Chapitre 29

La matinée suivant ma découverte de la salle de surveillance, j'étudiais tranquillement quelques principes de physique quand je fus interrompue par le son de pas pressés dans le couloir menant à la Taverne, bien vite suivis par l'ouverture vive de la grande porte de la pièce. Stephan s'approcha expressément de moi et sans plus attendre, me fit signe de le suivre et de me hâter. Il se dirigea vers le fond du couloir, et ouvrit l'entrée de l'armurerie avant de s'y engouffrer, moi-même sur ses talons.

« On part en intervention. » M'indiqua-t-il en allant chercher mon arc. « Le temps de seller les chevaux et on y va. Il ne faut pas perdre de temps. »

Il sortait déjà pour gagner l'écurie. Je récupérais mon épée, toujours sans nom, et courais presque le rejoindre. Ses paroles et sa hâte avaient éveillé un stress qui faisait trembler mes membres et rendait maladroit les mouvements les plus banaux. Quand j'entrai dans l'écurie à la suite de mon mentor, Florian et Johan achevaient un pansage rapide de nos montures, qui renâclaient, surpris par l'agitation soudaine. Quand il m'aperçut, Dagorian tourna son imposante tête vers moi, l'air de me demander la raison de toute cette activité. Je le rassurais d'une caresse sur l'épaule et m'empressais d'aller chercher son harnachement pour le seller et finir de le préparer.

Avec l'aide de Florian, on fut prêts en moins de cinq minutes, et déjà on était en selle à l'extérieur. Stephan se préparait à l'ouverture d'un portail de téléportation.

« Il n'y a que nous ? » Lui demandai-je avec anxiété. « Ce n'est pas un petit peu dangereux ?»

Mon mentor me regarda d'un air grave, mais qui m'apaisa malgré tout.

« Le danger, il va falloir faire avec. Mais nous nous contenterons aujourd'hui d'observer. Sur place, nous aurons une dizaine de kilomètres à parcourir à cheval, puis nous les attacherons et finirons les derniers cinq-cents-mètres à pied. Le tout est de rester discret pour ne pas se faire repérer. »

J'acquiesçai fébrilement, et lui emboitai le pas quand il eut ouvert et franchi le portail. Puis sans plus attendre, alors que l'on découvrait notre chemin qui s'étendait à la lisière d'une forêt, on lança nos montures au galop. Felarof était vif, et Dagorian, qui était sans doute un peu moins endurant, peinait quelque peu à suivre son allure. Au bout d'un certain temps, on ralentit à l'allure inférieure pour les soulager autant que possible. Une quinzaine de minutes plus tard nous étions presque arrivés.

Mon mentor arrêta sa monture et s'enfonça avec elle dans la forêt que nous longions toujours, après avoir mis pied à terre. Je l'imitai et on parcourut cent mètres de plus avant d'attacher nos chevaux pour continuer plus discrètement. Il m'indiqua de faire le moins de bruit possible et me désigna du geste sûr la direction que nous devions suivre.

Marcher sans bruit dans une forêt en automne n'était pas une tâche des plus aisées. De plus, toute faune semblait avoir déserté, et plus nous avancions, plus le moindre petit caillou heurté, la moindre feuille morte écrasée nous semblait bruyant, aussi se fut un soulagement quand Stephan me fit signe de m'arrêter.

On rampa le plus discrètement possible derrière un imposant rocher surplombé de buissons de ronces envahissantes. C'est là que j'entendis enfin la raison de notre présence ici.

Ils se manifestèrent d'abord par des grognements et des pas lourds mêlés de bruits de respiration qui semblaient ceux d'un buffle. Puis on entendit des voix et même Stephan écarquilla les yeux de surprise. Il m'intima à une attention optimale. Les voix des orcs étaient rauques et bourrues, et les mots qu'elles exprimaient était difficiles à saisir, voire carrément incompréhensibles. Je cru entendre les mots « rien » et « ronde » ou encore « prêt » (si ce n'était pas « paré ») dont les « r » étaient particulièrement roulés. Mon mentor était particulièrement concentré et ne remarqua pas mon regard interrogateur. Ni lui ni moi n'osions jeter un regard au-dessus du rocher pour apercevoir les orcs. Stephan ne semblait même pas en manifester l'envie. Le voyant les yeux fermés, je compris que ce n'était pas nécessaire.

A mon tour je fermai les yeux et laissait mon esprit se rendre attentif à l'énergie qui m'entourait. Bien vite je détectais les silhouettes des orcs qui se tenaient à moins de quinze mètres de nous. Ils étaient quatre et étaient tous tournés vers un point d'énergie diffuse, peut-être le portail. Une voix claire retentit alors mais un orc bougea dans le même temps et je ne pus même pas en entendre le timbre, mais j'étais persuadée que ce n'était pas celle d'un orc. Elle provenait du point diffus. « Ce n'est pas un portail » Réalisai-je alors. « C'est un sorcier. »

Je n'eus même pas à exprimer ma pensée à voix haute, Stephan me la confirma d'un signe de tête franc. A son signal, on se retira doucement et on quitta les lieux sans tarder. Quand, de retour auprès des chevaux, je lui demandai pourquoi nous partions si vite, alors que nous aurions pu en apprendre plus, il me répondit d'une voix ferme.

« Ne tentons pas le diable, nous avons l'information que nous cherchions : nous avons bel et bien affaire à un nouveau sorcier, et très puissant de surcroit. »

Sur ces mots il remonta à cheval, et, par mesure de sureté, on parcourut encore quelques kilomètres avant de rentrer au quartier général. On déposa alors les chevaux, et on se hâta de gagner la salle de surveillance, au sous-sol.

On y trouva Elène, Samia et Yonan, armés, qui, quand ils nous virent arriver, échangèrent quelques instructions rapides avec Stephan avant de quitter la pièce.

« Ils se chargeront de tuer les orcs et de fermer le portail, d'après Elène, le sorcier a déjà quitté les lieux. »

Il attrapa une craie et fit quelques marques sur différentes cartes, avant d'épingler le lieu que nous venions tout juste de visiter.

« A quoi ressemblent les sorciers ? » Demandai-je alors, songeuse.

Mon mentor attendit d'avoir achevé sa tâche pour me répondre.

« La vérité c'est que l'on ne le sait pas vraiment... » Répondit le Gardien. « Tous les livres, traitant de sorcier parlent d'eux comme des créatures humanoïdes, aux traits changeants, conséquence d'un masque d'illusions. Du peu que j'en sais, ils n'ont d'humains que les caractéristiques physiques générales, et encore, sous forme d'une caricature grotesque. Cependant il pourrait s'agir d'un choix de leur part, puisqu'ils peuvent changer d'apparence -dans une certaine mesure- à volonté. L'apparence que l'on connait d'eux est donc choisie, et très souvent symbolique... Ils aiment à être reconnus par ceux qui les craignent, ennemis ou non. »

Je n'osais imaginer quelle idée malsaine pouvait pousser les sorciers à adopter une apparence humaine défigurée face aux Gardiens. Le dégoût de Stephan vis-à-vis de cette pratique se ressentait dans sa voix.

« Et celui qui a tué... » Ma voix s'éteignit. Il m'était d'autant plus douloureux d'évoquer Philippe en le croisant régulièrement au Mémorial. « Comment était-il ? »

Stephan cligna un instant des yeux, par respect pour son partenaire défunt.

« Il était sadique, et particulièrement vil. Il n'avait plus de nez sur son visage couvert de cicatrices et maculé de cendre. Ses yeux étaient noirs et injectés de sang. La couleur de leurs yeux est la seule caractéristique que les sorciers ne sont pas à même de changer, et ils sont toujours noirs. Il portait une capuche en plus d'un long manteau noir qui ne laissait pas la vue libre sur son corps boursouflé et sale, à cause de cela, nous n'apercevions pas souvent ses cheveux, du peu qu'il en avait. Les quelques touffes qui subsistaient étaient éparses et toutes de longueurs différentes : le résultat en était effrayant. Son apparence tout entière était repoussante, tout simplement abjecte, au même titre que son arrogance. »

La colère vibrait dans la voix au son de ses paroles. Il brûlait d'une envie de vengeance que je n'avais pas soupçonné jusqu'ici. Il fit une pause pour se calmer et me raccompagna jusqu'aux escaliers, où il me renvoya. Quant à moi, je ne souhaitais que me changer les idées. Je pensais immédiatement à Aaron.

« Je vais rendre visite à Maman... Ne m'attendez pas pour déjeuner... » Marmonnai-je avant de déguerpir sur un signe de tête de Stephan.

*****

Sur place, je n'eus pas à errer longtemps dans les rues, cette fois presque désertes, de Romans pour tomber sur celui que je cherchai. Cela faisait près d'une heure et demie que j'avais quitté avec Stephan le lieu de notre mission, il était donc onze heures passées quand je retrouvai Aaron au détour d'une rue, à cent mètres des quais et du Chemin des Bœufs.

« Tiens tiens.... Qui voilà ? » Railla-t-il narquoisement. Je remarquai qu'il semblait moins apprêté que d'habitude : ses cheveux étaient ébouriffés par un vent inexistant, et son manteau était tâché par endroit.

Je fronçais les sourcils, mais il détourna bien vite mon attention de ses vêtements.

« Tu n'es pas censée étudier en de pareils horaires ? »

Je jouais immédiatement la carte de l'indifférence.

« J'avais besoin de prendre l'air... Ça ne change pas grand-chose de toute façon, que j'étudie à onze heures ou à vingt et une heures... »

J'accompagnai ma réplique d'un mouvement d'épaule nonchalant. On avait déjà, de concert, commencé à marcher le long du fleuve.

« Et toi ? Qu'est-ce que tu fais dehors ? » Demandai-je avec une tension imperceptible.

Son regard se perdit dans les courants de l'eau qui s'écoulait paisiblement.

« Je me promène... » Déclara-t-il simplement. « Je suis à la recherche de quelque chose... »

Son ton laissait clairement entendre qu'il ne souhaitait pas s'expliquer plus, mais il avait piqué ma curiosité.

« Quoi donc ? »

Il fixa son regard dans le mien d'une manière pénétrante, et je failli perdre contenance. Je fus alors surprise de discerner une teinte d'un brun chaud dans ses yeux.

« Est-ce de l'inspiration ou quelque ressenti de ce genre ? »

Il détourna à nouveau son visage du mien pour retourner au fleuve le long du chemin.

« Précisément... » Avoua-t-il, et je fus presque satisfaite de sa réponse.

« Tu écris ? »

Il soupira et secoua la tête.

« Assez parlé de moi... Qu'est-ce que tu étudies en ce moment ? »

Dans un réflexe, mon cerveau se remémora le manuel de physique prêté par mon mentor.

« La physique quantique... Passionnant mais pour le moins complexe ! »

Je souris nerveusement : je ne savais définitivement pas mentir.

« Tu m'as l'air un peu jeune pour étudier ce genre de concept non ? »

Il était soupçonneux, mon estomac se noua d'un stress grandissant.

« J'ai sauté plusieurs classes... Et mon programme est spécialisé, ces cours font partie d'un cursus supplémentaire. »

Ma réponse parut le contenter et il ne m'interrogea pas plus avant. Peu de temps après, il s'excusa et pris congé, animé d'une hâte nouvelle. Un peu déçue, je le saluai néanmoins en retour et passai dire bonjour à Maman, avant de regagner le quartier général, une petite heure plus tard.

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