Chapitre 26

Le repas se passa sans fait notoire, théâtre ce jour-ci comme beaucoup d'autres des conversations les plus banales -pour des Gardiens bien sûr- tels que les entraînements de la matinée ou des anecdotes en tant que responsable d'un rôle. Par exemple, Johan et Florian nous racontèrent que Nahar, l'étalon blanc de l'apprenti, s'était roulé dans la boue ce matin et qu'ils avaient passé plusieurs heures à le laver et le brosser...

Le déjeuner était à peine achevé que Stephan et moi remontions déjà dans son bureau. Il m'apprit alors qu'il était déjà en pleine préparation du tournoi, pour pouvoir annoncer les épreuves le plus tôt possible afin de permettre à chacun d'adapter son entraînement. Et en tant que future cheffe de la 7e Génération, mon aide était indispensable.

On discuta beaucoup dans un premier temps, et on mit en place beaucoup de choses dans un second. On décida que le tournoi allait être divisé en trois catégories, plus une catégorie spéciale qui se déroulerait par équipe en mettant en compétition les deux générations. Les trois premières catégories reprenaient certaines épreuves des précédentes éditions dans ce qui pouvaient constituer des épreuves basiques, rien ne sortant du cadre des tournois précédents. Ces trois catégories comprenaient les épreuves physiques, armées et équestres. Elle se concourraient en individuel, exception faîte pour les épreuves équestres qui laisseront la possibilité de participer en équipe de quatre sous condition de participer également individuellement car les épreuves seraient les mêmes. On décida que réutiliser le fonctionnement des années précédentes pour ces épreuves serait profitable et on décréta donc que chaque participation se ferait par catégorie, et non par épreuve. Ainsi un participant s'engageant dans une épreuve physique serait contraint de participer également aux deux autres épreuves qui composent la catégorie.

La quatrième catégorie était un peu à part puisqu'elle était organisée pour la première fois cette année. Stephan m'annonça qu'il devait encore y travailler avant de me présenter les épreuves de cette catégorie qu'il appelait les épreuves stratégiques. Notre discussion tourna donc plutôt autour des trois autres.

Les épreuves physiques se composeraient d'un parcours d'agilité, d'une course d'endurance et d'une course d'orientation. Il s'agirait alors de tester la résistance physique puisqu'un parcours non terminé entrainerait une élimination de toute la catégorie. Les épreuves se dérouleraient sur deux ou trois jours selon l'organisation et serait très exigeante.

Les épreuves armées seraient divisées entre les duels de lames, qui fonctionneraient avec un système de duels en plusieurs manche, comme un championnat ; une épreuve de tir à l'arc et une épreuve de lancés qui inclurait tous les projectiles munis d'au moins une lame. Cette dernière épreuve éveilla justement un débat entre nous.

« Le lancer de dague ou autre projectile n'est-il pas une discipline trop technique et avancée pour être proposée ? Une majorité des apprentis, moi comprise, n'ont encore jamais envisagé de se lancer dans cette discipline. Or la participation aux épreuves armées demande une participation à toutes les épreuves de la catégorie... »

Le chef de la 6e Génération réfléchit un instant.

« Cette question est pertinente. Il est vrai qu'une participation dans cette discipline n'est pas souhaitable pour une bonne moitié d'entre vous... Qu'est-ce que tu proposes dans ce cas ? »

Je regardai le plafond, en pleine réflexion avant de reporter mon regard sur Stephan.

« Deux choix s'offrent à nous... Changer l'épreuve de lancer, mais dans ce cas je ne saurai quelle discipline mettre à la place ; ou rendre cette épreuve facultative... »

Il acquiesça.

« La deuxième solution semble meilleure... Nous pourrions, pour le classement de catégorie, ne comptabiliser que les scores de deux des trois épreuves, dans l'idéal les deux meilleures pour ceux qui font les trois. »

J'approuvai, l'idée était bonne.

« Peut-être, le lancer étant plus difficile, pourrions nous rendre les scores de cette épreuve plus avantageux ? Ainsi l'effort serait valorisé... »

Stephan inclina la tête et l'idée fut adoptée et noté dans le coin d'une feuille déjà bien remplie. Il la mit de coté et attrapa la suivante qui traitait des épreuves équestres.

Celles-ci se composaient d'une épreuve de saut d'obstacles en terrains variés, d'une épreuve en liberté, elle-même divisée en deux parties consécutives, l'une montée et l'autre à pied ; et d'une épreuve de tir à l'arc à cheval dont le niveau serait adapté pour être accessible à tous...

Quelques heures plus tard, quand je sortais enfin du bureau de Stephan, nous avions mis au point trois des quatre catégories, avec les règles des différentes disciplines, les différents systèmes de score et le fonctionnement global sans pour autant établir les parcours précis, ceux-ci devant êtres créés par quelqu'un qui ne participerait pas à l'épreuve en question. Cette partie là de l'organisation attendrait donc la fin des inscriptions.

Le travail achevé était déjà conséquent, mais nous n'avions même pas encore parlé de la catégorie spéciale des épreuves stratégiques.... Cette partie était pourtant celle la plus intéressante à mes yeux.

*****

Je n'avais pas prévu de trainer dans Romans ce jour-là... Mais le sort en avait décidé autrement. En effet mon beau-père était présent, mais si ma mère pouvait me faire passer pour la fille d'une amie, elle n'était pas en mesure d'expliquer une téléportation en plein milieu du salon. Je me hâtai donc de rejoindre une ruelle déserte, mais la tâche ne fut pas aisée car un flot inhabituel de personne se pressaient dans la ville en ce dimanche matin, sans doute à cause du marché.

Cependant je ne pus pas fait cinq cents mètres en dehors de l'appartement que je le croisais de nouveau. A croire qu'il me guettait... Je me trouvais alors dans une rue assez sombre et sale, soit pas le lieu le plus rassurant, et je me trouvais seule, face à Aaron. J'avais pourtant espéré ne pas le revoir après notre dernière rencontre.

J'essayais difficilement d'adopter son impassibilité pour conserver le peu de dignité qu'il me laissait. Il me fixa de son regard impénétrable.

Après de longues minutes de silence, ce fut Aaron qui prit le premier la parole.

« Tu m'intrigues »

Je ne savais pas si je devais être outrée, flattée ou simplement insensible à la remarque... Dans le doute, je choisis l'impassibilité et la prudence.

« Pourquoi ? »

Le but étant d'utiliser le moins de mot possible pour ne pas trahir mon trouble. J'avais l'impression que la moindre parole de travers pourrait me valoir l'humiliation face à lui. Cette pensée me sembla un instant absurde, mais elle me semblait pourtant ancrée en moi comme une certitude.

Aaron, dans ce qui m'apparaissait de plus en plus comme une habitude, mit de longues minutes à répondre.

« Tu n'es pas comme les autres »

Malgré l'apparence vague de ses paroles, ses yeux me fixaient d'un regard si pénétrant qu'il laissait deviner des sous-entendus conséquents. Se pourrait-il qu'il sache pour les Gardiens ?

Non... L'idée était trop improbable pour être envisagée. Les Gardiens étaient trop bien cachés. J'étais simplement trop méfiante ; un comble puisque m'étais au contraire montrée plutôt imprudente auparavant. Je finis par me convaincre qu'Aaron était surpris de me croiser aussi régulièrement, et toujours au même endroit alors que je ne venais pas avant cette dernière semaine.

« Rappelle-moi ton nom ? »

Aaron semblait plus respectueux que la dernière fois. Cette constatation me surprit. Peut-être que je m'habituais simplement à son comportement pénétrant et fier.

« Je ne te l'avais pas dit... Je m'appelle Kyra. »

Il ne réagit pas à ma réponse et se contenta d'acquiescer. Ses yeux reflétaient pourtant une activité mentale intense dont j'ignorai l'origine et le but. Quant à moi je me détendais peu à peu.

« Tu veux discuter un peu ? »

Sa proposition était sincère. Je surmontai vite un nouveau trouble et acceptais avant même de me souvenir que j'avais prévu de rentrer rapidement. « Tant pis » songeai-je. On marcha quelques temps en silence et on rejoignit machinalement les quais et le Chemin des Bœufs. Je mourrais d'envie de lui demander quelles activités l'occupaient à Romans, mais je craignais qu'il ne me pose la question en retour... J'optais donc pour une autre question que j'estimais plus anodine.

« Tu viens d'où ? »

Il me regarda d'un air que je ne sus pas interpréter, qui m'évoquait autant de l'amusement que de la gêne ou du regret.

« Eh bien de très loin... Un endroit que tu ne connais très certainement pas... »

Je me montrai vivement intéressée dans l'espoir qu'il en dise plus, mais il ne le fit pas de lui-même.

« De quel endroit ? A-t-il un nom ? »

Il secoua la tête de droite à gauche pour me signifier qu'il n'allait pas répondre.

« Tu ne connaîtras pas, et le nom est imprononçable. Sache simplement que ce n'est pas la porte à côté. »

Ce qui me donnait d'autant plus envie de savoir ce qu'il faisait ici... Mais je me retins.

« Et toi ? »

J'hésitais sur ce que je pouvais dire et optais pour la vérité. Ou du moins une réponse ancrée sur des faits réels.

« J'ai longtemps vécu avec mon père en Alsace... Je suis venue ici dans le cadre des études... »

Sa voix restait impassible, mais pas désintéressée.

« Dans quelle école ? » Me demanda-t-il.

La suite résultait complètement d'invention... J'étais obligée d'improviser mais j'essayais de rester au maximum prudente dans mes propos.

« Une école à Lyon... Je fais le trajet en train... Mais la plupart de mes cours se font à distance, d'où ma présence ici. »

La réponse parvint à le satisfaire suffisamment pour qu'il ne creuse pas plus loin. Le sujet fut abandonné. On marcha encore quelques temps sans prononcer un mot avant de séparer.

« A ce rythme on se reverra surement bientôt... » Marmonnai-je et il acquiesça.

Ce n'était ni un sourire ni une moue qui flottait sur son visage quand m'adressa ses salutations.

« Certainement. » Dit-il. « Dans ce cas je n'ai qu'à te souhaiter un bon dimanche ! »

J'acquiesçais et lui retournai son salut.

« A la prochaine ! » Ajoutai-je alors qu'il s'en allait.

Peu de temps après qu'il fut parti, je me téléportai depuis un lieu discret et désert et rentrai au quartier général.

Alors que je regagnai ma chambre, je trouvai sur mon bureau deux ouvrages de physique avancée que Stephan avait promis de me faire parvenir trois jours plutôt. Je m'y plongeai avec avidité en attendant le repas, bien vite fascinée par la complexité de ce qu'il décrivait, en l'occurrence, la diversité des objets célestes. Je me promis de remercier Stephan plus tard.

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