Chapitre 7.1


♪  Crystallize - Lindsey Stirling



     Les premiers rayons du soleil pénétrèrent la grotte dans laquelle ils avaient trouvé refuge. Enfin ! La nuit avait été glaciale. Ils avaient mis plus d'une heure à allumer un feu et le vent avait eu raison de leurs exploits au beau milieu de la nuit.


     La proximité physique ne plaisait pas du tout à Aymee, pourtant, elle avait fini par s'y résoudre pour ne pas mourir de froid. Bien loin de se dérober à ses principes, la Gardienne avait préféré laisser la place du milieu à Edwin. Être coincée entre les deux enfants de Tosmar ne la tentait guère, quand bien même ils étaient gentils et bienveillants envers elle.


     Néanmoins, quand elle se reconnecta peu à peu à la réalité, elle constata que cela n'avait pas suffi. Edwin avait pris quelques libertés. Sa tête reposait au creux de son épaule et son bras était déposé sagement contre son ventre. Comment n'avait-elle pas pu sentir sa présence ? Elle était pourtant certaine que même inconsciente elle aurait étripé quiconque la touchait contre son gré.


      Malgré tout, la jeune femme ne put s'empêcher de sourire en le voyant ainsi. Il était paisiblement plongé dans un monde de rêve et d'insouciance duquel elle n'avait pas envie de le sortir. Sa bouche était légèrement entrouverte et laissait glisser son souffle chaud contre la peau de son cou, à l'origine d'un léger frisson chez la Gardienne. Au milieu de son front tombait une des boucles de ses cheveux et, à l'abri des regards, Aymee y faufila sa main pour tenter de la remettre en place. Peine perdue, sa mèche retomba à l'endroit même où elle était déposée quelques instants plus tôt, ce qui lui donna presque envie de rigoler.


     Elle l'aurait d'ailleurs fait si Esmeralda n'avait pas commencé à émerger de son sommeil, dans un grognement semblable à celui d'un troll. La Gardienne aurait pu se moquer d'elle, si elle n'avait pas eu le bras de son frère enroulé autour de sa taille. Au contraire, prise de panique, elle repoussa l'avant bras d'Edwin et tenta de se dégager. Mais elle ne fut pas assez rapide pour éviter le sourire surpris et malicieux d'Esmeralda. Par tous les mages, elle aurait le droit à des commentaires tout au long de la journée 


— Bien dormi ? questionna-t-elle avec un sourcil arqué qui avait tant de sous-entendus possibles.

— Pas très bien. J'ai essayé de rallumer le feu avant qu'il ne s'éteigne, mais un souffle glacé a envahi la grotte.


     Aymee n'avait aucune envie de rentrer dans son jeu et avait tenté de répondre avec le plus de détachement possible. À en juger par sa moue, ce n'était pas la réponse qu'elle attendait. Tant mieux ! La Gardienne avait autre chose à faire que de lui démontrer par tous les moyens possibles qu'elle n'était pas attirée par son frère.


     Dans ce cas, pourquoi était-ce si dérangeant qu'Esmeralda voit son bras déposé contre elle ? Pour quelle raison jugeait-elle bon de paraître détachée de toutes les situations épineuses ? Sans doute s'agissait-il de l'image qu'elle tentait de se donner auprès des autres ? Ou bien de la peur de leur dévoiler ses faiblesses ? Aymee l'ignorait, mais en vérité, elle avait vu son père trahi bien trop de fois lorsqu'elle était enfant. Sa bonté et sa bienveillance avaient eu raison de lui et plusieurs de ses amis l'avaient dupé pour atteindre le succès ou pour obtenir ce qu'ils désiraient. Elle avait même surpris plusieurs échanges entre lui et sa mère à ce sujet. Assise dans les escaliers de leur petite maison, elle avait écouté son père ruminer et rechercher ce qu'il avait pu faire de mal. Dans l'esprit d'une petite fille, le raccourci avait été rapidement pris et elle avait jugé préférable de penser que toutes les personnes à qui elle donnerait sa confiance finiraient par lui planter un couteau dans le dos, un jour ou l'autre.


     Maintenant qu'elle avait atteint un certain âge, elle se rendait compte que le monde était rempli de nuances et que des gens comme son père peuplaient les différentes planètes. La preuve en était : Esmeralda et Edwin étaient emplis de bonté et ne se fermaient pas à ce qui les entourait, malgré les difficultés de la vie.


— J'ai quelques pommes qui traînent dans mon sac, grommela Edwin d'une voix rauque.


     À l'instant même où il se mit à parler, à demi-réveillé, Aymee ne put se retenir de sourire. Il y en avait au moins un qui avait bien dormi ! Heureusement pour elle, il n'était pas assez réveillé pour remarquer le regard tendre de la Gardienne, mais Esmeralda n'en rata pas une miette. Hilare, elle se balança d'avant en arrière, comme un enfant qui s'extasiait devant un jouet.


— Aymee ? Le sac, lança la benjamine, comme pour la faire se reconnecter à la réalité.


     Elle n'y manqua d'ailleurs pas. La jeune Clayton n'était pas du genre à rougir et, pourtant, elle sentit ses joues devenir brûlantes à la suite de ses propos. Esmeralda avait assisté à toute la scène et elle ne manquerait pas de le lui rappeler tout au long de la journée. C'était une certitude.


— Oui, tout de suite.


     Aymee secoua son visage de gauche à droite, comme pour oublier ce qu'il venait de se produire, et se pencha pour attraper le sac d'Edwin. Ils y avaient laissé une bonne partie de leurs réserves et, au vu de la météo là dehors, ils ne pourraient pas chasser. Quelques fruits feraient l'affaire, sans oublier que la tribu de l'Épée Rouge n'était plus très loin. Le trio pouvait espérer y trouver refuge la nuit suivante, s'il se débrouillait bien et qu'il n'y avait pas d'embûches sur la route.


     Sur ces quelques réflexions, elle lança une des pommes à Esmeralda et en déposa une autre sur le torse d'Edwin. Aymee n'était plus très loin des mages les plus réputés du continent. Elle avait besoin d'eux pour poursuivre sa quête et elle espérait obtenir les réponses qu'elle cherchait par-delà les montagnes. Elle n'avait plus beaucoup de temps devant elle.


     Quelque peu nerveuse, la Gardienne croqua à pleines dents dans sa pomme et fixa le sol de cette grotte de longues minutes durant. Suffisamment pour que ce soit une voix masculine qui la fasse revenir à la réalité. Toute son attention était à présent rivée vers la quête, le devoir qu'elle devait accomplir. Alors, quand Edwin lui proposa de se remettre en route, elle se redressa et attrapa son propre sac, ni une ni deux.


— Je suis prête.

— Je vois ça, lança-t-il avec un petit rire, face à sa détermination sans égale. Allons-y.


*


     Le trio marchait depuis une bonne heure déjà et avait entamé une longue discussion sur l'histoire du territoire. Aymee avait ainsi pu en apprendre davantage sur ce qu'il s'était produit en ces lieux. L'Institut leur avait expliqué comment le continent d'Eyama était venu à se diviser en quatre tribus, mais ils n'avaient pas eu des cours d'Histoire approfondis sur le sujet. De toute manière, les Gardiens n'auraient jamais pu en avoir. Les tensions étaient toujours quelque chose de complexe et ils avaient pu apprendre qu'il n'existait pas qu'une vérité fondamentale. Plusieurs versions subsisteraient et le vécu serait différent d'une tribu à l'autre. Pourtant, du point de vue d'Aymee, il restait important de se renseigner et d'essayer de comprendre ce que la personne en face avait pu vivre.


— Les enfants de l'Aile Ancienne ont encore du mal à faire confiance aux étrangers, poursuivit Edwin, les bras se balançant le long de son corps au rythme de sa marche.

— Pour quelle raison ?

— Il y a quelques années, nous avons donné refuge à des habitants de l'Aile d'Acier. Ils se disaient être des rebelles, contre l'idéologie de leur dirigeante, expliqua la benjamine de la fratrie, en se mordillant avec nervosité l'intérieur de la joue.

— Leur dirigeant l'a découvert et est passée à l'offensive ? s'interrogea Aymee, bien loin de connaître la véritable histoire d'Eyama.

— Pire encore. Ce groupe n'était pas constitué que de rebelles. Il y avait aussi des espions et ils nous ont attaqués en pleine nuit, après avoir tué les traîtres à l'Aile d'Acier.


     Un frisson parcourut son échine, lorsqu'elle se mit à imaginer les atrocités qu'ils avaient pu vivre. Les espions n'avaient aucun scrupule, comme ils avaient pu le voir à l'auberge, un peu plus tôt. Ils pénétraient des lieux sans défense et attaquaient ou piochaient des informations qui pourraient être utiles pour la suite. S'ils s'en étaient pris à eux, ils auraient très bien pu s'en prendre à des femmes ou à des enfants, pendant leur sommeil... Aymee n'osait poser la question aux descendants de Tosmar, parce qu'elle savait que leur réponse ne lui conviendrait pas. Les actes de barbarie étaient présents, peu importe la planète dans laquelle ils se trouvaient. Rien ne pouvait les justifier. Pas même des petites guerres entre territoire, pas même une quête du pouvoir. Des êtres déshumanisés prenaient la vie de parfaits innocents, sans aucune raison apparente.


— Je pense que la tribu de l'Épée Rouge n'a toujours pas digéré le changement de territoire, clama Esmeralda, l'air songeur et absent.

— Ce ne serait pas étonnant. Autrefois, tous les mages étaient réunis au sud du continent, où est située la plus puissante source de magie.


     Aymee avait lâché ses paroles avec un petit haussement d'épaules. Elle ne connaissait pas toute l'histoire d'Eyama, mais elle avait en sa possession un bon nombre de connaissances sur la magie. Ce n'était guère étonnant puisqu'il s'agissait de la matière qu'elle avait le plus apprécié au cours de ses années à l'Institut.


     Quoi qu'il en soit, à l'époque, une bonne partie des mages s'étaient réunis aux abords d'une plage et pas pour n'importe quelle raison. Un filao, grand et majestueux, longeait les bords de mer. En ce lieu résidait la plus puissante source de magie d'Eyama. Les légendes disaient que l'arbre avait été ensorcelé par Ieyr, des centaines d'années auparavant. Cet homme était le plus grand guide que ce peuple puisse avoir. Les livres narraient ses exploits, ses sortilèges les plus étonnants et difficiles à reproduire. Il était un symbole.


— Pour une femme qui vient d'une petite île, tu connais assez bien l'histoire de notre territoire, s'étonna Esmeralda, enveloppée dans son épaisse cape qui lui offrait tout le confort possible dans ce froid de plus en plus tenace.

— J'essaie de me renseigner un minimum et mon père aimait beaucoup me transmettre ses connaissances lorsque j'étais plus jeune.


     Pour une fois, Aymee ne mentait pas à ses compagnons de voyage. Tout ce qu'elle savait sur Eyama, elle l'avait appris dans les livres à l'Institut ou dans son lit d'enfant, lorsque son père venait la border. Elle se souvenait parfaitement du nombre de fois où elle lui avait demandé de rester plus longtemps, de lui raconter une nouvelle histoire sur cette planète pas si lointaine. La plupart du temps, la fatigue gagnait sur sa curiosité et elle s'endormait au milieu d'une explication passionnante. Lorsque Thomas repartait en mission, elle devait parfois attendre plusieurs semaines pour connaître la fin. Une véritable torture pour une enfant impatience.


— Il doit te manquer, lança à nouveau la benjamine, avec une légère moue désolée et compatissante. Pour ma part, il ne passe pas un jour sans que je pense à notre mère et à ce qu'elle a pu devenir. Je me sens un peu coupable de ne pas avoir pu faire davantage...

— Ne dis pas de sottises, Esmeralda ! la réprimanda son frère, qui sortait enfin de son silence prolongé. Elle nous aimait et je suis certain qu'elle n'aurait pas voulu que tu mettes ta vie en danger pour elle.

— Tu parles comme si elle n'était plus là...

— Je n'en sais rien, mais tu as entendu ce qu'a dit le Conseil. Une attaque se prépare, mais pour qu'elle soit réussie, nous ne devons pas nous précipiter. Nous devons prendre le temps de songer à toutes les éventualités possibles.

— Mais j'en ai assez d'attendre ! Je veux me battre ! lança-t-elle avec cette petite flamme dans le regard qu'Aymee n'avait jamais vu auparavant, une détermination sans égale.


     La seule réponse de son aîné fut un long soupir qui lui fit comprendre qu'il était du même avis qu'elle, mais qu'il ne serait pas raisonnable de se précipiter. Une certaine ambivalence subsistait, mais la Gardienne la comprenait parfaitement. Choisir entre la raison et son devoir n'était pas chose aisée. La patience se révélait être la meilleure réaction à avoir ; le temps aidait inéluctablement à la meilleure prise de décision qu'il soit. Il ne fallait jamais se précipiter, même si Aymee avait encore du mal à se faire à cette idée. 


*

Hello ! Je suis désolé du temps d'attente pour la publication de ce chapitre. Je vous rassure, ma motivation n'a pas baissé. Je n'ai juste pas eu le temps d'écrire ces dernières semaines. J'espère que ce chapitre vous aura plus et que le temps d'attente ne vous aura pas stoppé dans votre lecture ou retiré toute envie de lire. Autrement, comment s'est passée la rentrée, de votre côté ? :) 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top