Chapitre 10.2
♪ Claudie Mackula - "Moonlight"
Quel charmant accueil ! Visiblement, il était sur ses gardes et la suite lui confirma cette hypothèse. Le mage tenait avec fermeté une lance et semblait prêt à l'envoyer droit dans leur crâne au moindre faux pas. Ils ne devaient pas avoir beaucoup de visiteurs à Belris ou bien ils n'étaient jamais revenus.
— Tu peux te détendre, Frys. Je viens voir mon père.
— Oh, Miniel ! Je suis ravi de te revoir. Qui sont ses individus ?
— Des amis.
La Waldyme jeta un bref regard dans leur direction et leur fit signe de descendre de leur loup. Ni une ni deux, ils s'exécutèrent et furent même ravis de remettre pied à terre. Ils commençaient à être tout engourdis, eux qui étaient sans cesse en déplacement.
— Nous allons passer la nuit ici.
— Avec plaisir. Nous allons préparer vos couches.
Aymee n'aurait pas pu rêver mieux. Elle allait enfin pouvoir dormir sur quelque chose d'à peu près confortable. Le sol d'Eyama n'était pas particulièrement confortable et elle commençait à avoir le dos complètement rouillé. La suite de sa quête s'avérait être plus difficile et elle comptait bien reprendre des forces. Elle ne s'inquiétait pas tellement pour le moment, mais lorsqu'elle tomberait nez à nez avec les prisonniers, la partie ne ferait que commencer pour elle. Aymee allait devoir les neutraliser et les reconduire jusqu'au portail. Elle ignorait encore comment elle allait s'y prendre, mais elle avait encore le temps de songer à ces détails. Une nuit pour être exact, mais elle avait bon espoir.
— Je suis affamée, annonça Esmeralda en se rapprochant d'eux.
Était-elle sérieuse ? Ils avaient mangé quelques heures auparavant et venaient tout juste d'arriver à destination. Aymee avait senti une vague d'énergie et d'excitation l'envahir. Elle sentait que cette nouvelle étape marquerait un tournant pour elle. Esmeralda, quant à elle, n'était pas dans la même optique. Elle pensait surtout à son confort et à son estomac à remplir. D'un autre côté, la Gardienne pouvait la comprendre quand elle voyait à quel point ils avaient pu être sous-alimentés ces derniers jours. En y repensant, elle-même ne refuserait pas un véritable dîner. Ils auraient pu prendre davantage de temps pour chasser ou rechercher des vivres, mais elle devait avouer qu'elle ne les avait pas ménagés. Elle avait foncé vers Belris et était restée focalisée sur son objectif, sans penser à la santé de ses camarades. Elle s'en rendait compte maintenant, mais elle n'aurait pas changé son attitude pour autant. L'horloge tournait et elle devrait bientôt retourner sur sa planète. Aymee n'avait pas le temps pour de la chasse ou de l'exploration.
— Esmeralda ? Edwin ?
Alors que le trio s'enfonçait un peu plus loin dans la grotte, une voix surprise les interrompit. Un homme un peu plus grand qu'Edwin se tenait devant eux. À en juger par la couleur de ses yeux aussi sombres que ses cheveux, il ne pouvait s'agir que d'Elder. Son teint était beaucoup plus clair que celui de sa famille, mais il n'y avait rien d'étonnant. Il vivait dans des montagnes enneigées et le soleil se laissait souvent désirer. Aymee n'aurait pas pu le supporter toute sa vie. Elle adorait sentir cette douce et agréable chaleur sur sa peau. Pour rien au monde elle ne voudrait oublier cette sensation. Quoi qu'il en soit, son attention restait portée vers Elder, plus que surpris de voir son frère et sa sœur dans les parages. Ils n'avaient pas pris la peine de le prévenir ; ils n'en avaient tout simplement pas eu le temps. Bien loin d'être aussi démonstratif que sa soeur, il resta planté devant eux, alors qu'elle s'élança dans sa direction pour l'enlacer. Elder resta quelques instants, les bras ballants, avant de resserrer son étreinte autour d'elle. Eh bien... Edwin n'avait pas menti. Il n'était pas très démonstratif et ne laissait pas entrevoir la moindre émotion sur son visage. Il était d'un sérieux déconcertant, mais qu'elle connaissait plutôt bien pour l'avoir fait la moitié de son existence.
— Avec qui êtes-vous venus ? la questionna-t-il, son regard méfiant planté dans celui de la Gardienne.
— Nous te présentons Aymee. Elle a besoin de rencontrer le Grand Mage de Belris. Nous nous sommes dits que ce serait l'occasion de te revoir.
— Hum...
Ce grognement était teinté de méfiance et d'appréhension. Il était clair qu'Aymee ne rentrait pas dans ses bonnes grâces, mais elle s'en moquait. Depuis des années déjà, elle avait appris à se détacher de ce que les autres pouvaient penser d'elle. Aymee avait compris qu'elle ne pouvait pas plaire à tout le monde et que le principal était de pouvoir s'apprécier soi-même.
— Ce n'est pas personnel, murmura Edwin à son oreille. Il est sur ses gardes avec tout le monde.
Edwin tenta de la rassurer, même si elle ne s'inquiétait pas le moins du monde. Qu'il l'apprécie ou non, il n'était que passager dans sa vie. Elle ne lui en tiendrait pas rigueur pour la suite. Miniel n'eut pas le droit à cette animosité de sa part, sûrement parce qu'elle était la fille de leur chef et qu'il voulait se faire bien voir. Elle l'ignorait, mais fut ravie que la Waldyme prenne les devants.
— Je vais prévenir mon père de votre venue. Il va vous recevoir dans une dizaine de minutes.
Sur ces quelques mots, Miniel les quitta et s'engouffra dans un des tunnels. Aymee, quant à elle, décida de rester en retrait et de laisser les enfants de Tosmar échanger entre eux. Agenouillée devant un des loups, elle lui gratta l'arrière de l'oreille et arbora un air préoccupé. Elle priait pour que les mages puissent l'aider dans sa quête. Elle n'avait jamais pensé à l'éventualité d'un refus, parce qu'elle se serait battue jusqu'au bout pour leur service. Malgré tout, elle n'avait jamais songé au fait qu'ils puissent être incapables de l'aider. Aymee ne connaissait rien au fonctionnement de la magie et peut-être que sa demande ne relevait pas de leurs compétences.
Un nœud se forma dans son estomac et elle commença à angoisser à l'idée d'un refus. Si tel était le cas, elle reviendrait au point de départ et pourrait considérer que sa mission était un échec. La Gardienne avait sans arrêt eu l'esprit occupé depuis leur départ et elle n'avait pas eu le temps de penser à tout ce que cela impliquerait. Elle ne pouvait accepter l'échec sans s'être battue jusqu'au bout.
— Attendez, vous ramenez une fille que vous connaissez depuis quelques jours à Belris ? chuchota Elder, en imaginant sûrement qu'elle ne l'entendrait pas. Vous êtes totalement inconscients.
— Fais-nous confiance pour une fois.
Esmeralda ne cherchait même pas à cacher son désaccord et son discours fut bien plus audible que celui de son frère. La Gardienne était quelques mètres plus loin, dos à eux, et commençait à se dire que les mages n'étaient pas très ouverts au monde. Ils vouaient un véritable culte à Ieyr et avaient une idéologie assez fermée. Elle comprenait maintenant pourquoi les mages étaient aussi peu nombreux sur le territoire. Ceux qui se rendaient à Belris restaient à Belris. Ils formaient une communauté soudée et tournée vers les mêmes principes et valeurs.
— Comment te sens-tu ?
Edwin interrompit son flux de pensées. Merci à lui ! Aymee n'avait plus assez d'énergie et ses interrogations ne prenaient le peu qu'il lui restait.
— Je ne pensais pas que ma venue perturberait autant votre frère.
— Son avis changera quand il apprendra à mieux te connaître.
— Il n'a pas tort et tu le sais.
Aymee adopta une attitude un peu plus distante et froide avec lui. Qu'elle le veuille ou non, les habitudes revenaient au galop et elle ne pouvait fuir le masque qu'elle avait porté durant des années. La Gardienne était ainsi : elle repoussait les personnes qui l'aimaient avec autant de brutalité que celles qui lui voulaient du mal.
— Ne dis pas ça... souffla-t-il entre ses lèvres.
— Vous m'avez tout les deux suivie dans cette aventure sans même me connaître et au risque d'y laisser votre vie.
— Oui. Parce que nous avions envie de le faire. Personne nous a forcé la main, se défendit-il, les sourcils froncés et les bras croisés contre son torse.
— Non. C'est de l'insouciance, Edwin. J'aurais très bien pu profiter de vous ou me débrouiller toute seule.
Il entrouvrit la bouche, sûrement pour se défendre, mais il n'eut pas le temps de le faire. Miniel revint vers eux, un immense sourire aux lèvres, bien loin de se douter des échanges virulents qui venaient de se produire.
— Mon père peut vous recevoir.
— Vas-y. Comme tu l'as dit, tu n'as pas besoin de nous.
Le regard d'Edwin était empli de déception et d'amertume. Il n'avait aucune envie de la suivre jusqu'au Grand Mage. Il lui tourna le dos et rejoignit son frère et sa sœur un peu plus loin. Aymee avait sans doute perdu son estime, mais elle avait été honnête. Leur bienveillance finirait par causer leur perte et Elder l'avait très bien compris. Le territoire d'Eyama était dangereux et ils avaient failli y laisser leur vie à de nombreuses reprises.
Sur ces quelques tensions, Aymee longea les tunnels de la grotte, jusqu'à ce qu'elle arrive dans un recoin isolé et très bien aménagé. Une immense table trônait au milieu de la pièce et était recouverte de cartes et de petites statues en bois. Au bout de celle-ci était assis un homme à la peau mâte. Il arborait un sérieux sans égal jusqu'à l'arrivée de la Gardienne. Il s'efforça de paraître un peu plus appréciable et se leva de sa chaise.
— Vous devez être Aymee. Je vous prie, prenez place.
Elle ne saurait l'expliquer, mais une forte aura émanait de lui. Elle ressentait sa sagesse et sa puissance à l'autre bout de la grotte. D'ailleurs, elle fut même étonnée de son âge. Elle s'attendait à un homme plus âgé que la fin de la trentaine et peut-être un peu plus barbue. Se baser sur les stéréotypes n'était pas une brillante idée, mais elle n'avait pas pu s'en empêcher.
— C'est exact. Et vous êtes ?
Aymee savait qu'elle était son rôle au sein de cette communauté, mais elle ignorait son prénom. Elle ne savait pas comment s'adresser à lui dans des conditions si particulières.
— Je m'appelle Pöl, dirigeant de la tribu de l'Épée Rouge et Grand Mage de Belris.
La jeune femme tira une des chaises en bois et s'y installa, non sans jeter un furtif coup d'œil à la carte du continent. Elle s'était assez renseignée sur les sorciers pour savoir où elle était présentement : le Conseil. En ces lieux se réunissaient Pöl et les Petits Mages, pour y tenir des réunions et réfléchir ensemble à l'avenir de leur tribu. Aymee était presque impressionnée de se tenir ici, dans ce lieu qu'elle avait tant étudié à l'Institut.
— Quel est donc la raison de votre venue à Belris ?
— Elle est loin d'être dénuée d'intérêt, commença-t-elle en joignant ses deux mains sur la table. J'ai un service à vous demander.
— Eh bien, dites-moi.
Pöl avait l'habitude de ce genre d'entrevue. Beaucoup de personnes faisaient appel à lui, allant des hommes les plus puissants d'Eyama aux simples villageois. Il cherchait simplement à savoir où elle voulait en venir et pourquoi elle avait fait tout ce chemin. Aymee se pencha doucement dans sa direction.
— Je recherche les personnes qui ont tué mon père, commença-t-elle avec le plus grand sérieux. Seulement, le continent est bien trop vaste pour que je sache où commencer mes recherches.
— Bien. Est-ce tout ?
— Non. Ils ont également dérobé un objet qui appartient à ma famille depuis des générations.
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