Chapitre 7 : Kyra

Je vérifiais une dernière fois que ma seconde lame était bien positionnée, prête à être dégainée dès lors que cela deviendrait nécessaire. Haldir faisait de même en face de moi, l'air nonchalant, un peu trop pour l'être réellement. Je savais pertinemment que la ruse était le plus gros point fort de mon partenaire ; il passait de nombreuses heures chaque semaine à mettre au point de nouvelles tactiques de combat et à améliorer les anciennes. Il faisait profiter chacun d'entre nous de son expertise, bien souvent pertinente, lors des entraînements, et il connaissait les qualités et les défauts de chacun des apprentis, moi y compris.

« Prêts ? » Demanda Stephan.

J'acquiesçai, en position de combat. Haldir était toujours debout, manifestement détendu, comme s'il n'était pas le second finaliste de l'épreuve. Il acquiesça à son tour, l'épée à la main. Voilà un détail, discret mais visible, qui m'annonçait qu'il était prêt au combat : sa lame, il la tenait basse, mais sa poigne sur la garde était ferme, et son bras ne tremblait pas. Lui-même, s'il se tenait droit et de profil, était posé sur des aplombs solides, et sa réactivité lui permettrait de feinter sitôt le duel lancé.

« Combattez ! »

Comme prévu, Haldir bondit. Son regard, planté dans le mien, ne trahissant pas sa cible, je m'élançais à mon tour pour le couper dans son élan. Nos épées s'entrechoquèrent dans un tintement vif, et j'aperçu brièvement l'éclat des dagues du blond, toujours soigneusement rangées le long de sa cuisse. Il s'écarta, et je l'attaquais immédiatement, portant une série de coups rapprochés qu'il para successivement, et sans difficulté. Chacun de nous deux était calme, et analysait impassiblement chaque mouvement de l'autre à la seconde-même où la pupille remuait, où le muscle frémissait.

Bien décidée à ne lui laisser aucun répit pour construire sa prochaine feinte, je dégainai ma seconde lame, et mes deux bras se mirent à agir de concert, assénant une nouvelle salve de coups fulgurants sur mon adversaire. Haldir me céda un pas, puis deux, et avant qu'il ne recule une troisième fois, je m'écartais brusquement.

Une lame de poignard ripa sur ma cuirasse, il m'avait manqué de peu.

« Trois pas, c'était trop gros... » Soufflai-je avec un rictus.

Un air satisfait s'installa sur le visage de mon compagnon, et sa réponse ne se fis pas attendre : son épée dansa dans ma direction et son rythme s'imposa face au mien. Je perdais pied, je devais changer de stratégie. Je m'effaçais alors, et décidai de me glisser sous l'épée de mon adversaire. Cette manœuvre l'empêcherait de m'atteindre avec ses dagues et me permettrait de me faufiler derrière lui, pourvu que sa lame ne me cueille pas au passage.

D'un coup puissant, je me construisis une ouverture. Je reprenais presque du terrain quand je me lançai ; alors que je passai dans son dos, j'assénai un grand coup sur son poignet, et ses doigts se desserrèrent sur la poignée de l'arme. Dans un sursaut d'adrénaline, je redoublai de vigueur, et son épée vola enfin, pour atterrir quelques mètres plus loin.

C'est alors que je fis l'erreur de baisser ma garde, et je sentis la morsure du poignard tracer une longue estafilade le long de mes côtes. Dans un vrai combat, la blessure aurait pu me coûter la victoire. Même dans ce duel amical, la faute était commise, et Haldir ne me laisserait pas me rattraper. Je le vis, un sourire victorieux au visage, une dague dans chaque main, l'une tachée d'un peu de sang. Avant que je ne puisse replacer mes lames, Haldir les détourna et m'attrapa d'un bras, me glissant son poignard, celui qui n'était pas ensanglanté, sou la gorge, mettant un terme au duel.

« Et la victoire revient à Haldir d'Akira ! » S'exclama Stephan alors que nos camarades se mettaient à applaudir vivement.

Je fermais les yeux un instant, la tête en arrière, et j'eus un long soupir.

« Bravo, c'est une victoire bien méritée ! »

Haldir me sourit fièrement, et se pencha pour ramasser mes lames, avant de les ranger lui-même dans mes fourreaux.

« Tu m'as donné du fil à retordre » m'avoua-t-il. « J'ai passé la semaine à réfléchir à de nouvelles tactiques ! »

Il jeta alors un coup d'œil à ma hanche pour vérifier l'état de la blessure qu'il m'avait infligée, et me tendis un morceau de tissu pour arrêter le saignement. J'épongeai la plaie avec résignation.

« Même ça c'était parfaitement calculé... Juste assez profond pour que ce soit cicatrisé avant les prochaines épreuves... Même moi je ne l'aurai pas faite celle-là ! »

Il rit de bon cœur en ramassant sa propre épée, puis il regarda le sang sur son poignard avec un regard peiné.

« Je préfère lorsque le sang qui macule mes dagues est du sang d'orc... » Grimaça-t-il.

« Je survivrai va ! Ne te bile pas pour ça ! Ça m'apprendra à sous-estimer tes talents de bretteur... »

Je donnais un léger coup de coude à mon ami et je me tournai vers mon mentor et ma sœur, qui vinrent me féliciter chaleureusement. Stephan ne cachait pas sa fierté face à notre prestation, et il nous gratifia tous les deux d'une grande accolade.

Quelques heures plus tard, après la remise des prix et quelques soins de la part de Silla, je pris le temps de me rendre au Mémorial.

Je n'y étais retournée que deux fois depuis la bataille de Chaux, et plus depuis l'avant-veille du tournoi, mon temps étant monopolisé par celui-ci. Je marchai donc le long du couloir, et descendis les escaliers vers le sous-sol. Contrairement au rez-de-chaussée où les murs revêtaient des tons chauds et boisés, le sous-sol était bien plus froid et peu accueillant. Le couloir bétonné gris et les portes renforcées ne laissait aucune ambigüité quant à la confidentialité du lieu.

En dehors des Gardiens, il y avait rarement de visiteurs au quartier général. Aaron était venu après la bataille de Chaux pour être soigné, mais il s'agissait d'une exception, et je n'avais vu personne d'autre extérieur à la confrérie fouler le sol de la cache des Gardiens. Ainsi, je m'étais souvent demandée pourquoi le sous-sol était autant sécurisé. Était-ce pour dissuader les apprentis d'y pénétrer ? Autant de mesures n'étaient pas justifiables par cette simple réponse ; il avait dû y avoir autre chose, pas le passé, qui ait requis un si haut niveau de sécurité.

En effet, l'épaisseur des murs et le béton armé mis-à-part, de nombreuses protections énergétiques protégeaient les portes les plus secrètes, notamment les portes en chênes, qui se trouvaient bien plus loin dans le dédale de couloirs bétonnés. L'entrée du Mémorial était d'ailleurs l'une de ces portes, d'apparence inoffensives, mais impossibles à traverser sans les autorisations nécessaires.

De tous les apprentis, j'étais la seule à y avoir pénétrer, car j'y avais effectué ma formation de chef. Même parmi les précédentes générations, j'étais la première à qui cela arrivait. Ces conditions exceptionnelles étaient dues à la mort prématurée de Philippe, l'ancien chef de la 6e génération, le père d'Haldir, et celui qui aurait dû être mon mentor. Stephan lui avait succédé, mais il n'avait jamais suivi la formation de chef dans son intégralité, et n'était donc pas en mesure de me la transmettre ; ma formation avait donc eu lieu en grande partie dans cette pièce étrange, où la brume constituait un grand danger.

La première fois, je l'avais laissée m'emportée, et les conséquences avaient été désastreuses, si bien que Stephan avait songé à reporter encore ma formation. Mais depuis, mon esprit s'était fortifié, et sauf les jours de grandes fatigues, je ne ressentais presque plus les effets de la brume, surtout depuis la bataille de Chaux. Il semblait que le passage de Lainceleg lors de la bataille avait renforcé notre lien, et mes défenses mentales du même coup. Je ne la voyais plus en rêve, mais je sentais sa présence, bien plus marquée, et son influence sur mes capacités énergétiques, dont l'endurance était boostée.

Malgré tout, depuis la bataille, chaque fois que j'utilisais la vision omnisciente, je ressentais comme un manque, une sensation de flou qui entretenait ma frustration. Et cette frustration me ramenait sur le champ de bataille, et cette clarté qui m'avait alors envahie. Tout avait été si beau, si clair, que le reste me paraissait à presque orageux et brumeux.

Refoulant ces pensées négatives, je poussai la lourde porte en chêne, et pénétrai dans une pièce brumeuse et déserte, pas bien grande, mais dont ni les murs, ni le plafond n'étaient visibles. La porte se fondit également dans le brouillard lorsqu'elle se referma dans un bruit sourd. Deux silhouettes se matérialisèrent alors, semblables à des spectres un peu tremblants, des fantômes de vétérans relégués au rang de légendes depuis plus ou moins longtemps.

Le premier était blond, un sourire tendre caractéristique au visage, avec des yeux teintés d'un dégradés de bleu, tantôt de la couleur d'un glacier, puis de celle du cobalt. Sa carrure massive n'exprimait rien d'autre que la force tranquille et sereine du leader vétéran. Son nom était Philippe d'Akira, chef de la 6e génération de Gardien, et mon mentor, sur qui je pouvais m'appuyer en cas de décisions difficiles.

Le regard de la seconde silhouette était bien plus ancien, bien plus perçant. C'était un homme svelte, aux cheveux noirs coupés à la va-vite, et en partie décolorés à la racine. Ses iris étaient d'un bleu si clair qu'ils paraissaient blanc, de même que sa peau, marquée entre sa pommette droite et son nez d'une large balafre. Son apparence débraillée et atypique, renforcée par la transparence spectrale de l'apparition, ne lui conférait pas moins une aura imposante et un certain charisme. Je le savais sérieux et sage, forgé par ses deux cents ans d'activité en tant que chef de la 4e génération, de loin l'une des plus puissantes ayant jamais combattu pour Gaïa.

« Kyra ! Alors ! Combien de temps est passé depuis la dernière fois ? Le tournoi a-t-il commencé ? » S'enquit Philippe avec engouement.

« Oui ! C'est-à-dire que deux épreuves sont déjà terminées... J'aurai voulu passer plus tôt mais quelques orcs m'ont tenue éveillée hier après les épreuves... Stephan a du se dire que je n'avais pas assez de responsabilités, alors il m'a envoyé seule sur le terrain au commande d'un groupe que j'ai dû constituer avec Haldir... »

Mon ton était légèrement sarcastique... J'étais plutôt stressée à cause du tournoi ces derniers temps, et la surprise de Stephan avec cette intervention ne m'avait plu qu'à moitié, même si tout s'était bien passé.

« C'est le quotidien de tout chef des Gardiens. » Me réprimanda Andrea. « Tu es à présent intronisée, il est normal que tu prennes tes responsabilités, Stephan ne sera pas là indéfiniment pour te supporter sur le terrain. »

Je restai un peu penaude face à son regard perçant fixé sur moi. Philippe s'approcha pour me réconforter. Il ne pouvait pas me toucher, mais son sourire seul me ragaillardit.

« Tu prendras vite le coup de main, ne t'inquiète pas ! Montre-nous plutôt comment ça s'est passé qu'on te dise comment progresser ! »

J'acquiesçai docilement, et fermai les yeux pour me concentrer. Je ne maitrisais pas encore parfaitement la projection, et l'exercice demandait une attention sans faille, sans quoi le souvenir projeté devenait flou, ou disparaissait. Je me concentrais donc sur l'intervention de la veille, jusqu'à ce que le souvenir soit si vif qu'il me semblait le revivre. Quand je rouvris les yeux, je me trouvais à nouveau sur les lieux, en compagnie de Philippe et d'Andrea, qui observait attentivement la scène.

Les illusions étaient l'essence même du Mémorial. Pourvu que notre mental soit assez résistant pour le supporter, on pouvait y projeter n'importe quel souvenir pour le revivre encore et encore. La salle était reliée à Vanië, la planète mémoire. Gaïa y entreposait dans un labyrinthe complexe tous les souvenirs importants, qui constituaient ainsi une mémoire commune à tous les Gardiens. Au cours de ma formation, j'avais dû assister grâce aux projections, à toute l'histoire des Gardiens, transmises de chef en chef depuis la première génération. Encore un lourd fardeau à porter, dont je me serais bien passée.

Nous nous avançâmes, et je m'aperçus alors en compagnie d'Elléonora, d'Elène et de Nicolas. Les autres Gardiens étaient de l'autre côté du camp orc, prêts à les prendre en tenaille. C'est alors que d'un signe de main, je donnais le signal. Les orcs n'eurent pas le temps de réagir que nous étions déjà sur eux. Elène resta en arrière, comme je le lui avais intimé, tandis que les autres se battaient vaillamment. Celle qui avait le plus de difficultés était Elléonora. Je ne m'en rendais compte que maintenant, alors qu'elle m'avait appelé à l'aide lors du combat... Je ne l'avais même pas entendu, c'était Nicolas qui avait volé à son secours.

La culpabilité m'assaillit, je ne le supporterais pas s'il arrivait malheur à ma sœur.

« Ta sœur manque encore d'entraînement pour être parfaitement efficace sur le terrain... » Souligna Philippe, une main dans sa courte barbe. « C'est une erreur de ta part de ne pas l'avoir prévu, et une de sa part de ne pas être capable de se défendre seule. Si tous les Gardiens devaient protéger tout le monde au cours des batailles pour être sûrs que personne ne soit gravement blessé, la plupart de nos batailles se seraient soldées par un échec. »

Je fronçai les sourcils, pas tout à fait d'accord. Un accident pouvait vite arriver, même pour un guerrier inexpérimenté. J'ouvris la bouche pour protester.

« Philippe a raison. » Me coupa Andrea. « Tu dois pouvoir faire confiance à chacun de tes guerriers pour tenir leurs arrières. S'ils ne sont pas capables de se protéger eux-mêmes, comment pourront-ils protéger Gaïa ? Ces orcs n'étaient pas bien méchants, et plutôt maladroits. Ils n'étaient pas non plus nombreux, ni bien armés. Il n'y avait aucune raison pour justifier d'être en difficulté, sinon le manque d'entraînement. »

« Mais elle n'est même pas encore intronisée ! Elle n'a fait que peu d'interventions, elle doit encore prendre de l'expérience... »

Même si je ne pouvais contredire le vétéran, ma conscience me poussait à prendre la défense de ma sœur.

« Sur le terrain, un Gardien n'a pas le droit à l'erreur. Il en va de la sécurité de tous. Un champ de bataille n'est pas une cour de récréation. Un faux pas peut vous coûter la vie, et ça, je pense que ta sœur l'a bien compris à présent. Elle est encore apprenti, donc son mentor veille encore sur elle, mais dès lors qu'elle sera admise comme Gardienne au sein de la confrérie, tu ne dois plus tolérer un tel comportement, même si c'est ta sœur. »

Je ne pu qu'acquiescer face aux durs mots d'Andrea. Cela me faisait de la peine, mais il avait raison. Nous avions eu de la chance jusqu'à présent, mais l'inexpérience de mes coéquipiers auraient pu nous couter cher lors de la bataille de Chaux si Lainceleg n'était pas intervenue à travers moi.

« Quant à toi, tu manques d'efficacité dans tes mouvements. » Poursuivit le vétéran. « La peau des orcs est épaisse et résistante, tes coups sont trop légers pour leur infliger de réelles blessures. Retravaille tes déplacements de base pour augmenter ta précision, et assure-toi de viser plusieurs fois le même point pour achever rapidement ton adversaire. Ne retiens pas ta lame, ton but est de leur donner la mort ; quand tu entreprends un tel acte, tu dois le mener à bout. »

Je remerciai le Gardien balafré.

« C'est cruel tout de même. Ils n'avaient encore attaqué personne... »

Andrea n'ouvrit même pas la bouche pour relever le caractère problématique de mes paroles, son regard de glace le fit pour lui. Je renonçai à ma culpabilité. Si j'attendais que les orcs tuent quelqu'un pour en faire des cibles, nous aurions sous peu de nombreux morts à déplorer. Ils étaient au service des sorciers, et ceux-ci tuaient sans scrupules. Il n'y avait donc pas de raisons de les épargner.

Par la suite, je leur racontai le début du tournoi, et mon combat avec Haldir. Andrea resta en retrait, mais Philippe, qui manifestait un grand intérêt pour le tournoi annuel dont il était à l'origine, me félicita chaleureusement, et me donna quelques conseils pour améliorer ma technique, sans cacher la fierté qu'il ressentait également vis-à-vis de son fils. Enfin, il me souhaita de bonnes épreuves équestres, me défiant de les remporter et me faisant promettre de revenir lui dire qui de Stephan ou Johan les remporterait cette année parmi les mentors. Je quittai alors le Mémorial, impatiente de gagner mon lit.

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