Chapitre 39

Le lendemain matin, soit le jour de l'activation, le quartier général était plongé dans une hérésie complète : Elène avait détecté un changement dans les flux énergétiques français, et le phénomène s'étendait jusqu'en Suisse et dans l'ouest de l'Allemagne.

En apprenant cette nouvelle, Stephan s'était rendu au sous-sol, sans doute pour consulter les membres des anciennes générations, ou Gaïa elle-même ; les autres, Gardiens comme apprentis, se préparaient en vue d'un affrontement. Tous feraient partie de l'expédition. Tous, sauf Shayna, que Stephan préférait ménager, Silla et Tara, par choix, et moi. La décision de Stephan avait été catégorique : il refusait de me voir sur le champ de bataille. Au cours de la mission, ce serait donc Haldir qui guiderait les apprentis selon les indications du chef. Toujours privé de monture, il monterait donc mon propre cheval, Dagorian.

Je me trouvais donc au milieu de toute cette agitation, seule avec mon stress, sans rien à préparer. Je craignais pour la vie d'Aaron : si Stephan ou un autre tombait en face de lui, ils le tueraient sans hésitation. J'avais donc demandé à Haldir de lui transmettre un message de prudence de ma part.

Et maintenant, j'attendais. J'ignorai où je tirais ma patience et mon calme, mais j'attendais.

Quand il fut un peu moins de onze heures, Stephan réunit tout le monde dans la Taverne : Elène avait noté l'arrivée d'orcs sur le lieu où convergeaient les flux énergétiques. Mon mentor donna ses instructions, que je n'écoutais que d'une oreille, bien consciente qu'elles ne me concernaient pas. Plus qu'énervée, j'étais surtout inquiète. J'étais certaine qu'aucun d'entre eux – mis à part Haldir peut-être – n'avait conscience du danger qui les attendait.

La stratégie mise en place, ils se rendirent à l'écurie et je les accompagnai, pour les saluer, et vérifier que tout allait bien avec Dagorian. Moins d'un quart d'heure plus tard, ils étaient tous partis.

Il régna alors un calme plat, très plat, comme si toute vie s'était évanouie.

Shayna, Tara, Silla et moi retournâmes à la Taverne en silence, et même après, nos lèvres restèrent closes. Tara finit par s'éclipser pour regagner sa chambre, et Silla s'affaira à ranger la cuisine. Quant à Shayna, comme moi, elle fixait le vide, plongée dans ses pensées. Ce genre de silence n'était pas rare chez la Gardienne, mais aujourd'hui, il aggravait mon malaise.

Soudainement, je fus prise d'une violente nausée. Réprimant mon malaise, je me pliai en deux, ce qui alarma les deux Gardiennes. La nausée passa, mais mon estomac était plus noué que jamais, et un sentiment pressant s'emparait de moi.

« Ça va Kyra ? Que se passe-t-il ? », s'inquiéta Silla.

Je secouai la tête pour m'éclaircir les idées et bondi sur mes pieds.

« J'ai un mauvais pressentiment... », soufflai-je.

Moins d'une minute plus tard, mon médaillon se mit à briller, de plus en plus fort de secondes en secondes. Mon pressentiment devint plus fort, une certitude s'imposa alors.

« Aaron... », murmurai-je, les yeux écarquillés. « Je suis désolée Silla, je sais que je devais rester mais je dois y aller ! De toute urgence ! »

La Gardienne s'affola et voulu me retenir, mais j'étais déjà à l'extérieur du bâtiment. Un portail s'était ouvert et s'emblait m'attendre, mon médaillon brillait toujours plus fort. Je franchi le voile bleu dans hésitation, m'attendant à me retrouver sur le champ de bataille.

J'eus cependant la surprise de me retrouver à Romans, ce qui n'était pas plus mal car j'étais partie si précipitamment que je n'avais pas la moindre arme sur moi. Je me mis alors à courir. Après trois virages, je m'arrêtai brusquement. Aaron était-là, à moitié mort contre le mur, tentant en vain de rester sur ses jambes. Il était couvert de sable rouge et ses vêtements étaient déchirés par endroit. Mais ce qui m'horrifia le plus fus son sang, noir, et le râle qui sorti de sa bouche lorsqu'il me vit.

« Le poison... Les Gardiens... En danger... »

Il clopina durement vers moi avant de s'écrouler dans mes bras. Je restais tétanisée un instant. Son sang plus noir que l'ébène ne me trompait pas, il était en train de mourir empoisonné. Or l'antidote se trouvait au quartier général, et je ne pouvais pas le soigner seule. Ma décision fut vite prise.

L'instant d'après, nous étions au sol, devant le quartier général, et j'appelai Silla d'un cri, d'une voix qui trahissait ma panique. Elle accourut, et s'arrêta en apercevant Aaron ; je la vis hésiter.

« Vite Silla ! Je t'en supplie ! Je n'ai pas le temps de tout t'expliquer mais il est en train de mourir ! »

Son instinct de guérisseuse l'emporta, et nous transportâmes Aaron jusqu'à la salle de soin au sous-sol. Il s'était évanoui entre-temps, et je sentais son cœur battre faiblement, à un rythme irrégulier. Ceci fait je couru jusqu'à ma chambre pour y récupérer l'antidote. Quand je revins, Aaron était étendu sur un lit, livide comme la mort et secoué de spasmes brutaux. Silla tentait en vain de calmer sa crise, en faisant de son mieux pour garder son calme.

Tentant d'arrêter le tremblement de ma main et de maitriser mon inquiétude, j'apportai l'antidote, et l'appliquais sans attendre. Le liquide bleu fut absorbé en quelques secondes, et je vidais la moitié du flacon pour tenter de sauver le demi-sang.

Les spasmes ralentirent et au fil des minutes, il commença à reprendre des couleurs. Silla était déjà affairée à panser ses plaies sans se poser de question, et je la regardais faire, soulagée de voir l'état de mon allié se stabiliser. Quand il fut hors de danger, moins de quinze minutes plus tard, Silla souffla enfin.

« C'est lui n'est-ce pas ? Le sorcier avec qui tu t'es alliée... »

J'acquiesçai, soulagée que la Gardienne ne s'énervât pas.

« C'est un demi-sang, cet antidote, c'est lui qui me l'a donné. C'est celui qui a permis de soigner Shayna il y a deux semaines. Pardonne-moi pour ce qu'il s'est passé. Téléportée à Romans, je l'ai trouvé ainsi et j'ai pris peur... »

Elle s'approcha de moi et me rassura avec un sourire bienveillant.

« Ne t'excuse pas quand tu crois faire ce qui est juste à tes yeux. Je te fais confiance, je sais que tu en sais plus que nous sur tout ce qui se passe ces jours-ci, et Stephan aussi même s'il n'oserait jamais l'avouer. Je te laisse gérer ça, et si tu as besoin de moi, je serai en haut... »

Sur ces paroles rassurantes, elle me laissa seule avec le sorcier.

Quelques secondes plus tard, la voix d'Aaron retentit faiblement. Je m'approchai de lui sans cacher mon soulagement.

« Kyra... Les Gardiens... Ils courent un grave danger. »

Une sueur froide me parcourut le dos quand je vis son visage paniqué. Je me hâtai de l'interroger pour lui demander de développer.

« Les amplificateurs... », souffla Aaron, « il y en as beaucoup plus que ce que j'imaginai... Le double au moins ou le triple... »

Je devins livide d'effroi. La voix du demi-sang reprit encore un peu de fermeté.

« Tu dois y aller Kyra ! Tu possèdes un pouvoir insoupçonné... Tu es leur seul espoir ! »

Je ne bougeai pas, incapable de croire aux paroles de mon allié. Mais les mots qui suivirent me firent l'effet d'une claque.

« Vas-y ! Vas-y ou ils mourront tous ! »

Immédiatement, je fis volte-face.

Cependant, en sortant de la salle de soin, je ne pris pas les escaliers. A la place, je couru à travers le couloir pour regagner le Mémorial, où j'entrai en trombe.

Philippes et Andrea s'étaient tout juste matérialisés que je leur indiquai de sonder mes souvenirs. Quelques secondes plus tard, ils échangèrent un regard entendu.

« Tu n'as pas de temps à perdre Kyra, les Gardiens ont besoin de toi. Rappelle-toi cependant une chose : quoi qu'il arrive, n'oublie pas qui tu es et les responsabilités qui t'incombent... Un chef protège les siens. »

Philippe me regarda gravement après ces paroles, pour une fois sans sourire. Puis ce fut au tour d'Andrea de parler.

« Je ne doute pas que tu sauras prendre les bonnes décision Kyra. Tu as une force immense en toi, et tu es la seule capable de t'en servir. Or Stephan et les autres ont besoin de cette force en ce moment-même, alors ne traine plus et dépêche-toi de les rejoindre ! »

J'acquiesçai, les remerciai et me préparai à quitter les lieux.

« Kyra ! », m'interpella Philippe, « Va chercher Asfaloth pour moi, il t'aidera... »

Surprise, je me hâtai pourtant de quitter le Mémorial et fonçai à l'armurerie. Silla me surprit sur le passage alors que j'en sortais, armée.

« Je dois y aller Silla, c'est une question de vie ou de mort... »

Elle acquiesça sans surprise, et me prit dans ses bras. Quand elle me relâche, ses yeux étaient humides.

« Merci Kyra... Merci d'être celle que tu es. »

Je ne comprenais rien des réactions de ceux que je croisais, que ce soit celle d'Aaron, de mes mentors au Mémorial ou de Silla, mais leurs encouragements me donnaient de la force.

A peine sortie des écuries, le harnachement d'Asfaloth en main, je le sifflai aussi fort que je le pus, attendis avec espoir. Un roulement de puissants sabots ne tarda pas à se faire entendre, et l'immense étalon apparut devant moi dans toute sa splendeur. Il se laissa docilement harnacher, et moins de deux minutes plus tard, j'étais sur son dos, remerciant Philippe pour m'avoir d'une façon ou d'une autre envoyé sa monture.

Je matérialisai ensuite un portail, et le franchit au galop, sans regarder en arrière.

Le lieu sur lequel je débouchai me glaça le cœur.

Ce qui était censé être une forêt était désormais une plaine saccagée par les orcs. L'atmosphère brûlait, d'une chaleur plus ardente que lors de la bataille du Puy Violent ; le sol était couvert de sang d'orc et de nombreux cadavres étaient à terre. Je vis mes compagnons acculés les uns contre les autres, aux prises avec des dizaines et des dizaines d'orcs tandis que d'autres apparaissaient encore par centaines, téléportés depuis une multitude de portail. Et en lévitation au-dessus de ce carnage, je vis celui qu'Aaron appelait le Maître, le visage masqué et entouré d'une aura si puissante qu'elle en devenait visible à l'œil nu.

Asfaloth hennit d'un cri strident qui retentit à travers tout le champ de bataille.

Des orcs se ruèrent sur moi, et je les accueilli du bout de ma lame sans hésiter. Mon entraînement avait payé : ma maitrise de l'escrime avait grandement évolué, de même que mon endurance, et le combat me parut plus facile que lors de la dernière intervention. Hélas il y avait également beaucoup plus d'ennemis à abattre. Je repérai Haldir, et fus soulagée de voir qu'il s'en sortait bien. Aucun Gardien n'était encore décédé, même si la plupart d'entre eux, dont une majorité d'apprenti mais également plusieurs vétérans, présentaient des blessures sévères.

Je fus effrayée de voir Julien en souffrance, adossé contre un arbre, la main sur les côtes, profitant d'un peu de répit offert par Romain et Florian qui se battaient à ses côtés.

Mes yeux devinrent humides. Le visage du maître-sorcier arborait un sourire cruel : il jouait avec la vie des Gardiens de façon sadique et abjecte. Je ne pouvais supporter cela. Mon sang s'échauffa dans mes veines et sembla presque me brûler. Dans les tréfonds de moi-même, une force étrange grandi, et s'empara de moi. Le maître-sorcier regarda soudain dans ma direction, surpris. Au moment-même où je croisai son regard, je m'évanouis.


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