Tout était tellement clair et précis dans ma tête, que le chemin que je prenais, n'avait aucun détour. J'avançais sans m'arrêter, comme si quelque chose me poussait dans cette direction. J'avais la gorge qui me démangeait un peu, et l'envie de crier me prenait lentement. Je me retenais de le faire, sachant que mon cri apportait la mort. C'était d'ailleurs peut-être à cause de la présence constante de cette dernière dans la forêt, qui me tenaillait la gorge avec cette envie.


« Je commence à en avoir marre de cette forêt. Pesta Ronan, en se frottant le nez.

- Comme tout le monde, je pense que le seul poisson dans l'eau, c'est Haylie. Fit remarquer Julian.

- Je n'en suis pas si sûre. Elle peut paraître énergique et tout ça. Il n'empêche que ça doit lui peser aussi. Objecta Fran, en lâchant un soupir. »


J'aurais bien voulu dire que Julian avait raison, mais sa sœur était dans le vrai. J'avais beau être une banshee, ça me pesait énormément. J'avais l'impression d'avancer dans un marais profond et mouvant. L'atmosphère mortuaire collait à la peau, et plus on avançait et plus ça empirait. D'ailleurs, j'étais surprise qu'aucun d'entre eux ne flanche. Si ça ne tenait qu'à moi, je serais certainement partie. Personne ne pouvait supporter cette sensation collante, à moins d'y être forcé. En y repensant, ce n'était pas le meilleur endroit pour une femme enceinte. Je lançais un regard vers Fred qui se tenait à deux pas de mon amie. Il me fit un léger signe de tête, en me disant que tout irait bien et que je n'aurais pas à m'inquiéter de ça.


« On ferait mieux d'accélérer le pas. On a toujours pas retrouver Peter. Grommela Cailean.

- Ou Ben. Continua Keir.

- Et encore moins Luke. Finit Vlad, en passant une main dans ses cheveux.

- Dans ce cas, servez-vous de vos oreilles plutôt que de me laisser faire tout le travail. Répliquai-je, d'un ton plus froid que je ne l'aurais voulu. »


Je ne pouvais pas distinguer grand chose avec mon ouïe. Elle était en quelques sortes parasitée par les voix des enfants restant dans la forêt. Ils avaient beau nous avoir guider au début, ce n'était pas pour autant qu'ils allaient le faire jusqu'au bout. J'ignorais ce qu'ils craignaient pour essayer de me rendre confuse et d'obstruer mon sens de l'ouïe, mais je supposais que ça avait avoir avec Gabriel. C'était franchement ennuyeux.

Je continuais à avancer, sachant que même si je me trompais de chemin, je finirai par atteindre mon but. Je pouvais sentir dans chaque fibre de mon corps, la présence des cadavres non loin de nous. Nous nous étions rapprochés considérablement de ce trou à rat. Malheureusement, je n'avais aucune précision. Ce qui m'agaçait prodigieusement. D'autant plus que certains ne se privaient pas pour partager leur frustration.


« Par là. Désigna Cameron, en se mettant à côté de moi. »


Je lui lançais un regard en biais, mais il était concentré pour retrouver Peter. Il prit les devants et je le suivis. Ni proche, ni trop loin. Nous étions à une distance respectable l'un de l'autre, et même si il n'en montrait aucun signe, j'étais persuadée qu'il voulait me prendre la main. Seulement, je n'avais envie d'aucun contact physique, même venant de lui. Peut-être parce qu'il était vivant et que son heure n'était pas venue. Je n'en étais pas sûre à 100% mais ça devait en faire parti.

Cameron nous conduisit à travers la forêt, jusqu'à ce qu'on entende distinctement des bruits de chaînes, et qu'on voit des piques de bois enfoncés dans le sol. On était arrivé sur le lieu de torture de Peter. Il y avait du sang sur les piques, et dans un coin, il y avait une charrette remplie d'objets pour la torture. J'aurais sûrement grincé des dents, mais je ne ressentais rien en particulier. En revanche, Cailean était bien plus expressif. Son visage était bien plus sombre, ses yeux bien plus glacés. Sa soif de sang et de vengeance se répandait à plusieurs kilomètres à la ronde. Les voix des enfants morts s'étaient tus, me laissant tranquille.


« Je savais bien que cette forêt était déplaisante. Fit remarquer Ronan, en tirant la grimace.

- Il faut trouver l'endroit où ils retiennent Peter. Déclara Vlad, en inspectant les lieux. »


Je les laissais à leur inspection pour trouver des indices. Particulièrement, ceux qui avaient des compétences en la matière. Fred se tenait un peu à l'écart, et je le rejoignis. Il esquissa un sourire à mon encontre, tandis que nous observions les autres s'agiter et fureter un peu partout.


« Comment te sens-tu ? Questionna-t-il, comme si j'avais l'air affecté par quelque chose.

- Bien. Répondis-je, simplement.

- Il semblerait que tes émotions soient le prix de ton immense pouvoir. Souffla-t-il, en me tapotant la tête comme à une enfant.

- Tu as empêché Keir de me toucher, et pourtant tu le fais avec tant de désinvolture. Répliquai-je, en repoussant sa main.

- Parce que tu n'aimes pas être touché par des mortels. Ce que je ne suis pas. Argumenta-t-il, en me faisant un clin d'œil. »


Il n'avait pas tort. Il ne pouvait pas être considéré comme mortel, après tout ces siècles derrière lui. De plus, cela ne m'avait posé aucun problème que les enfants morts me touchent, tandis que j'aurais sûrement très mal réagi si l'un d'entre eux l'avait fait. Je fermais les yeux pour atteindre le plus profond de mon âme. Il n'y avait rien d'autre que du noir et du froid. C'était un lieu plutôt agréable où presque rien ne m'atteignait. Je pouvais encore sentir mon lien avec Cameron. Il était sûrement le seul qui pouvait m'atteindre, par ce fil. Je rouvris les yeux, le visage de Cameron juste au-dessus du mien.


« Ne t'enfonce pas trop loin. Me souffla-t-il, comme si il craignait que je ne me perde.

- Le fil d'Arianne me ramènera du dédale. Le rassurai-je, en m'éloignant de lui. »


Cameron lâcha un soupir et s'éloigna d'un pas. Ça devait le blesser que je sois ainsi. Il devait prendre sur lui. Je fis tout de même un pas vers lui. Ce n'était pas parce que je supportais mal la présence des mortels, que j'étais tout de même insensible à la peine de mon loup.


« Vous avez trouvé quelque chose ? Questionnai-je, en lançant un regard à la clairière.

- Oui, des traces vers l'ouest. Répondit-il, en désignant le regroupement des autres vers notre gauche.

- Allons-y, alors. Décrétai-je, en allant vers l'ouest. »


Notre recherche reprit, avec un peu plus d'entrain de la part des loups. Un léger bruit de tintement métallique finit par nous parvenir. Il semblerait que le bourreau de mon frère ait décidé de nous faciliter les recherches. J'avais à peine eu le temps de tourner la tête vers les autres, que Cailean avait déjà disparu, et que des lambeaux de vêtements étaient semés dans la direction du bruit. Je posais mon regard sur Cameron, qui lâcha un soupir en levant les yeux au ciel. Il n'avait visiblement pas eu le temps de le retenir, ou bien il n'en avait pas eu envie, parce qu'il le comprenait.


« Je ne sais pas qui Gabriel a amadoué pour faire ce job, mais je le plains. Soupirai-je, en allant rejoindre Cailean et les autres qui étaient partis devant nous.

- Il peut charmer n'importe qui. Grommela Cameron.

- Est-ce que tu fais allusion à moi ? M'enquis-je, en plissant les yeux.

- Si tu te sens visée, ce n'est pas de ma faute. Répliqua-t-il, en esquissant un mince sourire.

- C'est ça.. Joue sur les mots. Rétorquai-je, en boudant légèrement. »


Il effleura ma main, et je la lui pris. Je me sentais un peu moins dans le dédale de ténèbres au fond de moi. J'acceptais seulement ce contact par contre. Aucune caresse tendre, aucun baiser. Juste ce simple contact. C'était tout pour le moment.

Un cri qui oscillait entre le grave et le aigu, nous parvint. C'était sûrement l'homme de main de ce spectre repoussant. Nous dépassions quelques arbres et buissons pour tomber sur une scène sanglante. Il y avait du sang partout, le corps complètement déchiqueté comme si on avait passé ses nerfs dessus. Peter était recouvert d'hémoglobines, et Cailean sous sa forme animale le protégeait de quiconque oserait l'approcher. Ce n'était pas plus mal, mais si il commençait à nous empêcher d'aider Peter, ça allait moins le faire.


« Je m'en occupe. Déclara mon loup, en s'approchant de mon frère. »


Je le laissais s'occuper de ça, pendant que je fouillais les environs. Quelques mètres plus loin, je vis l'arbre et la trappe où se trouvait les enfants. Je n'attendis pas les autres pour tenter de délivrer les petits. Je soulevai le panneau en acier rouillé, et entrai dans cette cave humide et poisseuse. Je descendis les marches, jusqu'à apercevoir la flamme de la bougie. Je sentis des yeux sur moi, mais pas que des yeux. Il y avait aussi la présence de toutes les autres âmes des enfants morts. En descendant ces marches jusqu'ici, je m'étais un peu plus engouffrée dans le dédale sombre dans mon cœur. Je descendis totalement les escaliers, allant jusqu'à me retrouver au centre de la pièce. Les enfants vivants se tassaient dans le fond, et ce n'était pas plus mal.

Je fermais les yeux, ressentant la moindre petite âme dans ce lieu. Ils étaient tous rattachés à cet endroit. C'était leur horrible lieu de mort, et certains n'avaient connu que ça. C'était d'une tristesse infinie, mais je ne pouvais pas m'accabler et pleurer pour eux. Du moins, pas pour le moment. Il n'y avait qu'une chose que je pouvais faire pour eux, leur montrer le chemin jusqu'à un monde meilleur. Je sentis mes lèvres fredonner quelques notes, et pourtant je ne me savais pas chanteuse, sûrement mon côté de banshee. Une douce et pure mélodie s'échappa de mes lèvres pour envelopper chaque parcelle d'âme. Étrangement, même la mienne se sentait enveloppée. Les petites âmes étaient froides, et j'avais l'impression de partager ma chaleur avec elles, pour les rendre plus légères et pour qu'elles puissent partir en paix. Certaines âmes disparaissaient en éclatant en petites bulles de lumières, tandis que d'autres c'était des étincelles ou des serpentins de lumières.

Je rouvris les yeux, toutes les âmes parties à présent. Il ne restait plus que les vivants. Mon regard se posa sur les corps tremblants, avant de remonter sur le plafond sombre. J'ignorais pourquoi les gens regardaient par le haut, en parlant des morts. Peut-être parce qu'on préférait croire que les morts nous surveillent des cieux, avec une vue plongeante sur nous. Je fronçai des sourcils, en oubliant rapidement cette question philosophique alors qu'une autre bien plus importante s'ancrait dans mon esprit.


Si l'Autre Monde était fermé... Où allait l'âme des défunts à présent ?

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