Chapitre 3.1
♪ : Blood of My Blood - Ramin Djawadi
Aymee n'avait aucune idée de ce qui avait pu se passer pendant son sommeil. Ses paupières étaient terriblement lourdes et elle peinait à les ouvrir. Elle eut besoin de quelques minutes pour s'habituer à l'obscurité de la pièce, qui était d'ailleurs pratiquement vide. Des livres et des luminaires étaient entreposés en désordre sur une sorte d'armoire de pierre. La Gardienne était allongée sur une paillasse encastrée dans un bâti en bois. À la différence du lit qui se trouvait à sa gauche, elle n'avait pas eu la chance de bénéficier d'une couverture, et dans son dos se ressentait les multiples piqûres que lui infligeait la paille et les feuilles sèches.
Un froncement de sourcils assombrit un peu plus son visage quand elle prit conscience qu'elle n'était peut-être pas chez Edwin. Elle tenta alors de rassembler ses forces pour se redresser, mais une intense douleur à l'abdomen la rappela à l'ordre. Son corps retomba lourdement contre la paillasse, alors qu'Aymee serrait les dents de douleur. Ce foutu berglimo ne l'avait pas loupée ! Elle releva sa chemise noire, de ses mains tremblantes et dépourvues d'énergie, avant de constater que sa plaie avait déjà été prise en charge. Son ventre était barré d'un pan de tissu blanc. Prise de panique, elle voulut le retirer lorsqu'une voix l'interrompit.
— Tu es réveillée ! Eh bien, on peut dire que tu as le sommeil profond !
Cette intonation n'avait visiblement rien de masculin, ce qui lui confirma qu'elle n'était pas chez Edwin. Une grande femme à la chevelure d'ébène lui fit face et s'approcha de son lit, une lanterne en fer à la main. Quand elle tira une chaise en bois pour s'installer près d'elle, Aymee eut tout le loisir de la détailler du regard. À en juger par sa peau lisse et éclatante, elle devait avoir approximativement son âge. Ses pupilles étaient presque aussi sombres que ses cheveux et tout son être dégageait des ondes à la fois réconfortantes et énergisantes. Pourtant, cela n'était pas suffisant pour la tirer du lit.
— Je suis Esmeralda, la sœur d'Edwin, commença-t-elle avec un doux sourire. Il t'a ramenée chez nous, au village de Maït, après ton accident.
À en juger par la précision de ses propos, Esmeralda cherchait à se montrer bienveillante et à orienter la jeune gardienne, alors même qu'elle venait de se réveiller dans un endroit qui lui était totalement inconnu. Les connaissances qu'elle avait lui permirent de situer Maït à une ou deux heures de marche d'Asporg. Toute cette mésaventure ne lui avait pas permis de suivre son itinéraire de base et elle avait fini par atterrir dans un endroit assez inattendu. Aymee adorait l'aventure et appréciait d'autant plus quand le destin la faisait s'écarter de son chemin de départ. Certes, Maït n'était pas ce qu'elle avait désiré, mais ce n'était pas plus mal pour autant. Elle pourrait très bien commencer sa recherche du prisonnier à partir de ce village, sans oublier qu'elle devait retrouver ce mystérieux cube qui causait un profond tourment à tous les membres du Conseil.
Les sourcils légèrement froncés, elle se laissa aller à ses pensées et se mit à réfléchir à la meilleure stratégie à adopter pour retrouver ce prisonnier. Sans plan, autant chercher une aiguille dans une botte de foin... Le Conseil aimait les envoyer en mission, mais il ne leur donnait pas de pistes pour autant. Les Gardiens devaient faire leurs preuves et se débrouiller seuls. Toujours. Ce n'était pas pour déplaire à Aymee qui était parfois un peu trop individualiste sur les bords. Soit ! Il s'agissait là d'un vilain et futile petit détail. Rien d'alarmant.
— Tout va bien ? lança Esmeralda, en se penchant légèrement dans sa direction, visiblement inquiète face à sa courte absence.
— Hum, oui... bredouilla-t-elle entre ses lèvres, tout en se souvenant qu'elle ne s'était jamais présentée, que ce soit à elle ou à son frère. Je suis Aymee. J'aimerais pouvoir te dire que j'appartiens à un clan en particulier, mais je me contente de voyager au gré de mes envies, sur ce vaste territoire.
La Gardienne lui offrit un doux sourire, espérant que cela serait suffisant pour ne pas s'étaler trop longuement sur le sujet. La situation d'Eyama était bien trop compliquée pour qu'elle ait envie de s'immiscer dedans. Prendre parti pour un territoire lui ferait inévitablement perdre l'accès aux autres et elle n'avait pas besoin de ça pour venir compliquer sa mission. Jouer la carte d'une femme nomade et aventurière lui paraissait être plus logique à cet instant.
— Oh, je vois ! Eh bien, j'espère que Maït saura gagner ton cœur.
Visiblement, Esmeralda était quelqu'un d'ouverte et d'enjouée, qui n'avait pas de mal à maintenir une conversation. Elle admirait cette qualité qu'elle n'était pas parvenue à acquérir au cours des années. En revanche, elle débordait un peu trop d'énergie pour elle, à cet instant. Le poison qu'avait diffusé le berglimo, dans son organisme, avait suffi à la clouer au lit au moins une journée supplémentaire. Aymee n'avait pas de quoi se réjouir, elle qui n'avait pas de temps à perdre pour réaliser sa mission. Elle était une personne de terrain, pas une passionnée des grasses matinées qui n'en finissaient jamais. Pourtant, elle serait bien obligée de faire avec, au risque d'empirer son état.
— Je vois que tu as fait connaissance avec ma jeune sœur, répliqua l'homme qui venait d'entrer dans la chambre et dont le visage ne lui était pas inconnu. J'espère qu'elle ne t'a pas trop dérangée.
— Rassure-toi, Edwin, en ma présence, elle ne se blesse et ne s'évanouit pas, lança Esmeralda avec un doux sourire sarcastique, qui ne tarda pas à faire rire son frère.
Aymee pensait avoir fait mauvaise impression auprès de ce grand brun et, pourtant, il lui était venu en aide sans se poser de question, preuve d'un très grand altruisme. À sa place, elle ne saurait dire comment elle aurait réagi. Elle ne l'aurait pas abandonné à son triste sort, en pleine forêt, mais elle ne l'aurait pas hébergé non plus. Les raisons étaient simples : il l'aurait ralentie dans sa mission et elle n'aimait pas se sentir responsable de quelqu'un.
— Avant d'y aller, je t'ai déposé quelques vêtements sur cette chaise, expliqua la benjamine de la fratrie, tout en lui désignant le lieu en question d'un léger mouvement de tête. Si demain matin tu te sens un peu mieux, enfile-les et rejoins-nous de l'autre côté.
Sur ces quelques paroles, Esmeralda déposa un instant la paume de sa main sur son épaule, avant de se redresser et de quitter la chambre, la laissant seule en compagnie d'Edwin. Elle ne pouvait pas nier qu'elle était terriblement mal à l'aise en sa présence. Elle n'était pas sûre de mériter tous les soins qu'ils lui avaient prodigués. Elle s'était comportée comme une véritable peste à son encontre. Peut-être que Markus l'avait bien agacée avant lui, mais ce n'était pas une excuse.
— Je te remercie de m'avoir soignée, souffla-t-elle entre ses lèvres, tout en réunissant le maximum de ses forces pour se redresser contre le mur en pierre, incapable de retenir un petit rictus de douleur.
— C'était la moindre des choses... Je ne pensais pas qu'une petite plaisanterie sur ta carte te ferait tomber à la renverse.
Il ne put contenir un léger sourire, alors même qu'il avait commencé à parler avec le plus grand sérieux du monde. Tout en prenant place sur la chaise que sa sœur venait de quitter, il guetta la réaction d'Aymee. Comme dans la forêt, elle présentait un visage grave, qui montrait parfaitement qu'elle n'aimait pas recevoir des piques. Pourtant, compte tenu de l'ironie de la situation, elle ne put s'empêcher de rire de bon cœur. La situation était particulièrement stupide, elle devait bien l'avouer.
— Je n'apprécie seulement pas que l'on critique mes talents de cartographe.
— Quel talent ?
Son interlocuteur arqua un sourcil d'un air si exagéré qu'il provoqua une nouvelle fois un soupir d'amusement chez la blessée. La Gardienne dut reconnaître que l'intense fatigue qu'elle ressentait l'empêchait de rester aussi sérieuse que d'habitude. Ses nerfs avaient lentement lâché. Elle n'était plus maître de son propre corps et les rôles avaient été échangés. Comme pour lui faire une démonstration de son pouvoir sur elle, elle ressentit une violente douleur à l'abdomen et elle se trouva incapable de contenir son gémissement, quand bien même elle serrait les dents. D'une poignée de main ferme et brutale, elle retira le bandage qui entourait sa blessure pour mieux entrevoir les dégâts qui avaient été faits. Une épaisse couche verte recouvrait sa plaie.
— Ta réaction est tout à fait normale ! s'exclama Edwin en saisissant sa main qu'elle s'apprêtait à déposer sur la sorte de pommade. N'y touche pas.
— Qu'est-ce que c'est ? râla-t-elle entre ses lèvres, avec une seule envie en tête : couper le feu qui naissait dans son estomac et la brûlait de l'intérieur.
— C'est une plante médicinale qui vient du territoire de l'Épée Rouge, appelée l'algatin. Tu dois sûrement la connaître.
Aymee se contenta de hocher simplement la tête. Elle en avait déjà entendu parler dans quelques-uns de ses ouvrages. Cette plante avait des propriétés magiques qui permettaient une cicatrisation rapide, tout en arrêtant la propagation d'un quelconque poison. Elle était très rare, puisqu'elle ne poussait que dans des températures extrêmes. En l'occurrence, Edwin avait dû la trouver lors d'une escapade dans le nord du territoire ou bien au cours d'un marché noir.
— Ce n'est pas agréable et la sensation de brûlure va durer encore plusieurs minutes, lança-t-il en se redressant, lâchant finalement sa main qu'il avait retenue un peu plus tôt. De ce fait, je vais te laisser te reposer. Je t'ai laissé une coupe pleine d'eau à côté de ton lit.
La jeune femme était reconnaissante du respect qu'il avait envers elle. Voir son visage était la dernière chose qu'elle souhaitait, lorsqu'elle hurlerait de douleur et se tordrait dans tous les sens. Les prochaines heures ne seraient pas de tout repos. Elle le savait parfaitement grâce à ses connaissances. Aucune rancune ne persistait à l'encontre d'Edwin. L'algatin était peut-être la seule plante capable d'arrêter la propagation d'un poison aussi mortel que celui d'un berglimo. Il n'avait sûrement pas eu d'autres choix en un aussi faible laps de temps.
Son interlocuteur lui fit un léger signe de tête, en guise de salutation, et quitta la pièce aussi rapidement qu'Esmeralda. Les mots manquèrent à Aymee pour qualifier les minutes qui suivirent. La sensation de chaleur fut si intense qu'elle eut l'impression qu'on lui calcinait la peau. Un fer chaud déposé contre elle aurait certainement été moins douloureux. La Gardienne referma ses poings avec une telle force qu'elle enfonça ses ongles dans son épiderme. Elle y laissa même des petits croissants de lune rougis, à la limite du saignement. Pourtant, elle était incapable de sentir une quelconque douleur ailleurs que dans son estomac. Elle hurlait de douleur, secouant ses pieds sur la paillasse, comme si cela allait changer quelque chose. Elle avait envie de s'enfoncer les mains à l'intérieur d'elle-même, de s'arracher sa propre chair dans l'espoir de faire cesser ce combat qui faisait rage dans son propre corps. De petites perles salées ruisselèrent le long de ses joues jusqu'à s'abattre dans sa chevelure, tandis qu'elle tapait sa tête dans l'optique que tout cela s'arrête enfin. Elle allait devenir folle... Complètement folle... Elle ne parvenait plus à respirer correctement. Son souffle était haletant et elle commençait à voir de petits points noirs danser devant ses yeux. Au bout de plusieurs dizaines de minutes, qui pouvaient s'apparenter à une éternité, la torture passée ne semblait être qu'un amer souvenir. Ce n'était plus uniquement sa plaie qui s'était enflammée, mais son corps entier. Aymee avait chaud, terriblement chaud. Elle avait perdu le contrôle, jamais elle n'aurait dû s'éloigner de Markus... Recroquevillée sur elle-même, elle laissa sortir les dernières larmes qui lui piquaient les yeux, avant de s'endormir, prise d'un intense besoin que tout s'arrête autour d'elle.
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