Les portes étaient effectivement marquées du nom de leurs occupants. La mienne se trouvait au fond du couloir, à côté de celle d'Haldir.

Ce dernier était déjà rentré, je n'eus donc bien malgré moi, pas l'occasion de lui parler. J'avais pendant le discours, entraperçu mon compagnon, et sa mine soucieuse ne m'avait pas échappé.

Remettant la discussion à plus tard, je posais mon doigt sur la poignée de la porte de ma chambre, qui s'ouvrit sans un bruit sur un petit couloir menant à une immense pièce pourtant bien peu remplie puisqu'elle n'était meublée que de l'essentiel : un lit, une armoire blanche, un bureau et une chaise. Posée bien en évidence sur cette chaise, une tenue de chasse noire accompagnait une fine cuirasse et des bottes légère de même couleur. Le tout était très élégant et orné de motifs d'arabesques blanches. Me dévêtant de ma tenue de ville, j'enfilais rapidement l'ensemble, qui s'avéra m'aller comme un gant. Rangeant mes vêtements dans l'armoire uniquement remplie du nécessaire, je parcouru la vaste étendue de la pièce pour rejoindre le bureau, et remarquai un message signé de Stephan : « RDV à treize heure trente à l'arrière-cour pour ta première leçon. ». Cela promettait d'être intéressant ! Me détournant du mot je jetais un coup d'œil par la fenêtre qui donnait sur le petit pré sauvage que j'avais aperçu en arrivant. Plongée dans mes pensées, je commençais à me poser des questions sur la véracité de la situation. Moi, une guerrière ? Même apprentie, je n'avais pas la carrure d'une héroïne. De plus, Stephan avait employé des mots inconnus, des noms plus probablement, comme Akira et Eltaria ou Ostrillan et Unyan. Un autre détail invraisemblable, Stephan avait dit que les Gardiens existaient depuis l'an 820, et il s'était présenté de la 6e Génération. A moins que mon cerveau ait perdu soudainement toutes ses capacités de calculs, cela incluait que chaque Génération de Gardien était en fonction 200 ans ! En vérité, le seul élément qui me faisait croire à toute cette histoire était Haldir. Haldir n'était pas quelqu'un de crédule, son instinct ne le trompait jamais, et il savait démêler le vrai du faux. Or quand j'avais aperçu Haldir pendant le discours, son expression ne trahissait aucun doute quant au sérieux de notre situation. S'il y croyait, moi aussi.

Mais s'il n'avait pas paru douter, il était celui qui avait été le plus déstabilisé par les évènements. L'arrivée de Stephan semblait avoir provoqué chez lui une brusque remontée du passé. Je décidais d'aller lui parler. Je sortis donc de la chambre, et allais toquer à la porte de sa chambre. Je fus soulagée quand il vint m'ouvrir et m'invita à entrer, comme si je craignais qu'il me rejette. Sa chambre était semblable à la mienne, sinon qu'elle n'avait pas de couloir faisant le lien entre la porte et la pièce. Haldir s'était lui aussi vêtu d'une tenue de chasse et remarquais avec surprise que la cuirasse lui allait encore mieux qu'à moi.

Nous nous assîmes sur le lit.

« - Tu as beau faire une tête de torturé, cette armure te met en valeur !

Il sourit faiblement, mais ne releva pas.

- Haldir, demandai-je, ça ne va pas ?

- Eh bien, dit-il, cette histoire me dépasse pour tout t'avouer. Entre devenir apprenti guerrier du jour au lendemain, et rencontrer un ami de mon père, je crois que ça fait un peu beaucoup...

- Un ami de ton père ? Qui ça ?

- Stephan dit avoir été très proche de mon père avant sa mort, il y a deux ans et demi. Répondit-il.

- Mais, je croyais que tes parents étaient morts l'année dernière ?

- On nous l'a annoncé il y a un an, mais je ne les avais pas revus depuis trois ans déjà. Stephan m'a avoué qu'ils s'étaient sacrifiés pour sauver les autres Gardiens pendant la Grande Guerre...

- Je suis désolée, ça doit être dur à encaisser.

- Oui, mais il faut voir le bon côté des choses, ils ne sont pas morts en vain ! J'avoue, ça me fait du bien d'en parler. Ton soutien m'est précieux, merci.

- Y'a pas de quoi ! Dis-je en lui donnant un léger coup de coude. Je vais descendre voir les guerriers, j'ai deux-trois petites questions, tu m'accompagnes ?

- Te connaissant, ils ne s'en remettront pas ! S'esclaffa-t-il. Vas-y je te rejoins après.

- Ok, à tout à l'heure !

Je ne voulais pas le laisser seul mais son sourire me rassurait. Je sortis donc et descendis.

La porte de la pièce principale était entrouverte, mais j'hésitais tout de même à toquer pour signaler ma présence. Cependant, avant même que je n'ai pu me décider, la porte s'ouvrit d'elle-même et Silla m'invita à entrer. Ma gêne occasionnée disparut aussitôt. Les guerriers discutaient à une table, mais aucun signe des autres apprentis. Sans doute étaient-ils encore en haut. Silla m'emmena auprès des autres, ils parlaient gaiement de leurs programmes d'apprentissage. Certains disaient commencer immédiatement, et d'autres quelques jours plus tard. Un des guerriers parlait de commencer par enseigner à son apprenti à monter à cheval, un autre guerrier plus petit voulait commencer par le maniement des armes...

La guerrière qui m'avait ouvert me fit assoir et me présenta les autres guerriers. Cinq des sept présents m'étaient inconnu. Les autres étaient Stephan et Silla.

La première présentée était une femme de taille moyenne, aux cheveux blonds soigneusement coupés au carré. Ses joues légèrement rosées étaient plissées par son grand sourire chaleureux, et ses yeux cobalt respiraient la joie. Elle se nommait Samia.

Ensuite fut présentée Elène. Ses longs cheveux noirs étaient teintés de reflets roux, et noués en une longue natte derrière son dos. Ses yeux marrons cachaient une flamme ardente et une énergie impressionnante, et de discrètes taches de rousseur parsemaient son visage. Elle pencha doucement la tête pour me saluer.

Deux autres guerriers dénommés Pierre et Yonan semblaient plus petits que les autres. Pierre était blond, avec quelques mèches plus foncées qui lui tombaient devant les yeux, et ses petits yeux d'un brun profond trahissaient de nombreuses années vécues. Yonan quant à lui, avait une peau plus foncée, en accord avec ses cheveux châtains et ses yeux marrons. Trapu, un peu joufflu et d'un air jovial, il ne détonnait absolument pas dans cette salle semblable à une taverne. Les autres guerriers non plus mais lui particulièrement, s'y accordait.

Le dernier guerrier se présenta lui-même. Du nom de Johan, comme mon beau-père, coïncidence étrange mais plausible, sa stature était au moins aussi impressionnante que celle de Stephan, mais avec une pointe de mystère en plus. Ses yeux presque noirs me dévisageaient d'un air étrange, qui me mettait quelque peu mal à l'aise. C'était le guerrier qui était arrivé directement en tenu de chasse tout à l'heure, une tenue que revêtaient à présent tous les guerriers d'ailleurs. Brisant le silence qui s'était installé, il me rappela que je me trouvais là, entourée de guerriers qui attendaient probablement à ce que je prononce un mot.

- Alors ça te plaît ici Kyra ? Demanda-t-il avec son air inquisiteur. Tu es l'un des apprentis de Stephan n'est-ce pas ?

Étrangement, même s'il posait la question, j'avais le sentiment qu'il en connaissait déjà la réponse.

- Oui, bredouillais-je, perturbée. Le QG semble immense, mais il est fantastique du peu que j'en ai vu. En revanche, je ne peux répondre à la deuxième question, je ne connais pas vos programmes d'entraînement...

- Oui tu es effectivement mon apprenti, intervint Stephan avec un sourire. D'ailleurs je crois deviner que tu as tout un tas de question non ? Ne te retiens pas surtout.

Bel euphémisme ! Un ouragan de questionnement se mélangeaient dans ma tête, tant et si bien que je ne savais pas par où commencer. Cependant toutes étaient en quelque sorte liées...

- Qu'est-ce qu'Akira et Eltaria ? Je vous ai entendu prononcer ces mots plusieurs fois, mais sans en comprendre le sens...

Nullement surpris de la question, Stephan y répondit calmement.

- Elles font partie de deux des neuf planètes qui constituent le Système Solaire. Tu les connais probablement, Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton. Mais elles cachent à l'abri du regard des hommes, et par hommes j'entends humains, les cinq écosystèmes dont nous sommes originaires. Saturne abrite Akira pour les elfes, Vénus Cache Eltaria, la terre des fées, Mars, c'est Morian pour les nains, Pluton, Danrar pour les vampires, et Mercure abrite Aeglar pour les centaures.

- Donc nous sommes des... extraterrestres ? Demandais-je indécise.

- Non ! Enfin en partie, mais ce n'est pas le terme que j'utiliserai.

Autre chose me dérangeait, il avait parlé de neuf planètes pour seulement cinq écosystèmes.

- Qu'en est-il de Jupiter ? Finis-je par demander.

- Son histoire est liée avec celle d'Ostrillan et d'Unyan, répondit-il, son sourire un peu figé. Elles se sont percutées, le jour de la création de la confrérie, car c'est à cause de ces deux planètes qu'elle fut créée. Elles s'étaient alors percutées non loin de Gaïa, et fusionnant en une seule planète, créant du même coup un portail vers la Terre. C'est une planète corrompue, habitées par des orcs et quelques malheureux sorciers qui ne demandent qu'à tuer.

- Ostrillan était la planète des orcs et des gobelins, continua Johan quand son chef se fut tu. Et Unyan abritait quelques rares sorciers, tous disparus aujourd'hui. Mais les habitants d'Ostrillan ont traversé le portail et notre mission est depuis lors de les éliminer afin de protéger Gaïa.

- Pourquoi ne pas bloquer le portail ? Dis-je, absorbée par l'histoire.

- Nous ignorons où il se trouve, et celui d'Umùan est inaccessible.

- Et Umùan c'est ?

- Le résultat de la fusion d'Ostrillan et d'Unyan, reprit Stephan, Jupiter donc. D'autres questions ?

- Si je suis votre apprenti, cela veut dire que je suis une elfe ? Continuais-je.

- Oui en gros.

- Donc je viens d'Akira. Concluais-je.

- Oui bien qu'en vérité c'est le pouvoir qui est en toi, et qui fait de toi une elfe qui vient d'Akira. Dit-il

- C'est compliqué ! M'exclamais-je.

- Ça viendra ! Répondit-il.

Il rit de bon cœur devant ma tête découragée. C'est alors que je pensais à un autre détail.

- N'y est-il pas censé avoir dix guerriers par génération ?

Aussitôt, l'ambiance retomba. Je craignis alors d'avoir dit quelque chose d'inapproprié.

- Si, Nicolas et Shayna, nos deux vampires, dorment. Répondit le chef. Ils sont souvent de garde de nuit, d'où leur absence.

- Et le dernier ? Demandais-je fébrilement.

Les regards sombres finirent de m'inquiéter. Un lourd silence dura, désagréable, avant que Stephan ne daigne répondre.

- Philippe, le deuxième elfe de notre génération, est mort il y a deux ans et demi, dit-il. Lui et sa femme se sont sacrifiés pour arrêter la Grande Guerre...

Mais quelle gourde ! Si seulement j'avais réfléchi avant de poser la question, j'aurais ainsi évité ce moment de gêne ! J'aurais dû me douter que le père d'Haldir était un Gardiens ! Nous en avions parlé juste avant en plus... Au moins savais-je à présent qu'il se nommait Philippe.

Silla rompit le nouveau silence à peine installé d'un ton amusé.

- Je crois que quelques apprentis attendent derrière la porte de savoir s'ils peuvent entrer...