Chapitre 36

Nous avions passé l'heure suivante à élaborer un plan pour le soir même. Il me fallait retirer le dispositif installé par Aaron et saboter l'emplacement pour donner un ou deux jours de plus de battement pour qu'Aaron puisse en découvrir plus sur les intentions du Maître sorcier.

Le souci, c'est que Aaron ne devait pas être soupçonnable, donc les Gardiens ne devaient intervenir qu'une fois Aaron parti. Celui-ci aurait, en effet, beaucoup de mal à expliquer une défaite de sa part sans perdre la confiance de son supérieur. Quant au manque de discrétion que ce Maître pouvait lui reprocher, le sorcier pouvait le mettre sur le compte des orcs. Cependant il ne me livra pas beaucoup plus d'informations, il se contenta de m'indiquer le lieu de l'intervention à venir, et me répéta plusieurs fois qu'il serait présent sur les lieux pour une durée maximale de vingt minutes, et que les Gardiens de devaient sous aucun prétexte arriver dans cet intervalle de temps. Pour saboter l'emplacement du dispositif, je n'avais qu'à y mettre le feu ; Aaron m'assura que le dispositif en question ne résistait pas à une chaleur importante, car il demandait un apport constant d'énergie aquatique, et donc d'humidité.

Les détails du plan réglés, nous gardâmes un moment le silence. Finalement, en apercevant une énième fois ses pupilles à la recherche d'un indice sur ses pensées, je n'avais pu me retenir de l'interroger.

« Pourquoi tes yeux ne sont pas noirs, comme ceux des autres sorciers ? »

Il m'avait regardé avec l'expression indéchiffrable que je lui voyais si souvent, puis avait reporté ses mystérieuses pupilles sur l'Isère qui s'écoulait le long du Chemin des Bœufs.

« Je ne suis pas un sorcier de sang pur... », avait-il répondu. « Mais avant que tu ne le demandes, et même si je le savais je ne te le dirais probablement pas, j'ignore totalement qui sont mes parents, mais il y a de forte chance que je sois un métissé humain. »

J'avais ouvert la bouche pour poser une question, mais il m'en avait dissuadé. Visiblement, ce n'était pas un sujet sur lequel il souhaitait se confier.

« J'ai à faire, je m'en vais », avait-t-il finalement annoncé. « N'oublie pas l'importance du minutage ce soir... Peu importe comment tu te débrouilles, ça m'est égal. Et restez vigilants, le Maître pourrait avoir fait installer des pièges dont j'ignore l'existence... »

Sur un signe de tête, je m'apprêtais alors à rentrer également. Mon escapade avait duré plus longtemps que prévu.

« Quand est-ce que nous nous reverrons ? »

Non pas que je craignis qu'il me manque... Il s'agissait plutôt de se réunir au sujet de l'alliance.

« Je l'espère, pas avant deux jours. Retrouvons-nous ici. »

J'avais approuvé, et il s'était retourné pour partir par une rue adjacente avant de se raviser.

« Il te reste de l'antidote ? »

Avec un nouveau signe de tête, je lui avais confirmé, le flacon était encore plein aux trois quarts après les soins de Shayna.

« Garde-le précieusement, tu pourrais en avoir de nouveau besoin... »

Et sur ces mots peu rassurants, nous nous étions séparés.

*****

De retour au quartier général, je le trouvais paisible. Aaron m'avait indiqué une heure approximative de la mission pour dix-huit heures, j'avais donc largement le temps de me préparer.

Pour mener à bien ma mission, il m'était en effet nécessaire de me déplacer, et donc de participer à l'intervention qui serait menée par les Gardiens. Sans doute serait-ce la partie la plus difficile à exécuter, car Stephan refuserait catégoriquement de me laisser participer à un combat.

Le deuxième point sur lequel j'allai devoir m'organiser concernait le minutage. Je devais retenir les Gardiens jusqu'à temps qu'Aaron soit parti. Or je savais pertinemment qu'Elène détecterait immédiatement la présence d'orcs sur la Terre. A ce moment-là, alors que je quittai ma chambre où je venais de me changer, Haldir vint vers moi, et je remis mon problème à plus tard. Je ne voulais pas impliquer Haldir dans mes plans, aussi lorsqu'il m'interrogea sur les informations obtenues, je lui indiquai qu'on en rediscuterait plus tard.

Quelques heures plus tard, alors que nous finissions l'entraînement, un plan avait germé dans mon esprit. J'avais trouvé le prétexte parfait pour le problème du minutage. Quant à Stephan, il me suffirait, avec un peu de chance, d'être insistante. A ce moment-là, alors que je réalisais ce qu'il se préparait, une légère angoisse vint s'installer dans mes tripes, et elle ne fit que croître au fil de la journée.

Finalement, alors que je pensais le temps restant long, le soir arriva presque trop vite.

Passé dix-huit heures et après quelques préparatifs en vue de mon plan, je m'installai dans la Taverne pour rester à proximité de Stephan. Or il se trouvait que Elène, qui était justement la responsable surveillance, était aussi présente. Ainsi, lorsque ses yeux divaguèrent, je ne fus aucunement surprise de l'entendre s'exclamer :

« Il est là ! Le sorcier vient de se téléporter en Suisse ! »

Je regardai immédiatement l'heure : dix-huit heures trente-six. J'avais étudié le terrain, et j'étais certaine que Stephan ordonnerait d'emmener les chevaux. Cela me permettrait de gagner un peu de temps. Le chef avait immédiatement réagi, et donnait déjà des directives après s'être enquis de la localisation exacte. Il s'avérait d'ailleurs, sans doute grâce à une manipulation d'Aaron, que cette localisation était imprécise, c'était encore un peu de temps de gagné.

« Va chercher Johan, Pierre et Samia. Je vous veux tous à l'écurie dans cinq minutes. »

Elène acquiesça et parti. Il était temps pour moi d'agir.

Alors que Stephan s'apprêtait à quitter la salle, je me levais et l'interpellai.

« Stephan ! Je peux vous accompagner ? »

Celui-ci se retourna avec un air sévère et surpris.

« Nous accompagner ? Pourquoi ? »

Je soufflai un bon coup et regardai mon mentor en face.

« Parce que je serai bientôt cheffe, et que je participe rarement aux interventions ! J'aimerai vous aider ! »

Je voyais que Stephan était pressé, il ne cessait de jeter des coups d'œil à la porte. Depuis le temps qu'il rêvait de coincer Aaron ! C'était aussi pour lui un moyen de venger Philippe.

« Ce n'est pas une mission de reconnaissance Kyra... », me dit-il. « Nous allons nous battre, et contre un sorcier. C'est trop dangereux. »

Je pris une expression suppliante ; l'hésitation de mon mentor, même très légère, ne m'avait pas échappé. Et étant pressé, il serait peu patient devant mes suppliques ; j'avais donc une chance de le convaincre.

« Mais je suis certaine de pouvoir vous aider ! Je serai prudente ! »

A ce moment-là, Haldir, qui venait de rentrer dans la pièce et semblait avoir compris que quelque chose se tramait, se décida à intervenir en me soutenant.

« Je n'ai qu'à venir aussi ! Nous resterons ensemble et veillerons l'un sur l'autre, ainsi vous n'aurez pas à vous occuper de nous ! »

Stephan hésita quelques secondes supplémentaires avant de finalement répondre, toujours aussi pressé.

« D'accord, mais vous ne vous quittez pas d'une semelle et vous restez prudents ! Au moindre danger, vous rentrez immédiatement ! Nous allons nous battre contre un sorcier, ce n'est pas une partie de rigolade... »

Il faisait déjà volte-face pour se hâter, mais nous regarda chacun dans les yeux avec un regard si sérieux que j'en eu un frisson.

« Je ne veux pas vous voir à côté de ce sorcier. Ne cherchez à aucun moment à le confronter. »

Notre mentor quitta la pièce et nous y laissa seul.

« Alors ? Qu'est-ce qu'il se passe exactement ? »

Je soufflai profondément, soulagée d'avoir passé la première difficulté.

« J'ai quelque chose à régler là-bas... Aaron n'est pas l'auteur de la dernière attaque. Je n'ai plus le temps de te raconter tous les détails, mais il faut absolument qu'il soit parti quand nous arriverons. »

Je regardai la montre à l'intérieur de mon médaillon.

« Nous devons les retenir encore quinze minutes. Après ça, Aaron devrait être parti. »

Haldir fronça les sourcils alors que nous nous mettions en marche vers l'armurerie.

« Si Aaron est parti... Il ne restera plus personne sur les lieux quand nous y arriverons ? Nous ne risquons rien dans ce cas ? »

Je secouais la tête.

« Il a prévu d'emmener des orcs, nous aurons donc quelques ennemis qui nous attendront. Mais avec les Gardiens à nos côtés, il ne devrait y avoir aucun risque. »

Il acquiesça et on entra sans plus tarder dans l'armurerie. J'avais pris soin de laisser vide mon carquois après l'entraînement, et je pris ainsi près d'une minute à réunir mes flèches avant d'attraper mon arc et mon épée. Je ne pris pas mon bâton, je ne l'estimai pas nécessaire au vu de ma maîtrise restreinte de cette arme.

Ensuite, nous rejoignîmes les autres à l'écurie, feignant de s'être dépêchés. Stephan nous réprimanda brièvement, et nous pressa de préparer nos montures. Enfin, alors que nous étions sur le point de partir, Haldir me fit un clin d'œil, et indiqua qu'il avait oublié ses dagues et couru les récupérer. Ce n'étaient que quelques secondes de gagnées, mais c'était mieux que rien.

Quand nous passâmes finalement le portail, il était dix-huit heures quarante-neuf.

*****

Sur place, nous nous retrouvâmes dans une forêt peu dense, mais assez loin d'Aaron, dont je ne ressentais pas du tout la présence dans mon environnement proche. Je savais qu'il dissimulait son aura, avec l'habileté fantastique qui était la sienne, mais je me savais également capable de la repérer, bien plus efficacement que tous les autres Gardiens présents. Au Mémorial, à peine trois jours plus tôt, Philippe et Andrea m'y avaient entraîné.

Stephan lui-même essaya – je le devinai lorsqu'il ferma les yeux avant de les rouvrir en jurant, une demi-minute plus tard – et échoua. Il semblait de plus en plus tendu, et je devinai qu'il ne fallait pas échauffer ses nerfs plus longtemps. Il restait à peine plus de cinq minutes.

« Je peux essayer ? », proposai-je. Stephan me l'ordonna immédiatement, et ses yeux se rallumèrent d'une lueur d'espoir, ou de reconnaissance.

Je fermai à mon tour les yeux, et étendis ma conscience. Je sentis alors les fruits de mon entrainement avec Philippe, compte tenu de la distance phénoménale que je couvrais maintenant sans trop d'efforts. Bien vite, je le repérai à un peu plus de trois kilomètres à l'est, mais je feignis de chercher encore pendant une trentaine de seconde. Finalement, je rouvris les paupières avec un air triomphant, et désignais un point quelque part au nord-est.

J'espérais, en effectuant quelques détours, les plus légers possibles pour ne pas attirer les soupçons, gagner les quelques minutes qu'il me manquait.

Stephan m'indiqua de chevaucher en tête et tous se lancèrent au galop à ma suite. Les sabots foulaient furieusement le sol, avec un bruit conséquent puisque c'étaient sept équidés qui galopaient côte à côte, à vive allure. Un peu plus loin, je vérifiai la présence et la position d'Aaron, et changeai de direction. Je le fis encore trois fois avant de ne plus pouvoir retarder l'échéance. Mon allié n'avait toujours pas quitté les lieux, et je commençai à désespérer alors que nous approchions. Finalement, au dernier moment, si bien que Stephan l'aperçu et que j'eus le temps de croiser son regard grave dans l'ombre de sa capuche, il s'éclipsa.

Cependant, je n'eus pas le temps de célébrer cette victoire. M'étant focalisée uniquement sur Aaron, je ne m'étais pas rendu compte du nombre d'orc présent. Ils étaient au moins vingt, et ils nous tombèrent dessus comme des mouches. Je ne m'en sortis indemne que grâce à un écart miraculeux de Dagorian, qui évita la hache d'un immense orc marqué au fer rouge d'une larme dans un cercle percé de pointes. Je passais ainsi au travers des orcs avant d'opérer un demi-tour et d'encocher une flèche sur mon arc.

Je blessais ainsi trois ou quatre orcs en les touchant à plusieurs reprises, mais bien vite, ceux-ci se dirigèrent vers nous. Haldir avait placé sa monture, Viadro, aux côtés de la mienne, et il dégaina sa lame. Je tirai un dernier trait avant de ranger rapidement mon arc et de dégainer à mon tour. Nous attaquâmes de concert avec un efficacité due à nos nombreux entraînements en duo, et nous achevâmes ainsi deux des quatre orcs qui nous poursuivaient. Hélas, en fuyant les autres, nous nous retrouvâmes à l'écart des autres Gardiens qui se débattaient au cœur du combat.

Je ne me rendais pas compte du danger, bien que je fusse pour la première fois confrontée à des orcs en situation réelle, sans doute grâce aux combats auxquels j'avais assisté au Mémorial. Mais c'était surtout dû au fait que je n'avais pas le temps pour ce genre de réflexion.

Après plusieurs attaques difficiles, nous vînmes finalement à bout des deux orcs qui nous avaient pris en charge. Je soufflai alors et baissai légèrement ma garde, convaincu que le combat touchait à sa fin.

Ainsi, je ne vis pas la nouvelle cohorte d'orc nous tomber dessus depuis les arbres. L'un d'eux atterrit sur Viadro, et le blessa sévèrement de la croupe au jarret. L'équidé s'effondra, et Haldir roula au sol. J'appelai immédiatement Stephan à notre secours, et lançais ma monture affolée sur les orcs qui avaient fondu sur mon compagnon en le piétinant presque. Je me laissai glisser le long de l'épaule de Dagorian et lui ordonnait de filer, ce qu'il fit sans attendre.

Avec une fureur inquiète, je débarrassai Haldir des orcs qui le recouvraient, les forçant à reculer. Il se releva, et se hâta de défendre sa monture à terre, qui tentait de se relever en vain. Quant à moi, aux prises avec trois orcs, je commençai à faiblir. Je me rendis compte avec horreur que j'étais en train de perdre pied, car je n'avais pas le niveau face aux créatures monstrueuses qui m'attaquaient sans pitié.

Je reçu bien vite des entailles, de plus en plus nombreuses, mais surtout de plus en plus profonde. Je n'arrivai pas à leur tenir tête avec ma seule lame déjà couverte de sang sombre. Dans un sursaut d'adrénaline, je tranchai le bras d'un des orcs, qui tomba à terre avec un bruit sourd. Je retins un haut-le-cœur et me forçait à rester debout malgré la fatigue. Le renforcement énergétique que j'avais mis en place au début de l'affrontement commençait à s'estomper.

J'échangeai encore quelques coups désespérés, qui ne touchèrent pour la plupart que de manière superficielle l'épaisse peau des orcs avant de tomber de fatigue, et de tenter en vain de me relever, un genou à terre. Alors que je perdais ma dernière once d'espoir, Johan apparut devant moi, et s'interposa entre moi et les orcs, qu'il abattu en quelques coups puissants bien placés.

Le combat était terminé, et les orcs, tous défaits. Mais ce n'était pas grâce à moi.

J'entendis alors un hennissement suraigu et une plainte affolée d'Haldir. Viadro avait arrêté de se débattre, mais il était toujours à terre, et son postérieur gauche était en sang. Samia accouru à ses côtés et se hâta d'arrêter les saignements par magie.

J'observais cette scène dans un état second. En d'autres termes, j'étais sous le choc, incapable de comprendre ce qui avait mené à cette situation. C'est ma faute, compris-je. Je me suis mêlée à plus fort que moi, j'ai échoué à protéger mon partenaire. J'ai échoué à ma mission. La main de Johan se posa sur mon épaule et me fit réaliser qu'il me restait quelque chose à faire.

Toujours en état de choc, je m'éloignais néanmoins pour gagner l'endroit d'où Aaron s'était téléporté. En fouillant un carré de terre fraichement retourné, je déterrai le dispositif : la même forme métallique sur laquelle nous étions déjà tombé au cours d'une précédente intervention. Je la récupérai et la glissais dans une de mes poches avant de mettre le feu au trou et de retourner auprès des Gardiens. Samia, Haldir et Viadro avaient déjà quitté les yeux par téléportation, accompagnés de Pierre et Elène.

Johan et Stephan, qui m'attendaient, s'échangèrent un regard entendu auquel je ne fis pas attention. Je confiai le dispositif à Stephan et sifflait Dagorian qui nous rejoignit rapidement, et, accompagnée par la présence protectrice de Johan qui ne me quittai plus des yeux, je me téléportai à mon tour.

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