Chapitre 30

« Ton épée n'est toujours pas nommée... » Me fit remarque Stephan deux jours après notre intervention.

Sa remarque était un simple constat, mais elle sonnait comme un reproche, comme si je fuyais les tâches et responsabilités qui étaient les miennes. Mais peut-être n'était-ce que le reflet de mon propre avis sur mon comportement actuel.

Ce matin encore, tout comme la veille et l'avant-veille, j'avais refusé d'accompagner Haldir à l'entraînement, préférant me concentrer sur l'étude de la physique quantique et mes séances au Mémorial. Il était vexé, je le savais, et je ne l'avais plus croisé de la matinée, comme s'il m'évitait.

« J'ai beau m'en être servi lors de nombreux entraînements, je n'ai aucune idée sur aucun nom. » Protestai-je avec une pointe de mauvaise humeur, interrompant ma lecture pour regarder mon mentor. Celui-ci fronça les sourcils.

« Dans l'immédiat, j'ai quelques tâches à exécuter, mais quand ce sera fait, je t'emmènerai dans la salle de l'intuition. Cela t'aidera peut-être. »

J'acquiesçai avec un petit soupir qui ne sembla pas plaire à Stephan, qui me montra sa désapprobation d'un regard avant de tourner les talons.

Malgré tout, je n'avais aucune envie de perdre du temps dans une nouvelle salle dont le nom ne m'inspirait rien d'autre que de longues heures de méditation, dans le seul but d'inventer un nom qui ne changerait strictement rien à l'utilisation que je ferai de mon arme. Je préférai largement étudier des principes scientifiques qui pouvaient s'avérer utiles à plusieurs reprises.

Je m'en plaignais encore en boucle dans ma tête pendant de nombreuses minutes avant de soupirer à nouveau, de me réprimander avec mauvaise humeur et de retourner à mes livres.

Lorsque je retrouvai Stephan, une petite heure plus tard, j'étais un peu calmée, et je réussi tant bien que mal à garder mon mécontentement pour moi.

Il me guida à travers les couloirs de plus en plus familiers du sous-sol, plus loin encore que pour le Mémorial. On s'arrêta devant une porte qui ne semblait protégée par aucun enchantement ou serrure, et je l'ouvris sans difficultés, sans attendre d'instructions qui, de toute façon, ne viendrait pas.

Légèrement agacé par mon attitude inhabituelle, pour laquelle je m'en voulais à peine, Stephan me poussa presque dans la salle, et referma la porte sans attendre, en m'interdisant de sortir avant d'avoir fait au moins un progrès, ou que l'après-midi ne se soit complètement écoulée.

« Il faut parfois un peu forcer les choses. » Avait-il dit.

Émettant un énième soupir, je me tournai donc vers le contenu de la salle, qui se présenta sous la forme d'un labyrinthe végétal couvert d'un brouillard humide. Les murs, constitués de haies d'un arbuste qui pourrait être du laurier s'il n'était pas si haut, ne laissaient devant moi qu'une entrée, qui s'enfonçait dans le labyrinthe avant de se séparer en deux chemins opposés, qui se perdaient chacune dans un brouillard dense.

Je failli, par impatience, me contenter de m'asseoir et d'attendre, mais, « quitte à être enfermée là » me dis-je, « autant aller au bout des choses ».

Je fis donc face au labyrinthe, et dès lors, je me persuadais que je trouverai le nom de ma lame de l'autre côté du labyrinthe. Je décidais d'établir une stratégie afin d'éviter de me perdre, qui était de longer la paroi sur ma droite jusqu'à sortir de l'autre côté. J'empruntais ainsi l'allée et plongeais au cœur des haies feuillues en les effleurant de ma main droite

Le brouillard s'avéra bien vite particulièrement entêtant, et je perdis trop vite toute conscience. Toutes mes émotions et mes ressentis s'en retrouvèrent décuplés, et au bout de quelques virages à peine, effectués sans hésitation afin de suivre ma stratégie, je tombai à genou, en larme et en proie à une culpabilité mordante, que je refoulais autant que possible. Je réussi, de quelque manière que ce fut, à me convaincre que ce n'était pas de ma faute, si je passais moins de temps avec Haldir, s'il m'évitait, si mon apprentissage prenait une place prépondérante dans mon quotidien. Cette culpabilité m'était sortie de nulle part, revêtant une ampleur grandissante.

D'une détermination sans faille alors que je fondais en larme quelques minutes plus tôt, je continuais mon avancée. Je marchai longtemps, m'arrêtant quelques fois pour pleurer, sans vraiment savoir pourquoi, mais toujours sans la moindre idée du nom que pouvait porter mon arme.

Au fil du temps, je croisais de moins en moins d'intersections, mais mon chemin tournait encore régulièrement. C'était comme si certains chemins étaient masqués, que je ne pouvais les emprunter. Le brouillard se faisait plus oppressant aussi, jusqu'à devenir une source d'angoisse, et s'amplifier à m'en rendre trempée.

Après un autre virage, qui devait être le centième, je fus surprise de découvrir une longue allée rectiligne, et il me faut avouer que celle-ci me donna de l'espoir. L'atmosphère sembla s'alléger un peu, et tout devint plus clair un instant : je touchais au but, ma stratégie arrivait à sa fin et m'avait conduite de l'autre côté.

Ainsi mon arrivée dans un cul de sac me fit l'effet d'une douche froide, et je restais longtemps figée, dans la brume humide et désormais froide, en fixant les feuilles dans un désespoir croissant. Je tentais de garder contenance, de ne pas céder à l'impatience et pivotai lentement, les yeux fermés, déterminée à venir à bout de ce labyrinthe. Mais j'avais à peine opéré un demi-tour et marché sur quelques pas que je dû m'arrêter, confrontée à un nouveau cul de sac : la voie était bouchée par une haie qui n'était pas là moins de deux minutes plus tôt.

Je paniquai alors, incapable de retenir des larmes de frustration, qui se transformèrent à nouveau en larmes de culpabilité, avant de céder la place à la tristesse, au dépit, au désespoir, à la fatigue. Cette dernière se faisait ressentir avec une intensité que je n'aurai pas soupçonnée, car la fatigue en elle-même ne m'avait pas semblé présente aujourd'hui. Vicieuse, elle me surprenait maintenant au moment le moins opportun.

Je rassemblais alors mes deux jambes entre mes bras, assise au sol, au milieu de l'allée sans issues, pour tenter de me réchauffer malgré le froid provoqué par le brouillard. Je sanglotai longtemps, et mon esprit s'égara entre le rêve et la réalité, plana inconsciemment entre les allées, traversant les haies, regagnant progressivement en contenance. Quand j'ouvris à nouveau les yeux, mon esprit s'était suffisamment éclairci pour me permettre de démêler mes sentiments, et de nombreux sentiers dépourvus de brume ou presque, s'étendaient autour de moi. Subrepticement, le fonctionnement de cette salle s'immisçait au cœur de mon âme, et la frustration devint compréhension ; la colère devint respect.

Je me relevai alors, et doucement, par peur de faire disparaître les voies tracées au moindre geste brusque, et je fis quelques pas. Mais il me fallait choisir un chemin, et la raison m'ayant déjà poussée dans la mauvaise direction, il fallait trouver un nouveau guide auquel me fier.

« La salle de l'intuition ».

Ce n'était pas pour rien qu'elle se nommait ainsi, et mes sentiments m'avaient déjà tiré d'un mauvais pas. Plus que mon cœur, il me fallait écouter mon âme tout entière, cette petite voix, cette force qui te souffle le danger comme les solutions les plus improbables pour peu que l'on parvienne à l'entendre. Celle-là même qui m'avait soufflé le nom de mon arc, plus de deux mois plus tôt.

Je fermai les yeux, et abandonnais toute logique pour me laisser porter par le brouillard restant, qui plus qu'oppressant, semblait maintenant providentiel. Il me porta sur une voie à gauche, et mes pas suivirent sans réfléchir. Sans même ouvrir les yeux, sans même utiliser ma vision omnisciente, je marchais d'un pas sûr à travers les sentiers qui s'ouvraient sous mes pieds. Le temps perdit tout son sens, et ma conscience elle-même se dissipa. Mon esprit, qui me semblait plus léger que jamais, semblait séparé de mon corps.

Et enfin je sortis.

La magie s'arrêta, et je rouvris les yeux sur un terrain vague, désert. Il n'y avait rien, pas même un signe, un symbole, ni quoi que ce soit qui pu me mettre sur la voie. Pas le moindre indice quant au nom de mon épée. Mon espoir s'effondra de nouveau. J'avais perdu mon temps, traversé ce labyrinthe sans le moindre résultat. J'étais dépitée.

« Non »

Je m'interdisais de penser comme ça. J'avais forcément progressé. Je m'étais effondrée de la même manière dans le labyrinthe, et je m'étais relevée, mon instinct m'en avait sorti. Peut-être s'agissait-il de la même solution : l'intuition.

Résignée, pris une grande bouffée d'air et fermais à nouveau mes yeux. Le noir s'abattit sur le monde, mais un autre en résulta. Un monde sans couleurs, sans formes, sans contours. Un monde de ressentis complexes, imprévisibles, qui faisait autant partie de moi qu'il m'effrayait. Et il y avait quelque chose. Dans ce monde étrange et indescriptible, je percevais de manière indécise ce que je cherchais. C'était là, juste hors de portée de main. Je n'avais qu'un pas à faire.

Presque en état de trans, je levai mon pied pour l'avancer. Mais incapable de détacher mon esprit de mon objectif pour ne pas le perdre, je butai et ne pu me rattraper. Une lumière blanche, suivie d'un flot de ressentis me traversa, et mon cerveau ne pu en retenir la totalité, submergé par la puissance de la vision. Elle me passa au travers comme l'aurait fait une hirondelle au milieu des nuages, et ne laissa aucune autre trace que la marque de sa force terrassante. Elle me laissa hébétée et seule à côté d'un labyrinthe qui ne m'avait apporté d'autre réponse qu'une nouvelle question.

Stephan me retrouva dans un état second, et il ne me fit pas une seule réclamation. Il se contenta de me ramener au rez-de-chaussée et de retourner à ses affaires.

Hélas, le retour à la réalité qui suivit fut brutal. Je croisais le regard de Haldir : il était froid et profondément heurté. Incapable de le lui retourner, je fuyais me réfugier à l'étage, sous les yeux surpris de Silla. Mes nerfs étaient à fleur de peau, le moindre de mes sentiments se révélait un calvaire.

Une main tapa doucement à ma porte, et le nom de la Gardienne d'Eltaria se dessina en caractères dorés. Je ne répondis pas, effondrée sur mon lit, incapable d'émettre un autre son qu'un sanglot étouffé. Silla entra et referma la porte avec une attention délicate, avant de m'approcher d'un pas léger.

Sa voix éveilla une chaleur étrange, inhabituelle au fond de mes entrailles. Reçu par mon esprit épuisé, ses mots n'avaient aucun sens, mais ils comblaient les fissures de mon cœur du temps qu'ils étaient prononcés. Ils emplissaient presque le vide créé par le regard d'Haldir, ce trou béant creusé par la culpabilité.

Je sentais alors l'énergie affluer. Une énergie douce, apaisante. Silla s'était assise à mes côtés, une main posée sur mon épaule. Je la regardai avec des yeux humides ; j'avais honte de ma faiblesse.

« Que s'est-il passé ? » Demanda-t-elle, presque en chuchotant.

Je n'avais jamais vu la Gardienne aussi tendre. Elle voulait m'aider, je lui en étais grée.

« Voilà déjà plusieurs jours que notre relation se dégrade considérablement... » Déplorai-je. « Ma formation monopolise mon temps et il s'en plaint, parce que je le délaisse... »

Sans quitter sa bienveillance, Silla s'étonna, et fronça les sourcils.

« Mais peut-être a-t-il vraiment quelque chose a te reprocher, ne crois-tu pas, qu'après plusieurs mois d'une amitié aussi fusionnelle que la vôtre, Haldir te reprocherait un simple manque de temps libre ? Et puis il me semble t'avoir souvent vue partir à Romans ces derniers temps... Cela ne fait pas partie de tes obligations. Je me trompe ? »

Non, cela, effectivement, représentait une décision de ma part. Plutôt que de m'entraîner avec Haldir, je choisissais de rentre visite à Maman, ou plutôt à Aaron. Et je remballais systématiquement mon compagnon.

« Je lui dois des excuses... » Marmonnai-je.

Hélas, j'admirai trop mon camarade, et la culpabilité était trop grande pour que j'ose me présenter devant lui à nouveau. A cette pensée, les larmes me vinrent à nouveau.

« Nous savons toutes les deux qu'il souhaite ces excuses autant que toi, pourvu qu'elles soient sincères. Il est ton ami. Plus que ça, il est ton partenaire, ton collègue et il est comme ton frère. Si tu as commis une erreur envers lui, tu te dois de la rectifier, par respect et bonne conscience. »

J'acquiesçai, mon visage était toujours déformé par les remords.

« Maintenant tu sais ce qu'il te reste à faire ! » S'exclama la guerrière avec un sourire d'encouragement.

Je secouai vivement la tête et me redressai.

« Je le ferai. Merci Silla. »

Elle sourit à nouveau et m'adressa un clin d'œil en quittant la pièce.

Il ne me restait plus qu'à retrouver Haldir, et lui faire mes excuses.


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