Chapitre 10.1
♪ Audiomachine - "Lullaby of the Siren"
— Nous pouvons y aller.
Miniel fut de retour et les tensions s'apaisèrent immédiatement. Edwin ne voulait pas se prendre la tête avec elle pour le moment. Il ne la connaissait pas et préférait rester méfiant. Il avait raison, même s'il avait parfois des attitudes assez contradictoires. Il s'agissait peut-être du simple amour fraternel ? Aymee n'avait jamais eu la chance de le connaître. Toutefois, elle restait persuadée qu'elle aurait pu sermonner son frère ou sa sœur sur des comportements qu'elle adoptait elle-même. Était-ce le signe que l'amour pour l'autre était plus grand que l'amour de soi ? La Gardienne ne les connaissait pas autant, mais elle savait qu'ils pourraient tous les deux sacrifier leur vie si cela permettait de sauver l'autre. Aymee ne connaissait pas ça. Elle n'aimait personne à ce point, à l'exception de sa mère ou d'Ashton.
— Veux-tu bien nous expliquer comment nous... ?
Aymee ne termina pas sa phrase. Elle fit simplement des petits mouvements circulaires avec son index pour désigner les loups. Miniel comprit parfaitement là où elle voulait en venir et finit par laisser un sourire s'étendre sur ses lèvres gercées.
— Vous allez voir. Il n'y a rien de bien compliqué.
Elle caressa lentement le museau de Niamë qui s'était allongée sur le sol. Si elle ne l'avait pas fait, ils auraient eu de grandes difficultés à monter sur elle. Edwin et Aymee se retrouvèrent ensemble sur ce loup. Elle ne protesta pas. Elle détestait les contacts humains et elle préférerait mille fois la compagnie d'Edwin que celle de Miniel qu'elle ne connaissait que depuis une heure. La Gardienne aurait très certainement commis un meurtre si elle avait osé déposer ses mains sur elle. Heureusement pour elle, ce ne serait pas le cas. Esmeralda tiendrait ce rôle, mais vu son optimisme à toute épreuve, elle ne devait pas y voir un quelconque problème.
— Je n'aime pas du tout ce plan, marmonna-t-elle à l'adresse de son ami qui était assis derrière elle.
— Nous sommes deux, mais nous arriverons bien plus vite à notre destination. Je suis prêt à faire cet effort.
Aymee était plutôt d'accord avec lui. Elle n'aurait jamais refusé son offre, mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir sceptique à l'idée de monter sur le dos d'un loup géant. Ils parlaient d'un animal qui pouvait les déchiqueter vivant quand il le souhaitait. La Gardienne ne pouvait s'empêcher d'avoir une pointe d'inquiétude et d'appréhension, mais peut-être que les Hommes avaient pensé la même chose la première fois qu'ils étaient montés à cheval ? Elle savait qu'elle pouvait être fermée d'esprit, mais pas à ce point. Son avenir professionnel reposait sur le fait qu'elle réussisse ou non à accomplir cette mission. Le Conseil ne devait pas être déçu et voir en elle un véritable soutien pour les futures missions. Se faire une place en tant que Gardien était très difficile. Les dirigeants d'Aphatis activaient plus régulièrement les agents performants qu'ils n'offraient une seconde chance à ceux qui avaient échoué. Aymee n'avait pas le droit à l'heure.
— Accrochez-vous du mieux que vous pouvez.
Miniel eut la bienséance de les avertir, avant de monter sur le dos du second loup, se positionnant derrière Esmeralda. Elle siffla à nouveau et l'effet fut immédiat. Les deux bêtes se redressèrent brusquement et se mirent à courir à toute allure.
— Bordel ! s'exclama la Gardienne qui tenta d'attraper quelques-uns de ses poils pour ne pas basculer sur le côté.
Les premières minutes l'inquiétèrent. L'ensemble de son corps était crispé, réveillant même des douleurs dont elle n'avait jamais prêté attention auparavant. Ses doigts étaient si crispés qu'elle ne parvenait plus à les sentir. Quant à ses jambes, elle les avait serrées de toutes ses forces, dans l'espoir de maintenir un certain équilibre.
Aymee s'inquiéta un petit moment, avant de commencer à percevoir les aspects positifs de cette situation. Elle adorait sentir la pression de l'air contre sa cage thoracique, aussi minime soit-elle. Elle savourait le froid qui lui caressait le visage et qui réveilla chaque parcelle de son être. Ses cheveux virevoltèrent au gré du vent et elle se dit qu'elle avait plutôt bien fait de se positionner derrière Edwin. Il n'aurait certainement pas apprécié l'inverse.
La Gardienne orienta l'ensemble de son attention vers son ami. Ses yeux sombres scrutaient l'horizon, d'un air apaisé, et très vite un sourire émergea sur son visage. Il quitta l'air sérieux qu'il arborait depuis leur réveil pour rentrer dans un état de bien-être, tout comme elle. Il fallait dire qu'ils vivaient quelque chose d'unique et de complètement dingue. Aymee avait hâte de rentrer chez elle et de raconter ses aventures à sa mère.
— Tout va bien de votre côté ? s'écria Miniel dans leur direction, veillant à ne pas les avoir perdus ou totalement tétanisés de peur.
En guise de réponse, ils se contentèrent de hocher positivement la tête. Leur souffle était déjà coupé depuis plusieurs minutes et ils devaient encore se remettre de leurs émotions.
— Bien. Nous pouvons accélérer dans ce cas.
Les loups géants n'avaient pas atteint le maximum de leurs capacités, ce qui surprit davantage le trio. Il n'avait jamais pensé à utiliser cet animal comme moyen de déplacement, mais il devait bien avouer qu'il était bien plus efficace et rapide que le cheval.
La quête d'Aymee lui offrait de véritables surprises et elle avait envie d'en découvrir plus au fil des jours. Elle songea un instant à tout ce qu'elle avait déjà vécu et ce qu'il lui restait à accomplir. Son âme lui semblait étonnamment apaisée à cet instant et elle se risqua même à déposer sa tête contre l'épaule d'Edwin, réduisant la distance entre leurs deux corps. Maintenant qu'ils avaient un certain équilibre sur Niamë, elle pouvait se permettre d'adopter une telle attitude.
Deux heures s'écoulèrent avant que le décor commence à changer. Aymee ne s'était jamais rendue à Belris, mais elle savait qu'ils ne s'étaient pas trompés de destination. Autour d'eux, des runes étaient gravées dans les pierres et dans les troncs d'arbres. Il ne s'agissait plus d'une simple forêt, mais d'un lieu de culte magique. Une étrange atmosphère planait tout autour d'eux, mais elle était loin d'être effrayante. Aymee ressentait les ondes magiques qui y régnaient et elle n'en fut même pas surprise. Ils n'étaient plus très loin d'une chaîne de montagnes qui était réputée pour avoir les plus puissantes sources de magie du territoire.
La plus connue restait un cromlech avec un menhir en son centre, qui avait été ensorcelé par le plus puissant mage de l'Histoire, Ieyr. Il était à la fois une inspiration et un défi pour la tribu de l'Épée Rouge. Chacun d'entre eux avait envie de le surpasser, d'innover et de marquer un tournant majeur dans l'histoire d'Eyama. Personne n'y était parvenu et il n'y avait rien d'étonnant. Ieyr faisait partie des rares à pouvoir utiliser son don en absence de ressources magiques. Un véritable exploit aux yeux de son peuple ; une légende aux yeux d'Aymee. Évidemment, ce n'était pas au sens mélioratif du terme. Les textes racontaient qu'il était décédé depuis des siècles. Il n'y avait donc aucune trace de son existence si ce n'était les vestiges du passé. Malgré tout, la Gardienne comprenait les croyances de ce peuple. Ils avaient l'impression qu'un personnage célèbre leur montrait le chemin à suivre, leur transmettait ses valeurs et son idéologie. Elle ne voyait aucun mal à ce qu'ils croient en la toute-puissance d'Ieyr, encore plus si cela leur permettait de donner le meilleur d'eux-mêmes.
Quoi qu'il en soit, là n'était pas le principal sujet de ses préoccupations. Aymee se demandait surtout si leur Grand Mage accepterait de la recevoir et de répondre à sa demande. Elle n'allait pas lui demander quelque chose d'anodin et elle devait peaufiner un mensonge. Elle ne pourrait pas lui parler d'un cube provenant d'une autre planète, ainsi que des prisonniers qu'elle recherchait. Elle risquait de mettre en péril l'équilibre que le Conseil avait instauré. Ne jamais dévoiler son identité. Ne jamais parler d'Aphatis. Ne jamais tourner le dos au Conseil. Elle n'avait pas oublié ces principales règles d'or qui régissaient sa profession. Rien ne la ferait se dérober à ses principes, pas même une amitié ou une relation amoureuse. Elle s'était engagée à donner le meilleur d'elle-même et à ne pas trahir les siens. Aymee tenait toujours ses promesses, tant que celles-ci ne rentraient pas en contradiction avec ses valeurs.
— Nous arrivons.
Miniel n'aurait pas eu besoin de leur dire. Ils l'avaient tous compris au moment où ils avaient pénétré une grotte similaire à celle dans laquelle ils avaient dormi. Visiblement, les mages aimaient se créer des refuges dans les montagnes. Elle saluait leur ingéniosité. Ils n'étaient pas faciles de les retrouver dans un lieu pareil et si un des trois autres clans décidait de passer à l'attaque, il aurait du mal à les trouver. Encore fallait-il qu'il traverse les blizzards, les ponts défectueux, les éboulements et les attaques de loups... Ce n'était pas gagné. Quoi qu'il en soit, Aymee ne put s'empêcher de penser qu'ils auraient mis un moment pour trouver ce tunnel. Les montagnes étaient nombreuses et ils auraient eu besoin de plusieurs heures pour trouver leur destination.
Tout était tellement plus simple sur Aphatis... Un mot à leur véhicule et il les conduisait immédiatement à leur point de rendez-vous. Tout était informatisé et il n'y avait pas besoin de se creuser les méninges avec une vieille carte mal-dessinée. Malgré tout, Aymee aimait faire les choses par elle-même. Elle estimait que les technologies de sa planète étaient un plus, mais qu'elles n'étaient pas essentiels. Elles ne remplaceraient jamais la beauté de l'action. Sans oublier que la Gardienne préférait mille fois se perdre en forêt et se débrouiller avec ses propres moyens, plutôt que d'avoir à utiliser son Stick pour se repérer dans l'espace.
De ce fait, Aymee appréciait la vie sur Eyama et la difficulté. Elle se sentait bien plus fière d'avoir trouvé pu se repérer avec ses propres moyens. Elle était parvenue à des choses extraordinaires à force de persévérance, mais également avec le soutien de ses amis. Leur présence lui avait semblé optionnelle au départ, mais plus le temps passait et plus elle constatait qu'elle n'aurait rien pu accomplir sans eux. Enfin... La Gardienne aurait surtout fini dans le ravin ou elle aurait été tué par le berglimo, le jour même de son arrivée. De ce point de vue là, son destin n'était pas joyeux et il était surtout fait de hasard. Malgré tout, elle ne le ressentait pas de cette manière. Elle avait fait des choses dont elle ne se pensait même pas capable. Elle s'était battue avec un homme dans une auberge. Elle avait trouvé une solution pour traverser le pont. Elle était loin de subir les événements, même s'il y avait une petite part de chance dans son aventure.
— Cette grotte ressemble un peu à celle de la nuit dernière, constata Esmeralda avec ses grands yeux ébahis, comme si elle n'avait jamais rien vu de tel.
— Je ne sais pas où vous étiez, mais les refuges des mages se ressemblent un peu tous, expliqua la Waldyme tandis que les loups ralentissaient la cadence, passant du trot au pas. Par exemple, vous retrouverez constamment les torches qui s'allument à votre passage.
Aymee l'écouta d'une oreille distraite. Elle était bien trop absorbée par les gravures, ancrées à jamais dans la roche. « La force de Ieyr est avec nous », « Puisse-t-il nous donner sa puissance ! »... Les phrases de ce type étaient nombreuses et mettaient bien en avant le culte qui s'était fait autour de ce mage. Des peintures avaient même été réalisées en son honneur et semblaient le mettre en scène dans les plus grands combats de sa vie : le long apprentissage de la sorcellerie ; le conflit entre les mages et les non-mages ; la reconnaissance des Cimlies... Dans chacune de ses histoires, il en était le personnage central et était positionné comme le héros.
Pourtant, la Gardienne ne voyait pas ça de la même façon. Il faisait partie des personnes qui avaient changé l'histoire d'Eyama, mais il n'était pas le seul à avoir combattu pour ses valeurs. Des personnes étaient intervenues sans l'aide de la magie, comme Reymo. Cet homme de la tribu de l'Étoile Sauvage avait été le premier à pointer l'esclavagisme des Cimlies. Ces étranges créatures de petites tailles possédaient des oreilles pointues et une queue, similaire à celle d'un chat. Elles étaient bien trop gentilles et ne refusaient jamais un service, ce qui expliquait leur asservissement à l'Homme. Reymo avait été le premier à élever la voix et à demander que les Cimlies soient gratifiées. Il avait obtenu gain de cause, mais les mages étaient convaincus qu'Ieyr avait fait tout le travail. En vérité, il avait juste prêté soutien à sa cause, mais étant plus populaire que lui, tout le reste était passé à la trappe. C'en était malheureux...
— Qui êtes-vous ? tonna une voix masculine dans l'obscurité.
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