Chapitre 3

« Au temps où le grand lac Wollain s'étendait sur cent kilomètres dans toutes les directions, et où Lorendia n'était qu'un petit village perdu au milieu du lac, il y avait un pêcheur se nommant Lorenzo. C'était le meilleur navigateur de la région, personne ne connaissait mieux que lui la force des courants et la localisation des bancs de poisson. Il commandait une équipe de sept autres hommes, et ils possédaient à eux huit un magnifique bateau de pêche. Lorenzo était donc le pilote, il guidait l'esquif vers les meilleurs endroits pour pêcher. Il n'y avait jamais de famine à Lorendia, cette équipe de pêcheurs était toujours acclamée par les habitants du village, et on les fêtait à chaque fois qu'ils ramenaient leurs filets pleins de poissons. Tout allait donc bien, jusqu'à un certain moment.

C'était une nuit sombre, où la Lune en son dernier croissant peinait à percer la couverture nuageuse. Pour une fois, la pêche s'était avérée surprenamment maigre. Lorenzo proposa à ses hommes d'aller du côté des Roches Violettes, que l'on appelle aujourd'hui Falaises de l'Enchanteresse. Ils se dirigèrent vers ces roches qui formaient un massif minéral émergeant des eaux. Et, alors que d'habitude ces pierres étaient désertes, ce soir-là rayonnait une lueur verte du milieu d'entre elles. Curieux, les hommes s'approchèrent. Lorenzo ordonna qu'on pousse la barque vers l'île. Mais, dès qu'ils posèrent le pied sur les Roches, la lumière s'évanouit, et ils furent plongés dans l'obscurité. Ils eurent beau attendre une demi-heure dans le bateau, la lueur ne reparut pas. Ils rentrèrent donc chez eux, la pêche ayant été oubliée.

Lorenzo sembla oublier cet incident, et la vie reprit son cours normal. Mais, quinze jours plus tard, alors que l'équipe de pêcheurs se déplaçait vers une autre ville, ils revirent cette lumière sur les Roches Violettes, et firent un détour pour observer le phénomène. Encore une fois, dès qu'ils descendirent de la barque, la lueur disparut. La nuit suivante, alors qu'ils rentraient chez eux, le phénomène se reproduit.

À partir de ce moment-là, Lorenzo ne fut plus en repos. Il négligea presque complètement la pêche, chaque nuit il sortait sur le lac, en quête de l'origine de cette lumière. Cette obsession dura des mois, et Lorenzo essaya tout pour parvenir à la lumière sans qu'elle ne disparaisse. Il nagea jusqu'aux rochers, tenta toutes les techniques de camouflage, chercha un passage secret sous l'eau,... En vain. Chaque matin, il revenait bredouille, de plus en plus amaigri par les nuits blanches et les soucis. Jusqu'au jour où il ne reparut plus. On ne retrouva que sa barque, amarrée près des Roches Violettes. Certains pensèrent à un suicide, d'autres à de la magie. Les vieux dirent que Lorenzo s'était mêlé de ce qui ne le regardait pas, et qu'il en avait payé le prix. Mais eux-mêmes n'avaient aucune idée de ce qui s'était passé. Certains dirent qu'il avait été enlevé par des Sirènes, d'autres pensèrent qu'il avait été consumé par un feu magique.

Aujourd'hui, les Roches Violettes se trouvent en haut des Falaises de l'Enchanteresse, où personne n'ose s'aventurer. Et mon histoire arrive à sa fin, comme le fleuve Argent lorsqu'il se jette dans la mer. »


Fido avait terminé son histoire. Ils hochèrent tous la tête en signe d'admiration. Ouraya prit alors la parole.

« Ténèbres, noirceur de nuit, noirceur de cœur.

Au temps des premiers Mages de la Parole, Éveria n'était qu'un continent sauvage, sans roi ni loi. Personne ne sait comment les premiers Mages sont apparus; peut-être étaient-ils des Éveriens qui avaient expérimenté la Magie de la Parole, peut-être venaient-ils de plus loin, au-delà de la Mer Squaleuse. Nul ne le sait. Ils sont juste apparus, des hommes et des femmes possédant le Pouvoir de la Parole. Ils édifièrent la première ville du continent, Altissima. Cette ville devint un lieu sûr pour les gens honnêtes, c'est là que se forma la première société humaine digne de ce nom.

La ville s'élargissait, toujours dominée par les Mages, qui prenaient chacun un apprenti pour les remplacer lorsqu'ils mourraient. Ils gardaient précieusement le secret du Pouvoir de la Parole, car cette arme pouvait entraîner des conséquences désastreuses si elle tombait dans les mauvaises mains. Les apprentis recevaient donc une formation complète, apprenaient à utiliser la Parole, et apprenaient à cacher ce secret. Ils gouvernaient avec justice, bonté et intégrité. La cité d'Altissima s'épanouissait, et devenait célèbre dans le continent entier. Malheureusement, la gloire et la réputation attirent toujours les cœurs tordus.

Ténèbres, noirceur de nuit, noirceur de cœur.

Des hommes mauvais commencèrent à arriver, et apportèrent la ruine et la discorde avec eux. Les Mages commencèrent à se diviser, ils n'avaient plus les mêmes opinions ni les mêmes idées pour l'avenir de la cité. Un jour, un Mage corrompu révéla le secret de la Parole à des personnes malveillantes. Cette nuit-là, un terrible combat eut lieu sur la plus haute tour de la ville. Les Mages se divisèrent entre eux, et la moitié fut aidée par les hommes mauvais qui maîtrisaient maintenant la Pouvoir de la Parole. Toute la nuit, des éclairs se déchainèrent sur la tour, des feux bleus et verts ragèrent, le tonnerre tonna de toute sa force. Ce fut un combat effroyable, qui ébranla la ville sur ses fondations. Et au petit matin, alors que l'aurore naissait, sept mages tombèrent, et sept mages restèrent debout sur la tour, triomphants...

Ténèbres, noirceur de nuit, noirceur de cœur.

Altissima devint une cité sombre, vivant sous la coupe des Mages Cruels et de leurs hommes de mains. Les Mages chassés furent dispersés. Les uns, aigris par leur défaite, se détournèrent de la justice et de la bonté qu'ils exerçaient auparavant, et se retirèrent, seuls et isolés, maudissant l'humanité tout entière. Les autres prirent la route, et firent un voyage long et pénible à l'autre bout du continent. Là, ils bâtirent une nouvelle cité, pour faire face à la noire Altissima: le résultat en fut Luxis, flambeau dans un monde sombre. Ce fut alors une lutte acharnée entre les deux cités, entre le bien et le mal. Cette guerre dura des années, les armées des deux côtés combattirent violemment, cherchant toujours à écraser l'autre camp. Altissima fut détruite, mais à quel prix! Luxis à moitié écroulée, des milliers de morts, une dévastation immense. Les derniers Mages se dispersèrent, et c'est d'eux que nous tenons la Magie de la Parole.

Ténèbres, noirceur de nuit et noirceur de cœur ont disparu, mais se cachent peut-être, prêts à resurgir! »


Il y eut un silence après qu'Ouraya eut fini de parler. Alba attendit que les autres la regardent pour commencer à raconter. 

« Il y a fort longtemps, au temps où les moutons n'avaient pas de laine et où les équarius avaient des ailes, vivait un berger dans l'actuelle Plaine des Papillons. Comme il ne pouvait pas attraper les équarius, et que les moutons ne lui servaient à rien, il élevait autre chose. Dans la plus grande grange de sa ferme, il élevait des musaraignes. C'étaient les seuls animaux qu'il pouvait attraper. Il utilisait leur peau pour fabriquer des chapeaux, et d'autres vêtements, et il préparait de délicieux plats avec leur chair. Malheureusement, cet élevage n'était pas assez pour subvenir à ses besoins, car pas grand monde ne passait par là, donc il ne pouvait pas toujours vendre ses produits. Il devait donc tenter de survivre par la cueillette de fruits. Le sol peu fertile ne lui permettait pas la moindre forme d'agriculture. La vie était assez dure, surtout l'hiver. La peau de musaraigne ne possédant pas de grandes qualités isolantes, il souffrait du froid en plus de la faim.

C'est pourquoi il décida un jour de partir à la recherche d'animaux nouveaux, qu'il pourrait élever à la place des musaraignes. Il marcha longtemps, longtemps, longtemps,... Il traversa la Plaine, et voyagea loin, loin, jusqu'aux Montagnes Molles. En passant près d'un lac, il entendit un son continu, doux mais aigu, qui semblait en provenir. Il s'approcha du lac et vit que l'eau était d'une couleur étrange, un bleu turquoise brillant, et qu'il y avait des larves flottantes à la surface. Il se pencha pour les observer de plus près et vit qu'elles étaient très belles, brillantes et multicolores. Il n'avait jamais vu de larves aussi étonnantes auparavant.

Il approcha la main pour en saisir une, mais l'eau se rejeta en arrière, emportant les larves avec elle, et il entendit une voix dans sa tête qui lui disait: "Ne touche pas". Intrigué, il marcha vers l'avant, se rapprochant de l'eau. Celle-ci recula encore, et forma une couche protectrice autour des larves. La voix retentit de nouveau dans sa tête: "Arrête-toi là, tout de suite!". Mais il ne parvenait pas à détourner les yeux de ces larves. Avec leurs couleurs brillantes, elles étaient les plus belles choses qu'il avait jamais vu dans sa vie. Il voulait absolument savoir ce qu'elles étaient. Se repliant sur lui-même, il s'élança d'un bond sur la surface de l'eau, les mains ouvertes. Ses doigts firent contact avec les larves, il les saisit. La surface de l'eau se craquela, les larves se ternirent tout de suite. Le liquide disparut, et l'éleveur se retrouva allongé au centre d'une mare desséchée, des carapaces sèches et pâles dans les mains.

La voix retentit dans sa tête: "Tu ne m'as pas écouté. Ces larves étaient des futures fées, pour parvenir à la maturité, elles devaient éviter tout contact avec des espèces animales. Par ta faute, elles ne se réveilleront jamais en tant que fées. Puisque tu les as touchées, elles sont ta responsabilité. Prends-les et vas-t-en!"

L'éleveur se releva, mit les larves desséchées dans son sac, et retourna chez lui, la mort dans l'âme. Pour se punir, il décida qu'il ne repartirait plus jamais de chez lui. Il retrouva son élevage de musaraignes, et construit un endroit sûr pour y mettre les larves. Tous les jours, il les imbibait d'eau, les mettait au soleil.

Un jour, alors qu'il les sortait au soleil, elles commencèrent à trembler, et à se craqueler. À sa plus grande surprise, des ailes colorées en sortirent, suivies par un corps long et fin. Bientôt, une douzaine de créatures délicates et multicolores volaient autour de lui. Les papillons étaient nés. 

Nul ne sait comment se termine l'histoire, mais là n'est pas l'important. La légende se transmet, et évolue en vieillissant. Voilà, mon histoire est terminée, mais les papillons volent encore. »

Alba avait raconté son histoire d'une voix assurée, mettant toute sa force dans le conte qu'elle déroulait comme un fil. Elle arrêta de raconter, et attendit le jugement des autres. Comme c'était un concours, les auditeurs devaient décider entre eux quel conte avait été le mieux raconté.

Les trois jeunes gens se concertèrent un moment, puis Petro prit la parole pour annoncer leur décision.

"Nous avons discuté et pris une décision. La personne qui a gagné ce concours est... - "

Il fut interrompu par un bruit d'explosion, qui retentit à travers la ville entière.


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