Chapitre 7

- Tu as été géniale ! En quelques phrases, tu as convaincu tout le monde.

La nuit était tombée sur Lorendia. La lune blafarde éclairait pâlement les rues désertes à travers lesquelles marchaient Alba et Lio.

- Il y a juste une chose que je n'ai pas comprise. Pourquoi y avait-il autant de défiance envers moi ?

- Les temps sont durs, les nerfs sont tendus. C'était vraiment n'importe quoi ce matin. Nous n'avons été prévenus qu'une vingtaine de minutes avant le défilé, puis il a fallu s'organiser pour le suivre, et nous sommes arrivés juste à temps. En plus, le Complot semble prendre de l'importance. Ceux qui étaient méfiants envers ta candidature voulaient juste éviter un possible danger. En cela, je peux les comprendre.

Il avait été décidé qu'Alba logerait temporairement dans une auberge tenue par un membre des Gardiens du trône. Les frais seraient payés par la caisse commune, jusqu'à ce qu'elle trouve un métier ou qu'on lui trouve un poste.

C'est donc vers l'auberge de la Grande Reine que s'acheminaient Lio et Alba. Y étant arrivé, Lio s'avança vers l'aubergiste.

- Salut Lamia, je te présente notre nouvelle recrue Alba. Serait-ce possible qu'elle loge ici quelque temps, avant qu'on lui trouve un travail ? J'ai un mot de Rostam.

- Pas de problème. Bienvenue à toi Alba, je peux te donner la chambre Turquoise. Premier étage, troisième chambre à gauche, tu la reconnaîtras à la couleur de la porte.

Alba monta donc, accompagnée par Lio, qui l'aida à s'installer.

L'auberge était une grande maison en bois et en pierre, qui se situait au coin de deux rues, à proximité de la Porte de l'Est. Un panneau sur lequel était peint le visage de la reine Camilla était suspendu au mur extérieur, et toutes les fenêtres étaient encadrées par des volets verts. La chambre Turquoise se trouvait également dans le coin, et grâce à deux fenêtres, Alba pouvait avoir une vue sur les deux rues. L'auberge accueillait aussi bien des voyageurs de passage que des membres des Gardiens du trône. Cela permettait à Lamia de mettre des chambres au service du mouvement, tout en gardant un revenu régulier, et plus important encore, en entendant tout ce qui se disait entre voyageurs. Elle recevait ainsi régulièrement des nouvelles de Lorendia et du royaume, et pouvait ensuite les relayer aux responsables.

La chambre dans laquelle se trouvait Alba était moyennement grande et simplement meublée. Elle disposait d'un lit, d'un bureau, de deux chaises et d'une armoire.

Elle s'installa, et Lio rentra chez lui.

Ayant quelque peu faim, elle descendit prendre un repas au rez-de-chaussée. Il y avait peu de clients, et Lamia la servit promptement : un steak de lacteur laineux, mammifère lent et poilu, vivant surtout dans les grandes plaines, accompagné d'une soupe aux graines. Alba n'avait pas réalisé à quel point elle avait faim, et mangea avec grand appétit.

Sa soirée se passa tranquillement, et, une fois remontée, elle s'assit et commença à réfléchir sur les évènements qui venaient de se dérouler. Il y avait vingt-quatre heures, elle était dans une autre auberge, mais tant de péripéties s'étaient succédé depuis. Où était son père ? Elle espérait qu'il était à Lorendia, qu'il n'avait pas été emmené loin de là.

En vingt-quatre heures, elle était aussi devenue membre d'un groupe secret qui s'efforçait de protéger la reine d'un complot.

Elle pensa à sa mère, qui devait être en train de les attendre à la maison. Normalement, Alba et son père auraient dû être de retour. Sa mère, n'ayant reçu aucune nouvelle, se faisait sûrement un sang d'encre. Son père lui avait interdit de retourner à Kaloga, pourquoi donc ? Était-elle en danger ? Avait-elle le droit d'écrire à sa mère ? Tant de questions tournaient, tourbillonnaient, tourneboulaient dans sa tête, elle se perdait dans les pensées, les interrogations. Bon, elle n'allait pas y réfléchir toute la nuit, elle décida de se coucher.

Le lendemain, les doux rayons d'un soleil matinal caressant son visage la réveillèrent. Les rues étaient déjà pleines de mouvement, de vie, d'agitation. Elle venait de passer une bonne nuit, aucun songe ne l'avait dérangée, aucun rêve ne l'avait préoccupée. Dans sa tête, elle dressa le plan de la journée :

- Il faut d'abord que je mange et que je me lave, puis que j'aille à l'auberge dont mon père m'a parlé, pour voir s'il a pu laisser de ses nouvelles. Je reviendrai ensuite ici, Lio m'a prévenu qu'il passerait dans la matinée. Cette après-midi, je partirai en exploration de la ville.

Son plan fait, elle descendit se sustenter. Lamia était au milieu des préparatifs des repas pour ses clients, elle ne put pas servir Alba tout de suite. Alors que cette dernière était assise dans un coin, attendant sa tisane à la menthe et sa bouillie d'avoine, un homme de haute taille, barbu et costaud, dont les cheveux roux, épais et mal coiffés lui donnaient un air sinistre, entra dans la salle à manger et s'assit dans le coin opposé à Alba.

Par chance, il avait le dos tourné à elle, car elle avait reconnu en lui un bûcheron grossier de Kaloga. Même en temps normal, elle n'aurait pas voulu le rencontrer. Mais maintenant, elle ne voulait surtout pas qu'il la reconnaisse. Si son père lui avait interdit de retourner à Kaloga, c'était qu'il y avait là un danger pour elle. Dans ce cas, il ne fallait pas que cet homme l'aperçoive et porte la nouvelle à Kaloga. Elle remonta en toute discrétion et obtint de Lamia la permission de prendre son repas dans sa chambre. Elle put aussi prendre des nouvelles de cet homme : il était arrivé tard la veille, ne passait que cette nuit-là à l'auberge, mais s'était inscrit pour les repas jusqu'au midi. Il allait sans doute quitter Lorendia dans l'après-midi.

Lamia eut aussi l'obligeance de prêter quelques vêtements à Alba, qui n'avait que les habits qu'elle portait sur elle lors de son arrivée à Lorendia : un haut bleu, une jupe brune et un pantalon court marron.

Enfin prête, sortant par la porte de derrière, Alba partit à la recherche de l'auberge de la Hayligeu Vurst. Elle ne fut pas très difficile à trouver, elle se situait à la limite entre la ville-basse et la ville-haute. Malgré cette position prestigieuse, il s'agissait d'un bâtiment ancien, ravaudé par-ci par-là, et dont l'enseigne bancale laissait tomber des flocons de vieille peinture sèche. Alba crut s'être trompée, mais non, il s'agissait bien du bon endroit.

Elle entra précautionneusement. L'entrée était vide. Elle trouva enfin l'hôte dans la partie taverne de l'établissement, occupé à nettoyer des verres crasseux dans une eau à la couleur douteuse. Pourquoi son père l'avait-il envoyée ici ?

Alba s'avança vers l'hôte. C'était une montagne de muscles couronnée par une prairie touffue de cheveux verdâtres et précédée par une colline ronde de graisse, qui ne s'aperçut de sa présence qu'une fois qu'elle eut raclé sa gorge trois fois, tellement ce géant était concentré sur sa tâche. Dans sa tête, Alba se dit : il aurait très bien pu ne jamais avoir changé l'eau de vaisselle, le résultat serait le même. En y réfléchissant, elle se dit que c'était sans doute déjà le cas.

Ayant enfin réussi à capter l'attention du géant, Alba lui expliqua :

- Je suis la fille de Tullus Sul'Gabellus. Je viens voir si mon père a laissé de ses nouvelles.

Son interlocuteur la fixa un moment, l'air bête, puis, un éclair de pensée semblant traverser sa cervelle, il aboya en direction d'une porte entrouverte : « Marcus ! »

Un petit homme chauve enfoui sous plusieurs couches de vêtements apparut. Alba répéta sa demande.

- Je suis bien désolé, jeune demoiselle, mais votre père ne nous a rien laissé pour le moment. Il y a deux jours, il nous avait demandé d'éventuellement servir d'intermédiaire en cas d'imprévu, mais nous n'avons pas eu de nouvelles de lui pour le moment. Si vous voulez, vous pouvez venir loger chez nous (Alba se promit fermement de ne jamais emménager là), ou si vous préférez, vous pouvez nous donner votre adresse actuelle, nous vous enverrons tout document qu'il nous fera passer.

Alba fut sur le point de leur dire qu'elle logeait à l'auberge de la Grande Reine, mais se reprit. Il fallait qu'elle reste discrète, d'autant plus que c'était un point de réunion des Gardiens du trône. Ces deux gars bizarres semblaient vraiment vouloir à tout prix garder un certain contrôle sur elle.

- Pas besoin, ne vous embêtez pas. Je reviendrai régulièrement prendre des nouvelles.

- Très bien, pas de problème, dit Marcus, qui tentait de cacher sa déception.

Alba prit congé d'eux, quitta l'auberge et redescendit dans la ville-basse. Alors qu'elle traversait un marché ouvert, elle s'entendit appelée. Lio accourut.

- Je venais te retrouver à la Grande Reine, mais te voilà dehors déjà.

- Oui, j'étais allée voir si mon père avait pu me laisser un message, mais non, rien à signaler.

- Il n'a juste peut-être pas la possibilité d'écrire.

Les deux jeunes marchaient ensemble, Lio avait proposé qu'ils aillent au Parc Royal. Ils s'acheminaient donc ainsi, quand soudain Lio se retourna, puis revint vers Alba.

- Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle.

- Je pense que nous sommes en train d'être suivis.

- Par qui ?

- Aucune idée. C'est une figure humaine, mais qui porte un long manteau et qui a couvert sa tête. Allons dans la rue-là. Si cet humain vient à notre suite, c'est sûr que nous sommes suivis.

Cela étant fait, Alba remarqua, en regardant dans un miroir à vendre, que la figure qu'avait décrite Lio se faufilait discrètement après eux, à quarante pas à peu près. Ils s'engagèrent brusquement dans une allée perpendiculaire à leur chemin, et entrèrent dans un labyrinthe de ruelles et de petites rues. Lio les connaissait du bout des doigts, et ils firent plusieurs virages, gagnant en vitesse quand ils pensaient être hors de vue de leur suiveur. Après quelques minutes, Lio la conduisit dans une impasse sombre.

- Nous allons attendre ici dans l'ombre, et peut-être pouvoir prendre en chasse l'autre.

Accroupis sur des dalles de pierre, ils patientèrent. Un bruit de pas hâtés commença à résonner, renvoyant des échos, réverbéré par les murs, se rapprochant de plus en plus. Soudainement, une ombre passa devant l'entrée de l'impasse, sans sembler les remarquer.

- On y va.

Les deux se levèrent, rejoignirent l'entrée, et se lancèrent à la poursuite de la figure mystérieuse. Le bruit de leurs chaussures claquant sur les pavés alerta leur cible, qui se retourna. Les positions étaient désormais inversées, le chasseur était chassé, et prenait la fuite. Il fit le choix de ne pas s'aventurer dans le labyrinthe de ruelles, mais bifurqua pour sortir dans des rues plus grandes. La poursuite s'engagea donc, montant vers le haut de la ville.

Alba et Lio avaient l'avantage du nombre, mais leur cible, quoiqu'embarrassée par son manteau, courait vite. Esquivant les passants, se glissant entre les piétons, évitant les carrioles de marchands, nos trois protagonistes s'élevaient toujours plus. Les deux jeunes commençaient à se fatiguer, mais gagnaient du terrain sur l'autre. Toujours plus haut, toujours plus loin, malgré les regards des passants intrigués. Lio se rapprochait de leur cible, allait presque l'attraper par la capuche, quand celle-ci glissa, tomba dans un trou d'égout, et disparut de leur vue.

Avec précaution, Lio se pencha au-dessus du trou, alors qu'Alba le rejoignait ; il ne voyait rien. Sans aucun doute, cette chute était intentionnelle et servait à échapper à ses poursuivants. Des passants commençaient à se rassembler, se demandant ce qui s'était passé.

- Allons-nous-en, avant qu'il n'y ait trop d'agitation, conseilla Lio.


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