Chapitre 31
Il était dans l'arrière-cour, en plein entraînement avec Florian. Mon cœur se serra et je m'approchais lentement, en redoutant l'instant où il m'apercevrait.
Ce fut Florian qui, le premier, remarqua ma présence. Il croisa mon regard et son expression passa du sourire, au reproche, et à la compréhension lorsqu'il comprit mes intentions. Il s'excusa auprès d'Haldir et nous laissa seuls.
Alors seulement, mon compagnon nota mon arrivée.
Il semblait avoir une remarque acerbe sur le bout de la langue, et je ne lui en aurais pas voulu de la prononcer tant ma culpabilité avait crût au cours des dernières heures. Il parut se retenir en apercevant des larmes aux coins de mes yeux. Incapable de parler, la gorge nouée par un nœud acre, je restais debout, face à lui, à moins d'une dizaine de mètre, honteuse.
Lui me toisait avec un mépris mesuré, attendant patiemment que je prenne la parole. Au bout de longues minutes, je parvins enfin à articuler quelques mots, qui s'éteignirent au milieu d'un sanglot. Alors seulement, je fondis en larme et sortais tout ce que j'avais sur le cœur.
« Je suis désolée Haldir... J'ai été stupide et égoïste... Je me suis plongée dans des études supplémentaires sans me soucier de blesser mes amis en les oubliant presque... »
Je fis une pause pour tenter de calmer mes larmes que je ne pouvais retenir malgré ma honte d'une telle faiblesse devant Haldir. Sans que je ne sache comment, j'étais tombée à genou, et Haldir m'entourait de ses bras pour me réconforter.
« Ce n'est pas grave Kyra.. ? Ça arrive à tout le monde de faire des erreurs, moi le premier, et le plus important est que tu es compris ces erreurs, et que tu te sois excusée. »
On resta encore enlacés quelques secondes avant que je ne reprenne la parole.
« Et puis il y a ce Aaron qui m'obsède... J'ai honte d'admettre que je me levais chaque jour dans l'espoir de le voir, alors même que je t'ignorai dans ma naïveté. Tu me soutiens depuis notre rencontre alors que je le connais à peine et... »
Haldir m'interrompit soudain, et se détacha de moi pour me regarder dans les yeux.
« Attends... Qui est Aaron ? »
Je me rappelai alors que je n'avais jamais parlé de lui à qui que ce soit. Je m'en voulu d'autant plus de l'avoir caché à Haldir, et lui déballait tout.
« Un mètre quatre-vingts tu dis, vêtu d'un long manteau en cuir noir ? Non ça ne me dit rien... Il a dû arriver après mon départ... Mais tu devrais faire attention avec lui, on ne sait pas qui il est ni ce qui l'amène à Romans... Tu en as parlé à Stephan ? »
Je secouai la tête, Haldir m'aida à me relever pendant que nous parlions.
« Non... Et je préfère qu'il ne soit pas au courant pour l'instant s'il te plait... Je ne suis pas censée voir d'autres personnes que Maman quand je vais à Romans... Même s'il ne me l'a jamais interdit non plus. »
Il acquiesça.
« Je promets de ne rien révéler si tu promets, dès à présent, de ne plus me cacher ce genre d'information. Nous sommes partenaires et un duo de chef-maître d'arme. Il faut que nous puissions avoir une confiance absolue l'un en l'autre, d'accord ? »
J'inclinai la tête en guise de consentement et il me sourit. Son premier vrai sourire depuis plusieurs longs jours. Je sus à cet instant que je l'avais retrouvé, et qu'il m'avait pardonné, mais je n'en restais pas moins honteuse quant à mon précédent comportement.
Il ramassa son épée qu'il avait laissé au sol après l'interruption de son entrainement, et on commença à marcher.
« Alors ? Stephan m'a dit que tu étais en intervention il y a quelques jours ? »
Je confirmai d'un hochement de tête.
« Oui... Une mission de reconnaissance, nous avons croisé un sorcier. »
On se dirigea vers le fond de l'arrière-cour.
« Rien de grave j'espère ? »
Je secouais la tête. Peut-être par réflexe, Haldir avait saisi ma main un peu plus tôt, et ne l'avait pas relâchée depuis. Cependant il y avait quelque chose de réconfortant dans ce contact, et je ne le rompis pas.
« Pas assez pour inquiéter Stephan en tout cas... Mais le lieu concorde avec ta théorie du triangle... »
On ne s'éternisa pas longtemps sur le sujet, celui-ci ayant un peu trop tendance à nous causer inutilement du souci. A la place, Haldir me proposa un entrainement un peu différent de ce à quoi nous avions l'habitude. C'était une idée à lui, approuvée par notre mentor.
« Un cache-cache à l'aveugle ? » M'étonnai-je.
« Oui. » Confirma mon ami. « Seule la vision énergétique est autorisée. La technique de dissimulation de la marque énergétique est également autorisée pour compliquer un peu les recherches... Comme c'est un exercice que nous n'avons plus travaillé depuis longtemps, cela nous fera réviser ! »
L'idée me plaisait beaucoup. C'était une manière de lier le jeu au travail de techniques demandeuses mentalement et physiquement
« Ok ça me va ! Tu commences à te cacher ? »
Haldir acquiesça et sortit deux bandeaux d'une de ses poches, et m'en noua un autour des yeux avant d'attacher le sien. Privée de mes yeux, mon cerveau s'adapta en commençant à s'ouvrir à la détection énergétique, ce qui, au fil du temps, se faisait de plus en plus rapidement. Le temps que mon omniscience soit optimale, Haldir était déjà parti.
J'attendis quelques minutes, puis partis tranquillement en direction de la forêt.
Mon pas n'était pas aussi assuré que d'habitude, car même si ma vision omnisciente me permettait de détecter les aspérités du sol, les points d'énergie se confondaient parfois pour m'induire en erreur. Dès lors que je butais une première fois sur une pierre, je fus convaincue que j'avais l'air parfaitement idiote et maladroite, et j'en souris pendant que je marchais fébrilement, les bras légèrement écartés pour prévenir toute chute.
Nous n'avions pas délimité de zone, donc Haldir pouvait se trouver n'importe où, mais je l'avais senti partir vers la forêt plus tôt, donc je m'en rapprochais dans un premier temps. Alors seulement, je m'immobilisai, et j'étendis ma vision, pour couvrir un maximum de distance. L'effort était colossal, mais il constituait également un excellent entraînement, je m'efforçais donc de dépasser mes limites. Je mis de longues minutes à le repérer, et ma concentration commençait déjà à se détériorer quand détectai un flux anormal d'énergie à deux-cents mètres sur ma droite. Ce fut bref, mais ce changement ne m'échappa pas.
Avec un regain d'énergie et de confiance, je me mis à courir vers le lieu où j'avais aperçu l'anomalie, bien que celle-ci eut disparu. Je manquai d'ailleurs de heurter plusieurs arbres dans ma course, et m'en sortit miraculeusement indemne. Lorsque je fus à moins de vingt mètres, l'anomalie de flux redevint distinguable, et le fut de plus en plus jusqu'à ce que je puisse discerner l'empreinte énergétique de mon ami.
Il s'était caché en haut d'un chêne fourni, à quelques mètres de hauteurs. Habilement pour une personne aveuglée, je le rejoignis, et quand je l'eus touché, il me retira délicatement mon bandeau, et mes yeux s'ouvrirent à quelques centimètres de son visage. Je me détournais en rougissant.
« Tout ceci me rappelle un certain jour d'avril ensoleillé... » Soufflai-je.
Haldir suivit mon regard, qui s'était perdu dans les feuilles.
« Il est vrai que cette journée fut magnifique... » Déclara-t-il. « Un levé de soleil après une nuit orageuse. »
Le sens caché de sa phrase me toucha profondément au cœur, et dans un élan d'amour, je vins appuyer ma tête contre son épaule. Il ne se retira pas, au contraire, et passa son bras pour me serrer doucement contre lui.
« Je suis désolée... Tu ne peux même pas imaginer à quel point je m'en veux pour mon inconscience... Si je pouvais changer... »
Il m'interrompit avant que j'aie pu achever ma phrase.
« Je t'ai déjà dit que je ne t'avais pardonné... Je ne t'en veux pas. »
Il me regardait à nouveau et ses yeux d'un bleu limpide firent fondre en moi toute détermination.
« Mais... »
Il prit mon visage dans sa main libre, et mon estomac pétilla.
« Non. Arrête de t'excuser, tu l'as déjà fait. »
J'obéis et reposai ma tête sur lui en fermant les yeux. Pendant quelques instants magiques, je ne sentis rien d'autre que lui à mes côtés, et jamais depuis je ne me sentis plus en sécurité qu'avec mon partenaire et confident retrouvé. Cela se manifestait par une chaleur inexprimable au fond de moi, qui ne fit que croître, comme un soleil montant qui venait éclairer un jour de printemps émergent. Une douce brise vint caresser mes cheveux, et une mèche qui s'était échappée de ma tresse pendant ma course tomba devant mes yeux clos. Délicatement, la main d'Haldir vint la replacer derrière mon oreille. On n'entendait rien d'autre que le gazouillement des oiseaux et le bruissement des feuilles multicolores.
Alors, subrepticement, sans, dans un premier temps, que je ne le réalise vraiment, une forêt qui n'était pas celle du QG s'imposa à moi. Les feuilles d'arbre y étaient vertes, comme elles pourraient l'être en été, et l'ambiance était étonnamment calme, plus que là où je me trouvais réellement. Cependant ce n'était pas un calme lourd et désagréable, bien au contraire ; c'était un calme apaisant. Les oiseaux eux-mêmes se faisaient discrets dans leurs chants, et pas un seul pas ne venait troubler la quiétude du bois.
Alors je réalisais que je n'étais pas moi, et dès lors, la vision commença à s'estomper. Mais j'eus le temps de sentir le poids de mon arc dans mon dos, accompagné d'un carquois plein, et de remarquer le fourreau à mon côté, en tout point semblable à celui qui était entreposé à l'armurerie, à côté d'une plaque avec mon nom. A l'intérieur reposait une lame, l'exact copie de mon arme. J'en effleurai la garde qui disparaissait dans une lumière tamisée.
Je reviens à moi et ouvris les yeux. Les seules mains d'Haldir m'avaient gardée d'une chute de près de cinq mètres lors de mon moment d'absence. Mon compagnon me regardait avec inquiétude.
« Tout va bien ? »
Sa voix ne tremblait pas -elle ne tremblait jamais – mais elle appuyait avec clarté son expression confuse.
« Oui, ça va. »
Je me redressai avec distraction, l'esprit entièrement focalisé sur un fait : l'information qui m'échappait depuis deux longs mois m'apparaissait à présent comme une évidence.
« Qu'est-ce qu'il y a ? Il s'est passé quelque chose ? »
Cette fois, c'était plus de la curiosité et de l'intérêt que trahissait sa voix. Je le fixai et acquiesçais doucement, toujours sous le coup de la surprise.
« Oui... »
Il attendit avec patience que je continue, ce que je fis sans discontinuer.
« J'ai découvert le nom de mon épée... »
Il parut d'abord surpris, puis un sourire éclaira son visage.
« Et quel est-il ? »
Le nom sortit sans que j'eusse à y penser, comme si sa place avait toujours été entre mes lèvres, comme si la place de mon épée se trouvait naturellement entre mes doigts.
« Salmare... »
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