Chapitre 1 : Kyra
A bout de souffle, je n'en ralentis pas moins ma course. Le soleil se levait à peine sur le quartier général des Gardiens. En cette veille de tournoi, pourtant, tout le monde était déjà sur ses deux pieds, moi la première. Stephan m'avait demandé de lui ramener des piquets et des plots pour préparer l'installation des clôtures, mais il avait oublié de me spécifier que ceux-ci étaient rangés dans un entrepôt, à l'autre bout du terrain. C'est ainsi que je me retrouvai à courir à en perdre haleine, dès le lever du jour, pour arriver à l'heure convenue, avec le matériel.
Six mois plus tôt, il m'aurait été impossible d'effectuer une telle course ; j'en serai tombée de fatigue. L'entraînement que je suivais depuis le recrutement et mon entrée dans la confrérie avait porté ses fruits. L'évolution avait été flagrante chez tous les apprentis : le savoir et les compétences qu'ils avaient emmagasiné pendant les six premiers mois de leurs formations leurs avaient permis, avec l'aide de Aaron et sous ma directive, de vaincre le Roi Sorcier, deux semaines plus tôt. A la suite de ces évènements, j'avais pénétré la salle du chef au sous-sol du QG, découvert que ma mère était la réincarnation de la déesse protectrice de la Terre, et pris mes nouvelles responsabilités en tant que cheffe de ma génération.
Effectivement, vu sous cet angle-là, je ne comprenais pas moi-même comment tout ceci avait pu arriver. Mais le fait était que ces évènements avaient bel et bien eues lieu, et que j'endossais bel et bien le rôle officiel de cheffe de la 7e génération de Gardiens ; ces mêmes Gardiens censés protéger le monde des menaces extérieures. Néanmoins, malgré mon intronisation plus ou moins prématurée, j'étais toujours assistée par Stephan, mon mentor et le chef actuel de la génération précédente. De plus, j'avais beau être intronisée, les autres apprentis de ma génération ne l'étaient pas encore, même Haldir et Florian, qui étaient pourtant bien plus compétents que moi, notamment en termes de compétences guerrières.
En vérité, la seule différence qui résidait entre nous était notre formation. La mienne s'était achevée avec mon intronisation, tandis que le reste des apprentis passait toujours plusieurs heures par jour en tête à tête avec leurs mentors.
En ce qui me concernait, la situation était en réalité des plus délicates. Stephan n'aurait pas dû être mon mentor – seulement celui d'Haldir, le Maître d'arme de notre génération. Mais, avec la mort de Philippe trois ans plus tôt, Stephan, son Maître d'arme et son second, avait dû endosser le rôle de chef. Mon mentor n'ayant jamais suivi la formation de chef dans son intégralité, ma propre formation s'était ainsi retrouvée répartie entre ses enseignements, et ceux que j'avais reçus au Mémorial, dans le sous-sol du QG.
Cette pièce un peu étrange permettait aux Gardiens suffisamment préparés d'échanger avec les Gardiens décédés des précédentes générations. J'avais ainsi pu rencontrer Philippe d'Akira (qui était par ailleurs le père de mon ami et partenaire, Haldir), et il avait pu me dispenser la formation théorique qu'il me manquait, et qui passait, par exemple, par la transmission de toute l'histoire des Gardiens, ainsi que des mœurs et coutumes de chacun des peuples auxquels nous étions associés.
Une petite partie de moi rêvait toujours, certains soirs, de me rendre en chair et en os sur Akira, et de rencontrer l'elfe à laquelle j'étais liée : Lainceleg. Hélas, les voyages interplanétaires n'étaient, à ce jour, pas encore possibles, excepté avec Umùan, mais il s'agissait là d'un cas particulier.
Un lien énergétique puissant s'étaient en effet créé entre Umùan et la Terre lorsque deux planètes étaient entrées en collision à proximité de cette dernière. La planète résultante de la fusion avait été nommée Umùan par les Gardiens, mais elle était plus connue par les hommes sous le nom de Jupiter. C'était à cause de cette planète que les Gardiens existaient, ou plutôt à cause de ses habitants, des légions d'orcs, dirigés par quelques rares sorciers, qui profitaient des portails créés entre la Terre et Umùan pour envahir la planète et tuer des hommes. Une éternelle rivalité perdurait donc entre les deux planètes.
Toutefois il y avait une exception. Aaron, un demi-sang, natif d'Umùan, mais qui avait sympathisé avec moi au cours des derniers mois. Il nous avait aidé à nous débarrasser du Roi Sorcier, sans pour autant me révéler les intérêts qu'il y trouvait. Néanmoins, il avait gagné ma confiance, celle d'Haldir, et finalement celle de Stephan après la bataille de Chaux. Il était resté deux jours supplémentaires au quartier général, le temps de se rétablir complètement, puis il nous avait quitté, et était rentré sur Umùan. Depuis, je n'avais plus eu de nouvelles.
Je l'avais invité à se joindre aux Gardiens pour le tournoi qui arrivait, mais il avait refusé, en insistant sur le fait qu'il devait remettre de l'ordre sur Umùan maintenant que le Roi Sorcier était mort. Depuis lors, j'avais moi-même été débordée.
Les préparatifs du tournoi annuel prenaient un temps fou. Cela faisait pourtant plusieurs mois que nous le préparions avec Stephan, mais l'organisation d'un tel évènement n'en constituait pas moins une tâche colossale. Il s'agissait de la 174e édition du tournoi, institué à l'époque par Philippe, lorsqu'il était chef. Mais cette année était particulière, puisque pour la première fois, le tournoi allait se dérouler avec deux générations de participant. Pour l'occasion, une catégorie spéciale d'épreuve avait été crée pour permettre à la 6e et à la 7e génération de s'affronter dans des épreuves dites stratégiques. Leur déroulement était pour le moment tenu secret : Stephan et moi mis à part, les seules personnes au courant des épreuves et de leur contenu étaient les arbitres désignés.
Pour le tournoi, nous avions effectivement composé différentes équipes, et nommé d'après les non-participants des arbitres, en charge de créer des parcours de différents niveaux, puis d'arbitrer les matchs le jour J. Pour chaque épreuve, on comptait au moins un arbitre de chaque génération. J'étais moi-même arbitre de certaines épreuves, dont les épreuves physiques et la principale organisatrice avec Stephan des épreuves stratégiques. Le tournoi débuterait dès demain, et se déroulerait sur plusieurs jours. Il s'agissait donc de finir les préparatifs aujourd'hui.
A bout de souffle, j'arrivai enfin à la zone d'habileté où se trouvait un des entrepôts réservés au tournoi. C'était un grand et large bâtiment d'un gris morne et ennuyeux. Il n'y avait aucune fenêtre, tout juste des brèches béantes destinées à l'aération. Je tirai les lourdes portes de chêne pour me faufiler à l'intérieur. Il y avait du matériel partout, des cordes aux banderoles en passant par une herse démontée et une tour en pièce détachée. Même en utilisant ma sensibilité à l'énergie comme seconde vue omnisciente, le fouillis était si dense que je ne percevais rien.
J'entrepris donc de me frayer un chemin parmi les meubles, les poutres et les outils pour trouver les piquets et les plots que Stephan m'avait demandés. Je ne tardai pas à dénicher les plots, de couleur vive, et un tantinet réfléchissants. Pour les piquets, ce fut un petit peu plus long. Je fini par les sortir de ce qui semblait être une mini locomotive en bois surmonté de branches séchées, qui avait peut-être servi pour une épreuve de cross dans le passé. Il ne me restait plus qu'à ramener le tout dans les temps au chef.
Quand je revins, il m'attendait avec Johan et Silla, là où devrait débuter l'une des épreuves d'endurance du lendemain. Un tas de piquet nous y attendait déjà, ainsi que d'autres plots et de nombreuses bobines de fil. Les Gardiens me sourirent, et le visage de Silla était particulièrement éclatant. Elle avait joint ses cheveux couleur châtaigne rassemblés en une queue de cheval serrée et son sourire faisait apparaitre de petites fossettes en dessous de ses pommettes tandis que ses yeux verts fougères brillaient de l'éclat bleuté de l'aube.
Johan quant à lui, se tenait droit, comme il l'était toujours, les doigts poussiéreux et portant avec lui l'odeur forte des chevaux dont il s'occupait. Il portait toujours des vêtements moulants, souvent une tenue de chasse noire bien ajustée. Il avait des éperons à ses bottes, et ses cheveux noir corbeau n'étant pas attachés, ils se déployaient autour de son visage amical. Stephan, à ses côtés, paraissait tout de suite plus sévère, bien qu'il ne le soit pas forcément.
Le chef des Gardiens possédait une aura bien à lui. Vétéran dans l'âme, son expérience s'affichait dans sa posture et son attitude, les deux pieds bien au sol pour lui donner un appui stable, les bras le long du corps, une main non loin du fourreau de son épée. Ses yeux perçants imposaient le respect de chacun, et quelques cicatrices marquaient sa peau basanée.
Face à eux, je semblais frêle, petite, inexpérimentée dans bien des domaines. Bien sûr, j'avais fait des progrès, de gros progrès, mais deux cents ans d'expérience et d'entraînement quotidien nous séparaient. Même intronisée en tant que cheffe de la septième génération, j'avais encore beaucoup de chemin à parcourir. Le tournoi imminent allait être une excellente opportunité pour les autres apprentis et moi de se mesurer les uns aux autres et d'estimer l'efficacité de nos entrainements respectifs.
Pour cette 174e édition du tournoi, nous avions préparé quatre catégories composées de trois épreuves chacune. Mis à part pour les épreuves stratégiques qui opposeraient donc les deux générations de Gardiens, les participations s'effectuaient par catégorie, et les candidats devaient donc concourir dans les trois épreuves de la catégorie sous peine de disqualification. Malgré tout, une épreuve avait posé problème lors de la mise en place ce système : celle du lancer de lame, particulièrement exigeante, et pénalisante pour la plupart des apprentis. Nous avions donc adapté les règles pour permettre plus de participations. Quelle que soit la catégorie, chaque apprenti devait faire valider son inscription par son mentor pour une question de sécurité, notamment pour les épreuves équestres, difficiles elles aussi.
Le tournoi se déroulant sur plusieurs jours, Stephan, Silla, ma sœur et moi préparions actuellement les épreuves physiques, la première catégorie des quatre. Johan était venu nous donner un coup de main pour l'installation en l'absence d'Elléonora. Aucun de nous n'y participait, c'est pourquoi nous avions la charge de la conception et de la mise en place des parcours. Parmi les trois soigneusement préparés, le premier était un parcours d'habileté, sous la forme de modules à franchir, le plus rapidement possible. L'épreuve étant difficile pour les deux générations, nous avions établi un cinquième module pour ceux qui auraient chuté en franchissant les quatre premiers. Ce module de secours serait commun aux deux générations et serait plus difficile à franchir que les précédents, mais sans possibilité de chute.
Ensuite il y aurait une course d'endurance, de seulement quelques kilomètres, avec une limite de temps de 10 ou 15 minutes selon la génération, les deux parcours étant différents. Les parcours longeaient les lacs et s'achevaient tous les deux en haut de deux piliers, que les candidats devraient escalader. Bien qu'elle s'appelle ainsi, la course d'endurance se jouerait également sur le temps, et il s'agissait donc d'être rapide et résistant. Un arrêt sur cette épreuve couterait très cher en ajoutant une énorme pénalité de temps.
Enfin, la dernière épreuve de la catégorie était une course d'orientation revisitée, avec plusieurs chemins possibles, sans boussole, et évidemment chronométrée. Elle commençait dans la forêt et s'achevait au sommet de l'un des piliers de pierre. A la fin des trois épreuves, le compte des points gagnés serait fait selon le classement des candidats de chaque épreuve, puis le podium serait donné par les organisateurs, à savoir Stephan et moi.
Tout était fin prêt pour ces épreuves qui se dérouleraient le lendemain, il ne nous restait qu'à tout installer. Ils étaient cinq Gardiens à participer, et six apprentis. Stephan et Silla arbitreraient leur génération tandis que ma sœur et moi serions en charge de la septième génération.
En tant que chefs avec Stephan, nous avions également dû organiser les épreuves stratégiques dans le plus grand des secrets. Je savais déjà que, contrairement à Stephan, je ne participerai pas à l'une des trois épreuves stratégiques. J'étais donc seule en charge de l'organisation de toute une partie de cette épreuve. Quant à la dernière à laquelle nous participerions tous les deux, nous l'avions conçu pour pouvoir l'organiser tout en y participant le jour J. A l'heure actuelle, nous étions encore les seuls à connaître le contenu de ces trois épreuves stratégiques.
A quatre, la mise en place des parcours fut achevée en quelques heures. Les modules pour l'épreuve d'habileté étant déjà installés, on se permit une pause bien méritée, et Johan nous abandonna pour retourner s'occuper des chevaux tandis que ma sœur nous rejoignait pour un débrief.
Elléonora revenait d'expédition, ses cheveux d'un brun presque noir étaient donc noués fermement, et plaqués par endroit par la sueur de l'effort. Ses bottillons étaient couverts d'un mélange de boue et de vase, et de la poussière s'était accrochée sur ses jambières et sous ses ongles. Malgré tout, un sourire éclairait son visage, et elle me fit une accolade en arrivant, sa fatigue tout juste visible.
Ma sœur étant associée à un vampire de Danrar (planète que les humains appellent Pluton), elle vivait en décalage par rapport aux autres Gardiens, non par nécessité, mais parce que les vampires de chaque génération écopaient traditionnellement de la garde de nuit. Habituellement, à cette heure-ci, Elléonora était donc en train de dormir au quartier général. Mais grâce à leur association avec des vampires, qui dorment peu, les Gardiens de Danrar pouvaient se passer dans une certaine mesure de sommeil, et à l'occasion du tournoi, il leur arrivait donc de ne dormir que deux à trois heures par jour pour assister à l'évènement. Nicolas et Shayna, de la 6e génération, en souffraient peu, néanmoins, je pouvais aisément voir que les nouveaux apprentis n'étaient pas tout aussi à l'aise avec ce rythme de vie.
Stephan m'avait confié que le lien des Gardiens avec leurs associés s'amplifiait au fil des années, et que plus celui-ci était fort, plus le corps et l'esprit s'adaptait pour permettre une symbiose complète, et un meilleur partage des capacités. Il était donc normal que ma sœur et son binôme, Mathéo, aient plus de mal à supporter le manque de sommeil que leurs mentors.
Le débrief achevé et le déjeuné pris, on se sépara pour vaquer chacun à nos occupations. Pour ma part, un dernier entraînement pro-tournoi m'attendait en compagnie d'Haldir.
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Note de l'auteur :
Et voilà ! Avec ce chapitre, c'est un nouveau tome qui commence, et qui sera bien différent du premier, tout en gardant nos chers personnages ! Voilà 3 ans jour pour jour que j'ai publié pour la première fois le tome 1 des Gardiens de Gaïa, et plus de 4 ans que le projet murit et évolue ! Cette saga fait partie intégrante de moi, et c'est toujours avec joie que je vous le partage, et j'attends avec impatience vos retours ! Je vous réserve quelques surprises avec ce tome-là, que j'espère vous apprécierez ! Alors à jeudi prochain pour le chapitre 2 ! Et joyeux anniversaire à GdG1 !
A bientôt,
Lainceleg
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