Chapitre 9.4
♪ Elephant - "Mythos"
La Gardienne n'entendit pas tous les marmonnements d'Esmeralda, mais elle finit par comprendre qu'elle aurait préféré manger son loup plutôt que de suivre une folle. Visiblement, elle était encore très remontée contre elle et Edwin finit par reprendre les rennes de la situation. Merci à lui.
— Ce serait un plaisir. Je suis Edwin, commença-t-elle en posant sa main contre son torse, avant de pointer les deux femmes qui l'accompagnaient. Et voici ma sœur Esmeralda et notre amie, Aymee.
— Miniel. À en juger par vos tenus, vous devez venir de la tribu de l'Aile Ancienne.
Elle les toisa sans la moindre gêne. Il fallait dire que le trio avait plus enfilé ce qu'ils avaient sous la main. Il n'était pas préparé aux conditions extrêmes des montagnes du nord. Miniel, quant à elle, ressemblait typiquement à une femme appartenant à la tribu de l'Épée Rouge. Elle portait un immense manteau en fourrure blanche parsemée de petites tâches noires. Ses gants en cuir et ses bottes tiraient leur origine d'un dragon. Sans oublier qu'Aymee eut enfin le loisir d'admirer les peintures qu'elle s'était faites sur son corps. Des symboles ornaient ses avant-bras et la Gardienne se souvient les avoir vu dans un de ses ouvrages. Ils faisaient référence à des croyances très anciennes sur la vie après la mort, à la résurrection. Pour finir, elle avait réalisé une ligne blanche sur chacune de ses joues qui ressortaient extrêmement bien sur sa peau chocolatée. Miniel avait un style bien à elle, qui se fondait parfaitement dans le décor et dans la neige.
Elle n'était d'ailleurs pas la seule. Quand ils arrivèrent à son campement, ils découvrirent une vingtaine de femmes vêtues dans le même style qu'elle. Aucun homme. Aymee avait beau creusé dans sa mémoire, elle n'avait pas eu connaissance d'une autre tribu que les mages dans ces montagnes. Il fallait dire qu'elles n'étaient pas si nombreuses pour pouvoir être répertoriées dans leurs ouvrages.
— Votre tribu porte-t-elle un nom ? questionna calmement Edwin qui semblait avoir lu dans ses pensées.
— Nous sommes les Waldymes.
Ce nom lui disait quelque chose... La Gardienne eut besoin de plusieurs minutes pour se resituer. Elle savait où elle avait entendu parler d'elle. Elles n'étaient pas référencées dans le registre des tribus, mais dans celui des êtres magiques. D'après ses connaissances, chacune de ses femmes avaient déjà connu la mort par le passé. Seulement, des Waldymes les avaient ramenées à la vie. Leur pouvoir n'était pas illimité et demandé des conditions assez particulières : elles devaient venir en aide à des âmes pures, dénuées d'idées obscures ; à des personnes qui leur prêteraient allégeance jusqu'à ce qu'elles décident de quitter ce monde.
Tout prenait son sens. En vérité, Aymee était heureuse de pouvoir en rencontrer. Elle avait lu des tas d'informations à leur sujet, mais cela remontait à quelques années maintenant, si bien qu'elle avait failli oublier leur existence.
— À ce que je vois, vous aimez les loups ?
Depuis qu'Esmeralda pouvait se remplir l'estomac, elle paraissait bien moins agressive avec ses interlocutrices. Assise près du feu de camp, elle mastiquait avec vivacité un morceau de viande. Elle n'avait pas de mal à s'intégrer à cette tribu et à échanger avec les autres femmes. Un peu plus loin, neuf loups géants se reposaient et semblaient attendre qu'on les sollicite.
Edwin profita des échanges entre sa sœur et les Waldymes pour faire signe à la Gardienne de le suivre dans un endroit plus calme. Ils avaient besoin de parler de la suite de cette aventure. Ils ne pouvaient pas se reposer sur leurs lauriers après un repas aussi copieux.
— Comment te sens-tu ?
— Après avoir échappé à la mort deux fois dans la même journée, tu veux dire ? Étonnement bien ! s'exclama-t-elle en replaçant une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille.
Edwin lui offrit un sourire empli de délicatesse et elle oublia instantanément tous les tourments qu'elle avait eus à son encontre. Il avait un effet relaxant sur elle et il suffisait de quelques instants en sa compagnie pour qu'elle oublie tout ce qui l'entourait. Ces deux-là ne se connaissaient pas depuis longtemps, mais elle imaginait très mal retourner sur Aphatis et faire comme s'il n'avait jamais existé. Il l'avait impacté bien plus que n'importe qui dans cette galaxie. Grâce à Edwin, elle avait pu apprendre à mieux se connaître, à mieux se comprendre et avait constaté ses propres comportements inadaptés. Il était loin d'être parfait, ce garçon de Maït, mais il faisait ressortir le meilleur d'elle-même. Bordel... Elle devait arrêter de penser à ce genre de choses et se ressaisir !
— Je pense que nous devrions nous remettre en route et trouver un endroit où nous abriter pour la nuit. Avec un peu de chance, nous arriverons à Belris dans la matinée, expliqua-t-il, les sourcils froncés comme preuve de son intense réflexion.
— Vous allez rendre visite aux mages ? les questionna Miniel, qui n'avait visiblement rien loupé de la conversation.
— C'est exact. Nous sommes partis depuis bientôt quatre jours. Aymee a besoin de leur aide.
La Gardienne la remercia intérieurement de faire confiance à une parfaite inconnue... Elle n'aimait pas spécialement que ses projets soient dévoilés au grand jour. Si la Waldyme décidait de lui poser des questions, elle allait devoir mentir et elle détestait ça. Aymee avait toujours été quelqu'un de très honnête, même si elle blessait ses interlocuteurs. Elle se fichait éperdument de leurs sentiments tant qu'elle était authentique. Malheureusement, elle ne pouvait plus suivre ses principes depuis qu'elle était arrivée sur Eyama.
— Vraiment ? Je peux vous y conduire. Je dois y rencontrer le Grand Mage.
Miniel avait le regard pétillant et elle ne comprit pas immédiatement pourquoi. Elle se disait que cette inconnue avait simplement besoin de sortir de sa routine et d'aller explorer le monde, mais il était hors de question qu'elle le fasse avec eux. Aymee avait sa quête en tête et elle ne voulait pas être ralentie. Le travail d'équipe ne faisait que perdre du temps, même s'il pouvait booster la créativité. Seulement, la Gardienne ne voyait aucun intérêt de la prendre avec eux, à l'heure actuelle. Elle s'apprêta à décliner son offre sans ménagement, mais les informations qui suivirent la firent revenir sur sa décision.
— Besoin de leur aide ? l'interrogea Edwin, visiblement très intéressé par sa révélation.
— Non. Je viens simplement voir mon père.
— Tu es une mage ?
La jeune femme regagna immédiatement l'intérêt d'Aymee. Si son père était le chef de cette tribu, il pourrait accepter plus facilement de lui venir en aide pour retrouver l'objet du Conseil. Une opportunité se dessinait devant elle et elle allait la saisir.
— J'étais. Un conflit est survenu, il y a quelques années, et j'y ai laissé ma vie. Les Waldymes m'ont ressuscitée, expliqua-t-elle en haussant les épaules, comme si son décès était une chose totalement banale. Même si mon allégeance leur revient, elles me laissent aller lui rendre visite.
Quelle histoire... Il était vrai que les Waldymes ne pouvaient pas quitter leur tribu trop longtemps. Elles avaient fait le serment de rester ensemble jusqu'à leur dernier souffle. Elles étaient liées par un devoir moral qui n'aurait certainement pas plu à Aymee. D'ailleurs, elle n'avait pas connaissance de ce qui arrivait aux Waldymes qui décidaient d'aller contre cette volonté. Effrayant...
— Nous pensions marcher quelques heures et trouver un endroit pour la nuit, répliqua-t-elle, finalement décidée à ce qu'elle rejoigne leur groupe pour le reste de la journée.
— Plusieurs heures de marche ? s'esclaffa-t-elle, comme si la Gardienne venait de sortir des propos stupides et incohérents. Nous y serons bien avant l'heure du dîner.
Aymee lança un regard interrogateur à Edwin, qui semblait lui aussi dans une totale incompréhension. De quoi voulait-elle parler ? L'échelle de sa carte n'allait pas dans le sens de Miniel. Elle se trompait forcément dans ses calculs, ou bien...
— Vous pensiez sincèrement y aller à pied ?
— Évidemment, quelle autre solution avons-nous ?
La Waldyme arqua un sourcil dans leur direction, avant de venir coincer son pouce et son index contre ses lèvres. Elle finit par pousser un sifflement et très rapidement deux loups géants firent leur apparition. Aymee eut besoin de plusieurs secondes pour comprendre où elle voulait en venir. Cette solution était totalement dingue et elle finit par laisser un rire amer s'échapper de ses lèvres.
— J'espère que tu n'es pas sérieuse ?
— Je crois qu'elle l'est, Aymee...
Edwin était tout aussi sceptique qu'elle. Aucun d'eux n'avait envie de monter sur la bête qui avait failli les dévorer vivant, quelques minutes plus tôt. Malgré tout, Aymee n'avait pas envie de se plaindre si cela pouvait lui permettre d'arriver plus vite à Belris. Un mal pour un bien, comme le disait le célèbre dicton.
Esmeralda finit par les rejoindre, un immense sourire aux lèvres, et emplie d'insouciance. Elle avait loupé tous les échanges qu'il venait d'y avoir entre eux, mais Edwin se dépêcha de la mettre au courant de la suite de l'aventure.
— Oui. Je sais pour les loups. J'ai même dit à Miniel que ça me semblait être une très bonne idée.
Étonnant... La jeune femme à la chevelure d'ébène n'était pas aussi rancunière qu'elle en avait l'air. Elle ne lui avait pas tenu rigueur de l'attaque de son loup à leur encontre. Aymee la trouvait peut-être un peu naïve sur les bords, mais elle se disait qu'elle aurait aimé avoir davantage sa capacité à pardonner. Lorsqu'on lui faisait du mal, volontairement ou non, elle se jurait à chaque fois de se venger et de lui rendre la pareille. Ce raisonnement n'était pas toujours bon et lui apportait souvent des problèmes bien plus que des solutions. Malgré tout, il lui permettait d'apaiser sa conscience et c'était tout ce qu'elle demandait de son côté. Le destin ne serait pas toujours de son côté et elle savait qu'elle finirait par avoir un revers de la médaille. Ce jour-là serait particulièrement douloureux pour son ego, mais elle ferait avec. Il était impossible de faire du mal, d'être égoïste sans en subir les conséquences, un jour ou l'autre. Sa mère lui avait constamment répété cette phrase au cours de son enfance, si bien qu'elle avait fini par l'inculquer dans un coin étroit de son esprit, sans jamais y prêter une grande attention. « Je le paierai plus tard », se disait-elle pour ne pas culpabiliser de ses mauvaises actions, même plutôt pour les valider.
— Quand voulez-vous partir ? les questionna la jeune Waldyme, plutôt soucieuse de ne pas venir chambouler leur organisation.
— Le plus tôt sera le mieux.
Aymee avait de la chance d'avoir Edwin. Il prévoyait leur itinéraire avec sagesse et dévouement. La plupart du temps, il répondait aux questions avant même qu'elles ne soient posées. Ce jour-là, il lui montra une nouvelle fois à quel point il était investi dans cette aventure et qu'il n'avait aucune envie de la perturber. Au contraire, il se positionnait comme un véritable atout. Sans oublier qu'il lui avait sauvé la vie. La Gardienne s'exprimait très peu, mais elle n'oubliait pas. Elle lui était redevable en un sens. Grâce à lui, sa cervelle n'avait pas fini explosé sur un vilain bout de rocher qui n'avait pas sa place dans un fleuve.
— Je récupère mes affaires et j'arrive.
Miniel rejoignit les autres femmes de sa tribu, sûrement pour les informer de leur départ imminent. Aymee ignorait toujours si sa compagnie les aiderait ou les ralentirait. Elle était encore sceptique à ce sujet et visiblement, elle n'était pas la seule.
— Tu es certaine que nous pouvons lui faire confiance ? demanda Edwin à sa jeune sœur, la mâchoire légèrement crispée.
— C'est une Waldyme.
— Et alors ? Nous ignorons qui elle est et ce dont elle est capable.
— Tu sais parfaitement que seules les femmes au cœur pur et généreux peuvent rejoindre leur tribu.
— Je sais aussi que les Waldymes sont de véritables guerrières et qu'elles n'ont aucun mal à tuer.
— Détends-toi un peu, répliqua-t-elle tout en laissant un rire mélodieux s'échapper de ses lèvres, signe qu'elle ne ressentait pas la moindre inquiétude.
— Non. Je m'inquiète et je pense que tu devrais réfléchir un peu avant d'accorder ta confiance au premier venu.
Aymee eut presque envie de s'esclaffer à son tour. Il était très mal placé pour la sermonner pour le coup. Il avait sauvé la vie d'une parfaite inconnue et l'avait ensuite suivie dans une quête des plus mystérieuses, sans poser de questions. Niveau naïveté, il était pas mal en son genre... Soit ! Elle n'allait pas se mêler de leur histoire familiale. S'il voulait reprendre sa jeune sœur, cela ne regardait que lui. Pour le moment, elle n'avait qu'une seule préoccupation : comment allaient-ils monter sur ces fichues bêtes ? Aymee était déjà montée à cheval, mais elle n'avait pas encore eu l'occasion de monter sur un loup géant. Comment leur indiquer une direction ? Cet animal n'était-il pas censé être sauvage et indomptable ? De toute évidence, les Waldymes étaient un peuple à part qui réalisait l'impossible.
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