Chapitre 25
Au dîner le soir même, Stephan annonça les dates fixées pour le tournoi. Sauf complication, il aurait lieu dans six semaines. Ce laps de temps nous laissait le loisir d'approfondir nos entraînements, et permettait à Stephan d'organiser les épreuves par équipes. Il m'avait à ce propos subrepticement glissé qu'il requerrait certainement mon aide en tant que future cheffe de la 7e Génération.
En attendant, toute mon attention était impatiemment fixée sur le lendemain. J'avais prévu de me lever tôt pour pouvoir me promener avant de retrouver Maman. Je n'en avais rien dit à Stephan mais il n'avait jamais insinué qu'une telle action pu être indésirable. Sa seule recommandation avait été d'être prudente. Ainsi, l'aube était à peine levée que j'étais déjà entrain d'achever mon petit déjeuner dans la Taverne, en compagnie de Shayna et Nicolas qui semblaient avoir eu une nuit calme. Puis je les avais salué et j'avais quitté la salle sans demander mon reste, avec un grand sourire aux lèvres.
Le temps était clair et la température clémente, pour un début de mois de septembre. J'arpentais les rues avec hâte pour rejoindre les quais. N'importe qui aurait pu me reprocher le manque d'attention dont je fis alors preuve, mais une chaleur agréable avait pris place dans mon cœur au fil de mes pas, et ma joie prenait toute la place. On était aujourd'hui le jeudi 2 septembre 2021, le jour de la rentrée scolaire. J'avais vérifié le matin même. Mais je ne retournai pas en cours. J'eus un pincement au cœur quand cette pensée me revint, et je songeai aux occasions perdues d'étudier les sciences et de parfaire mes connaissances. Je me promis d'en toucher un mot à Stephan.
J'étais encore dans mes pensées à réfléchir au meilleur moyen d'annoncer à mon mentor que je voulais continuer d'étudier la physique et les mathématiques, en marchant machinalement vers les quais que je manquai de heurter une personne au coin d'une ruelle. Ce cruel manque d'attention me ramena à la réalité.
L'individu qui se tenait en face de moi était un adolescent, qui semblait à peine plus âgé que moi. En l'observant rapidement, je ne pu trouver une chose sur lui, excepté la faible surface de peau visible, qui ne fut pas noir ou grise. De ses vêtements excessivement épais à ses cheveux d'ébène en passant par des yeux de cendre, rien n'échappait à ce sombre style. Il portait même des gants, en suppléments de bottes et d'un long manteau de cuir. Quand on manqua de se heurter, une multitude d'émotions défilèrent sur son visage avant de céder la place à une expression piquée. Le son grave de sa voix me frappa quand il me réprimanda en quelques mots succins.
Je ne lui répondis pas. Son apparence ne m'était pas inconnu et j'essayais de me souvenir où j'avais pu le rencontrer. Quand le souvenir de ma dernière balade aux bords des quais me revint, j'eus un mouvement de recul teinté de prudence.
« Tu réagis finalement ! » s'exclama-t-il. « Tu devrais peut-être rentrer chez toi avant de faire une mauvaise rencontre par quelque maladresse. »
L'adolescent me faisait une impression étrange... Un mélange de peur et de fascination. Il me fit signe de me décaler pour le laisser passer, et comme je restais paralysée, il me contourna avec un soupir avant de continuer sa route.
Ma curiosité prit alors le dessus et je l'interpellai. Je crus le voir tressaillir avant de se retourner, toujours indifférent, avec un sourcil levé dans ce qui semblait du mécontentement. Il n'avait pas l'air d'un écolier qui allait en cours en ce jour de rentrée scolaire, d'autant plus qu'il n'avait pas de sac sur le dos. Ceci ajouté à son attitude imbue et dédaigneuse avait suffi à éveiller ma curiosité.
« Qui... Qui est-tu ? » Bégayai-je, intimidé par son regard de braise.
Il ne répondit pas immédiatement mais ne trahit aucune émotion. J'en étais mal à l'aise et hésitait à m'excuser, mais je renonçai en me persuadant que la question était on ne peut plus anodine.
Au bout de plusieurs longues secondes, il se décida enfin à me répondre.
« Aaron. » Lâcha-t-il.
Je restai perplexe. Visiblement il n'aimait pas trop parler...
« Aaron comment ? »
« Aaron tout court. »
Sa réponse fut ferme, presque menaçante. Sa voix avait une sonorité grondante qui me faisait froid dans le dos. Il me semblait singulier, et pas seulement par son style sombre. Mais je n'arrivais pas à mettre des mots sur la sensation qu'il me procurait. Aucun de nous n'avait réagi après sa réponse. Nos regards s'étaient rencontrés et chacun regardait l'autre avec fascination et curiosité. Cet échange visait des deux côtés à découvrir les secrets de l'autre, avec une avidité presque malsaine.
Finalement, il se détacha et me demanda silencieusement, prêt à continuer sa route, si j'allais l'interrompre avec une nouvelle question. Comme je ne parlai pas, il tourna les talons et s'en alla. Mes yeux fixèrent son long manteau noir jusqu'à ce qu'il disparaisse au détour de la route.
Mes pensées n'appartinrent qu'à Aaron le temps que dura ma marche. Il avait provoqué chez moi une confusion inexpliquée, et son dédain m'avait inconsciemment vexé. Ma fascination pour lui avait beau être profonde, je me promis que si mon chemin recroisait une nouvelle fois le sien, je me montrerai plus ferme et que je garderai mes sentiments pour moi. Car j'étais sûre, bien que cela me fasse jurer contre moi-même pendant de longues minutes, que ma fascination n'était pas passée inaperçue, bien au contraire même ! Ainsi je me promis également de redoubler de prudence et de ne plus laisser mon esprit s'égarer en marchant dans la rue.
Une demi-heure après ces résolutions, je retrouvai Maman sur le palier de l'appartement. On discuta longtemps. Enfin surtout elle car je n'étais pas plus autorisée que la dernière fois à parler de mes entraînements. Elle me donna des nouvelles de toute sa famille, bien qu'ils n'aient plus aucun souvenir de moi, mais ne pus m'informer sur la famille de mon père, car ils n'avaient désormais plus aucune relation. Mes yeux restèrent humides après cette discussion et mon cœur demeura lourd jusqu'à mon départ. Finalement, alors que la journée était déjà à moitié écoulée, je fus contrainte de la quitter et je lui promis de revenir bientôt.
Rentrée au quartier général, je me rendis compte qu'elle m'avait fait oublier Aaron l'espace de quelques heures, de sorte que je ne lui en avais même pas parlé. Je le chassais à nouveau de mon esprit en allant retrouver Haldir, de plus en plus fermement décidée à ne pas lui accorder d'importance.
Malgré tout, je restai distraite tout au long de l'entraînement. Haldir sembla vexé, mais il ne dit rien et se contenta de rejoindre Florian après la séance, tandis que je regagnai le bâtiment. Plus qu'Aaron, l'idée de la rentrée scolaire ne m'avait pas quittée non plus. Je me rendis au bureau de Stephan et frappais trois coups fermes. Le Gardien vint m'ouvrir en personne et m'invita à entrer avec un léger sourire.
« Tu tombes bien ! » Me dit-il. « J'avais justement besoin de toi... »
Un peu surprise, j'oubliais presque que ma visite avait également un objectif personnel. Je m'assis dans la chaise qu'il me présentait en bredouillant. Heureusement il sembla remarquer mon embarras et mis de côté pour un instant sa propre demande.
« Pardonne mon empressement... » S'excusa-t-il. « Tu avais peut-être une quelconque demande à me soumettre ? »
Dans mon trouble qui se dissipait doucement, je dus me répéter plusieurs fois ses mots pour en comprendre le sens. Je secouai la tête et me reconcentrai.
« Il se trouve que oui ! » Répondis-je finalement. « Ma sortie de ce matin m'a rappelé que ce jour était celui de la rentrée scolaire... »
Stephan m'écouta silencieusement alors que je lui exposais mon intérêt pour les sciences et mon souhait de continuer à les étudier. J'argumentai ainsi pendant plus d'un quart d'heure. Quand mon flot de paroles s'arrêta enfin, mon mentor était plongé dans ses pensées.
« Tu es consciente que dans les conditions actuelles, un retour au collège serait impossible, autant du point de vue du temps disponible que de l'impossibilité de risquer de dévoiler notre existence ? De plus je suis dans le dépit de t'apprendre, que les programmes scientifiques français, et même mondiaux, sont en partie erronés... L'humanité est encore loin d'avoir découvert l'entièreté de la réalité, et c'est d'ailleurs très bien comme cela. »
Je déglutis et acquiesçai à ses mots. Je m'étais attendue à une telle réponse mais avais tout de même espéré qu'un arrangement était possible. Malgré tout, certains mots de mon mentor m'avaient interpellée.
« Pourquoi tant de fermeté vis-à-vis du secret des Gardiens ? Est-ce que dévoiler notre existence aurait vraiment une incidence grave ? Je sais ce qu'il s'était passé à l'époque où les Gardiens contaient encore des humains dans leurs rangs... Je l'ai lu dans un livre à mon arrivée. Mais les temps ont changé. Les choses ne pourraient-elles pas être différentes ? »
Le visage de Stephan devint sombre. Il secoua la tête négativement.
« Non. Je suis désolé Kyra, mais les choses sont comme elles sont. On ne peut rien y faire. Je ne risquerai pas la bonne conduite de notre mission pour vérifier la tolérance de l'humanité envers nous et nos capacités. »
Je baissai le regard avec déception.
« Je comprends... Je suis désolée. »
Stephan sembla pris de compassion et contourna son bureau pour venir poser une main rassurante sur mon épaule.
« Tu n'as pas à t'excuser. D'autres avant toi ont eu les mêmes pensées. Mais le rôle de chef inclut de faire des choix dans l'intérêt du groupe, et celui-ci en fait partie. Cependant pour en revenir aux études, je peux, à défaut d'une rentrée scolaire, te proposer une contrepartie. »
Il attendit d'avoir toute mon attention pour continuer. Je fixai mon regard dans le sien et dans l'émotion, la déception mais aussi sa compassion, mes yeux devinrent humides.
« Si tu es d'accord, je te ferai parvenir certains ouvrages scientifiques qui pourront t'intéresser, et je complèterai ces lectures avec des cours supplémentaires dédiés aux sciences, et à l'histoire des Gardiens et aux explications rationnelles sinon scientifiques de certains phénomènes liés à l'énergie. Qu'en dis-tu ? »
Je réfléchis pendant que j'emmagasinais toutes ces informations. Un sentiment qui me sembla être de la reconnaissance gonfla dans mon cœur. J'acceptai avec une joie non feinte et le remerciai vivement. Dans l'excitation du moment, je m'apprêtais à partir pour annoncer la nouvelle à Haldir quand Stephan me rappela qu'il avait toujours besoin de moi pour ses propres affaires.
Cependant, en consultant l'heure par l'intermédiaire de son médaillon, il soupira, sourit et renonça.
« Nous verrons cela après le déjeuner ! Nous réfléchirons mieux le ventre plein ! »
Et avec un clin d'œil taquin,il m'invita à l'accompagner jusqu'à la Taverne.
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