Chapitre 41

La lumière du jour naissant vint me titiller les paupières alors que je dormais profondément. Doucement, je m'éveillai alors et restai un moment allongée en savourant le confort douillet que je ressentais. Enfin, j'ouvris les yeux.

Je me trouvais dans ma chambre, au quartier général. Tournant la tête pour observer l'immense pièce presque vide, mon attention passa d'un objet à l'autre, depuis le bureau jusqu'au pied de mon lit en passant par les quelques chaises qui étaient soigneusement empilées dans un coin. Enfin, toujours allongée, les yeux fixés sur l'encadrement de la fenêtre, je me souvins que je n'aurai pas dû me trouver là. Deux mois plus tôt, j'aurai paniqué en constatant un tel trou noir dans mes souvenirs ; aujourd'hui, je me trouvais parfaitement calme. Une chaleureuse énergie semblait sommeiller au fond de moi, et je sus que, quoi qu'il se fusse passé, je n'avais plus à m'en inquiéter.

Ce fut donc l'esprit serein que je me levais et attrapai dans un geste routinier une tenue de chasse propre, que j'enfilai rapidement. Ceci fait, je savourai quelques instants de plus le calme de ma chambre, où j'étais seule avec moi-même. A travers la fenêtre, l'aube colorait le ciel de couleurs chatoyantes, offrant à ma vue un fantastique spectacle. Quelques nuages cotonneux qui s'étendaient en fins rubans se teintaient dans ce ciel, comme si celui-ci laissait couler sa couleur.

Puis, tandis que l'azur s'installait pour la journée, je me détournai et franchi les quelques mètres qui me séparaient de la porte. Je l'ouvris doucement, et marchais avec légèreté à travers le couloir pour gagner le rez-de-chaussée. Je commençai alors à entendre quelques voix qui provenaient de la Taverne.

Tandis qu'un sourire vint flotter sur mes lèvres, je marchai donc vers la pièce et y entrer. Le silence s'y fit alors, avant qu'Haldir ne se lève et ne s'exclame, les yeux pétillants :

« Notre cheffe est de retour ! »

Un grand nombre de Gardiens, vétérans comme apprentis, se trouvaient là, et ils applaudirent presque tous en riant alors que mon compagnon me rejoignit pour m'escorter jusqu'à la grande table en me tapotant amicalement le dos. Les conversations reprirent ensuite progressivement.

« Alors ? Comment te sens-tu ? », me demanda gentiment Haldir.

Elléonora et Mathéo approchèrent et s'assirent à côté de nous en me souhaitant le bonjour.

« Comme quelqu'un qui ignore totalement ce qu'il s'est passé depuis que j'ai passé ce portail sur le dos d'Asfaloth. Mais tout le monde semble bien se porter, j'en déduit donc que cette histoire c'est bien terminé. »

Haldir m'adressa un nouveau sourire, qui reflétait une certaine fierté.

« Tu y es pour beaucoup même si tu ne t'en souviens visiblement pas ! C'est toi qui a vaincu le sorcier ! »

L'idée me paraissait étonnante, mais je ne doutais pas de la parole de mon compagnon, surtout lorsqu'elle était approuvée par ma sœur.

« Combien de temps s'est écoulé depuis ? »

Haldir fit semblant de compter sur ses mains comme si les événements remontaient à plusieurs mois.

« Presque une journée entière ! », finit-il par s'exclamer en riant à nouveau.

Sa bonne humeur ne le quittait plus, et s'était propagée à travers toute l'assemblée. J'observai un peu mieux les personnes présentes, et finit par conclure que seul Stephan manquait à l'appel. En me voyant analyser le groupe, Silla parut s'amuser, et m'adressa un clin d'œil en devinant ma conclusion.

Presque au même moment, la porte de la Taverne s'ouvrit à nouveau. Mon expression afficha une agréable surprise lorsque je vis entrer le chef des Gardiens de la 6e génération suivit d'une silhouette familière.

« Aaron ! », le saluai-je, heureuse de le voir en bons termes avec mon mentor.

« Nous avons cru déceler un brouhaha particulièrement fort... », railla le demi-sang narquoisement.

Je jetai un regard heureux à Haldir, qui me le rendit avec affection. Aaron se râcla bruyamment la gorge.

« Un jour il faudra bien que vous vous embrassiez ! » lança-t-il, et tout le monde, exceptés mon compagnon et moi, rit gaiement à la pique.

Le calme revint ensuite, et Aaron alla s'installer un peu à l'écart, préférant observer la suite de l'extérieur, comme il l'avait toujours fait.

« Il te reste une dernière chose à faire Kyra », m'annonça alors Stephan avant de balayer l'assemblée du regard.

« Je crois que le temps est venu pour commencer la succession des Gardiens. Or pour cela, votre cheffe a besoin de passer une dernière épreuve. »

Mon expression resta sereine tandis que Stephan prononçait ces mots, et le calme était revenu sur les Gardiens. En un sens, je me sentais prête, même si je savais pertinemment pour l'avoir longuement entendu que la succession se tenait sur plusieurs longs mois, voir plusieurs années. Je me levai pour faire solennellement face à mon mentor. Celui-ci m'indiqua alors de le suivre, et seuls Haldir et Elléonora nous suivirent.

Stephan me mena donc au travers des couloirs tortillés du sous-sol, avant de s'arrêter devant l'une d'entre elle, en bois de chêne épais. Je me tournai vers mes compagnons, puis vers lui, et il m'encouragea d'un regard entendu. Sans m'attendre à rien, je posais donc ma main sur la poignée de la porte qui luisit brièvement sous l'effet du charme qui la protégeait, et poussait le battant qui s'ouvrit sur une lumière éclatante. Quand, la porte refermée, celle-ci s'atténua enfin, je pus observer calmement mon environnement.

La pièce dans laquelle je me trouvais était vide, un peu plus petite peut-être que le Mémorial, mais surtout complètement vierge. Le calme y régnait comme dans l'attente d'une indication. Il m'apparut alors qu'elle n'attendait que moi. Je fermai alors les yeux et pris une grande inspiration avant de relâcher doucement l'air, atteignant un stade de sérénité presque complet. Quand je rouvris les yeux, je me trouvais dans une forêt familière. Celle-ci, luxuriante, sauvage, mais pour le moins vivante, s'étendait tout autour de moi, et les êtres qu'elle abritait y faisaient tranquillement leur vie sans se soucier de ma présence.

Trois silhouettes s'approchèrent alors : deux d'entre elles étaient des elfes, et la dernière, une femme, qui émettait une douce lumière blanche. Vêtue d'une longue robe pâle et lisse qui reflétait la couleur de sa peau, ses iris brillaient d'un violet profond. Ses mains étaient délicates, mais fermes, et ses longs cheveux châtains tombaient en cascade sur ses épaules. Au milieu des fougères, elle semblait presque irréelle. Elle prit la parole en premier.

« Il y a longtemps que j'attendais ta venue Kyra, car il est de nombreux dangers en ce monde que tu ignores encore, et qui nécessiteront ton attention à l'avenir. Mais pas aujourd'hui. Tu mérites de te reposer un petit peu et de fêter ta dernière victoire avec tes compagnons. »

Sa voix tintait comme le son d'un limpide carillon tandis qu'elle parlait, m'imposant un respect muet.

« Je suis Gaïa, déesse créatrice de ce monde, et l'âme de la planète sur laquelle tu vis. Mais au-delà de tout ceci, je suis aussi celle qui t'a indirectement donné la vie. »

Elle laissa ses paroles sonner à travers les bois luxuriants. Je ne comprenais pas où elle voulait en venir par ces mots.

« J'ai revêtu de nombreuses apparences à travers les âges, me matérialisant sur les écosystèmes planétaires par le biais d'incarnation. Ta mère est l'une d'entre elle. »

Les mots résonnèrent en moi comme une révélation. J'étais surprise, le bon mot serait peut-être même interloqué. Mais quand j'eus assimilé ses dires, la vérité telle qu'elle était m'apparut claire et limpide. Toute l'implication de ma mère avec Stephan et les Gardiens prenait sens, de même que mes facilités quant à la manipulation énergétique, car après tout, Gaïa n'était-elle pas la déesse qui nous avait offert ces capacités ?

Gaïa écarta les mains et les deux elfes, qui se tenaient jusque là en retrait, s'avancèrent. Celui de droite possédait une longue chevelure dorée qui brillait comme le Soleil, et des yeux d'émeraude qui reflétaient une sagesse sans limite. Il portait avec respect une longue épée au côté, et une tunique légère aux couleurs de la confrérie. Portant également ces couleurs, le deuxième elfe, de sexe féminin me lança un regard dans lequel je me plongeai. Alors seulement je la reconnu. Elle était la présence qui me guidait depuis bien avant le recrutement, parfois sans même que je le remarquasse. Elle était celle qui, au cours de la bataille, avait pris le relais pour m'assister dans mon affrontement avec le sorcier. Nous étions une en étant deux personnalités distinctes.

« Je m'appelle Lainceleg », dit-elle. « Nous sommes sœur de sang puisque je suis moi aussi une des filles de Gaïa. Depuis le début, nous progressons ensemble, et je n'avais, jusqu'ici, jamais eu l'occasion de me présenter ; je le fais donc à présent. »

Elle s'inclina respectueusement, et, subjuguée par la puissance de mon alter ego, je fis de même avec un respect égal, s'il n'était plus grand.

« Cette salle », reprit Gaïa en désignant la forêt illusoire qui nous entourait, « est le seul lieu où je puis me matérialiser sans en détruire l'équilibre énergétique. Être ici en ma présence est une prouesse qui prouve à elle seule la robustesse de ton esprit, car tu supportes sans dommage une quantité concentrée d'énergie en continu. Tu as ainsi passé la dernière épreuve Kyra. Désormais, tu es Cheffe de la 7e génération des Gardiens de Gaïa. »

J'acquiesçai, peut-être sans réaliser ce que ce titre impliquait. Peu importait toutes ces conséquences finalement : quoi qu'il puisse arriver, j'étais déterminée à l'affronter de la façon qu'il faudrait. Je savais qu'Haldir, comme tous les autres apprentis, répondraient toujours présents. C'était le propre des Gardiens, ce qui faisait leur différence, et leur plus grande vertu : ne jamais abandonner.

« Bonne chance, Kyra de Gaïa. »

La déesse, un sourire tranquille flottant sur le bord de ses lèvres, s'effaça alors, suivie de près par les deux elfes et le paysage luxuriant. Avant qu'elle ne disparaisse, j'échangeai un dernier regard avec Lainceleg, qu'il me semblait connaître depuis toujours. On se comprit sans paroles, notre lien était si fort qu'aucun mot ne pouvait traduire cet échange. Nous étions sœurs, sœurs d'âmes et de sang.

Plus forte que jamais de la confiance que plaçait la déesse en moi, je quittai la pièce, et fis fièrement face à Stephan, les yeux pétillants et le sourire aux lèvres.

« Jesuis prête. »


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