Chapitre 27

Le lendemain, Stephan vint me trouver pour une leçon particulière, ce qu'il n'avait pas fait depuis plusieurs semaines, puisque mes entrainements se tenaient dans le Mémorial, ou étaient exécutés en autonomie avec Haldir. Ainsi quand il m'annonça que nous allions travailler le maniement de l'épée, je fus sincèrement surprise.

« Une pratique se travaille régulièrement » M'expliqua-t-il. « Un entrainement plus approfondi de temps en temps ne peut pas faire de mal, et d'autant plus dans un objectif de perfectionnement ! »

J'acquiesçai et on alla récupérer le matériel dans l'armurerie avant de gagner le versant est de l'arrière-cour. On s'échauffa sur un petit duel amical, qui nous permit à tous deux de nous concentrer entièrement sur la séance qui s'annonçait. Ceci fait, et après une courte pause, on se remit en garde pour un nouveau duel.

Pressée d'en découdre et convaincu que la patiente de mon mentor surpassait la mienne, j'attaquai la première, dirigeant habilement ma lame vers sa taille. Il para et me repoussa sans souci. J'observai attentivement le mouvement de ses pieds, qui s'étaient déplacés avec vélocité afin de permettre au Gardien de bloquer ma lame efficacement. Alors que je renouvelai ma tentative avec un peu plus de force, je fixai plutôt mon attention sur son propre regard en surveillant du coin de l'œil ses actions. Il surveillait ma posture mais cessa de me détailler dès qu'il réalisa que je le remarquais.

Sans doute pour m'empêcher de réfléchir sur sa stratégie, il passa à l'offensive. Je déviais le premier coup, qui visait ma cuisse droite et me baissait pour éviter le second qui passa au-dessus de ma tête. Enfin il feinta, mais j'anticipais et ne lui laissait pas le temps d'achever son entreprise en contrattaquant. S'ensuivit un échange rapide au cours duquel personne ne pris l'avantage.

Puis on recula de quelques pas et on se toisa pendant quelques secondes avant de recommencer à un rythme endiablé.

Cependant cette danse complexe me coutait en énergie et mon mentor ne semblait même pas faire d'efforts. Je me doutais qu'il cherchait, par se combat, à m'entrainer, et non à me battre à tout prix, auquel cas il l'aurait déjà fait, mais c'était tout de même vexant, et la frustration accrut rapidement ma hardiesse au point de tenter des coups particulièrement osés, et qui s'achevaient généralement par une position maladroite, parfois même une chute. Stephan m'arrêta au bout de la troisième.

« Tu n'as pas le niveau pour te battre ainsi. » Dit-il. « Et quand bien même ta stratégie n'est pas bonne avec ce type de lame. Ton attitude était meilleure en début de combat. »

Je répliquai d'une voix sèche, emplie de dégoût, non pas envers Stephan, mais envers moi-même.

« Mais cela n'a pas suffi à vous battre. »

Il s'assura que je le regarde dans les yeux.

« Bien sûr que non. J'ai deux cents ans d'expérience derrière moi. Je suis adulte, plus grand et physiquement plus fort que toi. Ta lame est trop légère pour espérer rivaliser seule avec la mienne en combat singulier. Néanmoins, si tu souhaites t'améliorer, ou trouver une stratégie plus efficace avec ce type d'épée, tu pourrais essayer les lames jumelles. La coordination est une des qualités les plus difficile à acquérir, mais au bout de plusieurs mois d'entrainements réguliers, tu pourrais en arriver à un niveau sensiblement plus élevé que ton niveau actuel, même une seule lame à la main. »

J'acceptai ses paroles avec résignation. Je m'efforçais d'y croire malgré la part de moi qui ne cessait de me rabaisser. Heureusement, Stephan n'avait pas terminé et ses mots eurent pour effet de capter à nouveau mon attention.

« Pour le moment je vais déjà t'enseigner, ou du moins te donner les pistes pour travailler une nouvelle technique, afin de renforcer tes attaques et d'améliorer tes déplacements. »

Je fus dès lors tout à fait intriguée. Mon regard trahissait une curiosité avide.

« Cette technique » Continua le Gardien, « C'est le renforcement énergétique. Pour résumer grossièrement, cela consiste à envoyer de l'énergie brute dans tes fibres musculaires pour les renforcer. C'est très couteux en énergie, surtout pour les débutants parce qu'il faut savoir doser correctement les transferts d'énergie afin de ne pas en gaspiller. Tiens, regarde, je vais te faire une démonstration. »

Sur ces mots et alors que j'acquiesçai, il prit alors une dague et la lança sur un mannequin d'entraînement à une quinzaine de mètre. Elle s'enfonça sur quelques centimètres dans sa poitrine.

« Là, je n'ai utilisé aucun renforcement. A présent, regarde bien, je vais le faire deux autres fois pour que tu puisses également l'observer de manière omnisciente. »

Il prit alors une seconde dague, cligna rapidement des yeux, et lança la dague avec une vivacité qui me fit sursauter. Elle vola sur plus de trente mètres pour aller perforer profondément le mannequin, jusqu'au manche. Lui n'avait presque pas bougé, le tir semblait presque facile.

Il me fit signe qu'il allait opérer à son deuxième lancé et je fermai les yeux pour mieux me concentrer. Quand ma vision omnisciente suffisamment claire, je fis signe à mon mentor, et la suite se passa très vite.

Il y eut une sorte de flash, en réalité une vague d'énergie très vive, qui parcouru son corps, et d'autant plus ses mains pendant qu'il lançait. La lame laissa des trainées d'étincelles dans le gris de l'air et alla cette fois-ci transpercer la tête du mannequin. Enfin, quelques secondes seulement après le flash, les flux énergétiques étaient à nouveau stables.

Même à quelques mètres de distance, la décharge d'énergie m'avait frappée.

« A toi maintenant ! » Me sourit-il. « Commence avec l'arc si tu veux ! C'est plus simple pour comprendre le phénomène. Après on fera des exercices pour tenir le renforcement sur la durée. »

J'acquiesçais mais j'étais un tout petit peu anxieuse : la manipulation de l'énergie était déjà complexe sans avoir à tirer à l'arc simultanément.

Je sortis mon arc, préparai une flèche et tirai une première fois normalement pour m'échauffer et vérifier le bon fonctionnement de l'arme. La flèche fila se planter au centre d'une cible à cinquante mètres de là. Je plaçai une seconde flèche sur la corde de l'arc et fermai les yeux pour me concentrer.

« Laisse l'énergie se répandre dans tout ton corps, ne la restreins pas. Tu dois sentir les flux s'intensifier. »

Je m'exécutai et en quelques secondes, un flot d'énergie phénoménal se déversa dans mon corps et je bandai mon arc avec une facilité telle que je failli le briser et qu'il se ploya de manière inhabituelle. Surprise par la sensation, qui semblait comme une vague se brisant contre le récif, je décochai en visant à peine avant de m'effrayer et de brider l'énergie qui s'était emparée de moi. Brusquement privée d'énergie, je vacillai, mais restait consciente.

Stephan s'approcha et me félicita, même si la flèche s'était perdue à plus d'une centaine de mètres.

« C'est bien ! Au moins tu as pu avoir un aperçu de la sensation que cette manipulation procure. Je sais que cela peut paraître effrayant la première fois, mais cette étape est nécessaire pour progresser rapidement. Maintenant, on va tout reprendre, étape par étape. »

J'approuvai fébrilement, encore sous le choc de la puissance qui s'était déchainée en moi pendant quelques secondes. Je reprenais doucement le contrôle sur moi-même.

« Bien » Me dit mon mentor quand j'eu posé mon arc et qu'on se fût assis en tailleur au sol. « A présent, tu vas respirer calmement, et augmenter le flux d'énergie de ton corps jusqu'à le doubler, mais pas plus loin ! Assure-toi de garder l'entier contrôle de cette énergie que tu déploies. »

J'inspirai, expirai, et fermai les yeux. Immédiatement, les étincelles réapparurent et je me concentrai sur mon corps sans me soucier du reste. L'énergie venait d'un point, quelque part en arrière de mon plexus solaire, fermé par une barrière immatérielle, contrôlée par ma seule force d'âme. Doucement, j'ouvris cette barrière, un flux mesuré d'énergie en sortit pour se superposer aux flux naturels de mon corps. J'étais extrêmement concentrée, car le manque de contrôle de l'essai précédent m'avait malgré moi terrorisée.

Quand j'estimai que mes flux énergétiques avaient doublé, je maintins l'ouverture de la barrière et ouvrai lentement les yeux. Stephan me parla doucement, presque en chuchotant.

« C'est bien... Maintenant prends ma main, et sers-la sans forcer. »

Je m'exécutai et eu presque l'impression de lui broyer la main alors que je ne faisais qu'échanger une poignée de main ordinaire. Malgré tout, le Gardien me signala qu'il allait bien et me félicita d'un sourire.

Cependant, garder un flux constant demandait une concentration immense, et une quantité considérable d'énergie de sorte que le flot se tarissait. Je fermai alors la barrière et revins à un flux normal.

« Bravo ! Tu as tenue quarante-trois secondes avec un flux doublé. C'est magnifique pour une première fois ! »

Son sourire chaleureux eut pour effet de me faire rougir. Ce n'était pas le même que celui de Philippe, mais il n'en faisait pas moins son effet !

On recommença l'exercice plusieurs fois avant de mettre fin à la séance. Je parvins à repousser la durée de maintient à près d'une minute, et lors du dernier essai, Stephan me demanda même de monter au-dessus du palier de flux doublé. Me voyant épuisée, il avait annoncé que la suite serait pour une autre fois. On avait alors rangé le matériel et on était rentré au quartier général.

*****

Quelques heures plus tard, alors que je lisais dans un coin de la Taverne, Stephan occupé non loin par quelque tâche anodine, Elène entra d'un pas vif et s'approcha fermement du chef des Gardiens avant de s'asseoir en face de lui. Elle ne semblait pas m'avoir remarquée.

« Stephan, un autre portail a été ouvert... C'est en France cette fois, en Ardèche. »

Le Gardien reporta tout son attention sur la guerrière, et lui demanda calmement de poursuivre.

« Il était stable et avait probablement déjà servi puisqu'il s'était déjà affaibli quand je l'ai localisé. Samia est déjà partie le refermer avec Pierre. Ils devraient rentrer rapidement. »

Stephan sembla réfléchir un instant.

« As-tu localisé un quelconque ennemi à proximité ? » Demanda-t-il.

Elène secoua la tête négativement, faisant voler ses cheveux noirs autour de son visage fin.

« Non, personne. Mais peut-être des traces de passage, trop ténues pour être tracées à distance. Cela dit, les orcs se font de plus en plus discrets ces derniers temps. Leur traque est ardue. Je crains qu'un sorcier ne les dissimule habilement. »

Le chef acquiesça, manifestement détendu, mais tout de même muni d'une expression sérieuse.

« Très bien. Tiens-moi au courant dès qu'ils seront de retour. »

Elène inclina la tête et fis volte-face pour repartir d'où elle venait.

Leur discussion m'avait tout de même inquiétée. Je marquai la page de mon livre d'un ruban et rejoignais Stephan. Avant même de reporter son regard sur moi, il m'avertit d'une voix égale.

« Je te fais confiance pour ne pas divulguer d'informations avant d'avoir réfléchi aux conséquences que cela pourrait avoir sur le receveur de l'information et le reste du groupe. Tout le monde ne gère pas ce genre de nouvelle de la même façon. Alors pense à ménager tes Gardiens si cela est possible. »

Je m'assis à côté de lui.

« Dois-je comprendre que cette information est plus inquiétante que ce que trahit ton visage ? »

Ma réflexion l'amusa un peu, mais sa voix était toujours sérieuse.

« Certes, non. Mais l'affaire est à suivre attentivement après les évènements de la Forêt Noire. L'ouverture de portails n'est pas un fait banal. La panique et l'affolement n'amélioreront pas notre réaction à ce danger, et c'est pourquoi je garde mon calme en cette instant, tout en prenant en considération le fait que la situation sur place est déjà stable. Cette nouvelle reste cependant une nouvelle de grande ampleur, qu'il faut traiter en tant que telle. »

J'indiquai que je comprenais par un hochement de tête.

« Et comment la traite-t-on ? »

Stephan se leva péniblement avec un long soupir.

« Eh bien je te propose, en qualité de future cheffe, de le découvrir dès maintenant. Va chercher Haldir et rejoins-moi devant les escaliers du sous-sol dans dix minutes ! »

Il esquissa un sourire doux et me renvoya d'un signe de main.

Je laissai mon livre sur le coin d'une table en me notant de le récupérer plus tard, et courais dehors pour aller chercher mon compagnon qui achevait tout juste une séance avec sa monture, Viadro.


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