Chapitre 23

J'étais de retour à la maison, ou plutôt chez mes parents. Je la visitais comme si c'était la première fois que j'y venais. J'ouvrais chaque porte, même celle des toilettes. J'avais cette sensation de nostalgie familière, mais aussi tout me paraissait étranger. J'avais pourtant passé mon enfance ici, dans ce lieu douillet et magique, devenu à présent qu'un souvenir lointain. Je tentais de me remémorer la première fois que j'avais posé les pieds ici. J'avais eu l'impression d'avoir ouvert pour la première fois mes yeux, comme si c'était la première chose que je voyais depuis que j'étais venue à la vie. La main chaleureuse de mon père, ainsi que la présence d'Amélie. C'était un monde bien trop lumineux pour moi, j'avais donc décidé de me renfermer sur moi-même. Je ne parlais pas, je ne me plaignais jamais. Peter n'était pas encore venu au monde. Il était encore dans le ventre rond d'Amélie. Je lui faisais peur. Je ne parlais pas, j'étais simplement une coquille vide. Cependant papa avait balayé ses soucis et ses peurs d'un revers de main, et il s'était occupé de moi, comme si j'avais toujours été là, silencieuse mais présente dans cette maison.

Une larme coula le long de ma joue, alors que je me posais sur le canapé usé du salon. C'était ici que j'avais dormi pour la première fois. En réalité, je ne dormais pas la nuit, je n'y arrivais pas. Mon père m'avait dit que j'avais une chambre à moi, en haut, mais je n'y aurais pas posé les pieds si il ne m'y avait pas portée. Il m'avait déposé assise sur le petit lit, et j'étais restée dans cette position regardant le vide. Le lendemain, quand Amélie était venue me voir, elle avait failli hurler de peur. Je devais ressembler à un zombie à cette époque. Mon père était venu tout de suite, pour voir si il y avait un problème. Il fut surpris de me voir toujours dans la même position, les yeux creusés et le teint blafard. Il s'était pincé les lèvres, et m'avait de nouveau pris dans ses bras. Je n'allais pas à l'école encore à ce moment-là, je ne parlais pas et je ressemblais davantage à une poupée de chiffon qu'à un être humain. Mon père avait eu une patience divine pour m'apprendre à vivre. Avant de partir au boulot, il me parlait et me montrait des choses. Il cherchait à m'instruire, et pour dire toutes ses leçons étaient restées. Mon père passait tellement de temps avec moi, et Amélie essayait de faire de son mieux.

Elle passait son temps avec moi, essayait de me faire réagir. Elle me racontait des histoires, tentait de me faire manger. La seule chose qu'elle avait obtenue de moi, à cette époque, c'était un regard affable et morne. Elle me recouvrait de toutes les attentions possibles et parfois me racontait l'avenir qu'elle voyait pour notre famille, et que comme j'aurais un petit frère, je devrais être une bonne grande sœur. À ce moment-là, ça me passait à trente milles au dessus de la tête. Après plusieurs semaines à vivre entourée de l'amour de mon père et d'Amélie, j'avais fait face à l'heureux événement qu'était la naissance de Peter. Un petit être tout rose et mou. Je ne comprenais pas ce que c'était, ils l'avaient ramené à la maison, et le protéger comme si c'était le plus précieux des trésors. Mon père m'avait laissé une fois avec Peter, disant que je devais surveiller mon petit frère et faire attention. Je ne comprenais pas, et quand j'avais vu ce petit bébé, l'idée de lui faire du mal était venu. Je l'avais agrippé par le pied et j'allais le pendre par ce dernier, mais il s'était mis à pleurer. Je venais à peine de le soulever à bout de bras. Amélie était arrivée en catastrophe et quand elle m'a vu ainsi avec lui, elle avait récupéré Peter et m'avait giflée si fort que j'avais rebondi sur le canapé avant d'atterrir sur le sol.

Je ne me souvenais pas exactement des paroles d'Amélie, ce jour-là, mais elle avait crié si fort que ça avait fait venir les voisins. Mon père tentait de calmer Amélie, et c'était la femme d'Harold qui avait réussi à le faire. Harold était resté en retrait, et je ne comprenais pas vraiment. Amélie s'était éloignée avec Peter, et mon père m'avait lancé un regard triste. Il ne savait pas trop qui choisir entre moi et eux. Mérina l'avait aidé à choisir. Elle lui avait dit d'aller à la suite d'Amélie et qu'elle s'occuperait de moi avec Harold.

Une autre larme coula et je l'essuyai avant qu'elle n'atteigne mon menton. Mérina avait été la première à m'avoir fait comprendre l'importance de la compassion et de l'amour. Elle ne m'avait pas touché, simplement expliqué ce que j'avais fait de mal, mais que je n'avais pas m'inquiéter, qu'Amélie ne m'en tiendrait pas rigueur pour très longtemps. Le soir même, comme elle me l'avait dit, Amélie m'avait prise dans ses bras. Elle pleurait contre ma petite épaule, en essayant de m'expliquer qu'elle était désolée de m'avoir laissé une marque sur la joue, mais que je devais être plus prudente et qu'elle avait eu peur pour son bébé. Quand je sentis les larmes d'Amélie, quelque chose avait remué en moi. Comme une vieille sensation. Je n'avais jamais su d'où c'était venu, mais à présent, je pensais avoir une idée. Les larmes d'Amélie étaient sûrement semblable à celle de ma mère biologique quand je venais tout juste de naître. Elle avait dû pleurer à chaudes larmes, en me prenant dans ses bras avant de mourir. Cette nuit, je me rappelle de m'être endormi sur le canapé. Après cet événement où j'avais failli tuer mon petit frère, je m'étais un peu plus ouverte. Je dormais principalement sur le canapé, où le matin je me réveillais au bruit d'Amélie ou de mon père, faisant la cuisine. L'odeur du petit-déjeuner, et j'avais été consciente pour la première fois des besoins de mon corps.

Un petit sourire triste s'étira sur mes lèvres, et je me levais du canapé, pour rejoindre la cuisine où sur l'un des murs, il y avait un vieux mètre scotché à ce dernier. Il y avait ma taille à Peter et moi. J'étais en rouge et Peter en bleu. Je passais un doigt dessus, sur les inscriptions qui étaient restées. Chaque année le jour du premier l'an, c'était notre tradition de se mettre dos contre ce mur et de prendre notre mesure. Je me redressais pour ensuite rejoindre l'étage supérieur. J'entrais dans ma chambre avec les étoiles. Je n'avais pas décoré cette chambre avant mes 10 ans. Je l'avais laissé sobre, et je n'allais toujours pas à l'école à ce moment-là. Je prenais des cours à la maison, vu mes antécédents, Amélie et papa avaient convenu que c'était le mieux. Je ne parlais que rarement, et je me contentais de hocher la tête à ce moment-là. Je me souviens aussi d'une crise de colère de Peter. Ce petit bout était une véritable tornade. Il pouvait passer d'une crise de colère à la rigolade en moins d'une minute. Benjamin avait tout juste eu deux ans, que les deux petits garçons étaient inséparables. Peter avait déjà cet instinct protecteur, mais ça l'énervait de me voir si peu ouverte.

Je me rappelais d'ailleurs que c'était dû à un de ses caprices que mon père s'était finalement intéressé à la déco de ma chambre. C'était une chambre assez spartiate. La première fois, il m'avait dit que si je voulais décorer ma chambre, je n'avais qu'à lui dire. Chose que je n'avais jamais faite. Il y avait un lit, un meuble pour les vêtements et une table de chevet. Il n'y avait aucun jouet, pas même un bureau. Il fallait dire que je dormais toujours dans le canapé. Le salon était ma chambre en quelques sortes, jusqu'à ce que Peter choisisse de faire sa première cabane en se servant du canapé. J'avais refusé de bouger et il avait fait son caca nerveux, mais j'avais été inflexible. C'était mon canapé, et je n'allais pas le lui laisser. C'était Mérina qui avait désamorcé la situation en me demandant pourquoi je ne voulais pas dormir dans ma chambre. J'avais répondu quelque chose qui avait en rapport avec les lumières dans le ciel. Puis pour vérifier mes dires, Mérina, Amélie et papa étaient montés dans ma chambre, avant de redescendre en trombe pour venir me voir. Mérina avait lancé un regard de reproches envers les deux adultes, qui s'en voulaient de ne pas avoir fait attention à mon confort dans ma chambre. Amélie avait pris mon père par le bras, demandant à Mérina de nous surveiller, et ils étaient partis faire un tour aux magasins afin de me dénicher une vraie chambre.

Je m'allongeais sur mon lit, en regardant les étoiles faites à la main par mon père. Ils avaient passé trois semaines à faire ses étoiles brillantes. Il m'avait demandé les constellations que je préférais. J'avais dit la Grande Ourse en premier. Puis j'avais ensuite pris la constellation du Scorpion, du Bélier, du Loup, du Corbeau, du Serpent et celle d'Ophiucius. Mon père avait rajouté la Petite Ourse pour l'étoile du Nord. Je n'avais jamais vraiment compris pourquoi j'avais choisi ces constellations. Et ça restait un mystère encore aujourd'hui. Un soupir s'échappa de mes lèvres, alors que mon regard se posait sur ma fenêtre. Le soleil s'était couché depuis quelques minutes déjà, me plongeant dans une pénombre éclairait par les étoiles de ma chambre. Mes yeux retournèrent sur les constellations. Du bout de l'index, je les dessinais en l'air, reliant les étoiles entre elles, comme dans mon souvenir. J'avais pratiqué ceci, beaucoup de fois avant de m'endormir.

Mon portable se mit à sonner, et avec un nouveau soupir, je fouillais dans mes poches avant de le dénicher et de répondre sans vraiment vérifier qui m'appelait. À vrai dire, je n'en avais rien à faire. Si c'était Cameron, j'étais prête à me fondre dans sa voix. Si c'était quelqu'un d'autre... il devrait faire avec mon manque de répondant, j'étais comme qui dirait vidée de tout.


« Allô ? Me demanda la voix de Benjamin de l'autre côté du portable.

- Hm... Ben ? Réussis-je à articuler quand même.

- Je te réveille ? S'inquiéta-t-il, et je lâchai un soupir.

- Non, c'est rien. Je... on a juste décidé de remuer de la merde. C'est tout. Dis-je, en frottant mes yeux avec ma main libre.

- Tu veux que je rentre ? Questionna-t-il, très sérieusement.

- Non, reste en Russie avec Lisa et les autres. On se débrouille bien pour l'instant. Déclarai- je, en essayant de connecter deux neurones qui ne seraient pas amorphes.

- D'accord... je suis là, en soutien si besoin.

- Oui, ne t'inquiète pas tant que ça. Alors ? Comment c'est en Russie, du nouveau ? »


Ben répondit à ma question, et me détailla ses journées avec Lisa et Kïer. Je le laissais parler, grognant parfois quelques mots. J'étais épuisée, et à la fin de la conversation, j'avais juste envie de fermer les yeux et dormir. À peine avais-je raccroché, qu'une autre personne m'appelait. Je regardais l'écran de mon portable pour voir si je pouvais le passer directement sur le répondeur, mais c'était Cameron. Je me redressais sur le lit, la fatigue s'en allant provisoirement. J'avais besoin du son de sa voix pour me sentir mieux. Me sentir pleine.


« Allô ?

- Leannan... comment te sens-tu ? Me questionna sa voix chaleureuse. »


Je savourais le timbre de sa voix, il m'avait manqué. Cela ne faisait qu'une seule journée, et j'avais besoin d'au moins l'entendre pour tenir. J'avais beau savoir qu'il me surveillait de quelque part, ça ne m'empêchait pas de me languir de lui. De son corps, de sa chaleur, de sa voix, de son toucher, de son regard. Bref de lui tout entier. J'étais vraiment accro à lui. Il était une addiction, une drogue dont j'avais bien du mal à me séparer.


« Mieux, depuis que je t'entends, et encore mieux quand je serais près de toi. Soufflai-je, en m'allongeant et posant machinalement ma main sur mon ventre.

- Moi aussi, j'ai envie d'être à tes côtés. Te serrer contre moi, et ne jamais te laisse partir. Me dit-il, de sa voix rauque qui m'arracha un doux frisson

- C'est tellement tentant. Répondis-je, en soupirant d'aise.

- Leannan, comment ça s'est passé avec ton père ? Questionna-t-il, du ton le plus doux qu'il pouvait afin de ne pas me rappeler brusquement sur terre.

- Un peu secouée mais ça va. J'ai appris... des choses très intéressantes. Avouai-je, en fermant les yeux un instant, avant de les rouvrir sur les étoiles.

- Tu veux en parler ?

- Oui, j'ai découvert pourquoi Peter avait pu muter en loup-garou. »


Cameron resta silencieux de l'autre côté du combiné, mais je l'entendais bouger. Il ouvrit plusieurs portes, quelques coups sur une surface en bois, puis j'entendis quelques grognements. Sûrement Peter et Cailean qui étaient partis se coucher ou faire des galipettes sous la couette. Vu le ton bougon des deux, je dirais la deuxième option. J'attendis plusieurs secondes encore, puis j'entendis des pas, puis le froissement de tissus. Ils s'étaient peut-être réunis dans le salon de la suite.. ou quelque chose du genre.


« Tu es sur haut-parleurs. Me fit savoir la voix bourrue de mon frère.

- Donc je disais à Cameron, que j'avais découvert pourquoi tu avais pu muter en loup. Répétai-je, afin qu'ils comprennent bien tous.

- Et ? S'impatienta Peter.

- D'après papa, c'est à cause de nos ascendances. Commençai-je, par expliquer.

- Ascendances ? Répéta Cailean, intrigué.

- Oui. Dans la lignée de notre père, nous avons des ancêtres loup-garous. Confirmai-je, en essayant de me rappeler les informations exactes que mon père m'avait donné sur le sujet.

- Mais si vous êtes descendants de loup, alors...

- C'est parce que nous ne descendons pas que des loups. De ce que papa m'a dit, le gène du Loup a été contré par un autre gène tout aussi fort. Coupai-je, Cailean avant qu'il ne se lance sur la leçon le Gène dominant du Loup.

- Lequel ? S'enquit Peter, excité par ces découvertes. »


Je lâchai un soupir, et ils étaient tous suspendus à mes mots. J'aurais aimé leur dévoiler tout ça, en face. J'aurais pu au moins voir leur tête ahuri. Enfin, on ne pouvait pas tout avoir. Je caressais mon ventre instinctivement.


« Celui du Gardien. Confessai-je, avec un petit sourire.

- C'est quoi ça, encore ? Interrogea mon petit frère, ne comprenant pas.

- Les Gardiens sont censés être des légendes. Ils sont considérés comme des anciens guerriers druidiques, tout du moins. Ils n'en existent plus depuis très longtemps. Relata Cameron, je pouvais l'entendre froncer des sourcils et être perplexe.

- Oui, mais ce ne sont pas des légendes. Papa m'a dit que nous descendions des Gardiens, qui avaient pour but de protéger la porte entre notre monde et le Sidh. Racontai-je, en regardant l'étoile du Nord de ma chambre.

- Merde alors ! Les histoires de papa sont donc vrais ?! S'exclama-t-il, enthousiaste.

- Pas qu'un peu. D'après papa, le gène du Gardien a fait en sorte que le gène du Loup devienne passif, et pour l'activer le gène du Loup, il fallait qu'une personne avec le gène actif, comme Cailean ou Cameron, mélange son sang au nôtre. Il suffit d'une petite quantité de rien du tout. Informai-je, et Peter s'excita un peu plus. »


J'entendis aussi quelques grognements de la part des frères loups. Ils étaient contents d'avoir résolu ce mystère, mais ils étaient quand même perplexe. Je leur rappelais ce qu'il s'était passé avant la transformation de Peter en loup, et Cailean affirma qu'il avait saigné et qu'il avait porté Peter. Son sang avait dû se poser sur une de ses plaies ouvertes et activer le gène de Peter. Explication tout à fait plausible. Je continuais de raconter ce que papa m'avait dit sur les Gardiens, puis Peter m'interrompit.


« Attend, Haylie. Si moi, j'ai pu devenir un loup, ça veut dire que toi aussi, tu peux ? Questionna-t-il, et je retins un soupir, mon frère avait l'art et la manière d'en venir au sujet délicat avec tellement de subtilité.

- Oui...

- Pourquoi je sens un gros et méchant "mais" ? Soupira-t-il, alors que j'hésitais à poursuivre.

- Mais je n'ai pas envie d'être une louve. Je suis désolée mon loup.. mais je ne me sens pas prête pour réveiller ce gène chez moi. Répondis-je, rapidement n'ayant pas la force de leur raconter ma naissance au téléphone.

- Ne t'en fais pas, Leannan. Même si l'idée de pouvoir te voir sous forme de loup est saisissante, je ne te forcerai pas. Je t'aime peu m'importe ton apparence. Louve ou non, tu es celle que j'aime. M'avoua-t-il, faisant monter mes larmes aux yeux, ainsi qu'une bouffée de tendresse envers lui. »


Ils me souhaitèrent bonne nuit, et j'en fis de même. Je regardais mon téléphone pendant un moment. Mon homme, mon loup était vraiment quelqu'un d'exceptionnel. Je me demandais encore comment le destin avait pu mettre quelqu'un comme lui sur ma route. J'avais beaucoup de chance de l'avoir. Il était l'un des plus beaux présents que la vie avait pu me donner. Je ne regrettais pas une seule seconde ma rencontre avec lui, même si cette dernière avait été mouvementée. Je me mis à rire, en repensant à nos débuts relationnels, ce n'était pas tout à fait ça. Cameron avait bien maladroit, mais avec le temps, il était devenu plus habile pour me montrer à quel point il tenait à moi. Tandis que moi, je lui donnais encore du fil à retordre. Je devais m'améliorer sur certains points, à commencer à tout avouer à mon loup. Après demain, je lui dirais tout. Tout les secrets que j'ai. Mon regard descendit sur mon ventre, où ma main reposait. Et la conviction de dire tout mes secrets à Cameron se renforçait. Je devais tout déballer, et je devais commencer par lui confesser ce secret-là.

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