Chapitre 8.2


♪  "Carry You" - Ruelle



     La beauté des lieux l'envoûta quelques minutes supplémentaires, avant qu'elle ne se décide à étendre ses vêtements encore humides dans son sac. Lorsqu'elle tourna la tête, Edwin avait disparu et Esmeralda tentait d'allumer un feu pour faire chauffer les pommes offertes par son père.


— Tu veux que je m'occupe de tes habits ?

— Oh non, ne t'en fais pas. Je le ferai après.


      Esmeralda avait relevé son visage vers elle au moment de sa question. Elle avait d'immenses cernes, mais l'immense sourire qu'elle lui offrit réchauffa immédiatement son teint. La Gardienne ignorait comme elle parvenait à rester aussi heureuse et optimiste, quelles que soient les circonstances, mais elle était admirative.


— Où est parti Edwin ?

— Il est un peu plus loin dans ce tunnel, si tu veux.


     Aymee ne sut interpréter son regard, mais il avait quelque chose de différent. Elle y distinguait une certaine malice, qui n'avait pas lieu d'être. Du moins, elle en était venue à cette conclusion, avant de retrouver son frère et de comprendre sa petite manigance.


— Bordel...


     À peine arrivée dans cette nouvelle partie de la grotte, elle avait fait volte-face et tourné le dos à Edwin. Sa sœur allait le payer très cher... Il venait de se déshabiller pour faire sa toilette, si ses suppositions étaient bonnes. Au moins, elle n'avait eu le droit qu'à la vision de son postérieur et rien de plus embarrassant.


— Navrée ! Esmeralda m'a dit que je pouvais te trouver ici, répliqua-t-elle à toute vitesse.


      Bon sang ! Elle aurait dû se douter que sa sœur allait faire ce type de plaisanterie à un moment ou à un autre. Il suffisait de se remémorer la réaction qu'elle avait eu, le matin même, en la voyant à moitié endormie dans les bras de son frère. Elle avait dû croire que sa nouvelle mission était de faire l'entremetteuse et Aymee détestait ça.


     Visiblement, Edwin n'était pas du même avis et son rire résonna dans toute la grotte. Il s'esclaffait de bon cœur et semblait avoir compris à la perfection les raisons qui avaient poussé Esmeralda à faire ça. Un frisson parcourut le corps entier de la Gardienne et ses poils se dressèrent sur ses avant-bras. Elle ne savait pas si elle était embarrassée ou si l'amusement d'Edwin l'impactait indirectement.


— Tu peux te tourner, Aymee.


     Elle ne se l'avouerait jamais, mais elle appréciait la façon dont il venait de prononcer son prénom, avec l'éternelle bienveillance qui le caractérisait si bien. Elle lui fit donc face, tout en se grattant nerveusement l'arrière de la nuque, et put enfin découvrir cette nouvelle parcelle de la grotte. Quelle fut sa surprise lorsqu'elle retrouva Edwin plongé dans une eau chaude ! Il suffisait de voir la vapeur qui en ressortait pour comprendre que sa température était bien plus agréable que celle en extérieur.


— C'est...

— De l'eau chaude ? la coupa-t-il en penchant légèrement le visage sur le côté. Oui. Elle a dû être ensorcelée par quelques mages.

— Épatant !

— Veux-tu te joindre à moi ?


     Aymee ne parvint pas à contenir un petit rire, comme si sa proposition était la plus stupide qui soit. Il était totalement nu dans ce bain chaud. Elle n'allait sûrement pas le rejoindre. Sans oublier qu'Esmeralda aurait besoin d'aide pour le repas et que... Ce n'était absolument pas la vérité. Elle l'avait envoyé ici dans l'optique de la voir passer un peu de bon temps avec son frère.


— Je pense qu'il y a suffisamment de place pour deux. Nous ne serons pas en contact si c'est ce qui te gêne.


     Edwin venait de lire dans ses pensées et le ton délicat qu'il employa suffit à la convaincre. Elle fit un mouvement d'index dans sa direction pour lui faire comprendre qu'il devait se tourner. L'immense sourire qu'il arborait lui fit comprendre qu'il était ravi de pouvoir partager un peu de son temps avec elle. Il ne contesta pas et accéda à sa demande.


     En moins de temps qu'il n'aurait fallu pour le dire, Aymee retira sa cape, ses bottes et le reste de ses vêtements. Elle préféra conserver ses dessous pour ne pas rendre la situation plus gênante qu'elle l'était déjà. Évidemment, elle aurait pu attendre son tour avec patience, mais le froid hivernal qui régnait en dehors de ses murs lui donnait envie de s'y plonger. Elle supportait les vents violents et la neige depuis bien trop longtemps maintenant et son corps avait besoin de se relaxer.


     L'effet fut même immédiat. Sa jambe droite fut la première à rentrer en contact avec l'eau chaude et un frisson lui traversa l'échine. Ses poils se dressèrent sur l'ensemble de son corps et une certaine impatience naquit en elle. Aymee avait envie de ressentir cette sensation dans chaque parcelle de son être.


     La seconde d'après, son corps était plongé dans l'eau et se nourrissait du bien-être que ce bain lui procurait, si bien que la Gardienne ne put contenir un petit gémissement de détente. Toutes ses tensions venaient de s'évaporer soudainement et elle avait l'impression que des ondes positives les entouraient.


— Je crois que je ne quitterais plus jamais cet endroit, avoua-t-elle avec un immense sourire aux lèvres, bien plus que ce qu'elle considérait comme normal.


      Edwin attendit encore un peu, afin d'être certain que sa partenaire de voyage était bien rentrée dans l'eau, avant de se retourner et de constater à quel point elle était heureuse en cet instant. Avec du recul, il ne lui semblait pas l'avoir vue aussi légère et aussi elle-même depuis le début de l'aventure. Tous les problèmes du monde lui glissaient dessus et une bulle s'était créée autour d'eux. Le temps aurait pu s'arrêter, ils n'auraient vu aucune différence.


— Tu es magnifique quand tu souris.


     Ces quelques mots avaient échappé au contrôle d'Edwin et un long silence s'ensuivit. Le sourire de la Gardienne se figea, le temps qu'elle assimile ce qu'il venait de dire, et il finit par se perdre dans la nature. Il était naturel pour elle de se braquer face à de tels commentaires, mais le grand brun en face d'elle ne comprenait pas pourquoi elle agissait de cette manière. Les femmes qu'il avait rencontrées avaient toujours apprécié ses compliments et rentraient même parfois dans un jeu de séduction avec lui. Aymee n'était pas comme elles et il le savait très bien. Seulement, tout était sorti tout seul. Il ne l'avait pas dit dans l'espoir de la charmer, comme il aurait pu le faire avec les autres. Il le pensait sincèrement et c'était peut-être ce qui les terrifiait le plus tous les deux. Aucun n'osa reprendre la parole pendant plusieurs minutes. La jeune femme avait profité de ce laps de temps pour prêter attention aux mouvements de l'eau contre sa peau. Pourtant, aussi agréables soient-ils, elle plongea dans une intense réflexion sur la raison de son attitude. Pourquoi se refermait-elle avec une telle brutalité ? Pourquoi n'acceptait-elle pas que l'on s'attache à elle ? Visiblement, elle n'était pas la seule à s'interroger puisque son principal interlocuteur reprit la parole.


— Pourquoi es-tu aussi gênée des contacts que tu peux avoir avec les autres ?

— Comment ça ? répliqua-t-elle tout en feintant une totale incompréhension, alors qu'il venait de toucher une corde sensible.

— Je pense que tu sais très bien de quoi je parle.


     Edwin ne la regardait pas avec agacement. Au contraire. Il avait un sourire empli de bienveillance à son égard et il était prêt à l'écouter bien plus qu'à la juger. Il voulait simplement la comprendre et il ne cherchait pas à avoir des éléments pour lui faire du mal. Aymee l'avait compris et visiblement cela lui permit d'être assez en confiance pour se livrer à lui. Ses sourcils se froncèrent légèrement et elle baissa un instant les yeux en direction de l'eau qui entourait leur corps. Elle n'était pas sûre de vouloir passer aux confessions en le regardant droit dans les yeux. Pas pour le moment.


— Je... Hum... commença-t-elle avant de se racler la gorge et de tenter de se ressaisir. Je pense que je suis comme ça depuis le décès de mon père. Toutes les personnes que j'ai aimées ont fini par me quitter, volontairement ou non...


     La Gardienne repensait à son père qui avait quitté ce monde bien trop tôt et dans des circonstances mystérieuses. Il y avait également Tina, son ancienne voisine, qui avait fini par quitter le continent pour vivre ses propres rêves. Sans oublier les autres. Tout ceux à qui Aymee avait essayé de donner sa confiance un jour et qui l'avait brisé. Combien d'entre eux avaient utilisé la disparition de son père pour l'atteindre ? Combien avaient retourné ses confidences contre elle ? Combien avaient trahi sa confiance pour répéter ses faiblesses aux autres habitants d'Aphatis ? Elle ne les comptait même plus. C'était triste à dire, mais elle avait fini par perdre foi en l'amour et en l'amitié. Ashton et sa mère étaient l'exception à la règle, mais elle refusait de s'attacher à d'autres personnes au risque d'être déçue... Enfin, elle l'avait souhaité, jusqu'à ce qu'elle rencontre Esmeralda et Edwin, dont la sagesse et la bienveillance rythmaient son séjour.


— ... J'ai fini par me dire que ça ferait moins mal. Que garder mes distances avec les autres me permettrait de ne plus ressentir toutes ces déceptions, de ne plus vivre aucune trahison, souffla-t-elle entre ses lèvres, avant d'oser planter son regard noisette dans celui d'Edwin, qui l'écoutait avec une attention déconcertante. J'ai fini par perdre foi en l'amour. J'ai fini par penser que la solitude ne serait jamais aussi blessante que l'amitié. Que tout ça n'en valait pas la peine. Que j'étais la seule sur qui je ne pourrais jamais compter.

— Ce n'est pas vrai, Aymee...


     Avant de reprendre la parole, Edwin se laissa transporter par l'eau, jusqu'aux côtés de la jeune femme. Son visage exprimait un tel sérieux, qui pouvait faire perdre les moyens à n'importe qui.


— Tout ce que je t'ai dit, je le pense sincèrement. Tu es quelqu'un d'honnête, dont la joie est contagieuse. Tu ne le vois peut-être pas, mais tu as bien plus à apporter au monde que ce que tu imagines. Tu ne dois pas laisser tes blessures passées, les cicatrices que tu portes en toi, définir qui tu es.

— Je suis sûre que tu dis ça pour me rassurer, répliqua-t-elle avec un sourire légèrement amusé et secouant le visage de gauche à droite.

— Je ne mens jamais. Ton regard montre le combat que tu vis à l'intérieur de toi, à chaque instant. Il montre avec quelle vivacité tu essaies de ne pas faire ressortir le meilleur de toi, au risque d'être blessée. Mais parfois, cela échappe à ton contrôle et ces moments-là sont ceux que j'ai préféré passer en ta compagnie.


     Le cœur d'Aymee rata un battement. Edwin ne s'en rendait peut-être pas compte, mais il venait de formuler ce qu'elle avait besoin d'entendre depuis des années. Depuis le début de son discours, elle scruta ses iris presque aussi noirs que ses cheveux. Elle s'abreuvait de ses paroles, comme elle aurait pu boire de l'eau après des jours de déshydratation. Elle voulut le remercier pour ce qu'il venait de lui confier, mais la situation échappa peu à peu à son contrôle. Pour la première fois depuis des années, elle laissa ses pulsions la guider bien plus que sa raison. Et cela faisait du bien ! Lentement, son attention dévia vers ses lèvres gercés à cause de la température extérieure, mais elle ne s'y attarda pas longtemps.


     Aymee était incapable d'expliquer la force invisible qui l'avait attirée vers Edwin à ce moment-là, mais son corps se rapprocha du sien. Un choc électrique sembla parcourir son être tout entier lorsque leurs lèvres se frôlèrent au bout de plusieurs secondes interminables. Elle ne saurait dire combien de temps elles se mouvèrent l'une contre l'autre, mais elle aurait voulu que cet instant dure une éternité. Il n'était rien qu'à eux et elle ne voulait pas prendre le risque de le voir filer entre ses doigts. Pourtant, ils furent bien obligés lorsque la voix d'Esmeralda retentit à travers toute la grotte, les invitant à venir manger. La Gardienne se retrouva contrainte de s'éloigner de son ami et ses joues virèrent immédiatement au rouge vif. Elle avait l'impression de se réveiller d'un rêve qu'elle aurait aimé ne jamais avoir à quitter.

     Edwin finit par quitter l'eau chaude et enfiler son pantalon. Son chemisier avait fait office de serviette et quand il fut à peu près sec, il s'approcha du bassin pour tendre la main à Aymee.


— Merci.


     Elle ne sut quel sortilège il venait de lui lancer, mais au lieu de cracher sur son aide, elle attrapa sa main et accepta qu'il l'aide à sortir d'ici. En toute galanterie, il détourna le visage et lui passa son haut pour qu'elle puisse elle aussi retirer l'eau qui ruisselait le long de son corps. Aymee s'appliqua à la tâche non sans un regard en direction du torse d'Edwin. Une immense cicatrice traversait ses côtes et il était impossible de passer à côté de celle-ci. Ses sourcils se froncèrent légèrement et elle lui posa la question qui lui brûlait les lèvres à cet instant précis.


— Comment as-tu eu ta cicatrice ?

— Oh, ça ? souffla-t-il comme s'il s'agissait de la chose la plus banale du monde. Je me suis retrouvé nez-à-nez avec un loup géant en rogne. Nous ne nous sommes pas faits de cadeau.


      La Gardienne n'était pas originaire de ce monde, mais elle savait très bien que ces rencontres débouchaient sur une mort certaine. Si Edwin était encore là, il avait très certainement ôté la vie à cette créature. Son histoire était bien plus passionnante que les siennes. Il y avait celle qu'elle avait au niveau du ventre, dû à un coup de couteau mal placé d'un des élèves de l'Institut. Ses cuisses n'avaient pas été épargnées non plus. Il y avait le coup de poignard qu'elle avait reçu lors de son agression dans la rue, mais également des vergetures apparues après le décès de son père et sa fluctuation de poids durant de longues années. Leur histoire n'était pas bien passionnante, mais elle avait appris à vivre avec et à accepter qu'elle racontait comment elle était devenue celle qu'elle était à présent. Ses cicatrices étaient là pour attester de toutes ses aventures, tout comme celles d'Edwin. 


*

Hello à vous ! J'espère que vous allez tous bien. J'ai pris énormément de plaisir à écrire ce chapitre et j'espère qu'il vous aura plus. Le trio fait un petit arrêt dans leur voyage. Je serai curieux de savoir ce que vous pensez de tout ça pour le moment et si vous avez des points à améliorer sur ce début de récit. 

En attendant, je vous souhaite une belle fin de semaine et à bientôt :)

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